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proposition ne pourrait troubler l'Etat...(Murmures.)

Un membre: Vous voulez allumer la guerre civile dans le royaume !

Plusieurs membres : Votre amendement!

M. Merlin. Je demande que l'on mette aux voix si M. Lemontey sera autorisé à renouveler la discussion, ou s'il doit se réduire à proposer son amendement. Il est évident que la majorité de l'Assemblée est décidée à ne pas l'entendre.

M. le Président. M. Lemontey a la parole: je ne comnais pas d'article du règlement qui puisse me forcer à la lui ôter.

Voix diverses: C'est l'Assemblée qui vous y force! Rappelez-le à l'ordre!

Un membre: M. Lemontey avait la parole pour son amendement. L'Assemblée la lui a accordée, mais il doit se renfermer dans les motifs de son amendement.

Un membre: Il est sans doute de principe que la majorité fait la loi à la minorité. Or, ici, la majorité demande que vous consultiez l'Assemblée pour savoir si M. Lemontey sera autorisé à ouvrir de nouveau la discussion générale.

M. le Président. J'invite M. Lemontey à conclure, et j'invite l'Assemblée à l'entendre.

M. Lemontey. Je cède, Messieurs, à l'impatience de l Assemblée. (Murmures.) J'ai pensé que dans un moment où la France était aussi agitée....

Plusieurs membres : Ce n'est pas là un amendement!

M. le Président. Puisque l'Assemblée le veut, elle va décider ce que le Président n'a pas le droit de décider. Aussi je vais mettre aux voix si l'Assemblée veut que M. Lemontey propose son amendement dùment ou non. (Oui! oui!)

Plusieurs membres : La question préalable sur cette proposition!

(L'Assemblé rejette la question préalable.) M. le Président met aux voix la proposition principale.

M Gérardin. C'est une atteinte à la liberté des opinious; il vaudrait mieux ne pas l'entendre du tout. (Bruits prolongés.)

Plusieurs membres : A l'ordre ! à l'ordre!

M. Gérardin. Je soutiens que vous n'avez pas le droit d'empêcher un orateur d'énoncer son opinion. (Murmures prolongés.)

Un membre: Je demande que vous mettiez aux voix la question de cette manière. « M. Lemontey sera-t-il entendu, oui ou non ? »

Un membre: Je demande la question préalable sur cette proposition. C'est un despotisme affreux qui ne peut pas être supporté dans l'Assemblée.

M. Ducos. C'est engager l'Assemblée que de décréter qu'un membre ne pourra pas motiver son opinion.

Un membre: Je demande que M. Lemontey soit tenu de proposer son amendement purement et simplement.

(Cette motion est mise aux voix et décrétée.)

M. Lemontey. Je ne veux point exciter des troubles dans l'Assemblée, lorsque je cherche à apaiser les troubles du dehors. En conséquence, je me soumets à la volonté de l'Assemblée; mais je delègue aux hommes sages et philosophes de faire valoir l'amendement que je vais énoncer

aux bons citoyens, aux amis de la Constitution. Plusieurs membres: A l'ordre! à l'ordre! Votre amendement!

M. Lemontey. Je lègue mon amendement aux amis de la liberté. Le voici :

"L'Assemblée nationale décrète que tout citoyen à qui la loi demande le serment civique, pourra le faire précéder de la déclaration qu'il jugera convenable, relativement à sa croyance religieuse. (Murmures prolongés.)

Plusieurs membres : La question préalable!

M. Gossuin. Vous ne devez pas souffrir qu'on combatte cette motion: elle n'est pas appuyée.

M. le Président. Je dois mettre aux voix la question préalable, mais auparavant, je dois accorder la parole à M. Lacretelle, pour proposer sur cet amendement, sans l'appuyer, une rédaction différente.

Un grand nombre de membres : Non! non! (Bruit prolongé.)

(L'Assemblée, consultée, decrète à l'unanimité qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de M. Lemontey.)

M. Jollivet. Je propose un sous-amendement à l'amendement de M. Hérault-de-Sechelles. Il est constant que plusieurs ecclésiastiques pourront se trouver très éloignés du chef-lieu de district. Alors, pour prévenir des inconvénients, je propose que la prestation du serment civique ait lieu dans le chef-lieu de district, mais que, pour les lieux éloignés, l'administration du district ait la faculté d'indiquer des chefs-lieux de

canton.

M. Rouyer. Je soutiens que l'amendement de M. Hérault-de-Séchelles et le sous-amendement de M. Jollivet sont inutiles et illusoires, et voici comment je le prouve: Lorsque les prêtres tenus de prêter le serment civique, l'auront prêté dans leur municipalité, et qu'ils auront également signé la déclaration de leur serment qui sera envoyé au directoire du district pour être imprime dans le chef-lieu, il est fort inutile que ce prêtre ait prêté le serment devant le directoire du district. Il sera, au contraire, plus édifiant pour les braves habitants des campagnes que ces prêtres soient tenus devant eux de leur donner cet exemple de civisme. Si, au contraire, vous leur faisiez prêter ce serment devant le directoire de district, tous les paysans, tous les braves laboureurs pourraient ignorer cet acte solennel de la Constitution. Je demande la question prélable sur les amendements de MM. Hếrault-de-Séchelles et Jollivet. (Applaudissements.)

M. Voysin de Gartempe. Je m'oppose à la question préalable. Il est possible que certaines municipalités soient séduites, ou que l'ignorance de quelques-unes les rende faciles à se laisser tromper par certains prêtres.

M. Saladin. Je demande que la formule entière du serment soit écrite de la main de l'ecclésiastique qui le prêtera. (Oui! oui!)

M. Delacroix. J'ajoute aux observations qui ont été faites, qu'il est essentiel que les prêtres qui n'ont pas prêté le serment, trouvent un moyen de recouvrer la consideration qu'ils ont perdue. C'est pourquoi j'appuie la proposition de faire prêter le serment à la municipalité du lieu du domicile, et je demande la question préalable sur l'amendement de M. Hérault-de-Séchelles.

Plusieurs membres: La discussion fermée sur l'amendement de M. Hérault!

(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. le President. Je rappelle l'état de la question. M. Hérault-de-Séchelles a proposé de faire prêter le serment devant le directoire de district. M. Jollivet a présenté un sous-amendement tendant à ce que, pour les paroisses trop éloignées, le directoire de district ait la faculté de désigner des chefs-lieux de canton. Sur ces deux amendements on a demandé la question préalable. Je la mets aux voix.

(Après deux épreuves, l'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de M. Hérault-de-Séchelles et le sous-amendement de M. Jollivet.)

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M. Castel. Je propose, par amendement, de remplacer les mots tous les ecclésiastiques, par ceux-ci« tout prêtre et ministre supérieur et inférieur d'un culte quelconque,» parce que votre loi doit être générale. Par ce moyen, on ne pourra plus faire croire au peuple qu'on n'en veut qu'à la religion catholique. En second lieu, s'il est de votre devoir de maintenir l'exercice de tout culte, ce devoir-là vous en impose encore un autre, celui de vous assurer que ce culte n'est pas contraire aux lois constitutionnelles de l'Etat. En outre, il est intéressant qu'avant qu'un culte s'introduise, on s'assure que sa manifestation ne troublera point l'ordre public, par la déclaration, que doivent faire ses ministres, de se soumettre aux lois.

Vous y trouverez encore cet avantage : c'est de détruire, comme vous l'a expliqué M. Lemontey, les scrupules qui pourraient naître. En effet, aucun sectateur de ces prêtres ne pourra croire que ce serment est lié à des idées religieuses, lorsqu'il verra que vous l'exigez d'un juif, d'un musulman... (Murmures.)

Plusieurs membres : La question préalable! M. Gossuin. Je demande qu'on substitue le mot quinzaine au mot huitaine.

M. Thuriot. La question préalable sur tous les amendements !

M. Castel. Je demande à développer mon amendement.

Plusieurs membres : Non! non! La question préalable!

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de M. Častel.)

M. Isnard. Messieurs, je demande à faire un sous-amendement. Je pense que votre loi pêchera dans sa racine, si elle porte sur telle ou telle qualité de prêtres. Si vous voulez agir en législateurs; si vous voulez faire des lois qui ne sèment pas la discorde entre les prêtres des différents cultes; si vous voulez vous élever à la hauteur des principes, il faut que vous décrétiez que tous les prêtres et ministres d'un culte quelconque, même du culte salarié, seront tenus de prêter le serment civique. (Murmures.)

Plusieurs membres: A l'ordre! à l'ordre! Il parle contre un décret!

M. le Président. Je mets aux voix l'article 1er; il est ainsi conçu :

« Art. 1er.

"Dans la huitaine, à compter de la publication du présent décret, tous les ecclésiastiques autres que ceux qui se sont conformés au décret du 27 novembre dernier, seront tenus de se présen

ter par devant la municipalité du lieu de leur domicile, d'y prêter le serment civique dans les termes de l'article 5 du titre II de la Constitution, et de signer le procès-verbal, qui en sera dressé sans frais. >>

(L'Assemblée décrète l'article 1er.)

M. Saladin. Je demande qu'on adopte mon amendement par article additionnel, et voici la rédaction que je propose :

«La formule du serment décrété au précédent article, sera écrite en entier, et signée de la main de celui qui l'aura prêté.

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Plusieurs membres : La question préalable! (L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a lieu à délibérer.)

M. Garran-de-Coulon. Il n'y a rien de plus sacré que le serment civique. Il ne peut pas être prêté d'une manière plus solennelle, plus respectable et plus sacrée elle-même que par devant les officiers de la loi. Si vous y ajoutez une formalité ultérieure, vous avez l'air de discréditer tous ceux qui l'ont prêté moins solennellement. Plus vous ajouterez de solennité extérieure, plus vous diminuerez la solennité intérieure, qui est dans la chose elle-même. (Murmures.) Une autre raison encore. Je crois qu'il est extrêmement important de ne point chercher de difficultés à la prestation du serment civique. Quand il sera signé de la main de l'individu et des officiers municipaux, il aura toute l'authenticité nécessaire. Je demande donc qu'on rejette l'article additionnel.

M. Lequinio. L'article additionnel est d'autant plus nécessaire que, je le dis à la honte de notre département, il y a 30 municipalités qui n'ont point fait prêter le serment. Des gens des campagnes qui sont absolument séduits, qui croient bien faire en ne recevant pas le serment... (Bruit.)

Un membre: Le procès-verbal étant souscrit du ministre sermentaire, l'amendement devient absolument inutile.

M. Delacroix. Dans plusieurs paroisses, les curés ont accusé les municipalités d'infidélité, en portant sur leurs registres un serment pur et simple, lorsqu'ils prétendaient l'avoir fait avec des restrictions. (Applaudissements). J'en ai été témoin, comme procureur général syndic du département d'Eure-et-Loir. Lorsque des nominations ont été faites, nous avons vu ces curés venir réclamer contre le procès-verbal de leur prestation, sous prétexte qu'ils l'avaient fait avec restriction. Il faut donc, Messieurs, prévenir un pareil inconvénient, et le seul moyen de le prévenir est de décréter que le curé sermentaire écrira lui-même la prestation de son serment.

M. François de Neufchâteau, rapporteur. Ce n'est pas sans avoir balancé les avantages et les inconvénients de l'amendement de M. Saladin, que la troisième section de votre comité de legislation s'est décidée à le rejeter. D'abord il est inutile; il suffit que l'individu signe le procès-verbal de prestation. En second lieu, quel est l'objet de l'article premier du comité ? C'est d'assimiler les ecclésiastiques aux autres citoyens, or, pour les assimiler aux autres citoyens; on leur fait prêter le serment civique par devant la municipalité. Et l'article additionnel qu'on vous propose est défectueux, en ce qu'il dístingue d'une manière aggravante la condition des ecclésiastiques de celle des citoyens.

Quelques inconvénients locaux ne doivent pas

influer sur la rédaction d'une loi générale, et nous avons nous-mêmes encore aggravé la condition des prêtres par rapport aux citoyens, puisque, par une espèce de défiance qu'ils pourraient trouver injurieuse, nous les avons obligés à signer, ce à quoi les autres citoyens ne sont pas assujettis. Je demande donc le rejet de l'amendement de M. Saladin. (Applaudissements.)

Un membre: En appuyant l'amendement de M. Saladin par des raisons qui ont été développées par M. Delacroix, je demande que le serment soit prêté par les ecclésiastiques purement et simplement, sans qu'ils puissent se permettre aucun préambule, déclaration ou restriction. (Applaudissements.)

M. Dehaussy-Robecourt. Je demande que la discussion soit fermée.

M. Gensonné. Si nous voulons détruire toute la sagesse de la loi du comité de législation, c'est d'adopter la disposition qu'on vous propose. Rien n'est plus dangereux que de supposer, pour un décret, qu'il pourra y avoir des restrictions au serment civique. Nous ne sommes plus, Messieurs, dans la situation où nous étions lorsque l'Assemblée nationale constituante avait décrété l'organisation civile du clergé, comme article constitutionnel. L'Assemblée constituante ayant détaché tout ce qui tient aux cultes de la Constitution, ce serait une folie que de laisser supposer qu'il puisse y avoir des restrictions. Il ne faut pas laisser dans notre délibération, encore moins dans notre décret, quelque chose qui puisse donner de l'existence à ce préjugé, qu'on peut établir des restrictions à un serment purement civique, abstraction faite de toute opinion religieuse. Je demande que l'Assemblée nationale consacre cela par la question préalable.

Plusieurs membres : La discussion fermée ! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. le Président. Je mets aux voix la question préalable sur le sous-amendement qui tend à restriction.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le sous-amendement qui tend à restriction; elle rejette ensuite l'article additionnel de M. Saladin.)

M. Delessart, ministre de l'intérieur. Il m'est échappé un objet important dans le compte que j'ai rendu des réponses faites par les puissances étrangères (1).

L'Electeur de Mayence a aussi fait une réponse; mais la copie qui en a été remise en même temps au ministre du roi, ainsi que cela est d'usage, ayant mis Sa Majesté à portée de connaître que cette réponse contenait le renouvellement des protestations que l'Electeur avait déjà faites au commencement de cette année, Sa Majesté pensé qu'ayant voulu simplement donner à ce prince une marque d'égards en lui notifiant son acceptation de la Constitution, il n'avait pas dù, dans une semblable circonstance, renouveler de pareilles protestations; et, en conséquence, Sa Majesté a jugé à propos de renvoyer la lettre de l'Electeur sans l'ouvrir. (Vifs applaudissements.)

Cet éclaircissement m'est échappé. Si vous le trouvez bon, je le mettrai dans le rapport à la place où il doit être. (Oui! oui! Applaudissements.)

(L'Assemblée décide que le passage du rapport du ministre relatif à l'Electeur de Mayence sera rétabli à la place où il doit être.)

(1) Voir ci-dessus pages 92 et 93.

M. le Président. La parole est à M. le ministre de la guerre.

M. Duportail, ministre de la guerre. Je viens fixer un instant l'attention de l'Assemblée sur un objet qui doit exciter son plus vif intérêt, ainsi que celui de tout le royaume, et auquel par ces raisons j'ai toujours donné beaucoup de soin et consacré plus de travail qu'on ne paraît le supposer: c'est l'organisation de la gendarmerie nationale. Malheureusement, différentes circonstances ont fait que cette organisation, au lieu d'être le résultat d'un plan général combiné dans son ensemble, n'a été faite que par partie. D'un autre côté, on a cru devoir faire concourir plusieurs autorités à son exécution. De là est née une multitude de difficultés qu'il a fallu vaincre l'une après l'autre, et dont quelquesunes restent encore à surmonter ainsi que l'Assemblée va le reconnaître.

La loi du 18 septembre porte que les directoires enverront au ministre de la guerre un état des brigades actuellement existantes qui seront maintenues provisoirement, et qu'ils enverront ensuite l'état des brigades d'augmentation. Pour faciliter cette opération, la loi a chargé le ministre de la guerre d'envoyer aux directoires les tableaux à remplir, et faute par les directoires d'envoyer ces états sous trois semaines, elle a autorisé le ministre de la guerre à présenter luimême au Corps législatif l'état des brigades, ainsi que les augmentations et les placements à faire, le tout sur l'avis des colonels.

Je n'ai pas perdu un instant pour pourvoir à l'exécution des articles 2, 3, 4, 5 et 6 de la loi du 18 septembre sanctionnée le 29; et comme j'ai déjà eu l'honneur d'en rendre compte à l'Assemblée, dès le mois d'octobre, j'ai fait passer à tous les départements, aux colonels de la gendarmerie et même à leurs lieutenants-colonels, pour qu'ils puissent les suppléer, en cas d'absence, les exemplaires imprimés du décret, les lettres circulaires instructives sur tous les moyens d'exécution, et les tableaux à remplir des brigades existant dans tous les départements et de celles d'augmentation à leur accorder.

On a vu que le décret avait fixé aux départements le délai de trois semaines pour satisfaire aux opérations exigées. D'après les indications qui m'ont été données sur l'époque à laquelle chaque département a pu avoir une connaissance officielle de cette loi, le délai prescrit est présentement expiré. Cependant, sur la totalité des départements, il n'y en a, jusqu'à ce jour, que 60 qui m'aient envoyé leur travail.

Selon l'article 6 du décret du 18 septembre, je dois suppléer, en me concertant avec les colonels, au travail des départements qui sont en retard, c'est-à-dire qu'il faudrait recommencer sur nouveaux frais, avec les colonels, une opération déjà fort avancée, sans doute, dans les départements. On aperçoit combien elle pourrait en ètre retardée, et j'imagine que l'Assemblée jugera plus convenable d'attendre le travail des autres départements.

Maintenant il est question de savoir ce qu'il serait à propos de faire à l'égard des départements qui ont envoyé leurs propositions. L'idée qui se présente d'abord est de faire la formation de la gendarmerie dans les départements qui ont envoyé leur travail; mais je ne crois pas qu'il soit avantageux de faire en ce moment cette opération d'une manière définitive. En effet, pour peu qu'on y réfléchisse, on sent qu'il

n'est pas possible de déterminer, avec justesse et précision, le nombre et l'emplacement des brigades d'un département, sans les déterminer en même temps dans les départements voisins, puisque ces brigades doivent correspondre, et que leurs arrondissements doivent être combinés les uns par rapport aux autres. Cette opération, pour être vraiment bonne et permanente, doit être faite, ce me semble, à la fois dans la totalité du royaume. Mais, comme pour opérer ainsi, il faudrait attendre que tous les départements eussent envoyé leur travail, voici ce que je propose: c'est de faire une opération provisoire. L'Assemblée nationale pourrait, je crois, décréter qu'il sera établi, le plus tôt possible, dans chaque département, 15 brigades; j'excepte ceux qui ont eu davantage jusqu'à présent, et qui les conserveront.

J'ai dit que 60 départements m'avaient envoyé leurs propositions: il ne s'ensuit pas cependant que l'on peut exécuter tout d'un coup la formation des 15 brigades dans les 60 départements; car, malheureusement, il y en a un grand nombre dont le travail est défectueux. Presque tous ont dépassé le maximum de brigades que l'Assemblée constituante avait déterminé. Ce maximum est de 18, et l'on en a demandé jusqu'à 30 et 36. Il y a même des départements qui ont déjà nommé les sujets qui doivent entrer dans les brigades qu'ils demandent en augmentation.

Avec cela l'arbitraire se montre dans les choix. Sans se concerter d'ailleurs avec les colonels, quoique cela leur eût été expressément enjoint par la loi, d'anciens sujets de la ci-devant maréchaussée ont été écartés dans quelques endroits sans raisons suffisantes et légales. Quelques directoires envoient la liste des individus qu'ils ont nommés sans faire passer les extraits de baptême, certificat de service, et autres pièces qui peuvent mettre en état de juger s'ils ont les conditions exigées par la loi pour être sousofficiers ou gendarmes.

Dans cet état de choses, il serait sans doute nécessaire d'écrire à ces directoires de fournir un travail plus régulier; mais on pourrait s'occuper sur-le-champ de la formation des 15 brigades dans les départements dont les propositions sont, dès ce moment. telles qu'elles devaient être; et à mesure que les autres se mettraient en règle, on poursuivrait l'opération jusqu'au dernier. C'est après que tous les départements seront pourvus provisoirement d'au moins 15 brigades, et que le service public se trouvera assuré, que l'on examinera fes demandes des départements pour les brigades en surplus, et qu'on pourra prendre tout le temps nécessaire pour la fixation absolue du nombre et de l'emplacement des brigades.

M. Saladin. Je demande le renvoi du mémoire du ministre de la guerre au comité militaire.

M. Gérardin. Je demande que le ministre donne les noms des départements en retard, et que l'Assemblée improuve formellement leur conduite.

(L'Assemblée renvoie le mémoire du ministre de la guerre au comité militaire et décrète que le ministre de la guerre lui fera connaître les 23 départements qui sont en retard pour, d'après cette connaissance, décréter ce qu'il appartiendra.)

M.Duport, ministre de la justice. L'Assemblée nationale a désiré avoir des éclaircissements ultérieurs sur l'exécution de la loi d'amnistie; en ce

qui me concerne, j'ai déjà eu l'honneur de lui rendre compte de la partie de l'exécution qui tenait à la célérité. Quelque temps après que la loi de l'amnistie eut paru, je me suis aperçu que la brièveté de ses dispositions pouvait donner lieu à beaucoup de difficultés. J'avais d'abord eu l'idée de proposer au roi une proclamation qui expliquât l'intention et les dispositions de la loi. Après y avoir bien réfléchi, je me suis abstenu de proposer au roi cette mesure, parce que j'ai senti que la proclamation ressemblait trop à une loi, et c'est ce que j'ai voulu éviter. Je me suis borné, en conséquence, à répondre à toutes les questions qui m'ont été faites, et, certes, j'y ai mis une grande activité, car peut-être plus de 300 lettres ont été écrites sur l'explication de cette loi. Il y a mieux, il serait assez difficile de me supposer l'intention de ne pas vouloir exécuter promptement cette loi, car j'ose vous dire que je suis un de ceux qui y ont le plus contribué, ou au moins qui l'ont sollicitée.

Relativement à l'affaire de Périgueux, le commissaire du roi m'a écrit, en m'envoyant un état de procédures sur lesquelles il m'a consulté. Cette lettre m'est parvenue un peu tard, parcequ'elle a été remise à M. le procureur généralsyndic du département de la Dordogne, qui a peut-être mis plus de temps à son voyage qu'il ne croyait, de manière qu'elle n'est pas arrivée aussi vite que par la poste.

Voici ce que je répondis au commissaire du roi :

« Vous me demandez, Monsieur, par votre lettre du 5 novembre, quels genres d'accusations sont compris dans l'abolition prononcée par la loi du 15 septembre, et si vous avez dù, sans instruction préalable de ma part, et contre ce que me semble prescrire l'article 3 de cette loi, vous empresser à faire prononcer l'abolition.

L'article 1er de la loi du 15 septembre dernier abolit irrévocablement toutes les procédures sur des faits relatifs à la Révolution, quel qu'en soit l'objet; l'article 2 défend aux juges de commencer aucune procédure pour les faits mentionnés dans l'article 1er, et de continuer aucune de celles qui ont commencé. De pareilles expressions ne peuvent pas laisser de doute sur la nature des accusations comprises dans ces dispositions de loi. L'abolition s'étend évidemment à tous les faits relatifs à la Révolution, et antérieurs à la loi du 15 septembre. Les détenus pour raison de ces faits doivent être mis en liberté sur-le-champ en vertu d'un jugement du tribunal, portant déclaration que les délits dont ils sont prévenus sont relatifs à la Révolution.

Cette amnistie, cependant, en imposant silence à la partie publique, ne prive pas les parties privées des dommages-intérêts qu'elles peuvent être dans le cas d'obtenir; elles ont incontestablement le droit de les répéter; mais alors, c'est par action civile qu'elles doivent se pourvoir.

"P. S. Je n'ai pas bien su quelle était l'affaire de 60 à 65 détenus pour faits compris dans l'amnistie dont il a été question à l'Assemblée nationale, ainsi que vous l'avez pu voir par les papiers publics. Je vous serai obligé de m'éclaircir ce fait, afin que je puisse être prêt, s'il était nécessaire de donner des éclaircissements. En général, l'esprit de la loi est d'effacer, autant qu'il serait possible, les traces des maux de la Révolution. Au moment où la Constitution a été terminée, elle doit être prise dans un sens étendu; et c'était aux tribunaux à voir si chaque affaire était susceptible de l'application de cette loi de

bienfaisance. Je vous prie de donner tous vos soins à son exécution prompte et complète. » Comme les questions se multipliaient à l'infini, j'ai cru alors devoir prendre une mesure générale, mais qui eût moins de solennité.

J'ai, en conséquence, adressé à tous les tribunaux la lettre circulaire que voici :

Paris, le 29 octobre 1791.

« Les difficultés qui s'élèvent journellement, Messieurs, sur l'application de la loi d'amnistie du 15 septembre de cette année, m'engagent à vous présenter quelques réflexions qui puissent éclaircir vos doutes et fixer vos idées sur cet objet.

:

Il me paraît que les incertitudes naissent, en général, du sens que l'on doit donner à ces mots de l'article 1er toutes procédures instruites sur des faits relatifs à la Révolution. Consultez la loi elle-même, vous trouverez dans son objet et dans son esprit la solution que vous cherchez. Quel est son objet? D'annoncer la fin de la Révolution et des desordres qui en sont inséparables, l'établissement de la Constitution et le respect dû aux autorités légitimes. Quel est son esprit ? De ramener le calme et la paix, d'étouffer jusqu'au souvenir des anciennes discordes, et de signaler, par un grand acte de clémence, les premiers moments du règne des lois. Autant il serait désormais coupable, dit-elle, de résister aux autorités constituées et aux lois, autant il est digne de la nation française d'oublier les marques d'opposition dirigées contre la volonté nationale, quand elle n'était pas encore généralement reconnue ni solennellement proclamée.

« Une Révolution aussi générale que celle qui vient de s'opérer dans le gouvernement français, des mouvements aussi vastes et aussi rapides, qui, dans l'espace de deux ans, ont changé tous les rapports entre les citoyens, n'ont pu s'effectuer dans cet ordre constant et inaltérable qui constitue l'harmonie sociale. Le brusque passage de l'ancien état à l'état de liberté, a été nécessairement accompagné de secousses violentes, et par conséquent de grands désordres. Dans le choc de tant de passions et d'intérêts opposés, qui a pu entraîner au delà des bornes les meilleurs citoyens, il est impossible qu'un grand nombre de crimes n'aient été commis; mais l'intérêt de la société qui prononce la mort du criminel, lorsque son pardon pourrait compromettre la sûreté de l'Etat ou celle de ses membres, prononce sa grâce lorsque le nombre des coupables et la nature des circonstances rendront la terreur du supplice plus préjudiciable pour elle que l'espoir de l'impunité. Quand la clémence peut ramener à l'amour et au respect des lois, ceux qu'une inflexible sévérité tiendrait armée contre elle, elle est commandée par la grande loi du bien public, fin essentielle de tout gouvernement.

Tel est le principe qui a dirigé l'Assemblée nationale et le roi. Ils ont voulu que les erreurs passées demeurassent ensevelies dans une nuit éternelle. Conspirations, désordres de toutes espèces, fanatisme, rébellion, enfin tous les délits relatifs à la Révolution, de quelque manière que ce soit, ils ont tout oublié. Ils n'ont mis à l'ainnistie aucune restriction; leur vou est de lui donner une étendue indefinie, leur but est de tout pardonner.

Mais en remettant les peines dues à la vindicte publique, ils n'ont point pretendu priver de leurs droits ceux qui auraient des reparations particulières à poursuivre; mais alors, Tadjonc

tion du ministère public doit cesser, l'information être convertie en enquête et les parties renvoyées à l'audience; en un mot, toute action publique est éteinte. L'Assemblée nationale et le roi veulent que l'union et la paix succèdent aux haines et à la discorde. Le temps est venu, dit la loi, d'éteindre toutes les dissensions dans un sentiment commun de patriotisme, de fraternité et d'affection pour le monarque qui a donné l'exemple de cet oubli généreux.

« C'est à vous, Messieurs, qu'est confiée l'exécution de cette loi de clémence et de réconciliation. Je ne doute pas que le sentiment qui l'a dictée et celui du bien qu'elle doit produire, ne vienne souvent vous consoler au milieu des peines inséparables des austères fonctions de juge. Il est si doux d'avoir à exercer un ministère de grâce, que je crois inutile de vous recommander de le remplir avec célérité, et de donner la plus grande latitude aux dispositions paternelles du législateur.» (Applaudissements.)

Le commissaire du roi. de Périgueux, qui est un des plus exacts dans l'exercice de ses fonctions, n'aurait pas retenu sans cause les prisonniers, d'après les mouvements que cette affaire a occasionnés dans l'Assemblée. Voici la lettre que je lui ai adressée.

"Paris, 10 novembre 1791.

«M. le président de l'Assemblée nationale législative, Monsieur, vient de m'adresser un memoire par lequel les membres de la société, dite de la Constitution, et la garde nationale de Périgueux, exposent qu'au mépris de la loi du 15 septembre dernier, les juges du tribunal retiennent dans les prisons de cette ville, 61 laboureurs qui ont été égarés par un excès de patriotisme.

"

Je vous envoie ce mémoire, avec une ampliation de l'extrait, qui y était joint, du procèsverbal de l'Assemblée nationale, et la copie d'une sommation qui vous a été signifiée, à la requête d'un capitaine de la garde nationale, de faire jouir ces 61 prisonniers des effets de la loi du 15 septembre. Je vous prie de me donner, sur la cause de la détention de ces laboureurs et sur les circonstances de leur arrestation, tous les éclaircissements nécessaires. Vous voudrez bien, en me les adressant, me renvoyer les pièces que je vous communique, et cependant faire mettre en liberté ces 61 faboureurs s'ils ont été arrêtés pour des faits relatifs à la Révolution. » (Applaudissements.)

Voilà, Messieurs, tous les éclaircissements que je pouvais donner à l'Assemblée, relativement à Périgueux.

Il a eté aussi question d'une affaire arrivée dans le département de la Charente; j'avoue que je n'en ai absolument aucune connaissance. Il ne m'est parvenu aucune réclamation de la part des prisonniers détenus dans les prisons de ce département. Si le membre qui a cru faire cette observation à l'Assemblée nationale eut pris la peine de vouloir s'en entendre avec moi, j'aurais, dès ce moment, écrit au commissaire du roi près le tribunal, et peut-être aurais-je aujourd'hui tous les renseignements. La voie qu'il a jugé à propos de prendre était la plus lente. En géneral, je crois que la mesure de confiance est celle qui convient le mieux aux deux pouvoirs. Ceries, je crois l'avoir bien méritée, je ne crois pas qu'on puisse me supposer d'avoir, dans aucune occasion, voulu arrêter l'exécution des lois, et il eut peut-être été désirable pour les

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