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M. Carnot aîné. Je demande la parole: on ne pourra jamais finir une discussion, si, dès qu'elle est ouverte, un ministre peut la traverser en demandant la parole pour un objet étranger.

M. Delacroix. J'observe qu'un décret a demandé compte des mesures prises par le roi pour la réunion d'Avignon et du Comtat Venaissin à la France. Je demande donc qu'on entende le rapport sur Avignon, puisqu'on ne peut pas finir aujourd'hui la discussion sur l'affaire des prêtres.

M. Delessart, ministre de l'intérieur. L'Assemblée s'est montrée empressée d'avoir des nouvelles de ce qui se passe à Avignon et dans le Comtat. Il vient d'arriver à l'instant un courrier extraordinaire. Je viens de mettre ces pièces sous les yeux du roi, et Sa Majesté m'a chargé de les communiquer à l'Assemblée. Je vais les remettre pour que l'Assemblée en fasse faire lecture si elle le veut.

Plusieurs membres : La lecture! la lecture! (L'Assemblée ordonne la lecture.)

M. Lemontey, secrétaire, donne lecture de cette dépêche :

"Avignon, le 12 novembre 1791.

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"Notre arrivée à Carpentras était si prochaine, notre entrée à Avignon si pressante et toutes deux pouvaient et devaient même produire des effets si importants, qu'il nous parut indispensable de remettre le départ du courrier extraordinaire après ces événements.

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Le général partit le 3 pour Carpentras, à la tête de deux bataillons d'infanterie et de 200 dragons; il y fut reçu avec la déférence et le respect dus à l'acte solennel qu'il allait y préparer au nom du roi. Nous nous y rendimes, nousmêmes, le lendemain pour prendre possession du comtat Venaissin. Les troupes avaient pris les armes, la municipalité en écharpe nous attendait aux portes, et nous présenta les clefs que nous reçumes pour la nation au nom du roi. Conduits à la maison commune, aux acclamations du peuple, nous y reçumes de la municipalité le serment décrété par l'Assemblée constituante. Tout se passa avec la dignité qui convenait à la cérémonie, et le peuple, satisfait de voir ses vœux accomplis par une réunion longtemps désirée, fit souvent retentir l'air des cris de: vive la nation, et vive le roi.

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« Carpentras est dans un état très tranquille, mais il était temps d'y arriver. Un foyer de dissension commençait à s'y établir, et l'ambition particulière, en fomentant des haines privées, y préparait, comme à Avignon, des malheurs publics. Un parti qui avait longtemps dominé dans cette ville y avait soutenu de sa fortune et de ses bras la guerre contre Avignon. Ceux qui avaient longtemps et constamment désiré la réunion à la France avaient d'abord été éloignés des affaires par des moyens peu honorables.

«On avait envoyé les 24 principaux à l'assemblée électorale. Leurs concurrents à la nomination avaient profité de cette absence pour attaquer sourdement puis ouvertement leur popularité. Bientôt maîtres d'un peuple d'autant plus aisé à égarer qu'il est ignorant, ils étaient venus aisément à bout de lui persuader que ces hommes, jadis ses idoles, étaient ses ennemis. Profitant de sa haine aveugle pour les Avignonnais, on lui faisait voir des traitres dans des hommes qui 1re SERIE. T. XXXV.

vivaient avec les électeurs depuis longtemps abhorrés, et le peuple perdant de vue le mandat qu'il leur avait donné, et qu'ils n'étaient là que par ses ordres, fut facilement conduit à les appeler brigands, puisqu'ils vivaient avec ceux qu'ils étaient accoutumés à appeler ainsi. Les nouveaux membres ne négligeaient rien pour fomenter et entretenir des erreurs. A cet effet, ils avaient converti le club en assemblée de citoyens actifs, et comme, dans l'anarchie, on marche à pas de géants, les motions les plus incendiaires, les principes les plus absurdes furent bientôt adoptés. L'Assemblée devint bientôt permanente. Elle dicta des lois à la seule autorité légitime existante, à la municipalité. Douze membres de cette assemblée étaient tuteurs de ce corps administratif subjugué. L'administration, la justice, rien ne s'opérait plus que par son influence, et la nombreuse classe de citoyens patriotes avait été bannie de la ville ou s'en était éloignée par frayeur.

Tel était l'état de Carpentras, lorsque nous signifiåmes le décret de réunion à la France et que nous en primes possession pour incorporer le comtat Venaissin à l'Empire français. Nous n'éprouvâmes aucune résistance en rétablissant les autorités légitimes et constitutionnelles, et en détruisant cette assemblée monstrueuse en politique, par laquelle le peuple exerçait luimême des droits déjà délégués. Les effets ont cessé avec la cause. Les patriotes émigrants sont rentrés, l'ordre s'est rétabli, et Carpentras jouit de la plus entière tranquillité.

"

Nous avons l'honneur de vous adresser copie des procès-verbaux d'incorporation de cet Etat à l'Empire français.

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Avignon nous appelait à grands cris. Toutes les familles errantes et vagabondes nous demandaient, de tous côtés, et le petit nombre de celles qui n'avaient pu s'échapper, faisait craindre de nouveaux attentats de ces hommes de sang, qui, seuls armés dans la ville, y exerçaient un empire absolu; mais les préparatifs hostiles qui se faisaient dans le palais ou château, les provisions de toutes espèces que l'on portait dans le palais, la volonté déjà exprimée par les révoltés de né recevoir que des gardes nationales, et de ne livrer le château ou le palais qu'à elles seules, tout faisait craindre de la résistance.

«Il fallut attendre l'arrivée des régiments demandés par M. de Choisy, pour servir notre opération, et nous crùmes, en attendant, devoir commencer par Carpentras. Cependant le régiment de la Mark arriva, et aussitôt, pour prévenir tout désordre ou compromis des troupes, nous fimes annoncer à l'administration que M. de Choisy se rendrait à Avignon le 7, que tous les postes seraient évacués d'avance afin qu'il pùt les occuper en arrivant, et qu'il ne se présentât alors aucune personne armée. Le général se porta effectivement sur Avignon à la tête de 4 bataillons d'infanterie, de trois compagnies d'artillerie et de 500 chevaux.

«Tout avait été exécuté conformément à notre réquisition. Le lendemain nous nous y rendimes nous-mêmes, et l'administration provisoire nous apporta les clefs dans une des rues qui conduit à la maison commune. Les troupes étaient sous les armes. Nous nous rendimes à la maison commune où nous trouvâmes l'administration dans un état de désordre conforme à l'anarchie dominante. Nous ne crùmes pas devoir nous permettre aucun acte, puisqu'il était impossible de le remplir avec des formes légales, et nous nous con

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tentâmes de faire prêter le serment à ceux que nous trouvâmes.

Le lendemain, le maire et les officiers municipaux, que la force avait chassés et que notre présence a fait reparaître, firent convoquer le conseil général de la commune et nous invitèrent à nous y rendre. Formant alors l'autorité légitime, nous nous transportâmes à la maison commune où nous fimes enregistrer de nouveau le décret de réunion et nous fimes les actes de prise de possession de l'Etat d'Avignon. La municipalité prêta entre nos mains le serment décrété par l'Assemblée constituante.

Nous avons l'honneur de vous adresser copie de notre procès-verbal.

«Cependant un crêpe funèbre semblait couvrir cette cité malheureuse. Les pères, les époux, les enfants noyés de larmes se jetaient à nos pieds et nous redemandaient leurs parents, arrachés de leurs bras, trainés en prison par leurs tyrans, et depuis égorgés. Nous avions espéré jusqu'à notre arrivée que tant de prisonniers innocents, tant ceux qui étaient arrêtés depuis le 21 août, parmi lesquels étaient 4 officiers municipaux, la dame Niel et son fils, que ceux qui avaient été arrêtés le 16 octobre, existaient encore dans le palais; que quelques exécutions peut-être auraient été exagérées, mais que, pour leur propre défense, les chefs auraient réservé de nous en remettre 25, comme le portait le compte rendu par l'administration provisoire. Mais, espérance vaine, tous ont été égorgés (Mouvement d'horreur dans l'Assemblée.), tous ont été sacrifiés au délire d'une barbarie dont il est impossible de rendre encore raison, si ce n'est que dans les instants d'une anarchie cruelle, des chefs avides de satisfaire quelque vengeance particulière, crurent devoir ainsi abandonner à leurs satellites, les victimes que chacun désirait de sacrifier. Le massacre de 50 à 60 personnes, dont la liste nous a été fournie par le concierge, n'a pas été le seul forfait de ce jour de sang. Les meurtres exercés dans l'exécution font frémir. Le père tué sous les yeux du fils, la mère égorgée sur ses fils palpitants, une femme enceinte éventrée...» (Mouvement d'indignation.)

Plusieurs membres s'adressant à M. Lemontey, très ému: Arrêtez votre lecture et remettezvous.

M. Lemontey, en pleurant. Monsieur Isnard, voulez-vous me remplacer?

M. Isnard. Qui est-ce qui voudrait vous remplacer, cela n'est pas plus agréable pour moi que pour vous.

M. Lemontey, continuant : « Tels sont les horribles détails que nous fournissent nos recherches, et dont nous sommes forcés de vous faire frémir. Toutes ces malheureuse victimes bachées, tronquées et amoncelées dans un trou...» (Mouvement d'horreur.)

Plusieurs membres demandent, dans l'agitation qui règne, qu'on interrompe la lecture.

M. Lemontey..... « dans un trou très profond, et n'ont point été recouvertes d'assez de chaux vive pour être consumées... »

(M. Lemontey se trouble, prononce encore quelques mots entrecoupés et abandonne la continuation de la lecture à M. Isnard.)

M. Isnard, secrétaire. Dès que les troupes ont été maitresses du palais, on a fait les visites de précaution que la prudence exigeait. Aussitôt, la curiosité, dirigée par des renseignements publics,

a trouvé l'endroit nouvellement muré qui couvran le trou appelé glacière. Des soldats ont rouvert le passage, et une vapeur méphitique et pestilentielle exhalée de cet amas de corruption, appelie de prompts moyens d'en prévenir les facheur effets. Il eut été bien avantageux sans doute de constater le nombre des morts, ce qui aurait pu se faire par le nombre des têtes, mais il para que cela serait dangereux. La municipalité viea: de nommer, par notre ordre, des gens de l'art pour dresser procès-verbal de l'état de la fosse de destruction et des moyens à employer.

« Ce spectacle aussi effrayant que terrible, les cris des parents des victimes, les narrations multipliées, répétées de tous côtés, des cruautés exercées, le cri de vengeance de 300 families rentrées avec nous dans l'épouvante de ces nouvelles, douteuses jusqu'alors, et réalisées par leur retour, ont inspiré à nos troupes une telle horreur, qu'il est devenu instant de mettre en etat d'arrestation toutes les personnes qui, à l'époque des crimes, avaient l'autorité. En conséquence, nous avons reçu les dépositions d'un grand nombre de personnes, et nous avons donné à M. de Choisy l'ordre de faire arrêter les personnes prévenues, les Mainville, Tournal, Jourdan (An! ah! Bravo! bravo!), Petavin et autres personnes moins connues, ont été saisies et mises en état d'arrestation.

« Le jeune Mainville a tiré un coup de fusil sur l'officier qui le poursuivait, mais heureusement sans effet. Il a cherché à gagner les toits, mais des coups de fusil, tirés par les soldats, l'ont apparemment effrayé, il est tombé dans une cour et s'est cassé la cuisse. C'est le seul accident qui soit arrivé. Jourdan a été arrêté, à une lieue d'Avignon, par un détachement de hussards. Plusieurs autres, entre lesquels se trouve le jeune L'Ecuyer, qui à 16 ans, a tué, lui seul, 7 prisonniers, ont été saisis du côté de Château-Renard les Duprat et Mende sont échappés; on est à leur recherche. Le peuple, malgré son désir de vengeance, a respecté les lois, et, satisfait de ces annonces de justice, il se contente de bénir la main puissante qui vient le délivrer. Ces citoyens s'embrassent en pleurant de douleur et de joie, et l'on aperçoit tout ce qu'il est possible à des cœurs opprimés de montrer d'allégresse.

Tels sont les faits, Messieurs, qui ont précédé notre arrivée, et les mesures que nous avons employées; telles sont les horreurs dont nous avons été occupés.

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« La liste des personnes arrêtées le 16, faite å mesure qu'on les amenait au palais, et qui nous a été remise par le concierge, porte le nombre des hommes à 35, et celui des femmes à 12. Les officiers municipaux, déjà au palais depuis le 21 août, étaient au nombre de 4, plus M et son fils; en tout, 53 personnes; de ce nombre, 5 ont été soustraites par des amis, le reste a été massacré. Quant aux personnes tuées le matin, dimanche 16, près de l'église des cordeliers, après l'assassinat de L'Ecuyer, et qui furent fusillées indistinctement par le détachemen: de palais, qui y fut envoyé avec des canons, nous n'avons pu en savoir le nombre, les cadavres ont été jetés dans la rivière de Sorgue.

«Il est donc constant que, dans cette malheu reuse journée du 16 octobre, un premier assassinat fut commis dans l'église des cordeliers, dans la personne du sieur L'Ecuyer, l'un des chefs de l'assemblée électorale, et du parti qui, le 21 août, avait cassé la municipalité et s'était emparé de la ville. Cet assassinat fut puni d'une fùsillade

sur tous ceux qui se trouvaient dans les environs de cette église, par un détachement du palais, et que les cadavres furent jetés dans la Sorgue. Il est constant que, depuis une heure jusqu'à environ 9 heures du soir, tous les gens de l'armée de Monteux, débandés dans la ville, arrêtèrent successivement 50 personnes, hommes et femmes, qu'ils arrachèrent de leurs maisons, et qu'ils trainèrent au palais; que vers 9 heures du soir, on commença å les tirer successivement des divers lieux où on les avait mis; qu'on les massacra de sang-froid, et qu'on précipita leurs cadavres mutilés dans un trou appelé la glacière.

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« Il reste constant que, le lundi, on vint en prendre deux qui restaient encore dans la prison, et qu'on les massacra également; il reste constant qu'un grand nombre de vols ont accompagné ces horreurs; qu'un curé, M. de Nothiot, âge de 78 ans, regardé comme le père du peuple, en raison des aumônes qu'il faisait, riche par lui-même, et dépositaire de beaucoup d'effets appartenant à des particuliers, a été égorgé, et que, depuis, on a présenté en payement des billets faits à son profit et dont un est entre nos mains. Il reste constant encore que les églises ont été dépouillées, que jusqu'aux cloches ont été brisées et enlevées, et que nous avons fait arrêter des tonneaux déjà embarqués sur le Rhône et prêts à partir.

"Cependant, entourés de tant de crimes, d'arrestations, et sans ordre judiciaire, la position est pour nous embarrassante et difficile. Il faut entendre les dépositions, il faut interroger les prévenus. Attendre l'organisation du tribunal de district décrétée, ce serait exiger la tenue des assemblées primaires, celle d'une assemblée électorale, et 15 jours ou trois semaines s'écouleraient avant qu'on pût préparer l'information. Dans cet embarras, et désirant ne point nous écarter des bases de la Constitution, nous avons arrêté d'assembler les sections et de leur proposer de nommer trois juges enquêteurs provisoires, qui, en présence de deux notables, recevront les dépositions et prépareront l'information; par là, nous suivrons les principes de la Constitution, qui veut des juges nommés par le peuple, et les prisonniers ne pourront se plaindre de rester en état d'arrestation, d'une manière arbitraire et sans inculpation motivée. Permettez-nous, en finissant, Messieurs, quelques plaintes sur le sort des personnes employées pour rétablir l'ordre dans un pays où il faut le courage du plus ardent amour de la liberté, pour risquer son repos et sa vie.

« Au milieu des forfaits, suffira-t-il donc longtemps de colorer ces crimes du nom de patriotisme, pour trouver crédit même au sein de l'Assemblée nationale, et l'Assemblée qui ordonne que des commissaires seront chargés d'une mission aussi distinguée qu'importante, ne doit-elle pas à sa justice et à sa propre gloire, d'attendre d'eux des comptes authentiques pour former une opinion?

Un intrigant, sans mission, désavoué de tout le monde, se présente à l'Assemblée avec des dénonciations; il parle d'un seul assassinat, lorsque son parti, dans un même jour, en a commis 60; il inculpe un des médiateurs, resté dans ce pays, et dans cette dénonciation, il amalgame le nom d'un des commissaires de la nouvelle mission, qui se trouvait à Paris, pendant que tous ces crimes se commettaient, et dans ce tissu de mensonges et de calomnies, on ne voit pas le crime qui en impose, quoiqu'il se montre

à découvert. L'honneur seul soutient, au milieu de tant de raisons de découragement; et l'Assemblée nationale, effrayée de tant de crimes, fera honte à ceux de ses membres qui ont eu la faiblesse de se laisser prévenir.

« Nous vous prions instamment, Messieurs, de nous faire parvenir le plus promptement possible, des instructions pour notre conduite. >>

« Les commissaires nommés par le roi: Signé : CHAMPION DE VILLENEUVE, D'ALBignac, le scène

DES MAISONS.

«Par MM. Les commissaires: Signé : BUISSION, secrétaire de la commission. »

M. Bigot de Préameneu. Vous venez d'entendre une grande et terrible leçon sur les effets de l'anarchie. Il me semble que nous devons, dès le premier moment où des instructions plus positives nous sont données, rapporter le décret qui porte que M. Mulot sera entendu à la barre. Un membre: A l'ordre du jour!

M. Bigot de Préameneu. Comme commissaire du roi, son rapport doit être fait au roi, et ensuite il vous sera communiqué. C'est ainsi que cela a déjà été fait. Comme député, il ne peut pas être entendu à la barre.

Plusieurs membres : Ce n'est pas là la question.

M. Bigot de Préameneu. Monsieur le Président, je crois que l'usage que l'on doit faire des renseignements qui viennent de nous être fournis est de rapporter le décret qui concerne M. Mulot. (Murmures.)

M. Lasource. L'Assemblée nationale vient d'entendre avec douleur le récit des brigandages et des massacres horribles qui ont été commis dans Avignon. Je crois qu'il est digne d'elle de témoigner le sentiment qu'elle a éprouvé. Nous devons consoler les malheureux parents des victimes que la barbarie et la scélératesse ont immolées. Nous devons faire une adresse au peuple avignonnais et comtadin et surtout à ceux dont les malheurs crient vengeance, pour leur témoigner la douleur que nous avons ressentie, pour les exhorter à l'obéissance à la loi, pour les assurer que les morts seront vengés, que, désormais, les nouveaux concitoyens des Français seront à l'abri de semblables maux sous la protection de la loi, et surtout pour leur protester que, dorénavant, ils seront préservés des pièges malheureux des ennemis qui cherchent à troubler l'ordre public, et des noirs complots des assassins. (Applaudissements.)

Un membre Sur la dénonciation qui vous a été faite à la barre par un commissaire du peuple avignonnais (1), vous avez décrété que M. Mulot serait mandé et entendu à la barre (2). J'ai entendu demander le rapport de ce décret. Je ne crois pas qu'il soit possible de le décréter.

M. Guadet. Il ne suffit pas de s'attendrir sur les malheurs qu'ont occasionnnés les crimes commis dans la ville d'Avignon: il faut encore que ces crimes soient punis, mais il faut qu'ils le soient légalement par l'érection d'un tribunal. Les commissaires paraissent avoir pris des mesures pour cela. Ils annoncent qu'ils vont réunir le corps électoral, afin de faire nommer une commission provisoire, qui, avec la réunion de quelques ad

(1) Voir Archives parlementaires, 1 Série, tome XXXIV. page 433, la dénonciation de M. Rovère.

(2) Voy. Archives parlementaires, 1 Sórie, tome XXXIV, page 638.

joints, recevra les interrogatoires des accusés détenus. Je propose, à cause de la lenteur d'une semblable mesure, que l'Assemblée nationale, après avoir porté un décret d'urgence, accorde la procédure de cette affaire au plus prochain tribunal d'Avignon, à celui d'Orange, par exemple. (Applaudissements.)

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

D'autres membres : La question préalable!

M. Merlin. Je demande à parler contre la question préalable. C'est dans un pays livré aux passions inséparables de la guerre civile, que l'on veut laisser à un corps électoral le droit de choisir les juges; cela ne se peut pas.

M. Saladin. Vous pouvez arrêter que les cinq tribunaux les plus voisins d'Avignon fourniront chacun un juge pour composer le tribunal qui sera saisi de cette affaire. (Applaudissements.)

M. Guyton-Morveau. Je demande que toutes ces propositions soient renvoyées au comité de législation pour en faire son rapport demain.

M. Duport, ministre de la justice. Je pense que de toutes les propositions qui ont été faites, celle qui peut convenir le mieux au système de l'ordre judiciaire, est celle qui vient d'être faite par M. Saladin. Il est certain que cette procédure extrêmement considérable, si elle est portée devant un seul tribunal, devant le tribunal d'Orange, par exemple, aura l'inconvénient de retarder beaucoup les affaires qui sont portées à ce tribunal. En conséquence, il me paraît très simple d'adopter une mesure prise par l'Assemblée constituante de former un seul tribunal provisoire, composé des membres de plusieurs tribunaux. Je crois que c'est le véritable moyen de donner au tribunal plus de dignité, plus de force, plus de caractère, et de remplir plus efficacement l'objet de l'Assemblée.

Un autre objet sur lequel je prierai l'Assemblée de vouloir bien se fixer, ce serait de déterminer quel sera le sort de la procédure qui aura été commencée. Si cette procédure, par laquelle MM. les commissaires du roi ont cherché à suivre, autant qu'il était possible, l'analogie des principes constitutionnels, est déclarée complètement nulle, peut-être sera-t-il difficile de revenir à des renseignements aussi justes, aussi positifs, que ceux qui viennent d'être donnés; en tout cas cela pourrait faire une difficulté. Je désire que l'Assemblée veuille bien s'en expliquer positivement et qu'elle statue sur le sort des pièces de justification déjà rassemblées, afin d'accélérer la distribution de la justice.

Plusieurs membres: Le renvoi au comité de législation!

(L'Assemblée renvoie la motion de M. Saladin au comité de législation pour en faire son rapport demain et ne donne pas suite à la motion qui a été faite d'envoyer une adresse au peuple d'Avignon.)

M. le Président annonce des lettres officielles de M. Blanchelande, sur les troubles de SaintDomingue, transmises à l'Assemblée par le ministre des colonies.

Plusieurs membres demandent le renvoi de ces pièces au comité.

M. Gensonné. Comme l'on cherche à égarer le peuple dans les villes maritimes en exagérant les désastres d'une importante colonie, il est nécessaire que l'on soit instruit du véritable état des choses: je demande donc la lecture des lettres envoyées par M. Blanchelande.

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J'ai l'honneur de vous adresser le duplicata d'une dépêche que je vous ai envoyée par la voie de la Jamaïque. N'ayant, à la date de cette dépêche, aucun bâtiment ici en état de vous être expédié, je profitai d'une occasion qui partait pour cette ile anglaise, et je priai le gouverneur de la faire passer en Angleterre, pour de là vous parvenir en France.

Depuis cette époque, l'état des choses dans la province du Nord est à peu près le même, avec la différence cependant que la terreur est un peu moindre parmi les habitants des campagnes. Ceux du Port-Margot, commandés par M. Vallerot, se conduisent avec infiniment de valeur, et ont journellement des avantages marqués sur les révoltés, à la ête desquels il parait qu'il y a plusieurs blancs. Ils en ont déjà battu 5 ou 600. Ceux du Mornet qui est le débouché de la plaine, aux montagnes où mornes de la Marmelade, ont eu pareillement des succès. Ils ont à leur tête M. Dubuisson, d'un rare courage. Les habitants du Dondon gardent de leur mieux leurs débouchés; mais ceux de la grande rivière, faute de moyens sans doute, et surtout d'un bon chef, ont abandonné successivement leurs gorges, passages et possessions, et se sont retirés dans la partie espagnole avec leurs familles; il y en a eu plusieurs d'egorgés. Ces révoltés se sont emparés de ce riche quartier, dont ils tirent la plus grande partie de leurs vivres pour la plaine.

(1) Bibliotheque de la Chambre des députés: Collection des affaires du temps. Bf 165, t. CLVI, no 3.

« Je vois donc avec plaisir le courage renaître un peu parmi les habitants des campagnes. 11 faut convenir que les premiers moments de cette révolte, qui étaient suivis de massacres et d'incendies, étaient assurément faits pour inspirer cette terreur à des hommes isolés; mais plus rassurés, ils ne considèrent le mal fait aujourd'hui que comme un motif puissant pour empêcher qu'il ne fasse des progrès, et pour réunir les moyens qui peuvent leur rester, afin de conserver de leurs propriétés ce qui aura pu échapper à la rapine des révoltés et aux flammes. Ces dispositions de leur part et les mesures que je vais prendre de mon côté pourront faire rentrer les ateliers dans le devoir et me donnent l'espoir de voir encore cette brillante colonie se relever des malheurs qui l'affligent ce sont mes vœux et mon courage d'esprit qui me laissent entrevoir cet espoir. La ville du Cap se trouvant à peu près entourée d'une ligné de palissades, ralentit un peu la terreur, et le foyer de la révolte se trouvant aussi dans la plaine du nord, je me propose de camper demain au bourg du haut du Cap, à cheval sur la rivière de ce

nom.

« J'ai formé un corps d'environ 1,500 hommes, tant du régiment du Cap, troupes patriotiques et mulâtres. Je divise ce corps de manière à harceler sans cesse les révoltés. M. de Rouvray marchera pour se réunir à moi, et opérer le même effet ainsi que d'autres commandants de divers partis. J'ai pris, d'un autre côté, les mesures convenables pour éviter tout événement à la ville du Cap.

"Il y a longtemps que j'aurais dû mettre ce projet à exécution, mais vous verrez, par le duplicata ci-joint, que les habitants de la ville étaient trop saisis de crainte, qu'ils le témoignaient aux assemblées, et que celles-ci m'engageaient à les satisfaire. J'étais donc contraint de voir des maux que j'aurais peut-être pu arrêter si ma volonté n'eût point rencontré d'obstacles. Ces habitants ont enfin reconnu le danger qu'il y avait à laisser ces révoltés dans la plaine sans les combattre. Ils ont l'expérience que la surveillance qu'ils exigent porte atteinte à leurs affaires, à leur repos et à leur santé, et qu'en n'exterminant point les révoltés, non seulement ils peuvent se fortifier dans leurs mauvaises intentions, mais encore leur nombre s'augmenter, et devenir, par la suite, plus dangereux qu'ils ne peuvent l'être aujourd'hui.

«L'assemblée générale a senti la nécessité d'une proclamation; je lui ai remis la mienne, à laquelle je ferai les changements qu'elle désirera. Je la ferai connaître, et expliquer clairement aux premiers prisonniers que je ferai, et je les renverrai avec 1,000 exemplaires; je pense qu'elle produira l'effet que j'en attends, d'autant qu'il parait, par le rapport des révoltés que l'on prend, qu'ils commencent à se lasser du despotisme de leurs chefs. Ce sera d'ailleurs, selon moi, un moyen d'éviter le carnage. J'espère ne pas rentrer au Cap que tout ne soit soumis, et que l'ordre ne soit rétabli dans la plaine, ce qui influera sur les ateliers des mornes en révolte ouverte, d'autant que par les lettres que je reçois des différentes paroisses, il parait que les nègres trouvent une résistance majeure de la part des citoyens blancs, gens de couleur et nègres libres réunis.

J'avais, ainsi que je vous en rends compte par mon numéro 148, donné ordre à M. de Saulnois d'envoyer aux Gonaïves 300 hommes de la

garnison du Port-au-Prince; mais par une lettre que je reçus au même instant de ce commandant, ainsi qu'une autre de l'assemblée provinciale de l'Ouest, je fus informé que 150 hommes de cette garnison, trente patriotes et de l'artillerie étaient déjà partis pour Saint-Marc, à bord du vaisseau le Borée, d'après la réquisition qui en avait été faite par la municipalité de Saint-Marc.

« Je ne suis pas à me repentir d'avoir pensé à cette garnison du Port-au-Prince. Je ne puis vous dissimuler que les détachements de Normandie et d'Artois n'ont pas perdu de l'esprit qui les animait à leur arrivée dans la colonie, et qu'ils continuent de se permettre des discours dangereux et des inculpations contre moi et contre le colonel du régiment du Cap. Je ferai en sorte que ces corps ne se joignent pas; car de deux choses l'une, ou le régiment du Cap sévirait contre les détachements, ou ceux-ci parviendraient à renverser la discipline de ce régiment en lui communiquant leur dangereuse doctrine. Ces deux événements seraient également contraires au bon ordre et à la réunion des esprits, si nécessaire pour agir de concert contre les révoltés.

«Par les lettres du commandant pour le roi, et de l'assemblée provinciale de l'Ouest, il ne paraissait pas que les gens de couleur de cette partie fussent tranquilles. J'appris par de secondes lettres que je reçus d'eux, 2 heures après, que ces mêmes gens de couleur, mêlés avec des nègres esclaves, s'étaient rassemblés en armes aux environs du Port-au-Prince, et avaient même commis quelque acte hostile, peu considérable à la vérité, sur certaines habitations; il avait été pris des mesures pour les arrêter; et les choses dans cet état, je n'ai plus eu de nouvelles de cette partie. Je pense que lorsque les gens de couleur auront connu les dispositions de l'assemblée générale à leur égard, consignées dans l'arrêté dont je joins ici copie, ils se seront réunis aux citoyens blancs.

«Par les lettres du Sud, cette partie était tranquille.

« Le vaisseau le Borée se trouvant à SaintMarc, j'ai écrit à M. de Grimoire de se rendre au Cap où il pourra être d'un grand secours. En effet, ce vaisseau peut mettre à terre, dans un pressant besoin, 200 ou 250 hommes, et les canonniers de son bord devenir essentiels sur nos batteries.

"La plaine de Léogane paraissait un peu agitée d'après certaines lettres. Les premières dépêches que je recevrai de cette partie me feront connaître l'état des choses au vrai.

"

D'après ce récit, je ferai peu de réflexions sur l'état affreux de cette partie de la colonie qui est menacée tout entière d'une subversion totale si les révoltés se portent en nombre au Cap; je ne dois pas douter, par la terreur qui y règne, que les esclaves se révoltant aussitôt, la ville ne soit incendiée. Tous les blancs sont ici, à l'exception de notre portion de troupes dé ligne, d'un découragement dont on ne peut se faire une idée; d'ailleurs, il ne faut pas en douter, cette ville renferme un très grand nombre de blancs malintentionnés et pauvres, qui n'attendent que le moment du désordre, par l'espérance d'améliorer leur sort par le pillage. Je n'en donnerai pour preuve que le refus formel que cette classe fait pour sortir de la ville, pour combattre les révoltés et la proposition qu'elle a faite de se mettre en campagne au

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