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cour nationale, oui ou non. La haute cour nationale ne doit connaître, et l'Assemblée ne doit dénoncer que les agents du Pouvoir exécutif, et les crimes qui attaquent la sûreté générale de l'Etat. Or, il ne s'agit ici que d'un département et, sous ce rapport, nous ne devons pas nous en occuper. (Murmures.) Secondement, en supposant le délit de la compétence de la haute cour nationale, il faut savoir s'il existe assez de preuves pour désigner les coupables. L'affirmative reconnue, nous devrions convoquer la haute cour nationale, mais si la preuve du délit commis n'avait pas lieu, nous ne pourrions la convoquer. Tel est l'esprit de l'article 4 de la loi sur la formation de ce tribunal.

Les procès-verbaux qui sont envoyés sont-ils des preuves suffisantes pour que vous déclariez qu'il y a lieu à accusation contre quelqu'un? Je dis que non, et je le dis, parce que les procèsverbaux qu'on a lus ne sont pas signés par le directoire du département. (Murmures.) Le directoire du département, à qui je crois des intentions pures, ayant refusé de signer, je regarde ces procès-verbaux comme suspects, et certainement...

M. Fauchet. Je demande que l'opinant soit rappelé à l'ordre. (Bravo! bravo! et applaudissements dans les tribunes.)

M. Dumolard. Je demande que l'on rappelle à l'ordre non pas l'opinant, mais les tribunes. M. le Président. Je rappelle les tribunes au respect qu'elles doivent à l'Assemblée.

M. Lagrévol. J'ai mérité d'être rappelé à l'ordre, oui ou non; si je ne l'ai pas mérité, on doit y rappeler M. l'Evêque.

M. le Président. Monsieur, vous pouvez parler, je maintiendrai la liberté des opinions.

M. Lagrévol. Vous le devez, Monsieur le Président.

Je dis, Messieurs, que j'ajoute autant de foi au refus qu'a fait le département, dont je ne suspecte pas les sentiments, de signer le procèsverbal, que je puis avoir confiance dans les faits qui sont consignés dans le procès-verbal seulement signé par le directoire de district et par la municipalité. Ce procès-verbal, je le dis, n'est pas une preuve suffisante, pour que nous puissions porter un décret d'accusation. Qu'est-ce qu'un décret d'accusation? C'est un décret de prise de corps. Or, je demande si vous pourriez le décerner dans un tribunal quelconque contre des particuliers, si vous n'aviez d'autres preuves que celles qui résultent d'un procès-verbal suspect? Pour que l'Assemblée puisse se décider à porter un décret d'accusation, il faut donc nécessairement qu'elle soit nantie de toutes les pièces qui ont été trouvées sur les prévenus, et qui ont été annoncées par le procès-verbal.

Le décret que l'on vient de lire, où il est dit que le Corps législatif pourra appeler des témoins, démontre la nécessité de ne porter un décret d'accusation qu'après avoir acquis des preuves. Si votre sagesse, si vos lumières ne sont pas où elles doivent atteindre pour porter un décret d'accusation, dès lors vous avez la faculté d'entendre des témoins; et voilà comme je prouve que ce décret est à l'avantage de la proposition que je fais.

Je demande, en conséquence, que la question soit ajournée, et qu'on demande aux différents corps administratifs les pièces qu'ils ont énoncées dans les procès-verbaux. (Applaudissements.

M. Bigot de Préameneu. Une grande conspiration contre l'Etat vous est dénoncée; le devoir, que nous avons tous juré de remplir, est de rechercher, de poursuivre et de faire punir les coupables. La plus grande mesure que la Constitution nous prescrit est la convocation de la haute cour nationale. La loi a voulu que les représentants de la nation remplissent eux-mêmes une partie importante de cette procédure; elle vous a constitués juges de l'accusation. (Murmures.)

Vous avez le jugement de la plus haute importance à prononcer pour la dignité de la nation et pour la vôtre, et les murmures que je viens d'entendre me font naître une idée effrayante que j'oserai vous dire. Si vous prononciez le jugement d'accusation, et que vous n'eussiez pas de preuves suffisantes pour le motiver, le Corps législatif, les représentants de la nation seraient obligés de faire une réparation à l'homme qui eût été accusé à tort. (Quelques applaudissements et beaucoup de murmures.)

Messieurs, il est impossible que l'on me conteste que toutes les fois que l'on prononce sur des faits, ce ne soit par un jugement. Or, vous ne pouvez prononcer le décret d'accusation que sur des faits; il faut donc vous mettre dans votre véritable position: vous êtes des hommes d'Etat et des juges, au moment où vous prononcez l'accusation. (Murmures.)

Un membre: Lisez la Constitution!

M. Bigot de Préameneu. Maintenant, faisons un rapprochement naturel de nos devoirs avec ceux qu'aurait à remplir un juré. Vous n'êtes, en effet, lorsque vous prononcez le décret d'accusation, que le haut juré. Si vous êtes haut juré, comment a-t-on pu s'arrêter un seul moment à l'idée de prononcer sur la partie d'une instruction, quand ceux qui vous l'envoient déclarent qu'elle n'est pas entière? Qui vous répond, Messieurs, que, dans la suite de l'instruction, j'entends dans la suite des procès-verbaux, les preuves de justification de ceux qu'on a fait enfermer ne se trouvent pas ? J'ai remarqué dans ces procès-verbaux qu'il y a plusieurs personnes qui ont été enfermées pour leur sûreté, autant que pour suspicion du crime; le procès-verbal le porte expressément. Quel est le juré qui oserait prononcer en matière criminelle quand il y a des pièces qui lui sont indiquées, qui existent et qu'il n'a pas vues? Non, il n'y aurait pas, j'ose le dire, de délit plus grave en matière criminelle que celui de prononcer une accusation sans avoir examiné toutes les pièces dont l'existence est certaine.

Je demande donc que vous ajourniez la proposition qui a été faite et voicí la marche que je vous propose de suivre: c'est d'imprimer sur-lechamp le procès-verbal et d'en faire un rapport 24 heures après. Si dans la lecture que chacun de nous en fera, vous trouvez des preuves suffisantes, vous prononcerez; sinon, vous saurez ce qu'il vous faudra en supplément de preuves, et Vous vous mettrez en état de juger en connaissance de cause.

J'ajoute que les circonstances de cette affaire rendent encore cette mesure sans inconvénient, puisque ceux qui paraissent être les auteurs de la sédition sont en état d'arrestation ils y ont été mis selon les lois, puisqu'ils ont été pris en flagrant délit, et arrêtés par voie de police. (Murmures.)

:

J'ajouterai une dernière réflexion. Autant,

comme l'a dit hier l'honorable membre qui nous préside aujourd'hui, autant il est important que les véritables conjurations soient dévoilées, autant il est malheureux qu'il y ait des dénonciations qui ne soient pas suivies de preuves. En effet, Messieurs, plus les ennemis du bien public penseront qu'il y a des conjurations multipliées, et plus ils en feront contre vous. Ainsi ne prononçons sur de pareilles dénonciations qu'avec des preuves suffisantes, et prenons le temps nécessaire pour réfléchir. Je me résume : Imprimer sur-le-champ les pièces qui vous ont été lues, délibérer après-demain sur le rapport qui en sera fait.

Au reste, on propose autour de moi une mesure très raisonnable: c'est d'envoyer un courrier extraordinaire, qui nous apporte les expéditions des pièces, de manière que le rapport ne souffre que le moindre délai possible. Vous prononcerez alors comme des juges, des législateurs et des véritables patriotes.

M. Lacretelle. J'avais demandé la parole pour appuyer la motion faite par M. Ducastel. Après ce qui vient d'être dit par les opinants, j'ai peu de choses à ajouter.

Nous avons ici, Messieurs, deux grands devoirs à remplir, deux grands intérêts à discuter. Vous devez prendre une mesure ferme qui en impose à toutes ces cabales et qui déjoue tous les complots contre la sûreté publique; mais, d'une autre côté, il faut considérer que l'Assemblée nationale va maintenant mettre en activité la précieuse institution des jurés, et qu'il importe de lui imprimer son vrai caractère. Vous l'avouerai-je, Messieurs, j'ai frémi sur cette belle institution, lorsque j'ai vu la précipitation avec laquelle on voulait en user, avec laquelle on voulait décréter de prise de corps.

Lorsque l'Assemblée nationale est appelée par la Constitution à prononcer l'accusation, elle n'est plus Corps législatif; il n'y a plus urgence, elle devient juré d'accusation pour l'Etat, et alors tout doit être calme et prendre, dans le Corps, législatif, les formes rigoureuses de la justice. Eh! Messieurs, songez aux dangers que courrait cette grande institution qui s'établit pour la première fois dans un grand Empire, si, au milieu des discordes civiles, elle prenait le caractère des passions.

Je réduis ma motion à cette idée-ci : J'adopte la proposition faite par M. Delacroix de prendre les dépêches que vous a envoyées la municipalité de Caen pour une dénonciation; d'ordonner, soit par des courriers que l'Assemblée enverra, soit par la voie du Pouvoir exécutif, que toutes les pièces seront apportées, qu'elles seront renvoyées à un comité, pour en rendre compte dans le plus court délai, qu'elles seront lues entières et qu'il sera délibéré, par appel nominal, sur le parti à prendre. (Applaudissements.)

Plusieurs membres : La discussion fermée! (Après une épreuve déclarée douteuse, l'Assemblée ferme la discussion.)

M. Dumolard. Je demande la priorité pour la motion de M. Lacretelle.

M. Ducastel. Voici comment je résume ma motion: Je demande qu'avant de déclarer qu'il y a lieu à accusation, et que la haute cour nationale soit convoquée, il soit décrété que les interrogatoires, les manuscrits privés et autres pièces énoncées dans le procès-verbal de la municipalité de Caen seront par elle envoyés incessamment à l'Assemblée nationale.

J'ajoute, de plus, que cependant les personnes arrêtées continueront d'être en état d'arrestation.

M. Laeretelle. J'adopte le paragraphe additionnel de M. Ducastel.

M. Grangeneuve parle à la tribune; il est interrompu par des murmures qui troublent longtemps la délibération.

M. Couthon, secrétaire, donne lecture de la rédaction de M. Ducastel.

M. Grangeneuve. Je n'entrerai pas dans la discussion du fond, mais je propose un amendement à la motion de M. Ducastel. Cet amendement tombe sur la partie de sa proposition qui est de faire porter aux comités de l'Assemblée nationale les pièces de la procédure...

Plusieurs membres : La copie collationnée des pièces, et non pas les pièces.

M. Grangeneuve. Voici les preuves en forme qui s'opposent à cette mesure."

Jamais les pièces d'une procédure criminelle n'ont été déplacées d'un greffe que pour passer dans un autre greffe. La proposition de M. Ducastel ne tendrait à rien moins qu'à faire considérer l'Assemblée comme un tribunal en forme, qui aurait un greffe où les pièces pourraient être déposées; mais surtout j'établis que vous n'avez pas besoin de ces pièces pour rendre un décret d'accusation. (Murmures.)

Plusieurs membres : La discussion est fermée!

M. Grangeneuve. On vous a dit que vous ne deviez jamais vous déterminer à lancer un décret d'accusation sans avoir sous les yeux les preuves du délit. Si, malheureusement, cette maxime-là passait ici, il en résulterait, pour le tribunal qui aurait à connaitre de l'affaire après nous, une présomption défavorable pour les accusés. (Murmures.) L'Assemblée constituante, qui a craint de vous donner cette influence sur le tribunal, n'a pas voulu que vous eussiez besoin de preuves pour rendre le décret d'accusation. (Exclamations.)

M. le Président. Votre amendement !

M. Grangeneuve. Voici mon amendement : Je m'oppose de toutes mes forces à ce que le Corps législatif fasse porter devant lui les pièces de la procédure instruite contre les prévenus. (Murmures.) Ayant présenté deux grands motifs de cet amendement, je les couronne par l'article même de la Constitution. Elle porte que le Corps législatif est autorisé à poursuivre devant la haute cour nationale tous ceux qui sont prévenus d'attentat contre la sûreté générale du royaume ou contre la Constitution; elle ne nous dit pas que vous les jugiez coupables. (Applaudissements). Or, je demande si ceux-là sont prévenus de complot contre la sûreté de l'Etat, qui ont été pris les armes à la main dans la ville de Caen ? Je demande s'ils sont prévenus de complot contre la sûreté de l'Etat, ceux contre qui on a été obligé de faire marcher des troupes et qui ont été trouvés nantis de pièces. (Applaudissements). Je conclus à ce que l'article relatif à l'apport de la procédure soit retranché du décret proposé par M. Ducastel.

M. Ducastel. J'y consens, pourvu qu'on envoie une copie collationnée... (Murmures.)

M. Goujon monte à la tribune et veut parler. M. le Président lui maintient la parole malgré le tumulte et les murmures.

M. Pastoret. Je demande la parole pour faire une motion d'ordre. Les amendements ne peuvent être proposés que sur un projet auquel la priorité est déjà accordée, sans cela nous nous perdrons dans de vaines discussions sur les amendements, et nous ne parviendrons jamais à un résultat. Je demande que M. le Président consulte l'Assemblée pour savoir à quel projet de décret elle veut accorder la priorité. Quand la priorité sera accordée on recevra les amendements. (Applaudissements.)

M. le Président. Il n'a encore été proposé qu'un projet de décret.

Plusieurs membres à gauche : M. Delacroix en a un autre.

M. Delacroix. Je propose à l'Assemblée nationale de décréter qu'elle prend pour dénonciation le procès-verbal en forme envoyé par le conseil général de la commune et par le directoire du district de Caen, contenant les faits de conjuration y portés, ainsi que le nom de ceux qui sont accusés d'en être les chefs, qu'elle met en état d'accusation les sieurs tel et tel, etc... et qu'en conséquence la haute cour nationale sera convoquée.

Plusieurs membres: La priorité pour le projet de M. Delacroix.

M. Henry-Larivière. Si l'on veut entendre la lecture de la loi du 19 mars 1791, relative aux troubles de Douai, je vous montrerai le parti que prit l'Assemblée constituante sur cet objet. Voici le préambule:

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L'Assemblée nationale, sur le compte qui lui a été rendu par ses comités des rapports militaire et de recherches, des événements arrivés dans la ville de Douai, les 15, 16 et 17 de ce mois, d'après l'examen des procès-verbaux des directoires du département du Nord et du district de Douai; considérant que ces événements ont été en grande partie amenés par le refus constant, de la municipalité de Douai, de proclamer la loi martiale, nonobstant les réquisitions du directoire du département du Nord que cette municipalité n'a opposé auxdites réquisitions qu'une prétendue coalition des gardes nationales et des troupes de ligne avec les mauvais citoyens, coalition invraisemblable, dénuée de toute preuve légale, et qui n'aurait pu être constatée que par le résultat même de la proclamation de la loi martiale, d'après laquelle on ne peut douter que lesdites gardes nationales et troupes de ligne n'eussent déployé tout leur civisme, et manifeste tout leur respect pour la loi, décrète ce qui suit : >>

D'après le préambule de ce décret vous voyez, comme l'a observé M. Lacretelle, que l'Assemblée nationale constituante même, a cru qu'il n'était pas une mesure, qu'il n'était pas une précaution qu'elle ne dût apporter pour assembler les jurés. Elle n'a décidé qu'il y avait lieu à accusation, qu'après avoir eu connaissance des procès-verbaux du directoire de district et du directoire de département. Il est donc essentiel que nous ayons la copie des procès-verbaux. En conséquence, je demande la priorité pour le projet de M. Ducastel.

M. Couthon, secrétaire, donne de nouveau lecture du projet de décret de M. Ducastel. Il est ainsi conçu :

«L'Assemblée nationale décrète que des copies collationnées des interrogatoires, manuscrits privés et autres pièces et renseignements énoncés

au procès-verbal du conseil général de la commune et du directoire du district de Caen, ainsi que tous autres documents recueillis depuis, seront envoyés au Corps législatif, et que cependant les personnes arrêtées continueront de rester en état d'arrestation, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale en ait autrement décrété. »

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix ! ce projet de décret!

M. Guadet. Il faut se garder de tout enthousiasme, et réunir tout ce qui peut contribuer à couper la trame du complot qui vient d'être découvert. Je propose, en conséquence, le projet de décret suivant:

«L'Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture du procès-verbal de la municipalité de Caen, en date du 5 novembre 1791, décrète ce qui suit :

« Art. 1er. Le roi sera prié de donner, sous la responsabilité de ses ministres, tous les ordres nécessaires pour assurer la tranquillité publique dans le département du Calvados.

« Art. 2. Les auteurs et fauteurs des troubles excités dans la ville de Caen sont déclarés prévenus d'attentats contre la sûreté générale de l'Etat et d'attentats contre la Constitution; l'Assemblée nationale porte contre eux le décret d'accusation.

«Art. 3. Il sera fait une proclamation pour convoquer la haute cour nationale, et les prévenus resteront en état d'arrestation. Le procès sera fait par elle aux auteurs et fauteurs desdits troubles; en conséquence, tant le procès-verbal de la municipalité de Caen que les pièces y annexées seront remis à la haute cour nationale, dès qu'elle sera rassemblée.

(Vifs applaudissements dans les tribunes et dans une partie de l'Assemblée.)

M. Albitte ainé. Je demande la priorité pour le projet de M. Guadet.

M. le Président. Trois projets se disputent la priorité, je vais d'abord mettre aux voix la priorité réclamée pour le projet de M. Guadet. Plusieurs membres demandent la parole.

D'autres membres demandent que la discussion soit fermée.

M. Goujon veut parler; plusieurs membres lui disputent la parole.

M. le Président. La parole est à M. Goujon.

M. Goujon. Je m'oppose à la priorité demandée pour le projet de M. Guadet et pour celui de M. Delacroix. (Les murmures empêchent l'orateur de continuer.)

Je prie M. le président de rappeler à l'ordre ceux qui m'interrompent, autrement je les y rappellerai moi-même.

Je réclame la priorité pour le projet de M. Ducastel; la raison qui m'y détermine, c'est que les deux autres projets supposant le corps du délit déjà constaté, je ne veux pas m'inquiéter encore en ce moment quels sont les prévenus, mais je demande y a-t-il un crime constant? Oui, sans doute, il est constant aux yeux de nous individus, mais il ne l'est pas aux yeux de nous jurés. Le délit sera constant quand vous aurez des procèsverbaux et des pièces qui énonceront que ces pièces existent, mais elles existent à Caen. Le procès-verbal qui vous est rapporté n'est qu'énonciatif de ces pièces. Ce procès-verbal, qu'on vous a dit être et qui est en effet l'acte de tous les corps administratifs, n'est point signé des admi

nistrateurs du département à l'exception d'un seul, les autres ont déclaré ne pas vouloir signer. (Murmures.) De là il résulte que le procès-verbal qui vous est rapporté est digne de foi, sans doute, mais il ne peut pas constater le corps du délit i annonce des pièces que vous ne connaissez pas, et sans lesquelles vous ne pouvez porter votre jugement. C'est pourquoi, sous un certain rapport, le procès-verbal de la municipalité me ferait désirer la production de toutes les pièces, non pas en original, mais en copie collationnée. (Murmures prolongés dans une partie de l'Assemblée.)

M. Garran-de-Coulon. Je n'entrerai pas dans la discussion du fond même de la question, mais j'observe que le projet de décret de M. Guadet est absolument inconstitutionnel, et qu'il ne peut avoir la priorité. M. Guadet y a mêlé des dispositions qui ont besoin de la sanction du roi, et la Constitution porte expressément que les actes relatifs à la responsabilité des ministres, et le décret portant qu'il y a lieu à accusation, ne sont point sujets à la sanction.

D'après ces considérations je demande que l'on accorde la priorité soit au projet de M. Delacroix, soit à celui de M. Ducastel. Il importe peu auquel des deux on accorde la priorité, parce que tous deux ont besoin d'amendement, mais il est important qu'on ne l'accorde pas à celui de M. Guadet qui brouille absolument toutes les idées.

M. Couthon. Je demande la parole. Plusieurs membres : La discussion fermée! M. Couthon. On demande que la discussion soit fermée parce que je veux appuyer la priorité pour le projet de décret de M. Guadet. Je veux motiver ma demande et prouver que le décret d'accusation est conforme à la Constitution. (Vifs applaudissements dans une partie de la salle et dans les tribunes.)

Un projet de conspiration vous est dénoncé; les faits qui prouvent l'existence de ce projet sont constatés par un procès-verbal en forme, signé de deux autorités constituées, et ce procès-verbal suffit, non pas pour déclarer coupables ceux qui y sont dénommés, et pour les faire punir, nous n'en avons pas le droit, mais au moins pour les faire déclarer prévenus. Or, Messieurs, la Constitution vous a dit que vous pouvez porter ce décret d'accusation, non pas contre ceux qui sont jugés coupables, car il ne faut pas de décret d'accusation contre ceux qui sont coupables, il faut seulement les juger; mais contre ceux qui sont prévenus, et je demande si vous ne regardez pas au moins comme prévenus de cet attentat ceux qui ont été surpris les armes à la main pour exécuter ce projet de conjuration? (Applaudissements.)

Quand on vous a cité l'exemple de l'Assemblée constituante, relativement aux troubles de Douai, l'on aurait dû ajouter que l'Assemblée constituante avait porté le décret d'accusation sur des rapports de procès-verbaux. Or, vous avez une expedition du procès-verbal... (Les murmures couvrent la voix de l'orateur.)

Que vous criiez, ou non, vous ne me détournerez pas. J'affirme que pour rendre un décret d'accusation, il ne faut pas une conviction, il suffit qu'il y ait prévention contre les accusés. (Murmures.)

Plusieurs membres : La discussion fermée sur la priorité!

(L'Assemblée, consultée, ferme la discussion sur la priorité.)

Un membre demande la parole pour établir des faits.

M. Delacroix. Je demande une seconde lecture du procès-verbal de la municipalité de Caen pour dissiper l'incertitude des esprits et pour que l'Assemblée puisse juger si les faits sont assez graves pour donner lieu à accusation. (Applaudissements dans une partie de l'Assemblée, murmures dans une partie.)

M. le Président. Je consulte l'Assemblée pour savoir si elle entendra une seconde lecture du procès-verbal de la municipalité de Caen.

(L'Assemblée décide que l'on fera une seconde lecture du procès-verbal de la municipalité de Caen.) (Applaudissements.)

Un de MM. les secrétaires fait une seconde lecture de ce procès-verbal.

Voix diverses, après la lecture du procès-verbal : La priorité pour le projet de M. Ducastel! - La priorité pour le projet de M. Guadet!

M. le Président. On m'observe que la proposition de M. Ducastel est un ajournement. D'après le règlement, je vais mettre d'abord aux voix l'ajournement demandé par M. Ducastel. (L'Assemblée décrète l'ajournement.)

M. le Président, après avoir consulté le Bureau. Le projet de M. Ducastel a obtenu la priorité.

Un de MM. les secrétaires redonne lecture de la proposition de M. Ducastel.

M. Baignoux. Je demande qu'il soit envoyé, en outre, un courrier extraordinaire pour faire venir au plus tôt les pièces demandées.

M. Grangeneuve est à la tribune et veut parler.

Plusieurs membres: Aux voix! aux voix!

M. Grangeneuve. Je demande la parole contre vous, Monsieur le président. Lorsque vous mettez aux voix l'ajournement, vous n'avez pas le droit de dire que l'Assemblée accorde la priorité à un projet de décret.

M. le Président. Monsieur, l'Assemblée, en décrétant l'ajournement, a par cela même accordé la priorité au projet de M. Ducastel, qui n'est pas autre chose qu'un ajournement.

M. Grangeneuve. Vous avez mis aux voix la priorité pour un ajournement et non pas pour une motion.

M. le Président. Monsieur, la motion de M. Ducastel n'est qu'un ajournement.

Plusieurs membres à l'extrémité gauche de la salle réclament contre la délibération.

M. Aubert-Dubayet. Je propose de renouve ler l'épreuve.

M. le Président. Je vais renouveler l'épreuve. Je mets aux voix la priorité demandée pour le projet de M. Ducastel.

(L'Assemblée décrète à une très grande majorité la priorité en faveur du projet de M. Ducastel.)

M. Jean Debry. Je demande que l'Assemblée décrète, par amendement, que le ministre de l'intérieur sera chargé de faire partir, dans le jour, un courrier extraordinaire auprès du conseil général de la commune de Caen, à l'effet d'apporter les copies collationnées, et en même temps que le procureur-syndic du département sera mandé pour rendre compte du refus de signature. (Murmures.)

M. Ducastel. Il serait convenable de faire venir l'exposé des motifs qui ont déterminé le directoire de département à refuser de signer.

M. Delacroix. Je demande la question préalable sur cet amendement, parce qu'il y a un décret qui porte que les administrateurs pourront refuser de signer quand ce ne sera pas leur avis et qui leur défend d'en énoncer les motifs.

M. Becquey. J'appuie l'amendement qui a été fait d'envoyer un courrier extraordinaire; mais je ne crois pas que cette mesure soit suffisante. Le directoire de département du Calvados doit être en correspondance continuelle avec le ministre de l'intérieur sur les faits qui se passent dans l'arrondissement de son administration. Il m'étonne que le ministre de l'intérieur ne soit pas déjà informé, par le directoire de département, des troubles qui ont inquiété et désolé la ville de Caen depuis plusieurs jours. Si le ministre en a été informé, il est étonnant qu'il ne se soit pas hâté de vous en faire part. Je demande, Messieurs, par second amendement, que le ministre de l'intérieur soit mandé, demain à 11 heures, pour déclarer s'il a reçu des nouvelles de la part de ce directoire et quelles mesures il a prises. (Murmures.)

M. Taillefer. Le directoire du département du Calvados a gardé le silence pendant l'insurrection arrivée dans cette ville.

Plusieurs membres : Il n'en savait rien.

M. Taillefer. Tous les membres, à l'exception d'un seul, ont refusé de signer. Quel que soit le motif des administrateurs, ils sont coupables. Je demande que les administrateurs et le procureur-syndic, qui ont refusé de signer, soient mandés à la barre. (Exclamations et murmures prolongés.)

Plusieurs membres: Fermez la discussion!
M. Chabot. Je demande la parole.
(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Chabot. Je demande à proposer un amendement.

Plusieurs membres : La question préalable sur les amendements!

M. Chabot. Vous ne pouvez pas prononcer la question préalable contre des amendements que vous ne connaissez pas.

Plusieurs membres: Si! si! Et même sur les vôtres !

M. Delacroix, placé derrière M. Chabot, se lève et dit qu'il trouve déraisonnable que l'on ne veuille pas entendre un amendement.

M. Chabot. Et bien, Monsieur le président, je demande la parole sur la manière dont vous poserez la question. La première question qui doive être mise en délibération est la question relative aux renseignements qui ont dû ou qui doivent être donnés par le ministre. Mon amendement est dans la Constitution même. L'article 11 du titre IV de la Constitution porte: « Si des troubles agitent tout un département, le roi donnera, sous la responsabilité de ses ministres, les ordres nécessaires pour l'exécution des lois et le rétablissement de l'ordre, mais à la charge d'en informer le Corps législatif, s'il est assemblé, et de le convoquer s'il est en vacance. »

Je demande, en conséquence, que le ministre de l'intérieur soit mandé séance tenante... (Exclamations et murmures prolongés.)

1r SERIE. T. XXXV.

Vous avez beau murmurer, Messieurs, vous m'entendrez jusqu'au bout.

Je demande que le ministre de l'intérieur soit tenu de nous dire s'il a reçu des nouvelles officielles des troubles qui ont agité le département du Calvados: il est possible qu'il ait une copie des pièces que vous demandez et qui vous sont annoncées par le procès-verbal de la municipalité; il est possible qu'il ait fait son devoir dans ce département, il est possible en même temps qu'il ne l'ait pas fait.

Mais une chose qui doit vous surprendre, c'est que le ministre de l'intérieur ait paru au milieu de vous, qu'il vous ait entendu discuter l'affaire de Caen, qu'il ne vous ait pas donné des renseignements, et qu'il ait disparu au moment où vous ordonniez une seconde lecture du procèsverbal de la municipalité. (Rires et murmures.)

M. Garran-de-Coulon. Monsieur le président, je demande que vous rappeliez à l'ordre ceux qui interrompent l'opinant.

M. le Président. Je vous assure que je n'y manquerai pas.

M. Chabot. J'ajoute que je crois le bien jusqu'à ce que j'aie la preuve du contraire; mais j'ai un soupçon dont je ne puis me défendre. Je doute que le ministre ait fait son devoir. (Rires dans l'Assemblée. Applaudissements dans les tribunes.)

M. le Président. Je dois observer à M. Chabot et à l'Assemblée que le ministre de l'intérieur m'a fait demander la parole, que je lui ai fait répondre que je la lui donnerais quand la discussion serait fermée; qu'il m'a fait dire ensuite que, comme il était fort tard, il renonçait à la parole parce qu'il était obligé de se retirer.

M. Chabot. Je demande que le ministre de l'intérieur vienne sur-le-champ vous rendre compte des renseignements qu'il peut avoir sur les troubles du Calvados.

Un membre: Je demande à parler contre M. le président, relativement à l'explication qu'il vient de donner.

M. Borie. J'ai demandé la parole pour un fait qui vient à l'appui de ce qu'a dit M. Chabot. Je voulais dire que, lorsque le ministre de l'intérieur s'est retiré, il est sorti précisément au moment où vous ordonniez la seconde lecture du procèsverbal, et il me semble que c'était alors qu'il devait rester pour vous donner des explications.

Le membre qui a demandé à parler contre M. le président: M. le président a eu tort de répondre à M. le ministre qu'il n'aurait la parole qu'après la discussion, car vous discutez maintenant si le ministre sera mandé; par conséquent, M. le président devait consulter l'Assemblée en lui annonçant que le ministre demandait la parole. (Non ! non!)

Plusieurs membres : La discussion fermée sur les amendements!

(L'Assemblée ferme la discussion sur les amendements.)

M. le Président. Le premier amendement tend à charger le pouvoir exécutif d'expédier sur-le-champ un courrier extraordinaire.

M. Merlin. Je m'étonne que vous vous occupiez des amendements alors que vous n'avez pas encore décrété quelle était la proposition que vous adopteriez. (Bah! bah!)

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