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comptes consistent à vérifier et arrêter sur registres, livres, journaux et pièces, tous les comptes définitifs non jugés ni apurés, qui sont ou doivent être présentés au Corps législatif d'après les décrets existants.

Art. 2.

Tous les comptes qui doivent être vérifiés et arrêtés par le Corps législatif, passeront préalablement par devant le bureau de comptabilité, établi par la loi du 15 septembre dernier.

Art. 3.

Le comité présentera toujours à l'Assemblée nationale le résultat des vérifications qu'il est chargé de faire.

Art. 4.

Il se concertera avec le ministre des finances pour accélérer le plus possible la reddition. de tous les comptes des finances de la nation, qui sont arriérés, toujours en se conformant au mode décrété.

Observations particulières du rapporteur.

Tous comptes sur pièces à vérifier par le Corps législatif doivent être préalablement vus et lui être présentés par le bureau de comptabilité, composé de 15 personnes nommées par le roi.

Les décrets sont positifs à cet égard. Sur cet objet, il n'y a pas eu deux avis au comité.

Mais en est-il de même des comptes sur registres, livres et journaux? Sur cette question, le comité n'a pas été d'un seul avis.

La majorité d'un ou deux membres au plus a décidé l'affirmative.

La minorité pensait, au contraire, que les comptes sur registres, livres et journaux devaient être examinés par le comité, sans l'intermédiaire du bureau de comptabilité.

Les comptes sur livres et registres sont ceux des ordonnateurs. Ceux sur pièces regardent les payeurs. Il ne faut pas perdre de vue cette distinction; et il faut se rappeler que les ordonnateurs sont les ministres.

Cette difficulté étant sérieuse et importante à décider, voici les différents motifs des opinions opposées:

Raisons pour l'avis de la minorité du comité.

Les comptes des ministres passeraient sous les yeux de ceux qu'ils auraient choisis pour les examiner. Or, cela parait répugner.

La Constitution, chapitre II, section IV, article 7, porte que les ministres seront tenus de présenter chaque année au Corps législatif, à l'ouverture de la session, l'aperçu des dépenses à faire dans leur département, de rendre compte de l'emploi des sommes qui y étaient destinées.

Cet article ne fait aucune mention de l'intermédiaire du bureau de comptabilité; donc ces sortes de comptes ne doivent point y passer.

L'Assemblée nationale parait avoir décidé la question par son décret du 13 octobre dernier, qui charge son comité de vérifier seulement sur registres et livres, sans faire aucune mention du bureau de comptabilité.

La vérification préalable par ce dernier bureau, pour les comptes sur livres et registres, ne peut servir à rien: il n'y a pas là d'ordre à établir dans des pièces de dépenses, point de

faits à vérifier ou à certifier; elle opérerait seulement, en pure perte, un retard considérable dans l'exécution du décret du 13 octobre relatif aux comptes de mai 1789 à septembre 1791.

Raisons pour l'avis de la majorité.

Les décrets des 30 janvier, 22 et 31 décembre 1790, celui du 4 juillet 1791, tous ceux en un mot qui prescrivent une comptabilité quelconque (1) vis-à-vis du Corps législatif, soit aux ordonnateurs, soit aux payeurs, renvoient sur le mode de cette comptabilité au décret qui l'a déterminé.

Ce décret est celui du 4 juillet 1791 il ne détermine qu'un seul mode, sans distinguer en au̟cune façon les comptes sur livres et registres de ceux sur pièces.

L'article 1er du titre II de cette dernière loi, qui fut décrété le 15 septembre, porte que tous individus ou compagnies qui comptaient de la recette ou dépense des deniers publics, soit pardevant les chambres des comptes, soit par devant le conseil du roi, doivent envoyer leurs états des derniers comptes rendus par eux et autres pièces, au bureau de comptabilité, dans le délai d'un mois à compter de son organisation.

Or, tous les ordonnateurs, tous les ministres quelconques étaient certainement comptables, soit aux chambres des comptes, soit au conseil du roi.

Donc leurs comptes, c'est-à-dire les comptes sur livres et registres, doivent passer par devant le bureau de comptabilité.

L'article 14 porte encore que, si lors de l'examen des comptes, le bureau de comptabilité croit qu'il y a lieu à exercer l'action de responsabilité contre les ministres ou autres agents du pouvoir exécutif, il en rendra compte à l'Assemblée nationale législative;....

que l'Assemblée nationale décidera, après la rérification des faits par le bureau de comptabilité, s'il y a lieu à l'action de responsabilité.

Or, comment le bureau pourrait-il découvrir s'il y a lieu à cette responsabilité, comment pourrait-il vérifier les faits, si les comptes sur livres et registres ne lui étaient pas présentés ainsi que ceux sur pièces?

L'article de l'Acte constitutionnel ne fait pas mention du mode dans lequel la comptabilité qu'il prescrit aura lieu, parce que ce mode était déjà décrété dès le 15 septembre il suffit qu'il n'en présente point un nouveau pour qu'on se conforme à l'ancien.

:

La preuve de ce que l'Assemblée nationale n'a pas décidé la question par son décret du 13 octobre, c'est que le lendemain 14, elle a ordonné à son comité de lui présenter, avant tout, le plan de son travail sur le mode d'exécution de son décret par lequel elle lui prescrit une vérification sur livres et registres.

De ce qu'un ministre aurait nommé les membres du bureau de comptabilité, il ne s'ensuit pas que ce bureau n'ait pas le droit d'examiner ses comptes.

C'est au roi que la loi donne le droit de nommer les membres de ce bureau. Or, le roi qui a le droit incontestable d'exiger des comptes de

(1) On peut relire tous les articles de ces decrets au commencement du rapport, et faire attention surtout à ce qui est ecrit en lettres italiques.

ses ministres, peut, sans que cela répugne, déléguer ce droit à 15 personnes choisies par lui; ces dernières considérations sont les bases de l'article 2 du décret proposé par le comité.

Si l'Assemblée nationale pensait que les comptes sur livres et registres ne dussent pas passer par le bureau de comptabilité comme ceux sur pièces, ils suffirait d'ajouter ces deux derniers mots à l'article 2, après ceux-ci: tous les comptes; le sens alors rentrerait dans l'avis de la minorité (1).

Au reste, l'Assemblée nationale n'est probablement pas à s'apercevoir des relations qu'ont nécessairement entre eux les différents comités qui ont trait aux finances; elle sentira vraisemblablement la nécessité d'une marche, d'un plan à combiner, pour que cette partie sí délicate et si essentielle qui lui est confiée, puisse acquérir la consistance qu'une trop grande diversité dans les projets de ses comités pourrait lui enlever. L'Assemblée nationale réunirait alors, sous la seule dénomination de comité des finances, les différentes sections qu'elle en avait formées. Il est facile de prévoir qu'elle sera forcée de prendre ce parti, ou qu'elle se verra souvent arrêtée dans des opérations dont la prompte exécution importe sí essentiellement à la chose publique.

En supposant que l'Assemblée prit ce dernier parti, il ne serait pas moins essentiel qu'elle adoptât l'une des deux rédactions du projet de décret qui lui sont présentées ici.

Si elle adopte la rédaction du comité, il faut qu'il presse le bureau de comptabilité de commencer ses fonctions, et qu'il attende que ce dernier ait examiné les comptes de mai 1789 à septembre 1791, avant de s'en occuper.

Si l'Assemblée nationale adoptait, au contraire, l'opinion de la minorité du comité, il pourrait sur-le-champ commencer son travail conformément au décret du 13 octobre dernier. D'après celui du 14, le comité ne peut rien faire sans que l'Assemblée se soit déterminée pour l'une ou l'autre de ces deux opinions opposées.

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du samedi 19 novembre 1791, au soir.
PRÉSIDENCE DE M. VIENOT-VAUBLANC.

La séance est ouverte à six heures du soir.

Un de MM. les secrétaires fait lecture de la notice des décrets sanctionnés par le roi, envoyée à l'Assemblée nationale par le ministre de la justice. Cette notice est ainsi conçue :

« Le ministre de la justice a l'honneur de transmettre à M. le Président de l'Assemblée nationale, la note des décrets sanctionnés par le roi.

DATES
DES DÉCRETS.

30 juin, 11 juillet et 16 août. 11 septembre.

15 septembre.

17 septembre. 21 septembre.

21 septembre. 27 septembre. 28 septembre. 28 septembre.

28 septembre.

28 septembre.

29 septembre.

NOTE DES DÉCRETS.

Assemblée nationale constituante.

Décret relatif à l'organisation de la Trésorerie nationale. Décret qui charge le garde des Archives nationales de remettre, au ministre de la justice, des copies collationnées, soit des minutes, soit des expéditions en parchemin, des décrets qui manquent aux archivres du sceau.

Décret relatif au régiment des Gardes suisses.

Décret qui charge le ministre de la guerre d'adresser, à l'Assemblée, l'état des maréchaux de France en activité.

Décret qui maintient provisoirement l'exécution des anciens règlements relatifs aux mines, ateliers ou fabriques dans les villes.

Décret relatif aux citations devant les bureaux de conciliation de Paris.

Décret qui révoque les ajournements réservés et exceptions relativement aux individus juifs qui prêteront le serment civique. Décret relatif aux juifs de la province d'Alsace.

Décret qui fixe le mode d'admission aux emplois de souslieutenant dans l'armée, à dater du 15 octobre.

Décret portant que le tableau représentant le serment du Jeu de Paume sera fait, aux frais du Trésor public, par JacquesLouis David.

Décret sur la manière de fixer l'état des officiers généraux employés dans les colonies.

Décret relatif aux gardes nationales des départements de l'intérieur, qui n'ont pas été compris dans la répartition fixée pour la défense des frontières.

DATES
DES SANCTIONS.

13 novembre.

13 novembre. 13 novembre.

13 novembre.

13 novembre.

13 novembre.

13 novembre. 13 novembre.

13 novembre.

13 novembre.

13 novembre.

13 novembre.

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(1) L'article serait ainsi conçu: « Tous les comptes sur pièces qui doivent être vérifiés et arrêtés par le Corps législatif, passeront préalablement devant le bureau de comptabilite, établi par la loi du 17 septembre dernier. »

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Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres suivantes :

1° Lettre de M. Tarbé, ministre des contributions publiques, en date du 16 de ce mois.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité des contributions publiques.)

2° Lettre de M. Duportail, ministre de la guerre, qui demande un règlement pour la gendarmerie nationale parisienne soldée. Cette lettre est ainsi conçue :

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"Monsieur le Président,

Le directoire du département de Paris m'écrit pour me demander le règlement annoncé par l'article 9 du titre VI de la loi du 28 août dernier, relative à la nouvelle organisation de la gendarmerie nationale parisienne soldée. Les corps qui doivent être formés de cette troupe étant sur le point d'être organisés, le directoire désire que le règlement qui doit fixer le mode de leur service et tous les rapports qui existeront, soit entre eux réciproquement, soit entre les chefs et les troupes de la ville de Paris, puissent être formés en même temps. Vous jugerez sùrement ce désir bien fondé, Monsieur le Président, et je me persuade que, si vous voulez bien en donner connaissance à l'Assemblée nationale, elle ne tardera pas de s'occuper d'un objet aussi pressant et aussi important.

« Je suis, avec respect, etc.

Signé DUPORTAIL. »

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité militaire.)

3° Lettre de M. Duportail, ministre de la guerre, relative aux hôpitaux militaires; cette lettre est ainsi conçue:

Monsieur le Président,

J'avais adressé à l'Assemblée constituante un plan général des hôpitaux militaires; mais le

temps ne lui ayant pas permis de s'en occuper, j'ai l'honneur d'en adresser un nouveau à l'Assemblée nationale qui peut l'éclairer sur l'objet de ma demande. Je vous prie, Monsieur le Président, de l'engager à s'en occuper le plus promptement possible, car il est instant de mettre fin au régime actuel des hôpitaux dont la dépense ne peut être suivie comme elle devrait l'être, par l'instabilité continuelle des troupes. J'aurai l'honneur de vous observer que, pour que cette partie de l'administration soit réglée d'une manière avantageuse pour le 1er janvier prochain, il est nécessaire que le décret à ce sujet soit rendu à la fin de ce inois.

« Je suis, avec respect, etc.

"

Signé DUPORTAIL. » (L'Assemblée renvoie cette lettre aux comités militaire et des secours publics réunis.)

4° Lettre de M. Duportail, ministre de la guerre, sur les subsistances de l'armée.

(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité de la trésorerie nationale.)

M. l'abbé Valentin Mulot, commissaire civil envoyé par le roi dans les ci-devant Etats d'Avignon et du Comtat Venaissin, mandé à la barre de l'Assemblée nationale par décret du 4 novembre 1791, est introduit."

M. le Président. Monsieur, le 4 novembre dernier l'Assemblée nationale a rendu le décret suivant :

"L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des pétitions, sur les faits imputés à M. l'abbé Mulot, par M. Rovère, chargé à cet effet des pouvoirs de l'assemblée électorale, séant à Bedarides, et de l'administration provisoire de la commune d'Avignon, décrète :

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M. l'abbé Mulot (1). Messieurs, chargé d'exécuter, au nom du roi, le décret du 25 mai dernier (2), concernant les peuples d'Avignon et du Comtat Venaissin, de remplir auprès d'eux la plus importante des missions, d'exercer les fonctions de commissaire-médiateur, je devais de ma conduite un compte public et solennel qui fixat l'opinion générale sur les opérations auxquelles j'avais concouru, ou que j'avais faites seul; qui raffermit la confiance que m'avait donnée la ville de Paris, en me désignant pendant mon absence pour un des membres de cette auguste assemblée, qui éloignât les moindres nuages que l'ingratitude, la vengeance et l'envie s'étaient plu à répandre sur moi; et qui écartât enfin jusqu'au plus léger soupçon que les patriotes français, égarés par les échos trop faciles du mensonge, avaient puisé dans des feuilles où ils trouvent si souvent l'erreur en cherchant la vérité.

J'apportais avec moi dans la capitale ce compte, aussi impartial que ma conduite. Pour vous prouver, Messieurs, que j'étais digne de siéger parmi vous, je me préparais à vous demander la permission de vous le rendre, avant même d'avoir prêté mon serment, lorsqu'on m'apprit que, d'après une dénonciation formelle, un décret me mandait à la barre pour y être entendu. La paix de mon âme ne fut pas altérée par cette nouvelle. En vous, Messieurs, j'ai vu des juges qui demandaient à connaître la vérité; et j'ai vu dans mon dénonciateur un homme au moins séduit, et qui l'avait été d'autant plus facilement qu'il était absent, et que je pouvais confondre plus facilement encore; et quoique le doute élevé sur la loyauté de ma conduite fût pénible à mon cœur, tel est mon amour pour la Constitution, que j'en bénissais les auteurs qui avaient trouvé le moyen de soumettre les agents du pouvoir à la responsabilité devant la loi, qui du moins pouvait enfin les atteindre.

Je n'ai pas cessé, depuis mon retour, d'employer tous les instants à accélérer mon rapport, et la connaissance nécessaire des bases sur lesquelles mon adversaire avait appuyé sa dénonciation, a pu seule y apporter quelque retard; mais enfin, le voici fait avec la franchise de l'âme honnête qui ne trouve en elle rien à cacher, parce qu'elle ne se reproche rien.

Pour mieux vous faire saisir les faits, je vais en placer l'ensemble sous vos yeux je serai, s'il est possible, aussi rapide que les événements. Je ne m'étendrai pas sur des objets traités déjà par mes collègues; seulement je n'oublierai pas quelques détails échappés au pinceau véridique et énergique de M. Le Scène (3), et j'en retoucherai

(1) Bibliothèque de la Chambre des Députés : Révolution Française, Bf in-8: 164, tome 354, n° 5.

(2) Voir ci-après, page 191, pièce justificative, no. I. (3) Compte rendu à l'Assemblée nationale par M. Le Scène Voir Archives parlementaires, 1. série, tome XXX, page 438.

quelques autres que la main légère et trop discrète de M. de Verninac n'a pas assez fortement prononcés (1). Je compléterai leurs peintures; et Vous aurez une idée vraie de la situation successive de ces contrées, faites pour être heureuses, que leur position donnait à la France, et qui viennent enfin d'y être réunies par un décret librement demandé, justement rendu, mais hélas! trop tardivement exécuté. Vous verrez que si, de même que mes collègues, je n'ai pas toujours compté des succès; si je n'ai pas vaincu tous les obstacles qu'ils m'ont laissés à surmonter, mon courage est resté du moins invincible; et que, malgré les efforts sans cesse renaissants de l'aristocratie frémissante et de l'ambition démasquée, j'ai, bravant les dangers, lutté contre les orages avec une noble audace, je me suis montré constamment digne du caractère dont j'étais revêtu; et que mon patriotisme n'a souffert aucune atteinte, ce patriotisme, fruit de la raison et du sentiment, fondé sur la loi, et que je vous garantis pur, invariable au vent de la faveur, et indifférent à l'éclat et au son de l'or, que ne rendra plus séduisant la médiocrité de ma fortune. Première époque.

Vous connaissez déjà, Messieurs, comment la juillet 1789, échauffant les esprits des Avignonconquête de la liberté, faite par les Français en nais et des Comtadins, les fit, dès le mois d'août suivant, sortir de la léthargie de l'esclavage dans laquelle les retenait comme endormis la politique de la cour romaine.

Vous savez que ces peuples, prenant leur essor et s'élevant à la dignité de l'homme, demandèrent la convocation des Etats généraux et la Constitution française au prince dont un prédécesseur, dans un temps d'ignorance et de barbarie, les avait achetés, comme de simples troupeaux, d'une femme faible et criminelle, pour des absolutions qu'il profanait, et pour quelques pièces de monnaie qui, sur aucun point de la terre, n'eussent jamais dù devenir le prix des hommes. Vous savez encore qu'ils avaient, en vingt endroits différents, aboli d'avance l'avilissant régime féodal.

Je laisse à l'histoire à tracer sur le livre du temps le détail de cette première époque que suivit l'établissement de la liberté avignonnaise et comtadine. C'est là que l'on verra toutes les tergiversations italiennes repoussées par les franches secousses de l'homme débarrassé de ses fers. C'est là que l'on verra le vice-légat promettre et ne pas accorder la modération des octrois dans Avignon: faire lancer contre les citoyens qui réclament ses promesses, des décrets de prise de corps; faire exécuter ces décrets et en annoncer la suite terrible avec tout l'appareil du despotisme, les canons et les gibets, précautions que bientôt des mouvements populaires rendent inutiles; consentir enfin qu'Avignon forme une municipalité, suivant la Constitution française, à la place des consuls qu'une administration provisoire avait déjà remplacés sur leur démission.

Le pape, dans ce livre inraturable, paraîtra faible et incertain, cherchant à retenir ou à rattraper l'extrémité des rênes d'un gouvernement qu'on lui arrachait avec tant de raison; refusant les Etats généraux aux demandes pressantes des

(4) Compte rendu à l'Assemblée nationale par M. de Verninac. Voir Archives parlementaires, ir série, tome XXX, page 443.

Comtadins; et laissant Célestini, son envoyé, confirmer des Assemblées primaires qu'il avait cassées.

Sur les pages éternelles de ce livre seront tracées toutes les causes qui auront fait mouvoir les divers agents de cette révolution; et si l'on y voit des hommes de bonne foi se sacrifier au bien général, on n'en verra que trop n'agir que pour eux, pour rétablir les débris de leurs fortunes épuisées, ou pour s'en procurer une toujours trop tardive à leurs yeux avides. La plume variée de l'histoire nuancera les différents caractères. Les habitants d'Avignon et ceux du Comtat en présenteront chacun un constamment opposé, et des antipathies, des haines, des jalousies réciproques tout n'offrira chez les premiers que l'effet de l'explosion de leurs sentiments volcaniques, et chez les seconds, que le fruit des réflexions les plus combinées.

La division des opinions sur la Constitution française, heureux fléau des despotes et des privilégiés, paraitra avec ses suites funestes. On verra se succéder les mouvements de la ville d'Avignon, tour à tour plongée dans la joie que lui causent les progrès qu'elle fait vers l'établissement de cette Constitution, ou nageant dans le sang que font couler ses ennemis, ou se déshonorant pas des exécutions populaires, que le peuple cependant, quoiqu'en effervescence, laissait faire à des bourreaux (1); il n'avait point encore accoutumé son cœur aux barbaries des Sarrians, ni à manger les entrailles de ses ennemis comme à Mazan; ou plaçant avec allégresse au milieu des Français qui vinrent arrêter ces cruautés, les armes de France, et faisant briller sur les murs, au lieu de la triple thiare du despote de Rome, le simple bonnet de la liberté, ainsi que les lys où paraissaient les clefs, emblème trop énergique de l'esclavage.

Carpentras, moins susceptible, par son caractère, de cette versatilité, offrira le grave développement de sa marche et de ses combinaisons. On verra ses habitants et ceux du Comtat, dont elle était la capitale, se réunir en Assemblée représentative, calculant les fruits du bonheur que pouvait, que devait leur procurer la Constitution française et les suites qu'elle pouvait avoir, mais gardant un attachement sévère au pape, lui déclarer qu'ils le conserveront pour prince, s'il veut consentir à l'adoption des lois françaises que l'irrésistible besoin d'être heureux leur fait admettre et que le silence seul de sa part, sur de point, important, sera à leurs yeux le signal de leur indépendance et de la rentrée du peuple comtadin dans les droits de son inaliénable souveraineté.

Stables dans leurs principes, les Carpentrassiens paraitront toujours courant à leur but, combattant les Cavaillonnais, trop prompts, suivant eux, à secouer les poids de la thiare; faisant arracher des murs des petites villes comtadines les armes françaises qu'elles avaient arborées, avant que l'Assemblée représentative les ait cru déliées du serment de fidélité au pontife romain; correspondant cependant avec les clubs des patriotes français, jusqu'à Paris même, pour entretenir leur amour pour la Constitution, en assurer même l'établissement parmi eux, enfin sur le soupçon bien fondé du silence astucieux de leur prince ultramontain, confiant à trois conservateurs le pouvoir exécutif qu'ils avaient ôté provisoirement aux agents de la cour de Rome.

(1) Le 10 juin 1790.

Quels contrastes, quelles contradictions présenteront les Avignonnais! Près de la marche réfléchie des Comtadins, se placeront leurs mouvements convulsifs, les secousses occasionnées par les ébullitions de leur patriotisme. Admis à la fédération dans la capitale, on les verra solliciter avec empressement leur réunion à la France, n'obtenir d'abord que des troupes françaises dont ils n'ont pas tiré l'avantage que cellesci semblaient leur promettre pour le maintien du calme et du bon ordre: on verra leurs chefs dépouiller les autels (1), convertir en monnaie les vases destinés à l'exercice du culte divin; puissent-ils prouver maintenant que ces richesses du sanctuaire n'ont été employées qu'à la défense de la liberté, et que c'est par erreur que leur enlèvement a servi de base à une procédure qui a occasionné depuis des millions de crimes, employés comme moyens pour la faire disparaître.

Ici, Messieurs, je vais reprendre moi-même le fil des événements:

Deuxième époque.

La deuxième époque de la Révolution avignonnaise et Comtadine s'ouvre: un détachement considérable de soldats du régiment de Soissonnais et de dragons de Penthièvre venait de renforcer la garde nationale d'Avignon; les émigrants de Cavaillon lui offraient leurs bras, et lui demandaient vengeance; le siège de Cavaillon est décidé; cette ville est prise, elle est pillée, et il faut que des mains avares et cruelles aient spécialement désigné les victimes, puisque des vieillards paisibles, qui n'avaient participé en rien aux affaires publiques, n'ont obtenu la vie qu'au prix de l'or qu'ils avaient acquis par de longs travaux; puisque des femmes respectables par leur sexe, par leurs vertus et leur bienfaisance, échappées à des balles lancées sur elles, n'ont dù leur salut qu'à la fuite la plus dangereuse, et n'ont survécu que pour voir leur fortune aneantie; puisque des absents ont eu leurs meubles brisés, leurs effets enlevés, leurs maisons devastées. Excusez, Messieurs, si je pèse sur ces faits. mais il m'a paru nécessaire de mettre dans tout son jour ce coup d'essai de l'armée avignonnaise, afin que vous puissiez en apprécier la marche. Et, d'ailleurs, les traces de ces malheurs, que j'ai vues toutes fraiches, se sont tellement gravées dans ma mémoire, que je n'ai pu les oublier en ce moment où je vous en rends compte.

Effrayée par le succès des armes avignonnaises, l'Assemblée représentative se dissipa, et Carpentras arbora les lys de la France, talisman heureux en toute autre occasion, mais insignifiant contre la haine de sa rivale, que tâchèrent en vain d'adoucir les députés pacíficateurs de la ville d'Orange.

Les tentatives que fit l'armée des Avignonnais furent, il est vrai, aussi inutiles que l'avaient été les démarches des hommes de paix qu'ils avaient refusé d'entendre, et tout se ligua pourles faire échouer; les éléments se déchaînérent contre eux, et furent secondés par l'impéritie des soldats, et surtout par celle de Patrix, leur chef, qui fut cependant assez sage pour les faire rentrer dans leurs murs.

Alors s'imagina, dans Avignon, le fameux pacte fédératif, ouvrage fatal et monstrueux qui réunissait dans les mêmes mains tous les pou

(1) Voir ci-après, page 192, picce justificative n II.

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