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M. François de Neufchâteau, rapporteur, donne lecture de l'ancien article 15, qui devient l'article 14; il est ainsi conçu :

« Les décrets de l'Assemblée nationale constituante des 12, 24 juillet et 27 novembre 1790, cidessus rappelés, continueront aussi d'être suivis et exécutés suivant leur forme et teneur, mais avec les modifications suivantes, que l'achèvement de la Constitution rend aujourd'hui nécessaires :

«1° La formule du serment civique, portée en l'article 5 du titre II de l'Acte constitutionnel, sera substituée au serment provisoire qui avait été prescrit par lesdits décrets.

«2° Le titre Constitution civile du clergé n'exprimant pas la véritable nature de ces lois, et rappelant une corporation qui n'existe plus, sera supprimé et remplacé par celui de Lois concernant les rapports civils et les règles extérieures de l'exercice du culte catholique en France.

« 3o Les évêques, curés et vicaires ne seront plus désignés sous la qualification de fonctionnaires publics, mais sous celle de ministres du culte catholique salarié par la nation. »

M. Albitte ainé. On pense que, pour affermir la Constitution, il faut adopter l'article qu'on vous propose, qu'il faut supprimer le serment du 27 novembre; et moi, je pense tout le contraire: je crois que, pour l'affermir, il faut que vous frappiez le dernier coup contre ceux qui l'attaquent si violemment; qu'il faut nous ménager les amis que ce serment nous a faits, et les maintenir dans leurs droits. Or, si vous détruisez le serment du 27 novembre, vous verrez tous les prêtres constitutionnels devenir les victimes de tous les ennemis de la Constitution.

Oui, Messieurs, vos prêtres réfractaires ne manqueront pas d'aller dire dans les campagnes, dans tous les villages: On avait prescrit un serment: nous avons bien dit qu'il n'était pas bon, et que l'Assemblée constituante avait eu tort de le prescrire; mais l'Assemblée nationale, plus sage aujourd'hui, vient de le proscrire. C'est nous qui pensions bien; et tous ces prêtres qui l'ont prêté ne sont que des intrus et des schismatiques.

Voilà ce qu'ils iront dire aux habitants des campagnes; voilà ce qu'ils iront dire à ceux qui ne saisissent que les mots et ne voient jamais

les choses.

Messieurs, j'aime la philosophie, mais je crois qu'il faut en faire un usage prudent et approprié aux circonstances. (Murmures prolongés.)

Messieurs, je connais les prètres rebelles; oui, voilà ce qu'ils diront au peuple: Nous vous avions dit que la constitution civile du clergé était contraire aux principes que nous vous enseignons. Nous vous avons dit que l'Assemblée nationale constituante avait eu tort de l'élever; nous venons vous dire qu'elle est détruite.

Le peuple ne pénétrera pas plus loin; en voyant que le mot est détruit, il croira que la chose est détruite; voyant le serment du 27 novembre anéanti, il croira que ceux qui l'avaient prêté n'avaient pas prêté un bon serment, et que le véritable, le meilleur, est celui qui va être prêté par les prêtres réfractaires.

Messieurs, je n'ai qu'une question à vous faire. Elle est simple; le serment que vous exigez des prêtres rebelles est-il le même que celui du 27 novembre, ou est-il different? S'il est le même, ils ne le prêteront pas davantage; car ils diront toujours: vous exigez que nous recon

naissions les lois relatives au culte religieux, et nous ne le voulons pas; s'il est différent, vous mettez une différence dangereuse entre les prétres constitutionnels qui ont prêté le premier serment et les prêtres qui prêteront le second. (Applaudissements.)

Messieurs, je voudrais avoir une éloquence assez forte pour vous persuader: je sens la vérité, mais je n'ai pas les moyens de l'exprimer aussi vivement que je la sens.

Avec tout l'art qu'emploie la philosophie à la mode, qui croit parvenir à la supériorité, et qui ne veut pas considérer notre position, songez bien que le peuple français aimé la liberté, mais qu'il n'est pas encore philosophe; qu'au démeurant, les prêtres rebelles sont des ennemis que nous devons combattre avec des armes vigoureuses, et non pas avec des mots. (Murmures.) Oui, Messieurs, les prêtres réfractaires tireront de cet article les armes les plus fortes contre vous. Vous allez les mettre à même d'être nommés à toutes les cures. Ils vont être les ministres des mêmes paroissiens dont ils ont gangrené l'esprit.

Ces hommes-là ne sont pas seulement des fanatiques, ils sont encore les ennemis de la Révolution. Et vous voulez mettre dans leurs mains la conscience et les opinions d'hommes simples, qui suivront avec avidité l'impulsion qu'on leur donnera? Je demande la question préalable sur l'article 15.

M. Lamourette (1). Messieurs, le moindre défaut de l'idée que le comité de législation a eue d'ôter aux ministres assermentés leurs dénominations de « constitutionnels » et de « fonctionnaires publics », c'est d'être un hors-d'œuvre dans une disposition législative où il ne s'agit pas d'eux.

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Le peuple s'était accoutumé à qualifier ainsi les pasteurs élus, parce que leur existence est une branche de la Révolution, parce qu'ils sont élus par une loi constitutionnelle de l'Etat, parce qu'ils sont nommés aux places qu'ils occupent par les mêmes corps électoraux qui nomment tous les fonctionnaires publics, et enfin parce qu'il est contradictoire que les ministres d'un culte public qui est suivi par la majorité de la nation, n'exercent pas une fonction publique, et ne puissent être appelés « fonctionnaires publics ».

C'est là, Messieurs, une mesure vraiment épisodique qui étonnera, qui mécontentera peutêtre Timmense multitude de ceux des citoyens qui se sont attachés à leurs nouveaux pasteurs, et qui n'ont mis en eux leur confiance qu'à cause de leurs rapports avec la Révolution, qu'à cause qu'ils leur ont été présentés au nom de la Constitution, qu'à cause que, pour la première fois, ils ont trouvé dans les pasteurs de la religion des ennemis du despotisme et des appuis de la liberté publique, que vont-ils penser de ce rétrécissement d'existence auquel vous les condamnez? A quoi pourront-ils attribuer cet isolement et cette nullité politique où vous les voulez réduire? Ne voyez-vous pas qu'en neutralisant ainsi les affections religieuses du peuple, vous neutralisez du même coup toute l'ardeur qui les attachait à la Constitution, et que ne sachant plus où vous en voulez venir par des mutations si inattendues et si insignifiantes, ils douteront si vous voulez vous-mêmes sincèrement la stabilité d'une Constitution dont vous écartez ceux

(1) Bibliotheque de la Chambre des députés : Collection des affaires du temps, t. 150, no 12.

qui l'ont le plus efficacement célébrée et le plus | tique qui l'a rendu méconnaissable jusqu'à nos imperturbablement défendue ? jours.

Ne voyez-vous pas que si vous ne pouvez paralyser l'activité nuisible et turbulente des prêtres opposés à la Constitution, sans paralyser dans la même proportion l'influence salutaire et civique des prêtres dévoués à la Constitution, vous manquez votre but ou plutôt vous augmentez la force qui vous est contraire, puisque la classe des prêtres que vous vouliez réprimer redeviendra forte de toute la faiblesse que vous ferez contracter à l'autre ?

L'Assemblée constituante avait cru que c'était une grande pensée que d'enchaîner le sacerdoce à la Constitution. Vous, Messieurs, en adoptant des idées disloquantes et destructives d'une unité qui avait paru si précieuse à la sûreté de la régénération publique, comment ne craignez-vous pas que de cet acte solennel de séparation que vous vous préparez à notifier aux pasteurs de la loi et de la liberté, il ne résulte pour eux une tendance à se remouvoir selon l'esprit de la corporation, et à rechercher dans leur réunion avec leur ancien sacerdoce le supplément ou le dédommagement du caractère politique que vous leur retranchez?

J'expliquerais bien, Messieurs, si c'en était le temps, et si c'était nécessaire, comment l'invention de cette étrange mesure tient à un profond dessein, dont on espère l'exécution pour des époques un peu plus reculées. Je ne sais si ce vou, dont je n'approfondis ni le motif ni le caractère, aura jamais son accomplissement dans un Empire comme le nôtre, et si le peuple sera jamais mûr pour ce théisme, (Murmures.) auquel on se propose de l'amener par des gradations successives et ménagées, et qu'on regarde, selon les apparences, comme la perfection de la Révolution française. (Murmures.) Mais il y a dans ce calcul plus philosophique que législatif, une erreur centrale dont on a tout à craindre. Cette erreur, c'est de croire à la destructibilité d'un système religieux, qui contient éminemment dans son sein toutes les bases du pacte social et tous les éléments qui consacrent les principes de l'égalité et de la liberté des hommes.

Voilà par où le christianisme a provoqué la fureur des Césars, et excité le déchaînement de la puissance romaine. C'est sous le coup d'œil d'une force qui minait sourdement les trônes des tyrans que les maîtres du monde l'ont envisagé, lorsqu'ils en jurèrent la ruine. Cette puissance formidable qui avait abattu tant de couronnes et englouti tant de royaumes, n'a pu détruire une doctrine dont la plus faible portion du genre humain était dépositaire. Forte de sa solidité et surtout de sa tendance essentielle à réintégrer le genre humain dans ses droits, et à enlever le sceptre des oppresseurs de la terre, elle est toujours ressortie plus invincible et plus triomphante des flots de sang qu'on a fait couler, et dès flammes des bûchers qu'on a allumés pour en effacer la

trace.

Qu'a fait alors cette puissance? Elle a recherche l'alliance de l'ennemi qu'elle n'avait pu vaincre; elle l'a fait asseoir sur son trone. Elle a entrepris de le convertir à ses mœurs et à son despotisme; elle lui a ordonné de sanctionner la tyrannie; elle a donné un grand pouvoir, de grands titres, de grandes possessions à ce sacerdoce, qui dénatura la démocratie évangélique, et qui encroùta ce grand et universel système d'unité, de liberté et d'égalité dans cette rouille théologique et aristocra

Votre sage et douce tolérance, Messieurs, ne sera pas plus forte pour détourner les hommes du christianisme, que ne le fut la sanguinaire et farouche intolérance de la puissance romaine. Mais imitez sa politique profonde; mettez le christianisme du parti de votre Constitution, vous n'aurez pas à le séduire et à le faire dégénérer de ce qu'il est, pour lui faire allouer et consacrer votre nouveau gouvernement, puisqu'il est de son essence de le soutenir, et que vos lois constitutives semblent avoir été puisées dans les sources les plus saintes et les plus pures de son enseignement. (Applaudissements.)

Ce qui exposera un grand nombre de philosophes de cette Assemblée à l'injustice de proposer des dispositions irréfléchies sur le ministère ecclésiastique, c'est qu'ils confondent la religion de la théologie, qui est l'œuvre de l'aristocratie, avec la religion de l'évangile, qui est encore plus démocratique que la Constitution même des Français (Applaudissements.), puisqu'elle joint à l'inestimable avantage d'établir les lois de l'égalité, la vertu de les faire aimer et observer, et qu'il n'y a qu'elle qui sache vaincre les tyrans jusque dans le cœur.

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Il ne serait pas difficile, Messieurs, de prouver par de bons monuments que c'est aux idées et aux maximes de ce grand et profondément politique système, appelé « l'Evangile », que le genre humain est redevable du premier réveil de la raison, sur l'horreur de voir tout un univers à la discrétion d'une poignée de licteurs appelés Rois ». Je me chargerais bien de démontrer très péremptoirement que c'est là une vérité qui peut défier toutes les réclamations de la plus inexorable critique; et que, par conséquent, cette Constitution, dont vous attendez le bonheur de cet Empire, et celui de toutes les nations, descend, en dernière analyse, de cette riche et étonnante philosophie qui, au milieu de l'esclavage du monde entier, vint avertir les hommes de leur abrutissement et de leur opprobre, et insinuer dans l'âme des dieux de la terre les premiers soupçons de leur unité avec le reste des mortels. (Applaudissements.)

Séparez donc, Messieurs, je le veux et le désire autant que vous; séparez la Constitution de la théologie qui date de Constantin, c'est-à-dire de l'époque où Rome, vaincue par l'impossibilité d'étouffer les principes lumineux de la démocratie chrétienne, a fait sa paix avec l'évangile, afin de l'aristocratiser» et de travestir le sage de Nazareth, cet ami vrai du peuple, en une divinité protectrice des ravisseurs du monde, et ouvrit d'éternels abimes sous les pas de quiconque songerait à briser les fers de sa servitude. (Applaudissements.)

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Mais vouloir séparer de la Constitution le système évangélique lui-même, et tel que nous l'a laissé son inimitable et immortel auteur, ne serait-ce pas là, Messieurs, une rupture contre nature? Ne serait-ce pas détacher le tronc et tous les rameaux de vos lois de leur racine antique et indéfectible? Ne serait-ce pas décider que l'ancienne et légitime mère de la famille ne doit plus être soufferte dans la maison? (Applaudissements.)

C'est en partant de cette parenté si sensible et si intime qui unit, par des nœuds sacrés et indissolubles, la vraie religion de l'évangile à la Constitution; c'est, dis-je, en partant de ces idées primaires et pures, que nous, pasteurs élus

par le peuple, avons réussi à lui inspirer le respect des lois, à l'affermir dans l'amour de la Révolution, à le rassurer contre les insinuations de ceux qui lui disaient que la Constitution détruisait la religion, et qu'il fallait, par conséquent, détruire la Constitution. Nous avons fait servir, pour l'enchaîner à la loi, les mêmes liens qui l'enchaînaient à leur croyance. C'est de là bien plutôt que de la « constitution civile du clergé, que nous venait la dénomination de pasteurs constitutionnels ». On nous appelait ainsi, parce que nous ne parlions jamais de Dieu et de la religion, sans parler de la Constitution. (Applaudissements.)

Si vous allez nous ôter cette arme qui était plus forte dans nos mains que ne le serait jamais l'artillerie et les baïonnettes nationales dont vous pourvoyez les généreux citoyens qui volent à la défense de vos frontières; si vous nous rendez étrangers à la Constitution, si nous devenons incompétents pour concourir au maintien de la régénération publique, si vous ne voulez plus que nous montrions au peuple comment vos principes d'unité, de liberté, d'égalité se trouvent posés sur les inébranlables bases de l'éternité et de l'infini, il est évident que vous licenciez tout à coup, et l'on ne sait pourquoi, l'une des grandes forces qui ont soutenu et garanti la Révolution. Mais si vous voulez que nous soutenions ce rôle important et sublime, avec quelle bienséance pouvez-vous donc nous arracher notre titre le plus honorable et le plus cher, celui de "pasteurs constitutionnels » Si l'influence de notre ministère est aussi directe au maintien des lois et de l'ordre public, que celle de tous les fonctionnaires de l'Etat, et si c'est aussi solennellement, aussi publiquement et aussi continùment qu'eux, que nous servons nos concitoyens et la patrie, quelle apparence de justice et de raison y a-t-il à nous interdire la qualification de fonctionnaires publics »? Certes, si ce changement peut être bon à quelque chose, ce n'est pas au moment où nous sommes. Je ne vois pas qu'il puisse, quant à présent, produire un autre effet que de ménager un très beau et très consolant triomphe à ceux dont on se proposait d'arrêter les mouvements perturbateurs. (Applaudissements.) C'est donc un changement au moins très précoce, et dont la prématurité peut perpétuer le mal dont on cherche le remède.

En conséquence, je demande l'ajournement de l'article 15.

Un membre: J'appuie l'ajournement, et je demande l'impression et la distribution du discours de M. Lamourette.

MM. Lacretelle et Guadet demandent la parole contre l'impression.

Voix diverses: Aux voix l'impression! voix l'article!

-

Aux

D'autres membres : Non! la continuation de la discussion.

M. Laeretelle. Je m'oppose de toutes mes forces à la demande d'impression qui a été faite, et je me fonde d'abord sur une règle invincible, qui est l'exécution des décrets de l'Assemblée nationale. J'ai entendu prononcer à cette Assemblée le décret qu'on ne pouvait pas parler à cette tribune ni coinme ministre de l'évangile, ni comme ministre d'un culte quelconque... (Les murmures empêchent l'orateur de continuer.)

Plusieurs membres: Aux voix l'impression!

D'autres membres : Fermez la discussion!

(L'Assemblée ferme la discussion sur l'impres

sion.)

Plusieurs membres: La question préalable sur l'impression!

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a lieu à délibérer sur l'impression.)

M. Jollivet. Je demande l'ajournement de la motion d'impression du discours.

Voix diverses: La question préalable sur l'ajournement! L'ordre du jour! (Bruit prolongé.)

M. le Président. Je mets aux voix la question préalable sur l'ajournement.

M. Tartanae. Je demande la parole pour combattre la question préalable sur l'ajournement. (Exclamations et bruit.)

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion d'ajournement et décrète l'impression du discours de M. Lamourette.)

Plusieurs membres : La discussion fermée sur l'article! (Non! non!)

(L'Assemblée, consultée, décrète que la discussion sur l'article continuera.)

M. Gohier (1), Messieurs, je rends hommage à la religion et j'aime à entendre un prêtre sage nous la représenter comme la fondatrice de l'heureuse égalité que consacre notre immortelle Constitution; mais, sans toucher à la religion, on peut mettre ses ministres à la place qu'ils doivent occuper; et l'intérêt de cette religion sainte, comme celui de l'Etat, demandent qu'on ne confonde jamais ce qui doit être constamment distingué. Laissons aux despotes, qui ont besoin de commander au nom de Dieu ce qu'ils ne peuvent exiger au nom des lois, la ressource dangereuse de la théocratie. Un peuple qui veut être libre respecte tous les cultes et n'en identifie aucun avec sa constitution, il ne recourt point, il n'a pas besoin de recourir à des moyens surnaturels, les bases immuables de son gouvernement sont la justice et la raison.

L'article 15, qu'attaquent les préopinants, se subdivise en trois dispositions:

Par la première, le serment civique est substitué au serment qu'avaient prescrit les décrets des 12, 24 juillet et 27 novembre.

Par la seconde, le titre de loi« concernant les rapports civils et les règles extérieures de l'exercice du culte catholique en France, remplace l'intitulé très impropre de « constitution civile du clergé ».

La troisième, enfin, porte que les évêques, curés et vicaires ne seront plus designés sous la qualification de fonctionnaires publics, mais sous celle de « ministres du culte catholique, salariés par la nation ».

Il me sera très facile, Messieurs, de vous prouver la nécessité d'admettre la totalité de cet article, sans lequel tout le but que vous devez vous proposer serait manqué. Il est, j'ose le dire, une conséquence immédiate des articles précédents que vous avez adoptés. Rejetez une seule des dispositions que celui-ci renferme, et les décrets que vous avez rendus ne soutiennent plus les regards d'un législateur philosophe.

Ce n'est point sans un extrême étonnement que j'ai entendu déclamer dans cette tribune contre la philosophie, et, pour combattre un projet de loi, parler le langage des préjugés.

(1) Bibliothèque de la Chambre des Députés: Collection des affaires du temps, tome 130, no 11

一停

A-t-on déjà oublié que c'est la philosophie qui a fait la Révolution, et qu'aux philosophes conséquemment appartient surtout l'honneur de la soutenir? (Applaudissements.)

Vous avez fait, Messieurs, un grand acte du pouvoir législatif, lorsque, par l'article 1er, vous avez imposé à tous les hommes qui exercent un empire invisible sur les consciences, à tous les ecclésiastiques français, l'obligation de reconnaitre l'Acte constitutionnel, sous la protection duquel ils doivent remplir leurs fonctions religieuses, l'obligation de prêter le serment civique; mais ce serment qui donne à celui qui l'a prêté, tous les décrets garantis par le pacte social, ne doit pas être réputé insuffisant pour une classe particulière de citoyens. Ce serait l'avilir. Lui seul doit suppléer tous les autres sans pouvoir être suppléé par aucun.

Et qu'on ne dise pas qu'il est dangereux de revenir sur des lois de cette importance, et de rétrograder. Je réponds que ce qui est dangereux est de laisser subsister des lois qui présentent au peuple un sens indéterminé ou équivoque, je réponds que corriger des erreurs n'est point rétrograder, mais avancer à grands pas dans la carrière législative. (Applaudissements.)

Il ne faut pas nous le dissimuler, Messieurs, à l'époque des décrets des 12, 24 juillet et 27 novembre, une foule d'actes du corps constituant se trouvaient au rang des articles constitutionnels, et n'y sont plus aujourd'hui. Le titre seul de la « Constitution civile du clergé >> annonce celui qu'elle était originairement destinée à occuper dans le Code français.

La revision de la Constitution a mis tous ces décrets à leur place. La Constitution est faite; il n'y a plus de corporation du clergé; il n'y a plus conséquemment de constitution civile du clergé; il ne doit donc plus y avoir de serment particulier, qui ne servírait qu'à en rappeler le souvenir. (Applaudissements.)

On semble craindre que l'abolition du serment ecclésiastique ne forme deux classes de prêtres assermentés; et moi, je soutiens au contraire que c'est le seul moyen pour qu'il n'y ait qu'une seule classe de ministres du culte catholique. Quand tous tiendront à la Constitution; quand tous auront contracté l'obligation de respecter la loi et de s'y soumettre, quelle différence existerat-il entre eux ?

Les ministres qui vont prêter le serment civique, reconnaîtront bientôt qu'ils n'ont d'autre reproche à faire aux prêtres qui ont déféré aux décrets du corps constituant, que celui d'avoir été par eux précédés dans la carrière du patriotisme. Tous auront également le titre de citoyen; et ce titre est le seul dans lequel tous les autres doivent se confondre, le seul lien commun qui doive unir tous les Français. (Applaudissements.)

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Il ne peut s'élever aucune difficulté sur la seconde disposition. Lorsqu'il n'y a plus de corporation du clergé; lorsque les décrets réunis. Sous le titre de « constitution civile du clergé » ne se retrouvent plus dans l'Acte constitutionnel, personne ne peut raisonnablement prétendre qué l'on doive continuer de laisser à ces décrets l'intitulé de « constitution civile du clergé ». Autrement il faudrait soutenir qu'on peut appeler constitution ce qui ne peut être regardé comme constitutionnel.

La troisième disposition est une conséquence de ces mêmes principes. Votre comité de législation vous propose de supprimer la qualification

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de fonctionnaires publics », parce qu'effectivement les évêques, les curés et les vícaires ne peuvent pas plus être considérés comme fonctionnaires publics, en leur qualité de ministres du culte catholique, que la constitution civile du clergé ne peut être envisagée comme faisant partie de l'Acte constitutionnel.

:

Ecartons, d'abord, le prétexte tiré des actes momentanément confiés aux curés et qui concernent l'état des citoyens outre que vous êtes déterminés à les débarrasser de ces fonctions qui n'ont rien de commun avec leur état, elles ne pourraient servir qu'à les faire envisager comme des fonctionnaires civils; et il s'agit uniquement de savoir si les évêques, les curés et les vicaires, en ces seules qualités, peuvent être considérés comme fonctionnaires publics, c'est-à-dire s'il peut y avoir des fonctionnaires publics ecclésiastiques en France.

On voudrait vainement se prévaloir du mode d'élection établi par nos lois. De ce que le peuple a le droit de choisir les ministres de son culte, et les choisit en effet, il n'en résulte pas que ces ministres soient des fonctionnaires publics. Ce n'est point la manière dont ils doivent être élus, mais la nature même de leurs fonctions, qu'il faut consulter pour savoir si cette qualification leur appartient. Or, pour démontrer qu'elle ne peut convenir aux ministres du culte catholique en France, il suffit de définir ce qu'on doit entendre par fonctionnaire public.

Qu'est-ce qu'un fonctionnaire public? Celui dont les fonctions intéressent tous les membres de la cité; celui dont le titre imprime un caractère qu'il n'est permis à aucun citoyen de méconnaître. C'est ainsi qu'un juge est fonctionnaire public, parce qu'il est le juge de tous; qu'un administrateur est fonctionnaire public, parce qu'il administre au nom de tous ; que l'officier municipal est fonctionnaire public, parce qu'il est le magistrat du peuple et que tous les membres de la commune sont soumis à son autorité (Applaudissements.); au lieu que le ministre du culte catholique n'est que le ministre de son culte. La puissance publique protège ce culte comme tous les autres, mais ce n'est point de cette puissance que le prêtre tient le droit d'exercer le pouvoir purement spirituel que lui donne son saint ministère; il le tient de la volonté de ceux qui, en adoptant le culte catholique, se confient à la direction du prêtre choisi pour être leur pasteur. Or, on ne peut sans heurter tous les principes, qualifier de fonctionnaire public celui qui n'a qu'un pouvoir purement spirituel dont l'exercice précaire est subordonné à la volonté des citoyens toujours libres du choix de leur culte.

Le caractère distinct du fonctionnaire public est l'indépendance de la volonté individuelle: il réside dans l'obligation des particuliers, forcés de le reconnaître en vertu de la loi. Quiconque n'a de puissance que sur ceux qui s'y soumettent volontairement, et qui pourraient s'y soustraire, n'est que le fontionnaire de ceux qui l'emploient, n'est qu'un fonctionnaire privé. (Applau dissements.) Or, tels sont constamment les ministres du culte catholique: on ne doit, on ne peut donc pas les qualifier de fonctionnaires publics. Le titre de ministres du culte catholique, salariés par l'Etat » est donc le seul qui leur convienne.

Il faut bien peu connaître la dignité de leurs fonctions pour imaginer que d'une qualification purement civile dépende la considération dont jouissent les ministres du culte catholique. Sous

quelque nom qu'on les désigne, la nation n'oubliera jamais ce qu'elle doit aux prêtres citovens; mais on peut être reconnaissant sans trahir la vérité, sans violer les principes.

Je conclus à ce que l'article 15 soit entièrement adopté. (Applaudissements.)

Plusieurs membres: Aux voix l'impression du discours!

Un membre: L'Assemblée nationale, en décrétant l'impression du discours de M. Lamourette, a préjugé qu'on ne devait point prononcer aujourd'hui sur le principe en son entier. Je demande que l'Assemblée décrète l'impression du discours de M. Gohier et l'ajournement de l'article à demain.

(L'Assemblée, consultée, ordonne l'impression et la distribution du discours de M. Gohier.) Plusieurs membres : L'ajournement de l'article å mercredi!

- La

Voir diverses: Fermez la discussion! question préalable sur l'ajournement! (L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion d'ajourner l'article à mercredi.)

Voix diverses: Aux voix l'article! tion préalable sur l'article! - Fermez la dis- La quescussion!

(L'Assemblée ferme la discussion sur l'article.) Plusieurs membres Aux voix l'article!

Un membre: Je demande la division des différents paragraphes de l'article.

Plusieurs membres : La question préalable sur la division!

M. Cambon. La division est de droit; on ne peut délibérer à la fois sur trois paragraphes. (Murmures.)

Un membre: Cet article renferme trois dispositions. Je demande que l'Assemblée en adopte deux et rejette la troisième. Je suis d'accord que les mots : « Constitution civile du clergé » sont à retrancher, puisque cette classe a été retranchée de la Constitution; mais j'observe que vous ne pouvez pas retrancher les mots « fonctionnaires publics à moins que vous ne révoquiez les lois en vertu desquelles les personnes désignées sous le nom de fonctionnaires publics ont été élues et pourvues de leurs places. Je demande donc la suppression du dernier paragraphe.

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M. Cambon. Le premier paragraphe de l'article est absolument inutile puisque la disposition qu'il renferme est décrété dans le premier article. (Bruit.) P urquoi voulez-vous annuler le serment du 27 novembre? C'est au peuple qu'il existe une différence. Voilà ce pour faire croire qu'il ne faut pas...

Plusieurs membres : La discussion est fermée ! M. Cambon. Vous allez mettre le feu dans le royaume. (Murmures.) La Constitution est perdue; tout est annulé. Je demande la radiation du premier objet de cet article. (Bruit.)

M. Dubois-de-Bellegarde. Je demande la question préalable sur le tout. C'est un piège abominable qu'on vous tend. (Il s'élève un grand tumulte; l'Assemblée reste plusieurs minutes dans une vive agitation.)

M. Merlin. Je vous demande la cause des troubles terribles qui dévastent l'Empire, et dont le tableau effrayant est tous les jours sous vos yeux. C'est aux prêtres non assermentés qu'il faut évidemment les attribuer. - Ils sont donc

vos plus cruels ennemis; leur amitié ne se regagne pas à force de bienfaits, la rancune de prêtre est éternelle. (Vifs applaudissements dans les tribunes.) Ils seront donc toujours vos ennemis; décrétez aujourd'hui que le serment que vous exigez d'eux est different que celui prêté par les prêtres assermentés; décrétez qu'ils pourront, avec le serment purement civique, rentrer dans leurs fonctions, vous perdez les prètres assermentés sans espoir de regagner les autres.

Je vous le prédis, leurs relations avec les citoyens ont tant de connexité, que formant un parti terrible contre vous, ils engloutiront la Constitution dans le gouffre que creusent sous vos pas les mécontents. J'invoque l'ajournement de l'article. (Bruit.)

Un membre: Je demande l'ajournement indéfini.

Plusieurs membres : Il a été rejeté.

Un membre: On a rejeté l'ajournement à mercredi, mais pas l'ajournement indéfini. M. Vergniaud. Je demande la priorité pour l'ajournement indéfini, et voilà mes motifs :

On ne peut pas réclamer la priorité pour la question préalable parce que ce serait, en quelque sorte, préjuger la question d'une manière définitive, et que l'Assemblée ne me parait pas vouloir prendre un parti en ce moment. (Non! non! Oui! oui!) Nous nous occupons dans ce moment d'une loi répressive contre les délits que fait commettre le fanatisme; il faut donc que les mesures que nous allons prendre ne donnent pas occasion au fanatisme de commettre de nouveaux délits. (Applaudissements.)

Il n'est pas question en ce moment de discuter sur les principes qui viennent de vous être suffisamment développés, et je ne crois pas qu'il s'élève dans la raison de chacun de nous le moindre nuage à cet égard. Mais il s'élève une grande question de fait, c'est de savoir, si en consacrant aujourd'hui les mêmes principes, vous ne donnez pas lieu, comme je viens de le dire, au fanatisme de secouer ses torches. (Applau dissements.)

Je vous observe encore, Messieurs, que la rédaction de cet article tient à la réformation d'une grande partie des lois recueillies sous le nom de constitution civile du clergé. Peut-être est-il vrai de dire que les ministres du culte salarié sont encore fonctionnaires publics, puisbliques. Vous ne pouvez pas maintenant adopter qu'en effet ils exercent quelques fonctions pucet article, sans ordonner cette réformation, et si j'avais obtenu pour cela la parole, j'aurais indiqué les réformes à faire. Mais que faut-il faire aujourd'hui? Comme il y a une liaison essentielle entre l'article qu'on vous propose et la réformation des lois sur le clergé; comme la réforme des lois du clergé n'est pas une mesure répressive et qu'elle n'est pas nécessaire en ce moment, qu'elle pourrait être dangereuse, la seule mesure que vous puissiez adopter est l'ajournement de cette discussion jusqu'au moment où l'on revisera les lois de la constitution civile du clergé. (Applaudissements.)

M. le Président. Voici l'état de la discussion. M. Cambon demande la radiation du premier objet de cet article; un autre membre la suppression du dernier paragraphe. M. Dubois-de-Bellegarde la question préalable sur le tout et M. Merlin l'ajournement indéfini. Je mets d'abord aux voix la priorité sur l'ajournement demandé par M. Vergniaud.

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