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Messieurs, le roi avait le droit de refuser sa sanc tion, et vous devez respecter sa decision à cet égard; mais je crois que ce serait attenter à la Constitution que de permettre que les motifs du roi fussent expliqués dans cette Assemblée. La Constitution, Messieurs, s'explique d'une manière nette et claire sur cet objet. Elle donne au roi la faculté d'apposer son veto suspensif, mais non point de l'expliquer. (Murmures.) Le consentement du roi est exprimé par ces mots, par cette formule signée du roi : le roi consent et fera exécuter. Le refus suspensif doit être expliqué par ces mots le roi examinera. Je dis donc que dans ce moment-ci où le ministre vient expliquer les motifs de la suspension du roi, au nom du roi, je dis que ce n'est point là un objet de son administration, et il ne peut pas être entendu làdessus. Je dis qu'il vient s'expliquer au nom du roi, la Constitution s'y oppose. (Non! non! Si! si!) car les messages du roi doivent être signés par le roi lui-même.

Il est bien difficile que l'Assemblée se détermine sur cette question, si c'en est une à décider, sans entendre le pour et le contre. (Murmures.) C'est de très bonne foi que je présente à l'Assemblée, et par amour et par zèle pour la Constitution, que je propose à l'Assemblée mon opinion, mes doutes, et je dirai presque mes certitudes. D'ailleurs tout le monde a la faculté de la combattre. Je dis donc qu'il est très important que les motifs explicatifs de refus d'une sanction ne soient pas communiqués dans l'Assemblée, parce qu'un article formel de la Constitution s'y oppose. (Murmures.) Ce motif-là est propre à déterminer l'Assemblée. Si cet article pouvait faire ici l'objet d'une discussion, s'il était nécessaire de prouver que ce que la Constitution a dit, elle a dù le dire, et que cet article est le résultat d'une délibération extrêmement sage et nécessaire pour maintenir la confiance publique dont les représentants de la nation doivent être environnés, j'entrerais en matière. Mais je ne crois pas devoir occuper à cela des moments aussi précieux que ceux-ci. Je conclus donc à ce que M. le ministre de la justice soit entendu sur les questions de son administration, mais que tout discours de sa part qui tendrait à expliquer à l'Assemblée les motifs suspensifs du roi, ne lui soient point communiqués ni exigés par elle. Voici la Constitution. L'article 4 porte: Le roi est tenu d'exprimer son consentement ou son refus sur chaque décret, dans les deux mois de sa présentation. Or, cet article énonce la nécessité dans laquelle le roi est d'exprimer son consentement où son refus dans les termes qui sont contenus dans l'article 3. Or, l'article n'exprime point que le roi expliquera les motifs de sa suspension, mais que son refus sera exprimé par la simple formule : le roi examinera. Je demande donc que le ministre de la justice ne soit pas entendu.

M. Gérardin. Les actes de la correspondance du roi avec le Corps législatif sont toujours signés par le roi et contresignés d'un ministre. La loi ne reconnait pas d'intermédiaire entre le Corps législatif et le roi. Si l'acte de correspondance est signé du roi et contresigné par un ministre, les formes constitutionnelles sont remplies. C'est à M. le Président de lire, et c'est au ministre à être responsable du contenu de ce qu'il peut y avoir dans la correspondance. Je fais donc la motion expresse, si les formes constitutionnelles ont été observées, que l'acte soit lu par M. le Président.

M. Cambon. En appuyant la motion de M. Re

boul, je crois que les principes de notre Constitution exigent, d'une manière impérieuse, que le roi fasse connaître son consentement ou son refus par les formules pures et simples portées dans la Constitution.

Le roi, Messieurs, n'a point l'initiative des lois, c'est un fait constant par la Constitution. Les représentants du peuple font des décrets, ils deviennent lois lorsqu'ils sont revêtus de la sanction du roi. Messieurs, nos ennemis ont en ce moment la preuve la plus imposante que le roi est libre, au milieu de ses peuples; même de résister au vœu général, il vient de mettre un veto sur un décret très important. (Applaudissements.)

Je m'applaudis de cet acte de représentant qu'il vient d'exercer, c'est la plus grande marque d'attachement qu'il ait pu donner à la Constitution. (Applaudissements.) Il faut croire que l'acte que nous avons porté a besoin de revision; mais, Messieurs, quels sont les principes de la Constitution?

Si le décret que nous avons porté était vicieux, s'il n'avait pas été précédé d'un décret d'urgence, ce serait à nos successeurs à les vérifier. (Murmures.) Je répète que s'il n'y avait pas eu urgence, ce serait à nos successeurs, et non pas à nous, à l'examiner; conséquemment, ce ne serait point à nous que les observations devraient être portées. Nous ne nous mêlerions plus de cet acte, il serait totalement étranger à notre législature; mais il ne faut pas que les motifs du roi influent sur la décision de la législature prochaine. Ce n'est pas à vous seulement que ces motifs sont portés; ils seraient une initiative sur la décision de nos successeurs, et c'est ce qu'il faut empêcher. Il faut que nous conservions les pouvoirs bien distincts et séparés, que nous les conservions dans toute leur intégrité. Voilà, Messieurs, quelles sont les raisons qui me déterminent à appuyer les motifs de M. Reboul. Le roi exercerait une initiative s'il donnait les motifs de son refus, qui, je n'en doute pas, sont puisés dans la Constitution. Mais nous n'avons pas motivé notre décret, il ne doit pas motiver son refus. Je persiste donc à demander que les motifs ne soient pas connus.

M. le Président. M. le ministre de la justice demande à faire une observation, mais j'ai l'honneur de lui faire remarquer qu'il ne peut pas faire une observation sur la question qui se discute en ce moment, car ce serait opiner.

M. Duport, ministre de la justice. C'est sur un point de fait que je veux parler et pour donner des renseignements. Je ne traiterai point la question sur laquelle les préopinants se sont expliqués, je n'ai pas l'honneur d'être membre de l'Assemblée.

Je préviens seulement l'Assemblée que dans le moment où j'ai demandé la parole, je ne me proposais pas d'entrer dans la discussion ou l'examen de la loi, ce n'était pas du tout les motifs du message du roi.

Je voulais énoncer les mesures que le roi a prises, et qui mèneront peut-être au but que vous voulez atteindre par votre décret, sans avoir une exécution aussi rigoureuse. J'ajoute que lorsque la Constitution a déterminé la formule de sanction de la part du roi, elle n'a pas entendu régler la correspondance entre le Corps législatif et le ministère.

M. le Président. Oserai-je, Monsieur le ministre...

Plusieurs membres avec indignation: Oserai-je ! M. le Président... vous représenter que je crois que c'est opiner dans la question.

Plusieurs membres: Osez ! osez, Monsieur le Président, la loi vous y autorise!

M. le Président. Je crois, Monsieur, que le peu de mots que vous avez dits, rentre dans la question qu'agite l'Assemblée. Je vais donner la parole à celui des membres qui l'a demandée. Parlez, Monsieur Rouyer.

M. Rouyer. M. Gérardin a parfaitement développé mon opinion et je n'y reviendrai pas. Je dirai seulement, à l'appui des observations des préopinants, que deux raisons bien fortes militent pour ne pas entendre le ministre. La première est celle qui a été donnée par M. Cambon, c'est que le roi ne doit pas exercer l'initiative sur les lois, et je soutiens que, quand même il l'aurait, nous ne devrions pas entendre le ministre de la justice, puisqu'il vous a dit que les explications qu'il veut vous donner ne sont pas contresignées par le roi.

Plusieurs membres demandent la parole. D'autres membres : L'ordre du jour ! (L'Assemblée, consultée, passe à l'ordre du jour.) Plusieurs membres réclament contre cette décision.

M. Delacroix. Je demande que l'on donne à ceux qui doutent la satisfaction d'une nouvelle épreuve.

(Après une nouvelle épreuve, l'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. le Président. M. le ministre de la marine demande la parole.

M. Bertrand, ministre de la marine. Je n'ai plus rien à dire; je voulais observer que le message dont nous étions chargés, avait uniquement pour objet d'instruire l'Assemblée des mesures

M. le Président. Au milieu de ce tumulte, je demande moi-même la parole. La Chambre a passé à l'ordre jour, j'ai déclaré que je maintiendrai de toutes mes forces cette décision. M. Goujon demande à parler contre moi; comme je ne dois pas être juge dans ma propre conduíte, je lui accorde la parole.

M. Delacroix. Je demande que l'Assemblée soit consultée : c'est une ruse pour enchaîner la majorité par une très petite minorité.

(L'Assemblée décide que M. Goujon ne sera pas entendu.)

M. Brua. Je vais continuer la lecture de l'arrêté du directoire du département du HautRhin (1).

Un membre: Cet arrêté ne renferme aucune disposition bien particulière; j'en demande le renvoi au comité de législation.

(L'Assemblée renvoie l'arrêté du directoire du département du Haut-Rhin au comité de législation.)

M. Veirieu, chargé, au nom du comité de législation, de faire un rapport sur les troubles attribués aux prêtres non assermentés, se présente à la tribune.

M. Gérardin. Je demande à faire une motion d'ordre, qui consiste à ce que le projet de décret sur les prêtres séditieux soit imprimé avant d'être mis en délibération. (Oui! oui!)

M. Delacroix. Ce que M. Gérardin demande n'est que l'exécution du décret d'hier. Je ne crois pas que l'Assemblée puisse se dispenser d'or donner l'impression préalable du projet de décret. Mais aussi, je pense qu'il faut aujourd'hui en faire la lecture, afin qu'avant d'en ordonner l'impression, l'Assemblée en ait connaissance.

M. Chabot. Je demande que, conformément au décret rendu hier, M. ministre de l'intérieur

que le roi a prises relativement aux émigrants. qui est ici, nous donne des renseignements sur (Murmures.)

Un grand nombre de membres : L'ordre du jour! M. Delacroix. Je réclame l'exécution du décret par lequel l'Assemblée passe à l'ordre du jour. M. Dumolard. Je demande à lire un article de la Constitution.

M. Delacroix. J'insiste pour que l'on passe à l'ordre du jour et je demande que l'on continue la lecture de l'arrêté du département du HautRhin.

Un membre: Je demande que le ministre soit tenu de rendre compte des mesures prises relativement aux émigrants.

M. le Président. Il y a un décret qui ordonne que l'on passera à l'ordre du jour; je déclare que je le ferai exécuter. (Murmures prolongés et réclamations dans la partie droite de l'Assemblée.)

M. Goujon. Monsieur le Président, je demande la parole contre vous.

M. Merlin. Je demande, Monsieur le Président, que vous fassiez noter, au procès-verbal, tous ceux qui interrompent.

Plusieurs membres à droite insistent pour avoir la parole.

M. Delacroix. A l'ordre! Respectez l'opinion de la majorité!

M. Basire jeune. A l'Abbaye! Voix diverses: A l'ordre du jour! tution est sans cesse à l'ordre du jour !

La Consti

l'affaire du Calvados.

Un commis des bureaux remet un papier à M. Delessart, qui prend la parole immédiatement après.

M. Delessart, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, il vient de m'être remis une expédition en forme d'un décret, dont l'article 3 porte que le ministre de l'intérieur rendra compte demain à 11 heures, des renseignements qu'il a sur les faits énoncés au procès-verbal du conseil général de la commune et du directoire du district de la ville de Caen, et des mesures qui ont été prises pour arrêter les troubles dans le département du Calvados. J'observerai, pour la forme, que cet article-là se trouvant inséré dans un décret qui est susceptible de sanction, ne serait rigoureusement lui-même exécutable, qu'après que le décret aurait reçu lui-même la sanction. Néanmoins, étant extrêmement empressé de satisfaire au désir de l'Assemblée, je vais avoir l'honneur de lui rendre compte de ce que je sais sur cette affaire.

J'ai reçu une seule lettre du directoire du département du Calvados, qui m'annonce, d'une manière peu circonstanciée, les événements dont l'Assemblée s'est occupée. Il paraît même que le directoire n'en connaissait pas la cause. Il savait qu'il y avait des troubles; mais il n'y avait pas de procès-verbaux faits sur les lieux, de manière qu'il était fort incertain et des effets et de la cause

(1) Voy. ci-dessus, p. 26, la teneur de cet arrêté.

qui les avait produits. Le directoire mande que la ville de Caen se trouve dépourvue de forces suffisantes pour en imposer aux malveillants et aux perturbateurs du repos public. Il demande que des troupes de ligne soient envoyées; il me mande dans cette même lettre qu'il en écrit une pareille au ministre de la guerre. J'en ai conféré avec lui; il s'occupe, en effet, de donner à la ville de Caen les troupes nécessaires pour y maintenir l'ordre et la paix.

Voilà, quant à moi, quel est l'état de cette affaire. Jusqu'à ce que j'eusse reçu des éclaircissements ultérieurs, je n'avais point d'autres ordres à donner, sachant surtout que cette affaire était sous les yeux de l'Assemblée, et qu'elle devait s'en occuper.

M. Rouyer. Je demande à relever une erreur de fait. Le ministre de l'intérieur vous a annoncé que, suivant les formes, l'article qui lui était communiqué devait être sanctionné (Murmures.); mais que, par le désir qu'il a de répondre aux vœux de l'Assemblée, il s'empresse d'y répondre tout de suite. Et moi je dis à l'Assemblée, et je réponds au ministre de l'intérieur qu'il ne connaît point les formes... (Murmures.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Rouyer. Je soutiens, moi, que les décrets relatifs aux ministres ne sont point sujets à la sanction, et que M. le ministre a tort d'avancer une pareille erreur.

Je vous prie, Monsieur le Président, de vouloir bien insérer dans le procès-verbal mon observation.

Plusieurs membres : Le ministre n'a pas dit cela.

M. Delacroix. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour puisque le ministre a satisfait à la loi.

M. Bonnet-de-Meautry. M. le ministre de l'intérieur demande un supplément de troupes de ligne pour maintenir la tranquillité de la ville de Caen. Je dirai que le directoire et la municipalité ne sont pas toujours d'accord sur les moyens à employer pour ramener le calme. Je vous observe qu'ayant été maire de cette ville, je connais parfaitement l'esprit des habitants, et je sais que, dans différentes circonstances, ils n'ont point demandé de troupes de ligne; que quelquefois même ils s'y sont refusés, et que nous avons été en députation, pour dire que nous ne demandions point de troupes de ligne.

En conséquence, je demande que la municipalité de Caen, qui est spécialement intéressée au maintien de l'ordre, et qui connait mieux que le directoire la manière de le maintenir, soit consultée avant d'envoyer des troupes. (Murmures.) Plusieurs voix: L'ordre du jour!

M. Veirieu, au nom du comité de législation. Le rapport que votre comité de législation vient soumettre à votre sagesse...

M. Fauchet. Il a été fait une motion: elle est appuyée.

Plusieurs membres : L'ordre du jour !

sider, je ne puis pas présider. (L'Assemblée est dans une vive agitation.) Je consulte l'Assemblée pour savoir si M. Fauchet sera entendu. Plusieurs membres Il y a doute.

:

M. le Président. Je vais renouveler l'épreuve, mais, auparavant, je rappelle à l'ordre le membre que je ne connais pas et qui vient de dire : Allons donc! Monsieur le Président. »

[L'épreuve est renouvelée et l'Assemblée décide que M. Fauchet sera entendu.— (Applaudissements dans les tribunes.)]

M. le Président. Je rappelle les tribunes au respect qu'elles doivent à l'Assemblée et je les prie de garder le silence.

M. Fauchet. J'observe qu'il importe infiniment pour la tranquillité du département du Calvados et de la ville de Caen en particulier, que, ce ne soit pas sur la motion du directoire du département que des troupes soient envoyées dans ce pays-là pour y rétablir l'ordre. Le directoire du département, quant à sa majorité, est depuis longtemps infiniment suspect à tous les citoyens de ce département. On a dû observer que la majorité des membres du département n'a pas voulu signer le procès-verbal qu'ils connaissaient très bien, quoiqu'ils aient écrit à M. le ministre de la justice qu'ils ne le connaissaient pas. Il est de fait qu'ils avaient assisté avec tous les autres corps administratifs à l'assemblée générale qui fut tenue à la maison commune. C'est un mensonge évident; mais je ne m'arrête pas à cela. (Murmures.) Plusieurs membres La charité! la charité, Monsieur l'évêque!

M. Fauchet. Le directoire a été adroitement composé de membres ennemis de la chose publique; voilà les hommes sur qui on veut s'en rapporter.

Au moment que l'on fit le tirage, on a reproché à ces mêmes administrateurs d'en avoir introduit 11 au lieu de 8, et qui étaient tous infiniment déplaisants au public."

Il est bon de savoir que les citoyens qu'ils appellent perturbateurs, sont tous ceux qui sont amis de l'ordre et de la Constitution, et qui cherchent à la maintenir. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. le Président. Je rappelle les tribunes à l'ordre.

M. Fauchet. Le procureur général syndic de ce département est particulièrement l'objet non seulement des animadversions, mais encore de la haine publique de tout le département. (Nouveaux murmures.) Oui! oui! Vous verrez que son nom ne sera pas étranger aux renseignements que

vous recevrez.

Un des vicaires du Calvados, se trouvant à Caen au moment de l'insurrection, a cru trouver un refuge dans le département. Qu'y a-t-il rencontré? Il y a trouvé une garde de 150 hommes, composée de nobles, qui étaient là pour monter la garde en faveur de leurs amis du directoire du département. Voilà de quoi il est composé. Des hommes tels que ceux du directoire troubleraient l'ordre et tyranniseraient les bons citoyens. Ce sont les ennemis de la Constitution, et c'est sur leur demande qu'on enverrait des troupes? Je ne doute point du patriotisme des troupes, mais subordonnées au département, qui leur donnerait des ordres. (Murmures prolongés.) Dans d'autres circonstances, le département a demandé l'éloignement du régiment d'Aunis, dont la muM. le Président. Si tout le monde veut pré-nicipalité était très satisfaite, et dont le patrio

M. Fauchet. On ne peut passer à l'ordre du jour sur un objet aussi important, d'où dépend la tranquillité de la ville de Caen. (Il court vers la tribune et y monte.)

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Voix diverses: A l'ordre! à l'ordre! Laissezle parler!

[Assemblée nationale législative.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 novembre 1791.]

tisme était bien connu. Le régiment a été retiré,
et c'est ce moment qu'on a choisi pour exciter
des troubles.

Le courrier dont vous avez ordonné hier l'en-
voi n'est pas parti; je ne sais pas pourquoi.

Je prie l'Assemblée d'ordonner provisoirement qu'il ne sera point envoyé de nouvelles troupes à Caen jusqu'après des nouvelles ultérieures. La garde nationale de Caen est assez forte; son patriotisme est à l'épreuve; il n'y a rien à craindre. (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Delessart, ministre de l'intérieur. Je demande à éclaircir deux faits : l'un, c'est que je dois dire, pour rendre hommage à la vérité, que le directoire du département du Calvados a demandé, avec la plus grande instance, que le régiment d'Aunis restât à Caen; il a fait là-dessus les sollicitations les plus pressantes. Le besoin du service a exigé que ce régiment en fût retiré; et on ne peut pas dire qu'il a désiré que ce régiment s'éloignat, puisqu'au contraire il n'a cessé d'écrire et de demander avec instance qu'il y restat.

L'autre fait est relatif au départ du courrier que j'apprends que l'Assemblée nationale a déterminé. Je ne connais pas le décret qui porte l'envoi du courrier; je ne l'ai point, et jusqu'à ce que je l'aie, je ne pourrai point envoyer de courrier.

M. Delacroix. Je ne crois pas qu'il soit possible à l'Assemblée nationale d'accueillir la proposition qui lui a été faite par un député du Calvados et qui a été appuyée par M. Fauchet, de suspendre l'envoi des troupes qui ont été requises par le directoire de département. Si vous suspendiez l'envoi des troupes, vous mettriez le ministre à l'abri de la responsabilité. Il ne faut pas que l'Assemblée prenne un parti sur cet objet. Nous ne devons point nous mêler d'expliquer les intentions du directoire. C'est l'affaire du pouvoir exécutif d'envoyer des forces sous la responsabilité du ministre. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

M. Basire jeune. L'ordre du jour est la sûreté des bons citoyens. Je demande la question préalable sur l'ordre du jour.

(L'Assemblée, après quelques débats et un long tumulte, rejette la question préalable à une très grande majorité, et passe à l'ordre du jour.)

M. Viénot-Vaublane, qui présidait, se retire.
M. Ducastel, ex-président, occupe le fauteuil.

PRÉSIDENCE DE M. DUCASTEL,
ex-président.

M. le Président. L'ordre du jour est un rap-
port du comité de législation sur les troubles occa-
sionnés
par les prêtres non assermentés.

M. Veirieu, au nom du comité de législation (1). Messieurs, les objets que votre comité de législation vient soumettre à votre sagesse présentent des rapports d'un ordre supérieur, et dignes, par leur haute importance, de la plus grave méditation.

(1) On verra plus loin que la lecture du rapport de M. Veirieu a été interrompue par la discussion relative au décret d'accusation à rendre contre M. Varnier. Dans les séances ultérieures, il est fait allusion à ce rapport, mais nulle part nous n'avons trouvé trace que la lecture en ait été achevée. Nous l'insérons en entier aux annexes de la séance. (Voir ci-après, page 42.)

31

Presqu'au même instant, et de plusieurs points de l'Empire, des pétitions nombreuses vous ont avertis des manœuvres turbulentes et des efforts séditieux de quelques prêtres ennemis acharnés de leur patrie. Votre comité de législation a jeté les yeux sur les tableaux affligeants de violences et de désordres que vous lui aviez prescrit de parcourir. Nous ne pouvons vous le dissimuler, Messieurs, il n'est point de moyens que ces prêtres perturbateurs n'emploient pour renverser, s'il est possible, la Constitution que nous avons juré de défendre, pour l'anéantir dans les horreurs d'une guerre civile. Insinuations perfides, mesures sinistres, propos séditieux, écrits incendiaires, calomnies contre la loi qui nous a arrachés à la servitude, désordres domestiques, insultes envers les autorités constituées, refus des sacrements par les curés non remplacés envers ceux qui ont acquis des biens nationaux, coalition de ces prêtres avec les ci-devant nobles, rebellion ouverte à l'installation des curés amis de la pureté de l'évangile, outrages sanglantes faits à ceux-ci, aux pieds même des autels, rassemblements formés devant les églises pour troubler le service divin, hordes de femmes égarées et séditieuses, curés chassés, poursuivis, assassinés, enfin citoyens aigris, armés par une haine fanatique et prêts à s'entr'égorger. Voilà, Messieurs, l'idée rapide et générale des maux qui désolent une partie de l'Empire français.

Quelle fureur sacrilège anime ces ministres d'un Dieu de douceur et de paix? Est-ce par intérêt pour le ciel qu'ils arment d'un poignard fratricide le citoyen contre le citoyen? Est-ce une querelle religieuse dont il faut prévenir les suites funestes ou une troupe de prêtres factieux dont la tranquillité sociale demande la répression et le châtiment? Quels sont les moyens de faire cesser les troubles qu'ils suscitent? Par quel frein réprimerez-vous ces hommes dangereux et turbulents?

Votre comité, Messieurs, a pensé que l'examen de ces questions éclaircirait notre marche, et qu'il dirigerait sûrement votre opinion vers le but où elle doit tendre dans des conjectures pénibles sans doute, mais incapables de détourner votre courage et d'affaiblir votre résolution.

Non, ce n'est pas d'une fausse et sanguinaire pitié que les troubles qui vous occupent tirent leur première origine; nous le déclarons solennellement. Nous n'enveloppons point dans notre pensée tous ceux qu'un même égarement entraîne. Plusieurs ignorent le crime affreux dans lequel on veut les faire tremper; mais nous devons vous le dire une politique ténébreuse couvre du voile de la religion un complet exécrable. Tous les conjurés ne sont pas au delà du Rhin. Il est aussi, dans le royaume, des ennemis violents de notre liberté, non moins ulcérés, non moins implacables; leur perfidie travaille dans l'ombre à aigrir les esprits, à empoisonner les cœurs, à égarer les meilleurs citoyens, à exciter les dissensions intestines et cruelles."

Les premiers de ces conjurés, sans moyens de réunion dans l'Empire, placés sous l'œil vigilant de nos municipalités, dispersés par l'activité de nos gardes nationales, sont allés sur une terre étrangère ourdir une trame de leurs complots. Les autres, toujours en rapport avec le peuple des campagnes qu'ils gouvernent, toujours couverts de l'inviolable manteau de leur ministère, n'ont pas eu besoin de chercher sous un autre ciel un asile propice à leurs projets criminels; c'est au milieu de l'Etat, c'est dans son sein

même qu'ils ont pu conjurer et qu'ils conjurent | sa perte.

Eh! Messieurs, est-ce l'esprit de la religion qui peut les entraîner dans cet égarement déplorable? mère de la paix et de la vertu, la religion commande-t-elle la sédition et les forfaits?

De bonne foi, quel tort fait à la religion la réforme extérieure du clergé ? Que l'on nous dise si nos lois se sont souillées par aucune altération de dogmes, et si elles ont détruit la forme du culte et l'antique lithurgie. Non, Messieurs, nos lois sont sages, elles ont rappelé le sacerdoce à sa pureté, à sa dignité originelle. Mais ce n'est pas ce que voulaient ces hommes corrompus par l'opulence et pervertis par la domination. De tous les temps le sacerdoce voulut planer sur l'Empire, de tous les temps Rome mit l'univers à contribution, de tous les temps sa puissance théocratique enchaîna et fit trembler les peuples et les rois.

Så grandeur temporelle n'est plus, les scandaleuses richesses de ses ministres sont dispersées. Voilà la source de cette étrange coalition, le nœud de cette double ligue féodale et sacerdotale, la cause de ces orages désastreux qui grondent dans quelques-uns de nos départements.

Vous le concevez donc comme nous, Messieurs, ces mouvements n'ont pas pour objet réel la « liberté des cultes ». La liberté des cultes est déjà établie, elle existe par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle est garantie par la Constitution, ces insurrections prétendues religieuses ne sont donc qu'un système impie de révolte et de sédition.

Mais ce que l'on n'a peut-être pas remarqué encore, c'est la correspondance qui règne entre cette branche de conjuration et celle que vous avez frappée ces jours derniers avec cette vigueur de caractère qui annonce si bien la sécurité, l'énergie et les forces d'une grande nation. Combinez, Messieurs, les époques, rappelez les circonstances, le rapprochement vous révélera les sinistres et profonds secrets de nos ennemis.

Au moment où Avignon est devenu de nouveau le théâtre de la fureur et du carnage, c'est lorsque vous apprenez que toutes les parties de l'Empire s'échappent et font frémir sur les bords du Rhin tous ces illustres mécontents qui veulent tout embraser et réduire en cendres, c'est alors qu'une foule de prêtres forcenés soufflent dans l'intérieur le feu de la guerre civile et préparent des poignards; ces mouvements corrélatifs sont les résultats d'un effort caché et commun, ces soulèvements sont les essais de leurs forces combinées, ces tentations criminelles sont l'expérience de ce qu'ils pourront enfin oser. C'est à votre prudence à mesurer d'un œil tranquille tous les périls de l'Etat pour les prévenir et pour les faire échouer, c'est au courage fier et généreux d'un grand peuple à les attendre sans alarme; pour moi, je tire de tous ces faits la conséquence qui importe à votre délibération.

Ces prêtres factieux ne s'éloignent donc pas de nos temples pour des raisons de culte et de religion. Ces hommes impitoyables ne fomentent donc ces troubles que pour aider à renverser la Constitution qui blesse leur orgueil et qui détruit leurs richesses, ils veulent donc déchirer le sein de la patrie pour reprendre, dans les flots de son sang, et leurs domaines et leurs trésors.

Suivons-les, Messieurs, un instant dans leurs routes profondes et sinueuses. Remarquez avec

quel art ils marchent vers leur but odieux, et traînent avec eux les malheureux citoyens qu'ils égarent; ils ne vont pas, sous le chaume, dire au pauvre agriculteur que la suppression de la dime est un attentat sacrilège, une impiété damnable: ce langage démasquerait leur fourbe et leur hypocrisie. Pour colorer et propager leur révolte, ils osent la lier à un système prétendu religieux. Ils répandent que l'organisation civile du clergé est une entreprise séculière sur la discipline ecclésiastique, qu'elle rompt le lien commun des fidèles, et (ce qui dans leur sens est toujours identique) qu'elle blesse les droits de l'Eglise ou «l'intérêt du ciel ». De là, refus du serment prescrit par la loi du 26 novembre dernier; de là, ces anathèmes contre cette réforme salutaire et si longtemps désirée; de là, ces bulles répandues et les prédications pour tromper la religion du peuple; de là, les menaces des foudres du Vatican, jadis bravées par le despotisme et que la liberté éclairée redoutera encore moins; de là, ces terreurs insensées de tant d'hommes pusillanimes, lorsque, pour leurs intérêts personnels, les ministres du culte osent les menacer de l'indignation divine; de là, cette résistance opiniâtre au remplacement de quelques pasteurs, l'aveugle dévouement de tant de paroisses, capables de se manifester par des actes ouverts de rebellion, ces divisions locales et intestines d'autant plus cruelles, pour le vain, le fatal prétexte de la religion; de là enfin, Messieurs, les maux qui contristent l'humanité et le civisme, et qu'il faut réprimer par tous les moyens qui sont en notre disposition.

Mais quels sont ces moyens? où sont les remèdes convenables? après ce que je viens de vous dire, Messieurs, la recherche en sera moins difficile; votre comité vient de vous dévoiler la grande conjuration politique que cache la prétention de ces prêtres factieux. Il vous en a développé les nœuds, et si cette ligue odieuse ne vous offrait qu'une masse de coupables, votre comité...

M. le Président. Monsieur le rapporteur, je vous prie de suspendre.

J'ai l'honneur de prévenir l'Assemblée que l'officier de la gendarmerie, à qui l'ordre a été donné de conduire M. Varnier devant l'Assemblée, en vertu de son décret, demande à rendre compte de sa mission. Je consulte l'Assemblée.

(L'Assemblée décrète que l'officier sera entendu à la barre.)

L'officier de la gendarmerie. Messieurs, M. Varnier est sorti de l'hôtel de Louis-le-Grand ce matin à 8 heures et demie; on a fouillé dans l'hôtel, on n'a trouvé personne. L'on n'a pu indiquer à l'hôtel où il serait possible de le trouver. Plusieurs membres : Et les effets?

M. Lagrévol. Je demande que l'on envoie à la municipalité de Paris, afin qu'elle s'assure de la personne du sieur Varnier.

Un membre: Après la lettre dont on vous a fait lecture, un membre de l'Assemblée s'est transporté chez M. Bailly un quart avant 11 heures. M. Bailly a lu la lettre, et a dit qu'on lui présentait très souvent des lettres de ce genre-là, que, cependant, il allait envoyer un commissaire de police pour chercher après l'individu indiqué. Voilà, Messieurs, ce que nous avons cru devoir faire pour gagner une heure ou deux de temps; il était à peu près 11 heures lorsque M. Bailly eut la nouvelle.

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