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droite du Rhin, où elle blasphème contre notre sublime Révolution.

« Votre sagesse vient de se signaler encore en adoptant des mesures contre des séditieux qui, sous le masque d'une religion sainte, et au nom d'un Dieu de paix, aiguisent les poignards, appellent la guerre pour noyer leur patrie dans le sang. Ce décret sera-t-il encore frappé du veto fatal? Ce qui nous le ferait présager, c'est la circulaire de M. Delessart, en date du 31 octobre, et dont nous vous adressons copie collationnée, par laquelle, entre autres choses, il demande des renseignements particuliers sur les dispositions des esprits, sur ce qui est relatif à la constitution civile du clergé. Le motif de cette demande ne nous a pas paru problématique les effets qui doivent en résulter le sont encore moins; car déjà le district de Blois nous prévient que, d'après la lettre du ministre, des émissaires se transportent de maison en maison pour y mendier des signatures, à l'effet de présenter une certaine masse d'individus opposant au culte conformiste, et déjà sans doute ils calculent l'étendue des troubles qui pourraient seconder leurs desseins conspirateurs. Mais si, après avoir refusé de tarir la source du mal, le pouvoir exécutif hasarde encore une proclamation inconstitutionnelle, cet acte appellera votre sévérité.

"La disparité d'opinions religieuses ou autres, jouit dans nos contrées d'un libre cours notre vigilance maintiendra cette liberté d'opinions qui nous autorise à énoncer la nôtre sur la plupart des agents du pouvoir exécutif: insouciance ou perfidie, ils peuvent choisir. Qu'on ne nous accuse pas de nourrir des défiances funestes : c'est leur conduite qui les alimente; et nous dirons, avec un d'entre vous: que le royaume sera paisible le jour où le roi et ses ministres le voudront. (Applaudissements.)

« Cette franchise austère déplaira sans doute aux ministériels qui, dans votre Assemblée, remplacent le côté droit. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et dans les tribunes.) Tandis que nous tressons votre couronne, nous les vouons à l'indignation contemporaine et future. Puisse ce langage exciter leurs réclamations pour mettre d'autant plus leur conduite en évidence.

«Le ministre de l'intérieur demande quelles sont parmi nous les dispositions des esprits? Législateurs, nos dispositions inébranlables sont de seconder vos travaux par tous les efforts de notre zèle, d'observer et de faire chérir les décrets émanés de votre sagesse, d'allier toujours avec la soumission due à la loi, la fierté qui convient à des Français, de surveiller tous les ennemis du bien public, de déjouer leurs complots, de démasquer les traitres, de faire pâlir les tyrans, de défendre la Constitution et la liberté ou de périr avec elle.

« Nous sommes, etc.

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M. Thuriot. Je demande l'impression de l'adresse et l'envoi d'une copie à M. Delessart. Plusieurs membres : La question préalable sur l'impression!

M. Jaucourt (1). Je demande l'impression de l'adresse parce qu'elle fixera très attentivement l'attention de la nation entière sur ses représentants, qui, dans ce moment-ci, ont plus besoin que jamais de toute la surveillance des bons citoyens, pour pouvoir se prémunir contre l'esprit de faction qui se développe, et contre cet esprit d'intérêts particuliers qui se couvrent astucieusement du masque imposant de l'intérêt public. (Applaudissements à droite.)

Plusieurs membres à gauche: La question préalable sur l'impression et la mention honorable! M. Gossuin. Je demande que toutes les adresses qui seront envoyées par les conseils des départements soient insérées au procès-verbal.

Un membre: Cette adresse, émanée d'une autorité constituée, attaque ouvertement la Constitution. Les administrateurs des départements sont limités à des fonctions purement administratives, et cependant ils se sont mêlés de critiquer l'usage que le pouvoir exécutif a fait d un droit qui lui est assuré par la Constitution. Je repousse la motion qui a été faite.

M. Aubert-Dubayet (2). J'appuie la demande d'impression, mais je m'oppose à la mention honorable de l'adresse, ce serait ici le moment de déclarer publiquement quelles sont nos opinions. Nous sommes placés au côté droit, il est vrai... (Murmures à gauche.)

M. Merlin. On n'entend que les professions de foi des hérétiques. Je demande que la discussion soit fermée.

M. Aubert-Dubayet... Mais nous sommes aussi patriotes que vous. Il est important que la France sache qu'il n'y a pas d'aristocrates dans le sein de l'Assemblée nationale. (Les murmures couvrent la voix de l'orateur.)

M. Delacroix. Si l'on entend la profession de foi de M. Dubayet, il faudra aussi entendre celles de tous les autres membres du côté droit. Je demande que la discussion soit fermée.

(L'Assemblée, consultée, ferme la discussion.) M. le Président. Laissez-moi établir l'état de la délibération. M. Lecointre a demandé l'insertion de l'adresse au procès-verbal avec mention honorable. M. Thuriot a proposé l'impression. Enfin, on a demandé la question préalable sur toutes les motions. Je mets d'abord aux voix la question préalable sur le mode d'impression.

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion d'impression.)

M. le Président. Je mets aux voix la question préalable sur la motion de l'insertion de l'adresse au procès-verbal avec mention honorable.

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion d'insertion au procès-verbal avec mention honorable.)

M. le Président. Voici le résultat du scrutin pour l'élection du second grand procurateur de la nation. Sur 396 votants, M. Pellicot a réuni 326 suffrages, ce qui lui donne la majorité absolue. En conséquence, je le proclame grand procurateur de la nation.

(1) M. Jaucourt siegeait à droite.

(2) M. Aubert-Dubayet siégeait à droite.

Un membre: Je demande que le comité militaire soit chargé de faire le rapport de l'affaire des soldats de Châteauvieux.

(L'Assemblée fixe l'ajournement de ce rapport à mardi prochain.)

La discussion du projet de décret sur l'émission de nouveaux assignats est reprise.

M. Brissot de Warville. Messieurs (1), vous voulez donc enfin porter le flambeau de la discussion dans ce labyrinthe ténébreux des finances, où jusqu'à présent l'on n'a marché qu'à tâtons, et en se fiant aveuglément aux rapports de guides, que leur habileté ne devait pas cependant soustraire à un examen rigoureux. Vous voulez voir par vous-mêmes; c'est le moyen d'écarter les surprises, d'inspirer une grande confiance au peuple, qui ne vous a pas délégué ses intérêts, pour les déléguer à d'autres, et par conséquent c'est le moyen de maintenir lé crédit public. La pénible et délicate entreprise dont l'Assemblée précédente était chargée, la nécessité de donner presque toute son attention à la reconstruction de la machine politique, a pu la forcer souvent à adopter de confiance les calculs et les opérations de ses comités de finances: mais malheur à nous, si ce système imprudent, accueilli par la paresse, pouvait aussi nous endormir! Cet abandon de confiance entraînerait une défiance universelle, qui réfléchirait sur toutes nos opérations, et nous plongerait dans le mépris. Des législateurs qui adoptent de confiance, sont indignes de leur mission; car adopter de confiance, c'est adopter aveuglément, lorsqu'on doit n'adopter que par conviction; c'est fermer les yeux, lorsqu'on a fait le serment de les tenir ouverts sur tout; c'est provoquer les erreurs, les abus, les friponneries; c'est s'exposer à laisser gaspiller l'argent, les sueurs, le sang du peuple. Nous devons, Messieurs, nous qui n'avons plus qu'à préserver l'édifice de toute attaque, nous devons tout examiner et très scrupuleusement. Nous ferons moins, je le sais, mais nous ferons mieux. La nation n'attend pas de nous des volumes de lois, mais de bonne lois, et de bonnes lois ne sont jamais l'ouvrage, ni de la précipitation, ni de la confiance aveugle. Ce peu de mots doit servir de réponse à nos détracteurs, qui, dans la disette de prétextes pour nous décrier, calomnient jusqu'à la sage lenteur de nos décisions.

Ah! si la chose publique souffre, ce n'est pas de cette lenteur, mais bien de la lenteur de l'exécution de vos lois et des obstacles, ou secrets, ou manifestes qu'on élève contre elle; le peuple français est trop clairvoyant pour méconnaître la source et les motifs de ces lenteurs et de ces obstacles; il est trop juste pour vous les imputer. (Applaudissements.)

Vos divers comités vous ont proposé le 1er novembre une création de 300 millions de nouveaux assignats de 5 livres, vous avez seulement ordonné une émission de 100 millions et ajourné les autres propositions, et surtout celle qui rapport à la présentation d'un plan général de finances.

Depuis vous avez admis à la barre un de ces hommes que les amis du patriotisme et de la prospérité publique regretteront toujours de ne pas voir dans le sein de cette assemblée, un de ces hommes qui, ayant consumé toute sa vie dans

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée nationale législative, Dette publique, no 4.

1. SERIE. T. XXXV.

l'étude pénible des finances et du commerce, pouvait éclairer nos pas dans cette carrière. Son discours n'a point trompé votre attente et il doit d'abord fixer votre attention; car M. Clavière élève une question importante à laquelle, j'ose l'affirmer, est attaché le salut de l'Empire; question conséquemment dont la décision doit essentiellement précéder les propositions qui vous ont été soumises par vos comités.

Il vous a prouvé que l'état de la dette exigible et contentieuse était environné de ténèbres, que le produit des biens nationaux, destiné à rembourser cette dette, devait être considéré comme incertain.

Il vous a prouvé qu'en portant au degré le plus favorable l'estimation de ce produit, qu'en suivant les calculs de M. Montesquiou même, qu'en adoptant sa plus-value de 565 millions, on ne pouvait pas se flatter d'avoir plus de 100 millions au delà du total présumé par lui de la dette exigible et contentieuse; car, s'il a laissé, comme pour mémoire, des expectatives de rentrées qui grossiront le Trésor national, il n'a pu nous promettre d'en avoir dévoilé toutes les charges.

M. Clavière a tiré de ces faits incontestables la juste conséquence qu'il fallait dès à présent, et avant de jeter dans la circulation de nouveaux assignats, suspendre le payement de toute créance liquidée, jusqu'à ce que le total en fût parfaitement connu. (Murmures.)

Ce syllogisme m'a paru de la dernière évidence et devoir guider vos premiers pas.

Car, enfin, qu'est-ce qu'un assignat? la représentation d'une portion de biens nationaux.

Or, si les signes doivent toujours, pour inspirer de la confiance, être en nombre corrélatif avec les objets qu'ils représentent, il en résulte qu'à moins de vouloir discréditer les assignats, il ne faut pas en frapper au delà de la valeur des biens nationaux; il en résulte qu'il faut connaître cette valeur. Premier point.

Et d'un autre côté, puisque ces assignats doivent servir successivement à rembourser la dette contentieuse, il en résulte, que si l'on ne fixe pas d'abord le total de cette dette, on s'expose à frapper des assignats au delà de la valeur des biens nationaux, ou à cesser tout à coup des remboursements, en montrant un épuisément qui nous dénoncerait à l'univers comme étrangers aux premières notions de l'ordre, de la justice et de la prudence.

Il importe donc, si l'on veut conserver aux assignats le crédit qu'ils méritent de connaître : 1° le produit des biens nationaux qu'ils doivent représenter; et 2o le total de la dette contentieuse qu'ils doivent payer.

Sur le premier point, je crois avec M. Clavière que M. Montesquiou a, pour fixer le produit probable des biens nationaux, suivi la règle la plus simple et la plus sûre pour approcher le plus possible de la vérité. C'est une règle de trois qui détermine ses calculs, et cette règle repose sur une base assez naturelle. Il a supposé que les gens d'église, en se répandant sur la surface de la France, y avaient porté partout la même dextérité pour s'emparer des meilleurs biens, en en proposant le remboursement dans le ciel. Partant de cette donnée, il a cru pouvoir conclure du connu à l'inconnu, juger des biens à estimer par ceux qui étaient déjà estimés, apprécier les biens à vendre par ceux qui étaient déjà vendus.

Or, 414 districts sur 544 ont fait leur déclaration estimative. Il est très présumable que la déclaration des 130 districts qui restent en arrière,

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donnera un produit proportionnel aux 414 déjà connus, et c'est en s'appuyant sur cette probabilité que M. Montesquiou parvient à fixer le total de l'estimation des biens nationaux. Il en fixe ensuite la valeur probable, en élevant dans la proportion de 5 à 8 le produit de la vente par dela l'estimation; et l'expérience des ventes précédentes l'y autorise. C'est d'après ces calculs qu'il présente un compte de recette, montant à 3,500 millions, pour faire face à des remboursements qu'il élève à 3,400 millions.

Or, puisque M. Montesquiou a laissé des sommes considérables en arrière, pour faire face à toutes les omissions involontaires, et à tous les accidents qui pourraient se manifester à la charge de nos finances, puisque son compte présente

dans les biens nationaux 100 millions au delà de la dette, on peut, sans être accusé de démenti, croire que le gage des assignats répondra toujours aux créations nécessaires; on peut croire que l'état de nos finances est loin de ce désordre supposé par les ennemis de la Révolution.

Cependant, quelle que soit la justesse des calculs de M. Montesquiou et la bonté de ses bases présomptives, comme elles sont hypothétiques, on ne doit point hasarder uniquement d'après elles le destin de l'Empire; car ce destin est dans le sort de nos finances et de nos assignats. Sans doute, ses calculs sont très propres à rassurer les esprits inquiets, à nous inspirer une grande confiance; mais il serait imprudent d'y assujettir aveuglément l'émission successive des assignats; il serait imprudent de continuer à les prodiguer à l'extinction d'une dette encore plus inconnue que ne l'est le produit des biens nationaux.

Ce n'est pas qu'on doive adopter d'un autre côté les terreurs chimériques ou feintes d'un écrivain, qui démentant les espérances que la nation avait conçues de lui, s'est attaché à décrier dans son origine même la mesure des assignats, à laquelle la Révolution doit cependant son salut, et qui les poursuit encore aujourd'hui avec un acharnement suspect, si même il n'est pas coupable.

Eh! quelle confiance avoir dans des calculs fondés sur des ouï-dire de commis inconnus, sur des déclarations nécessairement inexactes, faites par des prêtres irrités, sur des défalcations exagérées à fantaisie? quelle confiance avoir dans un homme qui, pour affaiblir l'usage des assignats, en soustrait des domaines considérables, qui en font partie, qui décrie les assignats au moment même, où, de son aveu, leur nombre est encore bien inférieur à la valeur qu'il donne lui-même à leur hypothèque, qui fixe de faux revenus, pour avoir un bas produit du capital, qui, multipliant enfin les fausses estimations, les omissions et les mécomptes, ne substitue qu'un tableau faux et envenimé à un tableau vraisemblable de notre situation?

Aussi n'est-ce pas pour réfuter ces faux calculs, mais pour dissiper d'autres doutes du public qui n'est pas encore éclairé, qu'il faut inviter les divers comités des finances à se hater de les détruire, en présentant un tableau sévère et de la valeur des biens nationaux et de la dette contentieuse.

C'est ainsi qu'ils vengeront la précédente Assemblée de toutes les calomnies qu'on a répandues contre elle, qu'ils la vengeront de cette accusation de n'avoir pas, par impuissance, voulu rendre de comptes, et, par crainte, permettre qu'on examinat les comptes rendus par ses comités. Tous ses moments étaient comptés. Le

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Mais jusqu'à ce moment, Messieurs, jusqu'au moment où vos comités vous mettront à portée de connaître et le total de la dette et le total des biens nationaux, devez-vous continuer de payer les liquidations? devez-vous émettre des assignats au fur et à mesure qu'on vous présente ces liquidations à acquitter? Non, Messieurs, je ne Vous répéterai point les arguments, pleins de solidité, que M. Clavière vous a développés.

Il me semble qu'il vous a démontré d'une manière irrésistible que le bon ordre de vos finances, que la nécessité de maintenir le crédit des assignats, la nécessité d'être juste envers tous les créanciers, exigeaient de les connaitre toutes avant d'en payer une seule.

A ces motifs, je me permettrai d'en ajouter quelques-uns, puisés dans la nature même de la liquidation, dans l'intérêt du peuple et de ses créanciers.

La liquidation de la dette publique est le beau trait de la régénération politique d'un plus peuple qui redevient libre, et par le mot peuple, j'entends ici la partie pauvre du peuple, la partie la plus nombreuse et la plus étrangère aux propriétés et aux capitaux. 20 millions d'hommes n'avaient rien, ils gémissaient sous le joug ou de créanciers qui prêtaient à leurs tyrans, sous la condition que son sang leur serait affermé, ou d'officiers de toute couleur, qui payaient aussi le droit de le pressurer. Les 20 millions d'hommes regagnent leur liberté, reconquièrent leurs biens. A quoi les emploientils? est-ce à soulager leur misère, à diminuer la somme de leurs impôts? Non, c'est à payer les dettes de leurs tyrans, dettes que ce peuple n'avait point contractées, dettes contractées, tantôt pour river ses fers et enchaîner sa langue par la terreur, tantôt pour acheter, au prix de son sang et de sa misère, des triomphes qu'il ne pouvait célébrer que par ses pleurs. Ici, je le demande aux détracteurs du peuple: un tyran qui remonterait sur le trone, consentirait-il jamais à payer de son sang les frais de la prison? Ce n'est pas, Messieurs, et il ne faut cesser de le répéter à ceux qui blâmeraient notre économie, notre marche mesurée et graduelle dans le payement des liquidations; ce n'est pas l'homme du peuple qui va fouillant dans des paperasses centenaires, pour y trouver où forger des titres de créances illegitimes. Non, l'homme du peuple n'a pas même de paperasses; il a fait la Revolution, et content de se voir libre, il en laisse les fruits même à ceux qui la détestent.

C'est, en effet, dans la liquidation de la dette contentieuse, que la contre-revolution a eu le plus de succés. On l'avait créée, cette liquidation, pour la Révolution, elle a tourné contre elle; on l'avait créée pour la justice, elle a été la source d'injustices: on l'avait créée pour le peuple, elle n'a profité qu'aux grands ou aux riches. Eh! peut-on excuser cette précipitation avec laquelle on a remboursé les brevets de retenue, ces contrats odieux par lesquels un homme vendait une faveur qu'on lui retirait, vendait le droit de piller et de s'enrichir, dont il avait profondément

abusé; contrats par lesquels un courtisan saturé du sang du peuple, vendait à son successeur la facilité de s'en gorger à son tour; contrats contre lesquels la nation n'a cessé de réclamer, et dont les notables de 1617 avaient demandé la destruction par une loi fondamentale; et ces contrats ténébreux montaient à une somme de plus de 80 millions! Et ils appartenaient presque tous à des ennemis implacables de la Révolution! (Applaudissements.)

Comment n'a-t-on pas senti qu'il était absurde de payer, aux dépens du peuple, cette simonie ministérielle; qu'il était impolitique, en la payant, de fournir des moyens à ceux qui ne soupiraient qu'après sa destruction? On voulait donc acheter, à tout prix, la paix avec ces hommes avides? Mais comment n'a-t-on pas vu que cette faiblesse les rendait plus insolents, plus téméraires? Comment n'a-t-on pas vu dans ce payement, et celui de ces grands offices, dont le même motif a dicté le remboursement, comment n'y a-t-on pas vu l'exportation infaillible d'un numéraire précieux qui devait, à Worms ou à Bruxelles, servir au complot des réfugiés? Comment a-t-on porté la tendresse à leur égard au point de déclarer, par un décret particulier, que, chaque mois, on payerait trois millions pour les brevets de retenue?

Comment, au lieu de cette étrange sollicitude pour des harpies qui, depuis 12 siècles, rongeaient la France, n'a-t-on pas, au contraire, établi des règles pour rembourser promptement les créanciers de l'Etat, peu aisés, et qui ne réclamaient que de petites sommes, et pour ne pas rembourser si lestement des créances énormes, et souvent illégitimes à nos plus cruels ennemis? (Applaudissements.)

Comment, au mépris de toutes les règles de la justice, a-t-on entouré d'entraves les créanciers populaires, tandis qu'on aplanissait la voie aux créances patriciennes ?

Comment en abandonnait-on l'examen à un comité éternel, composé, je veux le croire, de patriotes intègres, mais que l'ennui, l'impatience, d'autres devoirs, d'autres affaires devaient distraire sans cesse, et qui prêtaient cependant la puissance de leur nom à des liquidations qu'ils n'avaient pas examinées et souvent même pas vues?

Comment décrétait-on en masse, et de confiance, des sommes prodigieuses après une lecture rapide des noms et des dates sans faire connaître les motifs, sans ouvrir, sans provoquer aucune discussion? Que dis-je? un volume entier à la veille de la dissolution de l'Assemblée, a été décrété sur la montre simple du volume.

L'Assemblée, me dira-t-on, était fatiguée, épuisée, elle redoutait jusqu'à l'ombre des calculs. Eh! quelle urgence y avait-il donc à lui faire décréter ce qu'elle ne pouvait entendre? La stabilité de la Constitution était-elle essentiellement attachée à la précipitation de liquidations ténébreuses? devait-elle être renversée, si l'on n'eût pas remboursé de leurs brevets de retenue, de leurs offices, quelques courtisans dont les forfanteries n'étaient que ridicules? N'était-ce pas, au contraire, le plus sûr moyen de consolider la Constitution, que d'examiner scrupuleusement les réclamations et de respecter les deniers du peuple?

Oui, le cœur de tout bon patriote a saigné plus d'une fois, en voyant ainsi dilapider dans l'obscurité les ressources d'un peuplé aussi généreux et aussi peu aisé.

Je veux, par impossible, qu'il y ait eu de la sévérité dans les examens du comité. La présomption était-elle suffisante pour prodiguer ainsi l'argent du peuple? ne fallait-il pas que l'Assemblée vit aussi par ses propres yeux? je dis plus, que le public vit par ses yeux; car le public aussi à le droit de suivre partout ses deniers. Toutes les liquidations n'ont-elles pas été couvertes des plus profondes ténèbres, malgré le décret qui ordonnait que tous les rapports de liquidations seraient imprimés et distribués huitaine avant d'être mis à l'ordre du jour?

Et cependant quelle partie méritait plus l'examen sévère du public? Dans quelle partie avait-on plus à redouter les suggestions de là cupidité et les faiblesses de l'intérêt vivement tenté? Dans quelle partie devait-on être plus en garde contre les jugements préparatoires du pouvoir exécutif? Il semble que les contradictoires s'étaient ici réunis à dessein! On mettait une grande lenteur dans la liquidation préparatoire, une grande célérité dans le jugement des motifs de la liquidation; lenteur dans la partie dont on payait les commis, célérité dans celle où l'on ne payait pas; lenteur dans la partie, qui, maîtresse de l'initiative, pouvait plus impunément par les délais martyriser les infortunés; célérité dans celle qui, accablée de trop de rapports à la fois, ne pouvait entendre personne; lenteur dans la liquidation qui ne décidait pas, célérité dans celle qui décidait; lenteur dans celle qui devait être suspecte; célérité dans celle dont le jugement portait sur des préparations souvent suspectes. Et malgré toutes ces contradictions qui devaient frapper les yeux, tout s'adoptait de confiance, soit aux degrés préliminaires, soit au degré définitif!

Ainsi l'agent supérieur de la liquidation, écrasé d'un énorme fardeau, adoptait de confiance le rapport de ses subalternes. Le comité estampait de confiance le rapport de liquidation, et l'Assemblée sanctionnait le tout de confiance; et 750 millions ont été ainsi liquidés dans un court espace de temps! 660 millions en sont déjà payés! combien de déprédations a pu causer une pareille confiance, ou plutôt une pareille insouciance?

J'en atteste celle que M. Clavière vous a citée, cette créance de 1,500,000 livres, qui date presque du commencement de ce siècle, et où tout est scandaleux réclamation, liquidation, vérification, sanctionnement et payement; comme il est facile de le démontrer, en lisant seulement les pièces.

:

Dans ce torrent de liquidations qui se précipitaient les unes sur les autres, précisément à l'époque de la solitude des séances, à peine a-t-on vu la résistance arrêter quelques-unes de ces créances que l'opinion publique avait frappées de son anathème.

Je le répète, ce fut un faux principe de générosité qui entraîna l'Assemblée nationale dans ce système de confiance. Entourée de débris, étonnée peut-être de tant de destructions, assiégée de plaintes, elle crut que la loyauté l'obligeait à rembourser promptement ceux qui avaient à se plaindre. Tel a même été l'excès de la complaisance, que des comptables ont reçu le prix de leurs charges sur un bref aperçu de leur situation envers le Trésor public, et en demeurant reliquataires.

Ainsi, tandis qu'un décret défendait aux receveurs de deniers, d'en retenir aucun en compensation de finance, de leur charge, on leur remboursait cette finance, sans retenir aucun denier! tandis qu'on déployait tous les moyens possibles

pour håter des remboursements dont on ignorait l'étendue, on laissait en paix les débiteurs de la nation! elle n'en connaît encore, ni le nombre, ni la somme déplorable erreur! funeste complaisance!

Sans doute, rembourser ce qui était légitimement dù était un acte de justice; rembourser avec célérité et sans examen, ce qui peut-être n'était pas légitimement dù, était une injustice envers le peuple. Examiner avec soin et payer avec fidélité était donc le seul moyen de concilier l'intérêt des créanciers et celui du peuple.

Mais puisque la nature des fonctions du corps constituant et l'immensité de ses travaux ne lui permettaient pas de fixer ses regards sur la dette contentieuse, d'en parcourir le dédale, puisqu'il ne pouvait que décréter de confiance, il devait abandonner à une législature occupée de travaux moins considérables une liquidation qu'il lui était impossible d'examiner.

Loin de nous l'idée de critiquer dans des intentions malignes (Murmures.) les travaux de nos prédécesseurs, je marque leurs fautes, j'en ai le droit, et je remplis mon devoir, et c'est pour nous les faire éviter. Dépositaires de la confiance du peuple, nous serions coupables d'y tomber en les connaissant.

Si donc la partie la plus nombreuse et la plus pauvre du peuple a sacrifié les biens nationaux à des dettes qui n'ont point été contractées, ni par lui, ni pour lui; si la facilité des liquidations a donné à ses plus cruels ennemis des moyens de lui nuire; si la célérité des liquidations a fait glisser, parmi les créances légitimes, des créances qui ne le sont pas; si les formes des liquidations, onéreuses aux citoyens peu aisés, ne sont avantageuses qu'aux riches, il est évident qu'on doit être religieusement économe des deniers nationaux; qu'on doit procéder avec la vigilance la plus sévère à l'examen des titres; qu'on doit rafentir les liquidations pour les riches; et les accélérer pour les pauvres. Il est évident enfin qu'aux formes ténébreuses qui enveloppaient les liquidations, il faut substituer des formes qui les exposent au plus grand jour.

Car, Messieurs, en suspendant le payement des liquidations, vous ne feriez le bien qu'à demi. Qu'importe de suspendre, si en définitive vous devez encore sanctionner aveuglément une foule de créances inconnues? en arrêtant le payement des objets liquidés, il faut donc éclairer la vérification des objets à liquider.

Toute liquidation parcourt trois degrés : examen du liquidateur; vérification du comité de liquidation jugement de l'Assemblée nationale. De ces trois degrés, deux seulement dépendent de vous. Le premier aussi aurait pu en dépendre, si le corps constituant, au moment où il s'était saisi de tous les pouvoirs, avait senti que la régénération des branches vermoulues du pouvoir exécutif ne pouvait se faire par le pouvoir même qu'on voufait réformer; si en consequence on avait confié cette opération à des hommes qu'il aurait délégués lui-même, et que leur propre intérêt aurait portés à la célérité et retenus dans la droiture. Mais cet ordre de choses que le bon sens réclame, n'existe pas encore. Le liquidateur est indépendant, quant au choix, du Corps législatif, et dès lors il n'offre de prise que par une vaine responsabilité, facile à éluder. Et, dès lors, il en résulte un devoir impérieux, d'être sévère dans les deux autres degrés de liquidation, qui sont sous votre influence immédiate.

Il en résulte la nécessité d'assujettir les liqui

dations à des principes inflexibles; de ne plus allouer des sommes énormes, pour des créances surannées, sur de simples certificats des agents du Trésor public; certificats ou insignifiants ou jésuitiques. Car, Messieurs, le croirez-vous? sur une simple attestation, qu'il n'est pas à la connaissance de tel ministre ou administrateur, que telle somme ait été payée, on la liquide, comme si elle était légitimement due... Il faut enfin mettre un terme à tous ces abus; il faut lier le liquidateur à des règles invariables; il faut, pour le faire constamment surveiller, renouveler fréquemment votre comité; il faut ordonner surtout la publicité préalable des liquidations, et leur discussion à trois époques.

L'Assemblée constituante avait bien décrété cette publicité; mais jamais elle n'a été bien exécutée, et jamais il n'y eut de discussion, excepté sur deux ou trois réclamations. Lorsque les membres de cette assemblée auront sous les yeux les notices des diverses créances liquidées; forsqu'à des époques fixes la lecture publique les leur rappellera, il sera difficile alors que des créances honteuses échappent à la censure vigilante.

Mais si les mêmes désordres continuaient dans les liquidations futures; si la même précipitation, la même insouciance y régnaient, qu'en résulte rait-il? que le produit des biens nationaux s'absorberait enfin, sans même nous laisser connaître la somme qui aurait pu suffire; beaucoup de créances resteraient en arrière; et comme il y aurait une injustice évidente à traiter ceux qui n'auraient pas eu le bonheur d'être remboursés, plus rigoureusement que leurs heureux prédé cesseurs, il faudrait augmenter la charge des nouveaux impôts, et retomber dans cette triste pénurie, que les ennemis de la liberté ne manqueraient pas de tourner contre elle.

Ainsi l'intérêt des créanciers de l'Etat, l'intérêt du peuple en général, le devoir de conserver la Constitution commandent impérieusement la suspension momentanée ou provisoire des liquidations. Vouloir les continuer sans connaître et la somme de la dette et la somme du produit des biens nationaux, c'est vouloir créer un nouveau deficit, exposer les créanciers arriérés à une banqueroute, ou condamner le peuple à de nouveaux malheurs.

Mais, nous dit-on, cette suspension va jeter dans la détresse des titulaires d'offices, des créanciers déjà si malheureux...

Une foule de réponses se présente contre cette objection, et d'abord je dois remarquer que la suspension ne durera pas longtemps, puisque j'en fixe le terme au moment où le montant de la dette et de la valeur des biens nationaux seront connus, et une année ne s'écoulera pas avant que l'un et l'autre puissent être fixés.

J'obsérve en second lieu que nous n'enveloppons pas dans la suspension tous les créanciers d'objets à liquider.

On peut distinguer tous ces créanciers en trois classes: 1° Les possesseurs de brevets de retenue des grands offices supprimés, des dimes inféodées, de grandes commissions de finances;

2° Les propriétaires des maitrises et les créanciers des parties modiques, soit sur la maison du roi, soit sur le clergé, soir sur les communautés;

3o Les personnes qui réclament des créances anciennes et très considérables.

Personne ne contestera que si l'on doit justice à la première classe, on doit un intérêt plus par

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