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ticulier à la seconde, composée en général d'artisans, ou d'hommes peu aisés, qui attendent après leur remboursement... Et cependant c'est cette classe qui, jusqu'à présent, a éprouvé le plus de difficultés; le créancier de 100 livres sur une communauté, dans un département, en touchait à peine la moitié, et il est obligé ou de venir ou de charger quelqu'un à Paris pour recouvrer l'autre moitié, et là quel froid accueil lui était réservé! car ce n'est pas l'homme opulent qui éprouve les hauteurs d'un commis ou les lenteurs intéressées; elles tombent sur l'homme du peuple; il languit à la porte, lorsque l'intrigue fait sanctionner en deux jours une liquidation énorme et scandaleuse. (Applaudissements.)

Or, voilà le désordre que nous devons réformer. C'est l'homme du peuple mal aisé qui doit être maintenant payé, par préférence, de son capital; c'est pour l'homme du peuple que nous réclamons l'exception à la suspension générale. C'est en faveur des créanciers peu aisés; et pour les comprendre tous dans un maximum qui n'admette que la médiocrité et exclue la richesse, et qui en même temps ne nuise pas à l'état des finances, je le porte à la somme de 3,000 livres, et je crois que l'homme aisé qui réclame un capital plus considérable doit attendre que la position des finances soit bien connue. Et comment, par exemple, le propriétaire des dimes inféodées pourrait-il se plaindre de ce retard? Le décret du 5 mars 1791 ne lui accorde-t-il pas la faveur d'échanger cette propriété contre une valeur égale de biens nationaux ? faveur injuste; car pourquoi ne l'étendrait-on pas aux autres créanciers? faveur dangereuse, car, comme M. Clavière vous l'a bien démontré, les assignats seuls et non les reconnaissances doivent s'échanger contre les biens nationaux, ou l'on ne connaîtra jamais la proportion des assignats et de ces biens. Mais enfin, cette faveur prouve combien l'on s'est occupé de favoriser les riches, tandis que, jusqu'aux faveurs apparentes accordées aux artisans, tout était contre la nation. Car, par exemple, on a fait un grand bruit de l'arriéré des bâtiments, partie dans laquelle on produit aujourd'hui des piles énormes d'anciens reliquats, qui ne prouvent pas la dette de l'artisan, ni la justice qu'on veut lui rendre, mais qui couvrent peut-être une spéculation nouvelle de dilapidation, sous le nom des artisans, sur les deniers nationaux.

Messieurs, c'est pour défendre ces deniers de l'invasion de ces réclamations surannées; c'est pour défendre des créanciers suspects, les créances légitimes, que nous réclamons la suspension. De ce qu'il est nécessaire de mettre de l'ordre dans les remboursements, et de porter l'esprit de discernement de justice et d'humanité dans le classement des créances, s'ensuit-il qu'on sera des malheureux? est-ce le moyen d'assurer leur remboursement, que de rejeter des mesures sages qui circonscrivent la dette et proportionnent leur remboursement aux recettes? diminueronsnous les moyens de payer, en nous tenant dans un tel rapport avec les liquidations que nous puissions obtenir le plus grand produit possible des domaines nationaux? Enfin, depuis quand le désordre cesserait-il d'être une source de ruine et de pauvreté? Depuis quand, au contraire, l'ordre et la régularité ne seraient-ils plus une source d'économie, un agrandissement réel dans nos moyens?

Aurons-nous fait beaucoup pour le bien de ceux qui seront remboursés, si notre précipita

tion ne nous laisse plus de choix des mesures, dans le cas où viendrait à se déclarer un grand déficit ?

Il ne faut donc pas appréhender de faire des malheureux en suspendant actuellement les remboursements de la dette contentieuse; mais il faut la liquider promptement. La connaissance que chacun aura de son sort, dans un bon système de remboursement, peut seule dissiper toutes les inquiétudes, tant des créanciers, que du public.

Balancerions-nous maintenant entre le malaise très momentané de quelques milliers d'individus et le salut de l'Empire? Car enfin, il est démontré que, si l'on s'abandonnait toujours à ces liquidations de confiance, ténébreuses, illimitées, les biens nationaux courraient le risque d'être promptement engloutis, la ressource des assignats serait tarie, et nous serions alors menacés de toutes les calamités qui accompagnent le discrédit. Alors même ces créanciers de l'Etat qui ne seraient pas payés, ne seraient-ils pas frappés d'un malheur bien plus grand que celui d'une suspension momentanée; puisque, dans ce dernier cas, touchant un intérêt malgré cette suspension, ils pourraient, ou emprunter sur leurs titres, ou les vendre avantageusement?

Ainsi, suspendre le payement des objets liquidés, jusqu'à ce qu'on les connaisse tous, c'est préférer momentanément 25 millions d'hommes à quelques milliers de créanciers; c'est préférer l'universalité des créanciers à quelques créanciers favorisés; c'est déclarer avec succès la guerre aux fripons en faveur des honnêtes gens; c'est conserver le gage de tous au lieu de le laisser dilapider par quelques-uns; c'est sauver la nation d'un nouveau déficit.

Combien donc sont éloignés de la vérité ceux qui prétendent assimiler cette suspension à une banqueroute ! La suspension qu'on propose, loin donc d'être une banqueroute, est une sauvegarde en faveur de la nation et contre la banqueroute.

Sous un despote, une suspension est l'avantcoureur d'un fléau, d'une banqueroute; chez un peuple libre, elle ne peut être qu'un préservatif contre ce fléau même. Car enfin, un peuple ne peut pas vouloir se faire banqueroute à lui-même. Ainsi, en 1614, on suspendit le payement des offices supprimés; c'était pour les voler, au lieu de les mieux payer. Mais qui ordonnait cette suspension injuste? Le conseil d'une reine despote et dissipatrice. Ici, c'est une Assemblée nationale, et cette suspension n'est qu'un moyen de répandre la clarté la plus grande sur la situation de nos finances. On cherche à connaître l'inconnu, pour ne payer que ce qui doit être payé. Et, puisque dans cette recherche les intérêts ne cessent pas de courir au profit des créanciers dont les droits sont constatés, puisque la nation s'engage à payer les capitaux lorsque la totalité en sera connue, peut-on dire qu'elle manque à ses engagements? Est-ce y manquer que de s'éclairer pour mieux payer?

Telle est, Messieurs, la marche qu'ont suivie les Etats-Unis dans la liquidation de leur dette. Elle était immense, compliquée à l'excès, divisée en une foule de détails qui avaient dû se multiplier dans le cours d'une guerre désastreuse de 7 ans. Les commissaires délégués par le congrès ont bientôt eu terminé les comptes de chaque Etat. Le maximum de la dette a été connu, on l'a constituée; depuis, les intérêts en étant bien placés, elle est montée jusqu'au pair, après avoir d'abord perdu jusqu'à 80 0/0.

Vos créanciers, Messieurs, sont bien plus favo- | rablement traités, puisque tout annonce que les capitaux leur seront promptement remboursés; puisqu'en attendant le remboursement du capital, les créanciers liquidés auront une obligation portant intérêt. On doit donc, à plus forte raison, nous pardonner de prendre des précautions pour connaitre cette dette, formée dans l'obscurité par un longue série de désordres.

Je crois donc vous avoir démontré que cette suspension momentanée ne peut être nuisible aux créanciers de l'Etat :

1° Parce qu'elle ne se portera pas au delà d'une année :

2o Parce qu'elle ne frappera pas sur les créanciers de sommes au-dessous de 3,000 livres ;

3° Parce que ceux qui ne rentrent pas dans ce maximum, auront des obligations portant intérêt ;

4° Parce qu'enfin tous doivent désirer d'être payés, et qu'ils ne peuvent l'être qu'en les connaissant tous.

J'ose le prédire, Messieurs, une pareille mesure ne trouvera de contradicteurs que parmi les hommes qui ont spéculé sur les embarras de notre Révolution, sur la difficulté de distinguer dans les chaos les dettes illégitimes des légitimes, sur l'assurance ou sur les faiblesses des liquidateurs, sur les ténèbres qui doivent environner les liquidations ténébreuses et précipitées. Ces vampires, qui s'enrichissent des désordres et des turpitudes, crieront à l'anathème, à la banqueroute. Le peuple doit apprendre la valeur de ce langage. Ce sont des voleurs qui se plaignent qu'on perce les forêts, qu'on éclaire les chemins, qu'on les garnit de gendarmerie. (Applaudissements.)

Les créanciers honnêtes et patriotes se garderont bien de tenir un pareil langage: gémissant sur la précipitation des précédentes liquidations, ils s'applaudiront de voir mettre enfin un terme au brigandage des réclamations surannées.

Ils se féliciteront de ne plus voir ces jours de deuil où des dettes déshonorées, même chez les agioteurs, rejetées depuis un siècle par les ministres même les plus corrompus, trouvaient grace devant un comité, passaient incognito dans le torrent, et obtenaient rapidement du ministre une sanction complaisante."

Messieurs, si le règne de la sévérité ne venait pas enfin et n'accompagnait pas notre régénération, vous verriez bientôt réparaitre les temps de la république romaine où les dissipateurs interrogés sur leurs déprédations, s'en vantaient eux-mêmes en plein sénat, où un Lentulus Sura présentait le gras de sa jambe en payement des sommes énormes qu'il avait volées. Un peuple libre doit être sévère, parce qu'il veut toujours être loyal; ou lorsqu'il cesse d'être sévère, les brigandages dans ses finances sont encore plus monstrueux que ceux du despotisme.

Eh! dans quel moment avons-nous senti un plus pressant besoin d'être sévères pour nos dépenses et pour nos liquidations? dans un moment où nous n'avons pas encore acquis la certitude que le total de nos besoins en assignats, pour faire face à nos dépenses ordinaires et extraordinaires, ne montera pas à plus de 1,100 millions. Car, Messieurs, malgré la bonne volonté du peuple, si cruellement calomnié, le système des impositions est tel qu'il ne pourra rendre sitôt les produits qu'on en attend, et il n'est pas

bien prouvé, quoi qu'en dise M. Montesquiou, que nous serons complètement au pair en 1793.

S'il faut être sévère, c'est encore dans un moment où le volcan qui semble menacer nos îles, nous force à des dépenses extraordinaires, en nous privant d'une partie de leur produit fiscal, en haussant nos denrées; dans un moment où des menaces, des agressions de la part des pirates et des petits princes, et des rebelles excités, ou par l'impunité que vous avez si sagement voulu réprimer, ou par des puissances plus redoutables, qui cachent leur haine sous de fausses démonstrations amicales; dans un moment, disje, où tant de circonstances réunies nous font la loi de prendre une attitude redoutable, mais coùteuse, et qui peut absorber une partie de nos ressources; dans un moment, enfin, où devenue libre, une grande nation ne peut condamner, comme sous le régime barbare du despotisme, ses membres que le sort a fait naître indigents, à l'inanition, à la longue et désespérante agonie des tombeaux appelés maisons de force, où par conséquent elle doit se ménager de grandes ressources pour bannir cette lèpre de son sein. Eh! combien elles lui deviennent encore nécessaires

élever, pour maintenir le vaste édifice de l'éducation nationale!

Que de motifs s'élèvent de tous les côtés pour économiser religieusement, et distribuer avec intelligence le produit de nos biens nationaux, pour ne pas l'engloutir dans des liquidations imprudentes! C'est le gage de notre sécurité, si le déficit entre la dépense et la recette, frappe encore l'année 1793. C'est le gage de nos consolations, si nous devons éprouver des malheurs dans nos possessions lointaines. - C'est le gage

de nos succès, si nous devons être attaqués par des ennemis dont la faiblesse de notre ministère a jusqu'à ce jour enhardi les efforts. C'est le pain de nos frères indigents, jusqu'à ce que nous ayons extirpé la mendicité. Enfin, Messieurs, et ce mot doit décider la question, la caisse des liquidations est la caisse des rebelles et des émigrants. Fermez-la donc pour eux; et cette loi peut-être arrêtera plus efficacement les complots, que les lois les plus sévères. (Applaudissements.)

Ce n'est, Messieurs, qu'à cette condition indispensable de la suppression momentanée du payement des liquidations, que vous devez consentir à l'émission successive des 200 millions d'assignats proposés par votre comité. C'est alors que vous pourrez tenir la promesse faite de n'en plus émettre pendant votre session, promesse imprudente et bientôt violée, si les payements des objets liquidés devaient toujours continuer... C'est alors que vous n'aurez pas même besoin d'une aussi forte somme, que vous ne serez pas harcelés chaque mois par les demandes d'une caisse, qui, suivant la marche oblique trop favorisée par l'indulgence de la précédente Assemblée, n'annonce jamais des besoins qu'au moment où il faut les remplir, pour ne pas laisser celui de délibérer. C'est alors que vos assignats ne servant plus qu'à combler le vide des recettes, vous sentirez plus fortement, en les voyant s'écouler, la nécessité de presser le recouvrement des impôts.

Je devrais m'arrêter ici après vous avoir démontré la nécessité de suspendre le payement de liquidations. Me permettrez-vous d'ajouter de courtes réflexions sur une autre mesure très pressante que vous a présentée M. Clavière?

Il vous a proposé de créer des assignats de 10 sous, et c'est une autre mesure que vous devez

vous empresser de consacrer. Il faut regretter profondément que l'Assemblée constituante ne l'ait pas adoptée dès le premier moment qu'elle se détermina à créer des assignats; elle complétait tout à la fois le système monétaire, elle diminuait les besoins d'argent, elle prévénait ces angoisses et ces convulsions où nous a jetés le passage gradué du numéraire réel au numéraire fictif, convulsions principalement causées par l'agiotage, dont l'influence eût été nulle, s'il n'y avait pas eu si longtemps une rareté préméditée des petits assignats. Le temps lèvera sans doute un jour le voile qui couvre ce mystère, et découvrira la main qui, dirigée par la cupidité, a fait échouer tous les efforts des patriotes, dont l'œil clairvoyant anticipait la pénurie actuelle. Le temps et cette mesure feront encore justice de tous ces établissements fondés sur la disette des petits assignats nationaux, établissements qui n'ont pas de bases solides, dont la multiplicité est inquiétante, dont un seul, frappé de discrédit par quelque accident, pourrait entraîner une catastrophe générale. Ayez des assignats de petites sommes de 10, de 20, de 30 sous; et les billets, cédant à la supériorité des assignats nationaux, rentreront bientôt dans le néant, d'où jamais ils n'auraient dù sortir, si le patriotisme et l'intégrité avaient toujours accompagné le talent ou les moyens.

Ces petits assignats sont la monnaie du peuple; c'est le moyen de lui éviter l'échange contre le numéraire, l'impôt sur l'échange, et les sollicitudes. Le peuple n'a ni le loisir ni les connaissances pour se reconnaître au milieu de la bigarrure des billets; il lui faut un assignat simple, uniforme, modique, qui, par sa valeur, se prête à toutes les chances des marchés, et de besoins; assignat modique, et par cela se prêtant difficilement à la contrefaçon; car l'art perfide du contrefacteur, qui exige le concours de tant de mains, et de mains habiles, ne peut s'exercer que sur de gros assignats de forte

somme.

C'est donc de l'assignat de 10 et 20 sols que votre comité doit maintenant s'occuper par prédilection; tous ses soins doivent tendre à les multiplier très rapidement, soit en multipliant les fabriques de papier, et en ne se bornant pas à celles qu'une faveur, peut-être injuste, a fait préférer, soit en écartant les abus secrets sur l'accaparement et l'agiotage qui empoisonnent les canaux par lesquels les petits assignats se jettent dans la circulation. Ses soins doivent tendre encore à munir ces petits assignats d'une empreinte telle que l'art ne puisse la contrefaire, ou que la contrefaçon frappe les yeux de l'homme le moins instruit; et ce double problème est loin d'être insoluble, et il sera résolu, si l'on ne veut pas toujours dédaigner les découvertes les plus simples. Un pareil type sera le plus sûr préservatif de la contrefaçon, le plus sûr garant de la tranquillité du peuple; car c'est de lui, surtout, qu'il faut s'occuper à présent. Mettons-le donc à l'abri, et de cet agiotage qui a renchéri ces petits billets pour lui jusqu'à 8 et 9 0/0, et de ces inquiétudes qui viennent encore le tourmenter, lorsqu'il a payé le tribut à l'agiotage.

Le peuple français est si confiant! il offre tant de ressources pour ces opérations qui ont besoin de la confiance! voyez les billets de caisse patriotique, ces billets qui ne portent pas le sceau de la nation, faciliter les échanges au sein même des campagnes éloignées à 20 ou 30 lieues de Paris, reçus sans difficulté par ceux mêmes qui

ne savent pas lire! quelle leçon pour nos prédécesseurs! quel trésor que cette simplicité, que cette confiance! Comme cette simplicité prouve bien que le peuple français est digne de la liberté car la droiture d'intention, qui repousse jusqu'au soupçon, est l'arme de la liberté (Applaudissements), et comme avec cette confiance on peut facilement suppléer au numéraire métallique, qui, par des raisons évidentes pour le politique, tend constamment partout à devenir plus rare, et dont en conséquence les Etats libres doivent chercher à diminuer le besoin, en exploitant cette mine qui n'appartient qu'à eux, la mine intarissable de la confiance publique!

Je laisse, Messieurs, à des hommes plus habiles, plus exercés que moi dans la pratique des finances, le soin de vous indiquer des moyens d'exécuter, de descendre dans ces détails qui m'échappent. J'ai dù me borner à vous présenter des vues générales sur la nécessité d'adopter l'indispensable suspension que vous a proposée M. Clavière, parce que c'est à elle que j'attache le salut de nos finances, et par conséquent le salut de l'Etat.

Vous devez, Messieurs, inspirer une haute idée de vos opérations et à la France et aux nations étrangères, et vous ne l'inspirerez qu'en portant, d'un côté, l'ordre et la clarté dans vos finances, et, de l'autre, une inébranlable fermeté dans vos relations extérieures. Mais pour porter cette clarté partout, vos divers comités des finances doivent s'empresser de mettre sous vos yeux le tableau général de votre situation et les moyens de l'améliorer. Ainsi l'on doit vous présenter un bilan exact que n'altère point l'esprit de parti ou la nécessité de masquer des déprédations révoltantes; un autre doít vous indiquer la manière de réformer une comptabilité dont la défectuosité ne doit point surprendre, quand on se rappelle la tactique qui l'a fait décréter; un troisième doit vous éclairer sur ces contributions qui doivent ou sauver ou perdre la Constitution, qui servent de prétexte à la calomnie, et peuvent servir de cause aux agitations, et dont il importe de reconsidérer les bases, de rectifier peut-être les applications; un autre enfin, doit porter la lumière la plus vive et la plus salutaire sur vos dépenses, qui tiennent trop encore des fausses idées de l'ancien régime. L'agrégat de ces lumières vous conduira bientôt à cette économie qui en est le principal but, auquel vous devez tendre, parce que cette économie sera le vrai fondement de votre force extérieure, de votre crédit et de la sécurité de tous vos créanciers. Il ne faut pas nous le dissimuler, Messieurs, nos prédécesseurs ont été trop généreux; ils ont trop souvent pris le faste pour la splendeur, et la splendeur pour un élément nécessaire d'un gouvernement libre. La splendeur d'un peuple libre est dans le bon ordre de ses finances, dans l'économie de ses dépenses, dans le payement et à jour fixe de ses rentes, dont la mesquinerie ou une infidélité meurtrière prolonge encore, malgré l'abondance de nos assignats, la lenteur ignominieuse. Car ces lettres stationnaires accusent la misère secrète et tuent le crédit.

La splendeur est encore dans la multiplication des manufactures, dans la prospérité d'un commerce indépendant, et surtout dans l'aisance de chaque individu. L'habit de drap qui couvre le campagnard ou l'artisan, même les jours ouvrables, prouve plus la splendeur d'un pays, que les riches galons du courtisan ou qu'un superbe palais (Applaudissements.) qui suppose tou

jours ailleurs des milliers de cabanes misérables.

Ces heureux jours arriveront, Messieurs, lorsque vous exercerez une censure impitoyable sur l'administration de vos finances, lorsque les agents particuliers du Trésor national seront ramenés à une plus grande dépendance du peuple ou de ses représentants, par un mode que la Constitution laisse à votre décision; lorsque pas un écu ne sortira de votre Trésor, qu'il ne soit facile de le suivre, par toutes les filières, jusqu'à sa destination; lorsque vos ministres seront environnés de tant de lumières, que la dilapidation deviendra impossible; lorsqu'ils seront forcés de vous rendre compte, jusque dans les plus petits détails, de leurs dépenses annuelles, ce qu'ils auraient déjà dû faire aux termes des décrets, ce qu'ils n'ont pas encore fait; lorsque vous aurez circonscrit et purifié leur bureaucratie oiseuse, si même elle n'est pas funeste; lorsque vous aurez réduit ces 6 millions prodigués à des affaires étrangères, si rétrécies d'après l'immortelle renonciation de la France aux conquêtes et aux tracasseries diplomatiques; lorsque vous aurez supprimé cet article honteux de dépenses secrètes, qui ne peut alimenter qu'un espionnage indigne d'un peuple libre, ou que la corruption des écrivains si propre à l'enchaîner de nouveau ; lorsqu'enfin, rappelant sans cesse les ministres à leur devoir, vous les empêcherez de porter atteinte à la Constitution et de censurer la législature, dans des proclamations inconstitutionnelles (Applaudissements); lorsque leur responsabilité, qui n'est qu'un vain mot, sera fixée par vous, et ne protégera plus les coupables, au lieu de les punir....

Messieurs, une responsabilité réelle, efficace, voilà le moyen de rendre le pouvoir exécutif populaire, et d'unir à jamais les deux pouvoirs.

Tels sont, Messieurs, les grands et nombreux travaux qui sollicitent votre zèle, si vous voulez maintenir votre liberté. Les finances en sont partout le poison lent; et le secret de sa conservation est dans ces deux mots gouvernement pauvre et citoyens aisés. (Applaudissements.) Or, notre situation est précisément l'inverse de cet axiome. Notre gouvernement est trop riche, et le peuple est trop peu aisé. Si donc nous ne parvenons pas à déplacer, à diviser insensiblement la richesse, nous n'aurons eu que l'inquiétant frisson de la liberté. Heureusement, ce déplacement, cette division peuvent être le résultat d'un bon système de finance populaire, et son exécution est dans votre pouvoir.

Voici le projet de décret :

"L'Assemblée nationale, considérant qu'il est essentiel et indispensable pour l'ordre des finances nationales et la sûreté de tous les créanciers de dettes exigibles et contentieuses, de connaître et fixer le total de ces dettes avant de continuer à les acquitter sur le produit des biens nationaux, décrète ce qui suit :

«Art. 1. Le payement à la caisse de l'extraordinaire demeure suspendu, quant à présent, pour tous les articles suivants, qui ne sont pas encore liquidés ou payés; savoir: brevets de retenue, office de judicature, charges et emplois militaires, dettes ecclésiastiques, arriéré de la marine et des colonies, fonds d'avance et cautionnement des charges, et commissions de finances, droits féodaux, dimes inféodées, indemnités prétendues, et en général pour tous les objets dénommés dans le décret du 16 décembre 1790.

Art. 2. Cette suspension continuera jusqu'à ce

que la somme générale des objets liquidés et à liquider soit connue et définitivement arrêtée; et à cette époque la continuation du payement reprendra, suivant le mode qui sera déterminé par l'Assemblée nationale.

« Art. 3. Seront exceptés de la suspension de payement tous les comptes de fournitures, liquidations de maîtrises et jurandes, et autres objets qui n'excèderont pas la somme de 3,000 livres, lesquels continueront d'être payés au fur et à mesure de la liquidation.

"Art. 4. Nonobstant la suspension de payement des objets liquidés, le commissaire-liquidateur continuera de faire son rapport au comité de liquidation, lequel en rendra compte régulièrement à l'Assemblée nationale, et l'intérêt en sera payé à raison de 4 0/0, aux créanciers des objets liquidés, à dater du décret de liquidation, sur des obligations qui leur seront délivrées.

« Art. 5. Tout échange, autre que celui des assignats avec les biens nationaux, demeure suspendu.

«Art. 6. Aucun article ne pourra être liquidé que la notice n'en ait été imprimée et distribuée, et que trois lectures n'en aient été faites de huitaine en huitaine. Les notices de ces articles ci-devant liquidés, mais non acquittés, seront pareillement imprimées et distribuées. Il y aura toujours au bureau de liquidation un registre ouvert au public, dans lequel il pourra s'instruire des liquidations qui auront été faites.

« Art. 7. Les délais qui avait été fixés aux créanciers de l'Etat, pour leurs réclamations, par le décret du 17 juillet 1790, sont prorogés, mais irrévocablement fixés, savoir: à 3 mois pour ceux qui demeurent dans l'étendue du royaume; un an pour les colonies en deçà du cap de Bonne-Espérance; et 2 ans pour celles au delà, à dater du présent décret; passé lequel terme, toutes réclamations seront rejetées.

"

Art. 8. Le payement des liquidations sera repris aussitôt après la fixation irrévocable de toutes les créances réclamées en France, et sans attendre celles des colonies, et lorsque le montant de la valeur des biens nationaux aura été fixé d'après l'estimation de tous les districts.

«Art. 9. Le comité des liquidations est chargé de mettre le plus promptement possible sous les yeux de l'Assemblée nationale :'

«1o Le tableau des articles liquidés et déjà payés;

2. Le tableau des articles liquidés et non payés :

3o Le tableau des diverses parties qui restent à liquider, des principes qu'on suit dans la liquidation, et des améliorations qu'on peut faire dans le mode de liquidation.

« Art. 10. Il sera incessamment créé pour 50 millions de livres d'assignats de 10, 20 et 30 sols, à prendre sur la somme d'assignats qui doit être mise en circulation; et le comité des assignats est chargé de présenter un mode pour en faire la répartition prompte et égale entre les divers départements:

Plusieurs membres: L'impression du discours et du projet de décret!

(L'Assemblée décrète l'impression du discours et du projet de décret de M. Brissot de Warville. (La séance est levée à quatre heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du jeudi 24 novembre 1791, au soir. PRÉSIDENCE DE M. LACÉPÈDE, vice-président, ET DE M. VERGNIAUD, ex-président.

La séance est ouverte à six heures du soir. Un membre, au nom du comité de division, fait un rapport et propose un projet de décret, sur la réunion des deux municipalités de la ville et du faubourg de Saint-Flour, département du Cantal.

Un membre: Je demande l'ajournement. Plusieurs membres : La question préalable sur l'ajournement.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion d'ajournement.)

Le décret d'urgence est mis aux voix et rendu en ces termes :

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L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de division, considérant que les rôles des impositions foncière et mobilière de la ville et de la foraine de Saint-Flour, n'étant pas encore faits pour l'année 1791, il est instant que ces rôles puissent être mis en recouvrement, décrète qu'il y a urgence. »

Ensuite, l'Assemblée, adoptant le projet du comité, décrète ce qui suit :

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété qu'il y a urgence, et après avoir entendu le rapport de son comité de division, duquel il résulte les directoires du district de Saint-Flour et que du département du Cantal ont donné leur avis, le 22 octobre dernier, en faveur de la réunion demandée par la municipalité de Saint-Flour, et par les habitants de la foraine de la même ville, décrète que la municipalité de la foraine de SaintFlour est réunie à celle de la ville, pour ne faire, à l'avenir, qu'une seule et même municipalité.

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M. l'abbé....... Tout le monde sait que, dans le mois d'octobre 1790, il fut rendu un décret par lequel les districts devaient constater les quantités de matières d'or et d'argent inventoriées dans les églises supprimées. Je demande que le ministre de l'intérieur soit chargé de présenter à l'Assemblée les états que les districts ont dû faire, ainsi que l'état de ce qui a été envoyé aux hôtels des monnaies.

(L'Assemblée renvoie cette proposition au comité des assignats et monnaies, pour en faire incessamment son rapport.)

M. Thévenin, au nom du comité de division, présente un rapport sur la demande faite par le directoire du département de la Manche, des règles à suivre pour le traitement des curés dont les cures ont été supprimées, et s'exprime ainsi :

Messieurs (1), le directoire du département de la Manche vous a demandé, par une lettre du 24 octobre dernier, si, la réunion des paroisses n'étant pas encore opérée dans les villes et bourgs d'une population considérable, telle que de 3,000 âmes et au-dessus, le traitement des curés doit être payé pour 1791 d'après les proportions déterminées par l'article 5 du titre III du décret du 12 juillet 1790, quoique la population des paroisses actuelles soit infiniment plus faible, par exemple, de 5 à 600 âmes seulement.

Votre comité de division a cherché, Messieurs,

(2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative. Ecclésiastique, no 10.

la réponse à cette demande dans les termes et l'esprit de la loi, et il a cru s'être assuré que l'Assemblée nationale constituante, en fixant le traitement des curés, avait envisagé plutôt la population des villes et des bourgs qu'ils habitaient, que le nombre des citoyens attachés à leurs paroisses.

Telles sont, en effet, les expressions de l'article 5 du titre III de la loi du 24 août : « Le traitement des curés sera, savoir: à Paris, de 6,000 li

vres;

"Dans les villes dont la population est de 50,000 âmes et au-dessus, de 4,000 livres ;

"Dans celles dont la population est de moins de 50,000 âmes, et de plus de 10,000 âmes, de 3,000 livres ;

«Dans les villes et bourgs dont la population est au-dessous de 10,000 âmes, de 2,400 livres, ainsi de suite. »>

La loi n'ayant donc parlé que de la population des villes et bourgs, et non pas du nombre des fidèles qui composent les paroisses, votre comité a pensé que l'Assemblée constituante avait supposé que partout où il y avait plus de population, les besoins physiques étaient plus étendus, soit à cause de la cherté des denrées, soit à raison de l'entretien et des autres objets de première nécessité, et que ces motifs étaient absolument indépendants de la masse plus ou moins grande des individus confiés aux soins des curés, en ce qu'ils étaient toujours les mêmes.

Il a même paru à votre comité que l'on pouvait d'autant moins douter que ce fût là l'esprit de la loi, que ses propres expressions apprennent que exemple de 10,050 âmes divisées en deux padans une ville dont la population serait par roisses, ce qui pourrait donner à l'une 5,050 âmes et à l'autre 5,000 âmes, le traitement de chacun des curés serait de 3,000 livres, tandis que dans une ville dont la population serait au-dessous de 10,000 âmes, mais qui pourrait présenter une paroisse de 7 ou 8 et même jusqu'à 9,000 âmes, le traitement du curé ne serait, aux termes de la loi, que de 2,400 livres.

Votre comité, Messieurs, est, par cela seul, demeuré convaincu qu'il résulte évidemment de l'expression de la loi, que c'est la population du lieu habité, et non pas le nombre des paroisses qui fixe le traitement des curés, et que tant que la réunion des paroisses n'aura pas été faite dans les villes et bourgs qui en sont susceptibles, il sera dû à chacun des curés le traitement déterminé d'après la population des villes qu'ils habitent n'eussent-ils que 3 à 400 paroissiens et même moins, par la raison que leur devoir exige d'eux les mêmes offices, la même prédication, les mêmes instructions pour ce petit comme pour un plus grand nombre et que leurs besoins personnels sont constamment les mêmes.

Votre comité ne s'est pas dissimulé, Messieurs, qu'il y avait en cela un inconvénient auquel l'Assemblée constituante avait cherché à pourvoir par l'article 7 de son décret du 24 dù même mois de juillet 1790, relatif au traitement actuel du clergé, en décidant que ce ne serait qu'à l'époque du 1er janvier 1791, que les traitements accordés par les articles 5 et 6 du titre III de la loi qui les fixe, commenceraient à avoir lieu, sans doute parce qu'elle s'était persuadé que, dans le cours de l'année 1790, les corps administratifs opéreraient toutes les réunions.

Mais le moyen de parer à cet inconvénient dépend du zèle des corps administratifs et de l'activité qu'ils mettront dans cette partie de leurs

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