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n'est pas au milieu de vous qu'on invoquera inutilement ces grands principes de la justice et de l'humanité. (Applaudissements.)

Un membre: Personne de nous n'ignore que les dispositions du sieur Delattre ne soient celles de tous les émigrés; cependant vous avez rendu un décret qui les invite à rentrer d'ici au mois de janvier. Il était de la dignité de la nation d user d'indulgence avec eux. Si les émigrés rentraient en France d'ici à cette époque, vous croiriez-vous fondés à les poursuivre pour ce qu'ils ont fait jusqu'à cette heure? Non. (Murmures.) Pourquoi donc croyez-vous pouvoir agir autrement envers un simple particulier ?... (Les murmures couvrent la voix de l'orateur.)

M. Boullanger. La réforme de l'ordonnance criminelle porte que nul ne peut être décrété de prise de corps, si on juge qu'en définitive il ne peut pas y avoir lieu à une peine corporelle. Or, y a-t-il un délit constant de la part du sieur Defattre? Quel est ce délit? La lettre du sieur Delattre annonce des intentions, sans doute mauvaises, mais la justice ne juge pas les intentions. (Murmures.) La lettre annonce des vœux contre la France, mais avez-vous mis en état d'accusation les journalistes qui font tous les jours des vœux contre la France? Supposez que M. Delattre soit allé à Coblentz; avez-vous mis en état d'accusation les réfugiés qui y sont? Je défie qu'on montre dans le fait de M. Delattre un délit pour lequel on puisse le condamner. (Exclamations et rires dans l'Assemblée et dans les tribunes.) M. le Président. Je rappelle les tribunes au respect qu'elles doivent à l'Assemblée.

M. Bigot de Préameneu. Il est un fait qui ne me paraît pas connu de l'Assemblée et qui me semble de la plus grande importance. L'inspection de l'enveloppe de la lettre me fait croire que cette lettre était cachetée, quand elle a été trouvée. Si cette lettre a été trouvée cachetée, ce qui paraît probable, vous ne pouvez plus arguer de ce qu'elle contient contre le fils; car il serait très possible qu'il ignorât ce que son père avait écrit. (Murmures.) Le crime du fils est d'avoir été porteur de la lettre; il apparait qu'il a voulu sortir du royaume pour la transmettre; mais je ne crois pas que vous ayez un commencement de preuves suffisant pour prononcer le décret d'accusation contre le sieur Delattre fils.

Un membre: Le but de l'Assemblée n'est pas de trouver des coupables sans doute : c'est à regret qu'elle en trouvera; mais il est impossible de ne pas voir que le délit est formel. La question se réduit donc à savoir si le décret d'accusation sera porté contre le fils.

M. Gensonné. Je demande à faire un amendement qui conciliera et ce que nous devons à la sûreté publique, et ce que nous devons à l'exécution de la loi.'

Ne nous dissimulons pas que le Code pénal porte expressément qu'on ne peut admettre en témoignage le père contre le fils. Ainsi, tout ce qu'il y a dans la lettre du père ne peut pas déterminer à asseoir, dans le moment actuel, un décret d'accusation contre le fils; mais il y a une marche toute simple, prescrite par la loi des jurés. C'est aux officiers de police, qui reçoivent ordinairement les dénonciations à mettre en état d'arrestation les prévenus, lorsque la clameur publique les accuse, à prendre leur interrogatoire, et ce n'est que d'après cet interrogatoire que les jurés prononcent s'il y a lieu ou non à accusation.

Je demande donc que l'Assemblée nationale, en décrétant qu'il y a lieu à accusation contre le père, charge les officiers de police du lieu où est le fils, de prendre l'interrogatoire du sieur Delattre fils et de le constituer provisoirement en état d'arrestation. (Applaudissements.)

Cette démarche, de pure précaution, n'entraîne point le décret d'accusation; ce sera lorsque l'officier de police vous aura fait parvenir son interrogatoire, que vous pourrez décréter s'il y a lieu ou non à accusation contre le sieur Delattre fils. (Applaudissements dans les tribunes.)

Un membre: Autant le décret d'accusation contre le père est juste, autant celui qu'on pourrait porter contre le fils serait injuste. Je demande qu'en prononçant un décret d'accusation contre le père, on prononce contre le fils un mandat d'amener, et qu'on le traduise à la barre. Plusieurs membres : Monsieur le Président, fermez la discussion.

(L'Assemblée ferme la discussion.)

Plusieurs membres demandent de diviser la cause du père de celle du fils.

(L'Assemblée décrète la division et décrète en outre qu'il y a lieu à accusation contre le sieur Delattre père.)

Un membre: Je demande que l'Assemblée rende un décret par lequel le juge de la section du sieur Delattre père sera autorisé à se transporter dans le domicile de ce dernier afin de mettre les scellés sur tous ses papiers.

(L'Assemblée adopte cette motion.)

Un membre: Je demande que la lettre de M. Delattre soit paraphée par le président et les secrétaires.

(L'Assemblée adopte cette motion.)

Plusieurs membres : La question préalable sur la proposition de M. Gensonné.

M. Léopold. Je demande la question préalable sur toutes les motions qui ont été faites touchant M. Delattre fils.

(Il s'élève à ce sujet de vifs débats et l'Assemblée est dans la plus grande agitation.)

M. le Président rétablit le calme et met aux voix la question préalable sur la motion de M. Gensonné tendant à ce que le sieur Delattre fils soit arrêté provisoirement et interrogé par l'officier public du lieu où il se trouvera.

(Après une épreuve déclarée douteuse, l'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion de M. Gensonné.)

M. le Président met successivement aux voix la question préalable sur la proposition de porter contre le sieur Delattre fils, le décret d'accusation et sur celle de le mander à la barre.

(L'Assemblée décrète successivement qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur ces deux propositions.) Suit la teneur du décret d'accusation rendu contre le sieur Delattre père, tel qu'il a été adopté lors de la lecture du procès-verbal :

L'Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture d'une lettre, datée de Paris, le 22 octobre, signée Delattre, professeur en droit de la Faculté de Paris, et adressée à M. de Calonne, conseiller d'Etat, à Coblentz, et ledit sieur Delattre à la barre :

Décrète qu'il y a lieu à accusation contre ledit sieur Delattre, professeur en droit de la Faculté de Paris; qu'il sera en conséquence traduit dans les prisons de l'Abbaye, et que, par le juge de

paix de la section où ledit sieur Delattre est domicilié, il sera fait inventaire et procès-verbal de ses papiers, lesquels seront déposés aux archives de l'Assemblée nationale

Dans l'instant, le juge de paix du quartier où demeure le sieur Delattre père, professeur en droit, se transportera à son domicile, et apposera les scellés sur les papiers, meubles et effets qui lui appartiennent. »

(La séance est levée à onze heures.)

ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU JEUDI 24 NOVEMBRE 1791, au soir

ANNEXE

Au rapport fait au nom du comité de division, par M. THEVENIN, député du département du Puyde-Dôme, sur l'interprétation de l'article 5 du titre III du décret du 12 juillet, concernant L'ORGANISATION DU CLERGÉ, demandée par le directoire du département de la Manche (1).

OBSERVATIONS (2).

Un membre de l'Assemblée a prétendu, lors de la discussion (3), que le rapporteur avait erré lorsqu'il avait présenté comme un point constant que les curés attachés aux paroisses non encore réunies, ont dù jouir du traitement fixé par la loi du 24 août, à compter du 1er janvier 1791, à raison de la population des lieux, quel que soit le nombre de leurs paroissiens; il a appuyé sa prétention sur l'article 11 du titre II du décret du 12 juillet 1790, ainsi conçu : « La fixation qui vient d'être faite du traitement des ministres de la religion aura lieu à compter du jour de la publication du présent décret, mais seulement pour ceux qui seront pourvus par la suite d'offices ecclésiastiques; à l'égard des titulaires actuels, soit ceux dont les offices ou emplois seront supprimés, soit ceux dont les titres seront conservés, leur traitement sera fixé par un décret particulier. » L'opinant a pensé que, d'après la disposition de cet article, le traitement fixé par l'article 5 du titre III du décret du 12 juillet ne pouvait avoir lieu que pour ceux des ministres qui seraient pourvus par la suite d'offices ecclésiastiques, et non pas pour les curés actuels.

Si l'opinant, en s'attachant à l'article qu'il a invoqué, avait en même temps fixé l'attention de l'Assemblée sur les articles 5, 6 et 7 du décret du 24 du même mois de juillet, il l'aurait mis à même de reconnaître, sur le moment, de quel côté était l'erreur annoncée, si elle existait de la part de l'opinant ou de la part du rapporteur; et sans doute que l'Assemblée aurait alors économisé les petits frais de l'impression du rapport de son comité, en adoptant de suite le projet de décret qu'il a eu l'honneur de lui présenter.

Une première réponse à faire à l'objection de l'opinant serait que l'Assemblée nationale constituante ayant délégué par l'article 17 du titre Jer

(1) Voir ci-dessus, ce rapport, page 345. (2) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Ecclésiastique, no 10.

(3) Voir ci-dessus la note de la page 346.

du décret du 12 juillet, aux assemblées administratives, de concert avec l'évêque diocésain, à désigner à la prochaine législature les paroisses, annexes ou succursales des villes ou des campagnes qu'il conviendra de resserrer ou d'étendre, d'établir ou de supprimer, il résultait de la disposition de cet article que rigoureusement les corps administratifs pouvaient se dispenser de proposer aucune suppression ou réunion, jusqu'à ce que la législature actuelle eût été en activité.

Cependant l'article 4 du décret du 24 juillet, sur le traitement actuel du traité porte: « Qué les curés actuels auront le traitement fixé par le décret général sur la nouvelle organisation du clergé; et s'ils ne voulaient pas s'en contenter, ils auront : 1° 1,200 livres; 2o la moitié de l'exédent de tous leurs revenus ecclésiastiques actuels, pourvu que le tout ne s'élève pas au-dessus de 6,000 livres, ils continuent tous à jouir, etc. »

Ainsi l'Assemblée nationale constituante, en appliquant aux curés actuels, c'est-à-dire aux curés qui étaient en fonctions à l'époque du décret, le traitement fixé par le décret général, ou la somme de 1,200 livres, plus la moitié de l'excédent de tous leurs revenus ecclésiastiques, pourvu que le tout ne s'élève pas au-dessus de 6,000 livres, explique d'une manière bien claire et bien précise l'article 11 du décret invoqué par l'opinant, et la réserve que le corps constituant s'était faite par le même article de régler le traitement actuel du clergé, il est évident que le corps constituant n'a pas entendu restreindre la disposition de son décret sur le traitement général du clergé contre les curés en activité, et en faveur seulement de ceux qui seraient pourvus par la suite d'offices ecclésiastiques; on juge, au contraire, que la réserve comprise dans cet article était un acte de justice ménagé en faveur des curés dont les revenus actuels, n'atteignaient pas le « minimum » fixé par le décret général.

Autrement et si l'on pouvait admettre le système de l'opinant, il s'en suivrait que les curés, qui avaient des bénéfices d'un produit au-dessus de 6,000 livres, ne pourraient pas être réduits au « minimum » fixé par le décret général.

Il s'ensuivrait encore que les curés, dont les paroisses ne sont susceptibles d'aucune organisation nouvelle, ne seraient pas dans le cas de jouir du bénéfice de la loi ou d'en subir la juste rigueur.

Il s'ensuivrait enfin que certains curés pourraient être exposés à souffrir de la négligence que les corps administratifs mettraient à présenter leurs travaux sur les suppressions et réunions des paroisses qui en sont susceptibles.

Mais les articles 6 et 7 du même décret du 24 juillet, rejettent impérieusement toute espèce de doute à cet égard, le premier ayant supprimé, au 1er janvier 1791, la perception du casuel ainsi que des prestations qui en tenaient lieu, et le second ayant prononcé que les traitements déterminés par les articles 4 et 5 auraient lieu à compter du fer janvier 1791, et il n'en faut pas davantage sans doute pour écarter les nuages que l'opinant a cherché à reprendre sur le rapport du comité de division.

La loi est générale; elle ne porte aucune exception en faveur des curés attachés aux paroisses nouvellement organisées, ni contre ceux qui conservent encore la desserte des paroisses qui n'ont éprouvé aucun changement; c'est d'après sa disposition générale qu'elle a été exé cutée dans la majorité des départements, où le

traitement des ministres de la religion, fonctionnaires publics, a été payé depuis le 1er janvier 1791, suivant la fixation réglée soit par l'article 5 du titre III du décret du 12 juillet 1790, soit par l'article 6 du décret du 24 du même mois. La loi ne laisse d'ailleurs aucun doute sur son interprétation; elle ne peut en recevoir qu'une seule, qui est celle proposée par le comité; toute autre serait contraire à son esprit et à sa propre expression: il ne s'agit, dès lors, que de lire la loi et de juger d'après elle.

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du vendredi 25 novembre 1791. PRÉSIDENCE DE M. VIENOT-VAUBLANC, président ET DE M. LACÉPÈDE, vice-président.

La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Guadet, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance du jeudi 24 novembre, au matin.

M. Basire jeune. Je demande à faire lecture d'une lettre de la municipalité d'Auxonne sur l'affaire de M. Varnier, et d'une lettre de M. Vollon, qu'il m'a adressée lui-même; voici la lettre de la municipalité d'Auxonne, elle est souscrite par tous les officiers municipaux :

« Brave citoyen, cher compatriote,

« La municipalité d'Auxonne s'empresse de

dites comme bon citoyen; mais, pour le reste, j'en renvoie l'honneur à qui il appartient. Il est très vrai que la lettre vraie ou fausse de M. Varnier, qui vous a été adressée d'Auxonne, ne vient pas de moi. Je puis vous attester que je n'ai jamais eu aucune connaissance du complot dont Vous avez occupé l'Assemblée nationale. J'ai connu à Auxonne M. Varnier, mais je n'ai jamais eu aucune relation avec lui ni avec aucun de ses amis. Celui qui vous a écrit sous mon nom ne doit pas hésiter à se nommer, surtout lorsqu'il s'agit de sauver sa patrie. En bon patriote, je ne tairai jamais mon nom pour le salut de l'Etat et de mes concitoyens. J'en ai fait, Monsieur, la déclaration à la municipalité.

« Je suis avec respect, etc.

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Je reçois en même temps une lettre de M. Gilles qui était allé à Auxonne pour engager M. Vollon à dénier l'envoi qu'il m'avait fait. M. Gilles me dit que, touché de la situation de M. Varnier, qu'il croit sans ressources dans ce moment, il me prie de lui remettre cette lettre qui contient, sur Paris, une lettre de crédit illimité.

Je sais pas, comme M. Varnier est au secret, ce que je dois faire de cette lettre: elle contient des détails, quelques renseignements sur son affaire, en outre une lettre de crédit sur un correspondant de M. Gilles, pour subvenir à tous les besoins de M. Varnier, dans l'intérieur de sa prison. Il me semble que nous ne pouvons ni ne devons priver le sieur Varnier des secours que ses amis peuvent lui adresser; mais je ne sais pas si j'aurais le droit de pénétrer dans la

rendre hommage à votre civisme; son patriotis-Prison de M. Varnier pour lui remettre cette lettre.

me et l'intérêt qu'elle a pris à votre démarche sur la dénonciation de M. Varnier l'ont déterminée à vous faire part de ce qui vient de se passer relativement à ladite dénonciation. Vous avez écrit à M. Vollon, serrurier, parce que la lettre d'envoi était souscrite Vollon, serrurier; M. Vollon a donné de la publicité à cette affaire, en ajoutant qu'elle l'avait d'autant plus surpris qu'il n'en avait aucune connaissance et qu'il ne Vous avait rien adressé. MM. Colin et Gilles, de Dijon, instruits des dispositions de M. Vollon, sont venus hier à Auxonne et ont tellement sollicité ce citoyen pendant plusieurs heures, qu'ils l'ont enfin décidé à faire au greffe de cette municipalité la déclaration dont l'extrait est cijoint; nous avons cru, brave citoyen, devoir vous informer de ce fait. Nous croyons enfin devoir vous prévenir que la démarche de MM. Colin et Gilles nous ayant donné de violents soupçons, nous avons prié M. Vollon de nous dire la vérité, et qu'il nous a constamment répondu qu'il n'avait aucune connaissance de la chose.

«Si la municipalité d'Auxonne peut vous donner quelques renseignements utiles, vous voudrez bien vous adresser à elle avec confiance: elle est composée de citoyens qui sont bien disposés à remplir les conditions du serment qu'ils ont prêté.

« Nous sommes, etc.... »

(Suivent les signatures.)

Voici la lettre de M. Vollon conçue en ces termes :

« Monsieur,

Je puis prendre pour moijtout ce que vous me

L'Assemblée pourrait décider qu'elle lui serait adressée par son président.

M. Thuriot. Je suis très loin d'accuser les deux citoyens qui ont sollicité une déclaration précise, mais je crois aussi que nous ne pouvons pas, dans ce moment-ci, juger avec assez de précision leur démarche; il faut donc à cet égard suspendre toute délibération et joindre cette correspondance aux pièces qui ont été déposées aux archives.

J'observe que, relativement à la lettre de crédit, il y aurait le plus grand inconvénient à la faire parvenir. M. Gilles est un négociant qui jouit d'une grande considération même dans la capitale; et, sur son crédit, on pourrait y trouver des millions; or, je vous demande si avec cette ressource on ne sortirait pas bientôt de l'Abbaye. (Murmures.) Je suis loin de prêter cette idée à M. Gilles, mais je crois qu'il a fait un acte très inconsidéré en envoyant une lettre de crédit sans limitation; parce que, s'il ouvre son crédit généralement à M. Varnier, M. Varnier comme je vous l'ai dit, peut trouver des sommes immenses.

Ainsi, je demande qu'on ne remette pas à M. Varnier la lettre de crédit et qu'au surplus on observe que, dans tous les cas, les prisonniers qui sont accusés du crime de lèse-nation ont toujours tout ce qui leur est nécessaire, et que, par conséquent, on n'a à subvenir à rien.

Je demande donc que les lettres et la lettre de crédit soient jointes aux pièces qui doivent composer le procès, et qu'au surplus on passe à l'ordre du jour.

M. Merlin. M. Basire a obtenu ces lettres comme un dépôt de confiance, il peut faire ce qu'il lui plaira des lettres qui lui ont été adres

sées. Je demande que l'Assemblée l'en laisse maître, et qu'elle passe à l'ordre du jour.

Plusieurs membres demandent la priorité pour le renvoi de toutes les pièces aux archives.

M. Poujet. Je demande que la lettre de crédit soit renvoyée par M. Basire à M. Gilles.

M. Goujon. Le Corps législatif doit garder ces lettres jusqu'à ce qu'on puisse les remettre aux grands procurateurs de la nation, lorsqu'ils seront en activité.

M. Thuriot. J'insiste pour le renvoi de la lettre de crédit aux archives, parce qu'elle est la plus essentielle de toutes et qu'elle me paraît en soi un grand délit.

Plusieurs membres : La question préalable sur le renvoi de la lettre de crédit aux archives.

(L'Assemblée rejette la question préalable et ordonne que ces trois lettres resteront déposées aux archives de l'Assemblée.)

Un membre: Il s'est élevé une contestation dans l'assemblée administrative du district de Florac, dans le département de la Lozère, entre les administrateurs du conseil et ceux du directoire. Le conseil prétend que le directoire lui doit le compte des sommes qui lui sont attribuées pour ses frais de bureau et d'établissement; le directoire, au contraire, soutient qu'il ne doit le compte qui lui est demandé qu'à l'administration du département. Je demande que l'Assemblée renvoie à l'examen de son comité de législation la question de savoir si les directoires de district doivent rendre compte aux conseils ou aux départements.

Plusieurs membres : Le renvoi au pouvoir exécutif.

Un membre: La loi concernant l'organisation des corps administratifs est précise; les directoires de district doivent rendre compte de toute gestion quelconque aux conseils de district; il n'y a lieu à aucun renvoi et je demande que l'on passe à l'ordre du jour.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé ! (L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Merlin. Jusqu'ici on a affecté de nier qu'il existait réellement des rassemblements armés, commandés par des chefs à la porte de nos frontières. Voici une lettre du général autrichien qui commande dans cette partie du Luxembourg et qui constate que le rassemblement d'émigrés français est commandé par un officier général :

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ces pour l'évêque de Trèves. Le maire de Thionville en donna sa plainte à l'officier général, commandant à Luxembourg. Celui-ci écrit bien que ce n'est pas de son aveu que ces Messieurs ont reçu des insultes; mais sa lettre prouve clairement et évidemment qu'il existe à Grevenmacher un rassemblement commandé par un officier général. Je demande le dépôt de cette lettre aux archives, et j'en tire l'occasion d'arrêter un instant l'attention de l'Assemblée sur ces événements.

Vous venez d'appeler les vengeances de la loi sur la tête de personnes accusées d'un crime. Il vous tarde, ainsi qu'à la France entière, de voir rentrer dans le devoir, par la terreur du supplice, ceux que la patrie invitait à recueilir les fruits d'une Constitution dont les bases sont fondées sur la justice éternelle. Mais, Messieurs, je vous le dis, vos efforts sont vains, vos désirs sont frustrés si vous ne vous hâtez de porter contre les grands scélérats, contre les chefs des contrerévolutionnaires le décret qui frappe Varnier et Delattre; si ces conspirateurs tombent, avec eux s'anéantit la trame criminelle; leur impunité, votre indulgence, au contraire, une sorte de partialité à leur égard ne feraient que renforcer leur cohorte, et leur donner plus de temps pour se préparer à ne plus vous craindre. Il existe des rassemblements; qui veut encore l'ignorer? La lettre dont je viens de vous donner lecture, et que je certifie être du général Guerlonde, en est une nouvelle preuve, en dépit des pyrrhoniens de cette Assemblée.

Je vous propose donc de décréter que, dès aujourd'hui, les princes français hors du royaume, agents, fauteurs et adhérents sont en état d'accusation.

Un membre: Je demande le renvoi de la lettre lue par M. Merlin au comité diplomatique; et relativement à sa motion de mettre les princes en état d'accusation, j'observe qu'il existe déjà un décret qui enjoint à Louis-Stanislas-Xavier, ci-devant Monsieur, de rentrer dans le royaume d'ici au 1er janvier. Or, il serait ridicule de lui ordonner de rentrer dans le royaume pour le mettre en état d'accusation. Je demande l'ajournement de cette motion jusqu'à l'expiration du délai.

Un membre: Dans la lettre qu'on vient de vous lire, il ne s'agit que de l'insulte faite à des particuliers. Je demande qu'on dépose la lettre aux archives et qu'on passé à l'ordre du jour.

M. Thuriot. Il n'est point ridicule que vous mettiez aujourd'hui les princes en état d'accusation. Quand vous avez requis le premier prince français de rentrer en France et de se rendre à son poste, vous étiez loin de vous occuper du crime qui, maintenant, vous est bien connu. Vous vous êtes occupés aussi de faire une loi contre les émigrés, et vous en avez pris une tout à la fois ferme et portant les caractères de la sagesse. Le veto l'a rendue inutile; mais le veto n'a pas le droit d'assurer l'impunité à tous les conjurés. Si, à partir du moment où votre mesure a été paralysée, on vous démontre clairement qu'il y a de nouveaux indices, qu'il y a des preuves convaincantes contre les coupables, alors, Messieurs, vous devez oublier votre décret et avoir recours à la Constitution. Or, elle vous dit que quand on attentera à la sûreté de l'Etat, vous aurez à lancer des décrets d'accusation. Vous avez déjà dévoilé une machination criminelle, celle du sieur Varnier; vous dévoilerez les autres en accusant les grands coupables.

Je demande que les faits qui vous ont été dénoncés soient mis sous les yeux du comité diplomatique pour qu'il vous fasse un rapport sur la question de savoir s'il n'y a pas lieu à accusation contre les princes français et leurs adhé

rents.

Un membre: D'après ce qui s'est passé à Caen, à Paris avec le sieur Varnier et à Neufbrisach, nous ne pouvons plus douter qu'il y a un enchaînement dans tous ces mouvements. Je demande à l'Assemblée de décréter l'interdiction à tous les Français de sortir du royaume sans passeports.

M. Goupilleau. Quelque alarmants que soient les rassemblements de Worms et Coblentz, nos ennemis intérieurs sont bien plus à redouter et je demande que l'on termine enfin les mesures à prendre ponr réprimer les manœuvres des prêtres séditieux.

M. Codet. Si les rassemblements sont bien constatés, ce sont des bataillons armés qu'il faut envoyer pour les dissiper et non des décrets d'accusation qu'il faut lancer.

Un membre: Si le décret qui vous est proposé peut sauver la patrie, il faut le rendre à l'instant sans doute. Mais les décrets d'accusation ne seront que des foudres du Vatican contre des attroupements que le canon seul peut dissiper.

Plusieurs membres: Fermez la discussion! Plusieurs membres de l'extrême gauche : Non ! non !

M.Rühl. Je demande la parole.

Voix diverses: Parlez! parlez! Non! non! La discussion fermée!

M. le Président. On a demandé que la discussion soit fermée...

Plusieurs membres de l'extrême gauche: Non! non!

M. le Président. On a demandé aussi que M. Rühl soit entendu; je vais mettre aux voix cette dernière motion, et je rappelle à l'ordre ceux qui m'ont interrompu.

(L'Assemblée décide que M. Rühl sera entendu.) M. le Président. Monsieur Rühl, vous avez la parole.

M. Rühl. Vouloir nier encore les rassemblements des ennemis de la Constitution de l'autre côté du Rhin, c'est vouloir nier qu'il fasse jour à midi. Le cardinal de Rohan, actuellement à Ettenheim, qui fait partie de l'ancien évêché de Strasbourg, a rassemblé auprès de lui 700 brigands commandés par Mirabeau cadet. Il continue à faire venir des armes de Strasbourg, et c'est au point que deux fourbisseurs de cette ville, lui ont vendu, il y a 15 jours, 400 sabres. Nous en avons été avertis par des lettres de la municipalité. Ou le cardinal de Rohan est Français ou il est étranger; s'il est Français, il est coupable, et dans ce cas,je demande qu'il soit mis en état d'accusation; s'il est prince allemand, je demande que le pouvoir exécutif charge notre ministre accrédité auprès des cercles du HautRhin, de savoir pour quelles raisons on souffre qu'un petit prince comme lui fasse des enròlements dans son pays, contre les lois de l'Empire, qui ne donnent ce droit qu'aux grands princes, possessionnés. Cet homme qui n'a que deux bailliages dont les Etats forment un point à côté d'un de nos départements, qui peut tout au plus avoir 20 soldats pour garder la porte de sa maison, prépare des troupes très considérables et menace,

avec impudence, un royaume qui ne peut que le mépriser. Pourquoi le corps germanique permet-il que ce prince viole les lois du pays par des armements qu'il n'a point consentis, ou plutôt, d'où le sieur Rohan tire-t-il les sommes immenses nécessaires pour ces grands préparatifs? N'est-il pas temps,Messieurs, que le pouvoir exécutif nous dise enfin quelles mesures il a prises pour obtenir des renseignements?

Nous ne pouvons plus avoir de doutes sur les intentions des puissances étrangères, sur les rassemblements, sur les enrôlements qu'elles souffrent sur leur territoire. N'est-il pas temps que nous prenions enfin des mesures pour arrêter les entreprises des princes émigrés? Leurs vœux ne sont plus douteux; qu'attendez-vous pour les déclarer prévenus de conspiration eux et leurs adhérents?

Il faut licencier les brigands qui sont rassemblés de l'autre côté du Rhin, qui menacent perpétuellement les citoyens français, qui les maltraitent et qui nous forceront à faire un coup de vigueur. (Applaudissements.). Je renouvelle la proposition que j'ai faite, parce qu'il est honteux qu'un malheureux, un cardinal de Rohan, un petit prince ridicule couvert d'opprobre et d'indignité puisse impunément inquiéter la patrie. (Vifs applaudissements.)

Plusieurs membres : La discussion fermée!

M. Crestin. Ce ne sont pas les ennemis placés au delà des frontières qui sont le plus à craindre, ce sont ceux qui entretiennent des troubles dans l'intérieur.

J'ai appris ce matin un fait qui a quelque importance. Hier, à huit heures du matin, 40 à 50 ouvriers de Paris, en état de porter les armes, sont partis pour aller à Worms; ils étaient allés avant-hier à Versailles toucher l'argent qui leur est destiné, et que leur fournit une caisse que l'on prétend être ouverte à tous les rebelles. J'ignore et le nom du caissier et le lieu où est la caisse, mais il est certain que le départ de ces ouvriers séduits a eu lieu hier, et que ceux qui doivent les suivre ne manqueront pas d'aller à Versailles pour toucher l'argent. Peut-être la lettre de crédit envoyée à M. Varnier a-t-elle quelques rapports avec ce fait, et je crois que Vous avez eu raison d'envoyer cette lettre de crédit aux archives.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Crestin. Avant de s'occuper de ces faits, je crois que ce qu'il est important de faire est d'abord d'aplanir et de mettre à la discussion la plus sérieuse et en même temps la plus modérée et la plus calme, toutes les petites difficultés, toutes les petites contradictions que le pouvoir exécutif vient d'élever au sujet de l'interprétation et de l'application de quelques articles constitutionnels, afin qu'il ne s'élève pas un conflit entre les deux pouvoirs, et que vous puissiez ensuite lancer les décrets d'accusation que vous trouverez urgents. Il ne faut donc pas nous hâter de porter le décret d'accusation dont vous a parlé le préopinant. Je pense que nous devons attendre que le pouvoir exécutif nous ait rendu compte des déniarches qu'il a faites auprès des puissan

ces.

M. Delacroix. J'appuie le délai demandé par M. Crestin; il n'est pas convenable de prendre surle-champ un parti sur les propositions des préopinants. J'en demande le renvoi au comité de lé

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