Page images
PDF
EPUB

pas la mienne. Il paraît qu'on a voulu l'approcher, mais ce n'est pas la mienne.

M. le Président. Vous croyez donc qu'elle est approchant de la vôtre?

M. Varnier. Elle n'est point approchant de la mienne. Il y a de la différence; la paraphe n'est point du tout la mienne.

M. le Président. Vous reconnaissez donc que l'écriture est approchant de la vôtre?

M. Varnier. Je le crois.

M. le Président. Ne connaissez-vous point, à Dijon, une famille nommée Tardy?

M. Varnier. Oui, Monsieur, je connais une famille nommée Tardy; mais je ne la connais que de réputation.

M. le Président. Vous n'avez aucune relation avec les individus de cette famille?

M. Varnier. D'aucune espèce.

M. le Président. N'avez-vous aucune connaissance à Coblentz?

M. Varnier. Aucune, Monsieur.

M. le Président. N'y avez-vous aucune correspondance?

M. Varnier. Aucune, Monsieur. D'ailleurs l'officier qui m'a arrêté a la clef de ma chambre, il est possible d'y voir s'il y a quelque chose de suspect. L'officier l'avait laissée, et il est retourné pour la prendre, et même cette malheureuse circonstance a failli me faire perdre la vie dans la rue de Grenelle.

M. le Président. N'avez-vous pas, depuis peu, envoyé quelques assignats à Dijon?

M. Varnier. Non, Monsieur, mais on m'en a envoyé.

M. le Président. Vous n'en avez point envoyé de Paris ?

M. Varnier. Non, monsieur, et la lettre dans laquelle on me les a envoyés est encore dans ma chambre.

M. le Président. N'en avez-vous point envoyé à Auxonne?

M. Varnier. Non, Monsieur.

M. le Président. Connaissez-vous M. Varnier, de Toulouse?

M. Varnier. Non, Monsieur.

M. le Président. N'avez-vous envoyé à M. Noireau, de Pontailler, ni assignats ni argent ?

M. Varnier. Non, Monsieur, ni assignats ni argent, je n'ai même pas écrit à M. Noireau depuis que je suis à París.

M. le Président. Huissiers, veuillez mettre Monsieur en bonne et sûre garde, comme il l'était auparavant, jusqu'à ce que l'Assemblée ait pris une détermination.

M. Varnier se retire.

M. Basire jeune remet sur le bureau, après l'avoir signée, une lettre datée d'Auxonne, du 4 novembre 1791, dont il n'a point été fait lecture.

Un membre: Il faut lui faire parapher la lettre.

M. le Président. Je ne le fais retirer pour un moment, que pour consulter l'Assemblée si je dois communiquer à M. Varnier le contenu de la lettre. I reparaitra aussitôt que l'Assemblée aura décidé. J'ai cru devoir le faire écarter un instant, parce qu'il peut y avoir encore des de

mandes intéressantes à lui faire, qui ne se sont pas présentées à moi. En conséquence, vous pouvez prendre telle marche qu'il vous plaira, et fixer la mienne, lorsque j'ordonnerai, en votre nom, qu'il reparaisse à la barre.

Un membre: Plusieurs membres de cette Assemblée viennent d'être instruits que le jeune homme qui a paru à la barre avait déjà couru des risques pour sa vie.

M. le Président. J'engagerai l'Assemblée à donner des ordres par mon organe pour la sureté du même individu qui a déjà couru des risques.

Un membre: Messieurs, le caractère dont je suis revêtu exige que je vous fasse part de quelques faits relatifs à M. Varnier. J'ai connu M. Varnier, à Dijon, en faisant mon droit, et je ne l'avais pas vu depuis le mois de mai 1789. Hier je rencontrai M. Varnier, près le Palais-Royal ; j'allais chez M. Magnen, administrateur des douanes. Je dis à M. Varnier que je me rendais chez M. Magnen, M. Varnier me dit : « Vous ne le trouverez pas chez lui; mais il est sûrement à l'administration des douanes. » Nous nous y sommes rendus ensemble. Nous n'y avons point trouvé les administrateurs, parce que c'était hier le jour de Saint-Martin, et que c'est un jour de vacance pour ces Messieurs. Je lui ai dit : « Monsieur Varnier, comme vous connaissez ces Messieurs et que j'ai à leur parler, vous viendrez demain à 9 heures chez moi. »

:་

M. Varnier est venu, ce matin, chez moi de là je me suis rendu chez mon père qui demeure rue d'Argenteuil, n° 22; j'ai été ensuite chez MM. les administrateurs des douanes avec M. Varnier; j'ai ensuite été au Palais-Royal où j'ai déjeuné avec lui au café Italien. Lorsque je suis arrivé à l'Assemblée je le quittais, et j'ai été très étonné d'entendre lecture d'une lettre qui impliquait M. Varnier. Je me suis longtemps demandé à moi-même si je devais faire part à l'Assemblée de ces faits; mais comme je crois qu'il n'y a aucune différence entre les vertus civiques et les vertus morales, j'ai cru que c'était une démarche que je devais faire. A présent, Messieurs, si vous croyez que ma connaissance avec M. Varnier peut me faire regarder comme son complice...

Plusieurs membres : Non! non!

Un membre: Je voudrais savoir quelles sont les recommandations par lesquelles il a obtenu sa place, parce qu'il est intéressant de connaitre les personnes qui l'ont servi. (Oui! oui !) Et qui est-ce qui lui a envoyé l'argent de Dijon.

Un membre: Je crois que les interrogats qui ont été faits à M. Varnier sont plus que suffisants pour mettre l'Assemblée en état de décider. Selon moi, M. Varnier ne devait être interrogé que sur trois points principaux, sur sa demeure, sa qualité et son age. Voici ma raison: M. Varnier avait été dénoncé par M. Basire. La lettre qui avait été mise sur le bureau, ne présentait que M. Varnier; mais pour distinguer M. Varnier, M. Basire vous a dit que c'était un ancien commis qui demeurait à l'hôtel du Grand-Louis, et qu'il habitait Paris depuis quelque temps. Vous avez donc à examiner si celui qui a été arrêté était précisément ce M. Varnier qui était ancien commis, demeurant à l'hôtel du GrandLouis. Il se trouve, d'après les interrogats qui lui ont été faits, que c'est vraiment celui que vous a dénoncé M. Basire.

Il s'agissait ensuite de savoir du sieur Varnier lui-même, s'il était l'auteur de cette lettre. A cet égard, il ne vous a présenté aucune certitude: vous deviez bien sentir qu'il la nierait mais j'ai entendu sortir de sa bouche, que celui qui avait écrit cette lettre, avait cherché à contrefaire la sienne; d'où vous devez inférer, d'après le langage de M. Varnier, que cette écriture est très ressemblante à la sienne.

Mais, Messieurs, devez-vous approfondir cette matière? devez-vous examiner l'écriture de M. Varnier? je ne le crois pas. Vous n'êtes pas ici des experts en écriture; vous n'êtes point ici pour juger le fond de l'affaire, mais seulement pour décider si, d'après la lettre, il y a lieu à accusation contre lui. Vous l'avez déjà décrété, et vous n'avez suspendu votre décret que jusqu'à ce que M. Varnier eût paru à votre barre; il y a paru : tout selon moi est consommé, la loi portée doit avoir son effet.

M. le Président. J'observe à l'Assemblée que je n'ai point fait lecture de la lettre. Doit-on, Messieurs, rappeler le prévenu?

M. Terrède. Avant que l'Assemblée nationale lève la suspension du décret d'accusation qu'elle a rendu, je propose que M. Varnier soit transféré, sous bonne et sûre escorte, dans les prisons de l'Abbaye. Si vous attendez, Messieurs, que le décret d'accusation soit porté, peut-être ne serezvous pas les maîtres de le sauver.

Un membre: J'appuie la motion. Ses complices mêmes pourraient le faire massacrer. Il est important pour l'humanité, il est important pour la justice et pour la sûreté publique, que cet homme soit transféré, sous bonne et sûre garde, à l'Abbaye, avant que le décret d'accusation soit porté.

Un membre: Le peuple saura respecter la loi. M. Saladin. I importe de s'assurer sur-lechamp des papiers de ce citoyen. Ces papiers sont en ce moment dans un hôtel garni. La clef est entre les mains d'un officier de garde à l'Assemblée. Je dis qu'il est important pour le salut de l'Empire, de s'assurer des papiers de cet homme je dis que les papiers peuvent être enlevés par les nombreux complices qu'il peut avoir à Paris je dis, Messieurs, que, dans une auberge, il y a des doubles clefs; que celle qui est entre les mains de l'officier de garde ne peut pas être le garant que les papiers ne seront pas enlevés. En conséquence, je fais la motion que l'ordre soit envoyé au juge de paix de la section, d'apposer le scellé dans sa chambre, et sur tous les papiers du sieur Varnier. Voilà ma motion.

Un membre: Je propose que deux commissaires de l'Assemblée nationale accompagnent... (Murmures.) le sieur Varnier jusqu'aux prisons. (Murmures.)

M. Audrein. Non! non! je m'y oppose! (Bruit.) Le même membre: On peut demander la question préalable sur ma motion, mais je la fais, et si elle est appuyée, je demande qu'on la metté aux voix. Je ne propose d'ailleurs aucune innovation l'Assemblée constituante a adopté cette mesure dans une circonstance à peu près pareille.

M. Cambon. Je m'oppose à la proposition du préopinant. Il ne convient à aucun membre de l'Assemblée d'accompagner un homme de cette espèce. (Murmures.)

M. Dumolard. Rappelez à l'ordre l'opinant, Monsieur le président, l'accusé n'est pas condamné; il est encore citoyen. (La faiblesse de la voix de M. Dumolard excite les rires de l'Assemblée.)

M. le Président. J'ai demandé à l'Assemblée si elle voulait que M. Varnier reparût, ou non, à la barre. (Non? non!) Il paraît que l'avis général est non. On demande que la suspension du décret d'accusation soit levée; je mets aux voix cette proposition.

(L'Assemblée lève la suspension du décret d'accusation. (Bruit dans l'Assemblée. applaudissements dans les tribunes.)

Vifs

M. le Président. Je demande à l'Assemblée de ne point épuiser tour à tour ses présidents. Un membre: Je demande que l'Assemblée décrète que l'on consignera la porte de M. Varnier.

M. Dumolard. Je demande que les gardes nationales soient..... (Le bruit couvre sa voix.) Ils jugeront si les effets sont intacts.

M. le Président. On vous propose de mettre une consigne à la porte de M. Varnier.

Plusieurs membres: La question préalable! (L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cette motion.)

Un membre: Je pense que le pouvoir exécutif doit être chargé de faire faire l'inventaire des effets. (Non! non!)

M. Saladin. Voici ma rédaction :

« L'Assemblée nationale ordonne que le pouvoir exécutif sera tenu de prendre sur-le-champ toutes les mesures nécessaires pour s'assurer des papiers et autres effets du sieur Varnier, à l'effet de quoi le présent décret sera porté, séance tenante, au roi.

[ocr errors]

(L'Assemblée adopte la proposition de M. Saladin, sauf rédaction.)

M. le Président. Je reçois un billet de l'officier de garde, ainsi conçu :

« L'officier de la gendarmerie nationale a l'honneur de demander à M. le président de faire prononcer sur la remise des clefs de l'appartement du sieur Varnier, dont il s'est chargé, et qu'il demande à remettre entre les mains de ceux qui doivent en connaître. »>

Plusieurs membres : Au pouvoir exécutif.

M. Gensonné. Je propose que l'archiviste soit chargé de faire, dans le jour, la liste du haut juré, d'après les procès-verbaux qui lui ont été remis, afin que demain la publication de cette liste puisse se faire, ce qui est absolument essentiel, à cause des délais des récusations qui entraîneraient un temps considérable. Je propose donc que cela soit décrété tout de suite. J'ajoute que l'Assemblée charge son comité de législation de lui présenter demain un projet de proclamation qui sera publié après demain pour la convocation de la haute cour nationale, et que la séance de lundi ou mardi prochain soit fixée pour que le tirage au sort des quatre membres du tribunal de cassation, qui doivent faire les fonctions de grands juges, soit effectué. J'observe qu'il faut indiquer cela par un décret, parce que le pouvoir exécutif doit envoyer deux commissaires pour être présents à ce tirage au sort dans l'Assemblée. Je demande ensuite que l'Assemblée nomme, le même jour, les deux membres qui devront remplir les fonctions de procurateurs généraux.

(L'Assemblée adopte la motion de M. Gensonné, sauf rédaction.)

(Suit le texte du décret tel qu'il a été adopté lors de la lecture du procès-verbal.)

L'Assemblée nationale décrète :

1° Que son comité de législation civile et criminelle lui présentera à la séance de demain la liste des hauts jurés, qu'il a été chargé de dresser sur les procès verbaux d'élection remis aux archives conformément au décret du 10 mai 1791;

[ocr errors]

2° Que, dans la même séance, son comité de législation lui présentera également un projet de proclamation pour la convocation de la haute cour nationale;

3° Que, dans la séance de lundi prochain, il sera procédé, en présence de deux commissaires du roi, à la nomination des quatre juges du tribunal de cassation qui doivent remplir les fonctions de grands juges;

4° Qu'il sera également procédé dans la même séance à la nomination des deux membres de l'Assemblée, qui rempliront les fonctions de grands procurateurs de la nation;

[ocr errors]

Et sera le présent décret porté au roi dans le jour.

[ocr errors]

M. le Président. Je prie l'Assemblée de vouloir bien déclarer son intention relativement aux clefs.

M. Couthon. L'Assemblée ne doit pas rendre un décret sur un objet minutieux. Il faut que l'officier, après avoir remis l'homme dans le lieu où il doit le transférer, se transporte chez le juge de paix, y remette les clefs, et retire acte de dépôt.

M. Delacroix. Les incertitudes de l'Assemblée paraissent dissipées: elle a mis sous la main de la justice un des chefs prévenus de la conjuration. qui vous a été dénoncée ce matin. Vous n'atteindrez pas votre but, si vous n'étendez pas votre décret d'accusation contre le sieur Tardy et contre celui auquel la lettre était adressée. Il est indispensable que vous preniez contre eux la même précaution que celle que vous avez prise, parce qu'ils sont aussi prévenus que celui que vous avez mis en état d'accusation.

Les papiers publics annonceront demain ce que vous avez fait aujourd'hui; les complices du sieur Varnier s'évaderont, et alors vous aurez manqué le but que vous vous êtes proposé. (Murmures.)

Un membre: Cette motion a déjà été faite et n'a pas été appuyée.

M. Delacroix. J'observe que si l'Assemblée a rejeté cette proposition, c'est parce qu'alors elle n'était pas déterminée à mettre le sieur Varnier en état d'accusation. Je demande donc que le décret d'accusation soit étendu, et à M. Tardy, et à celui à qui la lettre était adressée.

M. Garran-de-Coulon. Indépendamment du salut public, auquel tout citoyen doit le sacrifice de sa liberté, il est incontestable qu'il y a ici les mêmes motifs pour accuser, et par conséquent pour décréter ces deux citoyens, l'un nommé dans la lettre, et l'autre à qui la lettre est adressée. Je dis qu'il y a des motifs absolument semblables; car si la lettre provient de l'individu qui l'a signée, si elle est véritable dans les faits qui y sont contenus, il est manifeste qu'elle fait la même preuve, qu'elle contient la même charge contre celui qui l'a écrite, que contre celui à qui elle est adressée.

D'après ces considérations, je dis que nous

avons le droit qu'un tribunal lui-même, le plus scrupuleux sur les formes, aurait; je veux dire le droit de décréter les personnes énoncées dans la lettre réelle ou prétendue; je dis que le salut public l'exige, parce que vous n'avez jusqu'à présent que des fils très minces de la conjuration qui est l'objet de cette lettre, et que vous ne pouvez tenir que de ceux avec lesquels le prévenu était en correspondance, de nouvelles pièces et de nouvelles preuves. Je fais donc la motion expresse que le décret d'accusation soit sur-lechamp rendu.

M. Delacroix. Il faut que le pouvoir exécutif soit chargé de donner des ordres pour s'assurer de leur personne.

M. Merlin. Et qu'un courrier extraordinaire soit envoyé à l'instant.

(L'Assemblée décrète qu'il y a lieu à accusation, et adopte les deux propositions subséquentes de MM. Delacroix et Merlin.)

M. Isnard, secrétaire. Messieurs, il y a un nom inconnu que M. Basire seul peut donner.

M. Basire jeune. Le citoyen de la ville d'Auxonne, qui m'a envoyé cette lettre, M. Vollon, m'assure qu'elle était adressée à M. Noireau de Pontailler. Je n'ai d'autre preuve de cela que la lettre de mon correspondant. Je l'ai déposée sur le bureau pour valoir ce que de raison.

Un membre: Je demande que l'Assemblée décrète que les scellés seront pareillement mis sur les papiers des deux autres individus mis en état d'arrestation.

(L'Assemblée décrète cette motion.)

En conséquence, le décret suivant est rendu :

L'Assemblée nationale décrète que les nommés Tardy de Dijon, et Noireau de Pontarlier (1), département de la Côte-d'Or, sont en état d'accusation; qu'en conséquence, le pouvoir exécutif fera partir à l'instant un courrier extraordinaire porteur d'ordres nécessaires pour s'assurer de leurs personnes, les tenir au secret, et s'assurer aussi de tous leurs papiers. »

M. Taillefer. Je renouvelle la proposition de déterminer les mesures nécessaires à la sûreté de l'individu.

M. le Président. Messieurs, que voulez-vous faire des pièces?

Un membre: Je demande que la lettre signée Varnier et le papier sur lequel l'individu a écrit soient déposées aux archives ainsi que la lettre du sieur Vollon.

(L'Assemblée adopte cette proposition sauf rédaction.)

En conséquence, le décret suivant est rendu : « L'Assemblée nationale décrète que la lettre signée Varnier, les quatre lignes d'écriture faites à la barre par le sieur Varnier, accusé, et la lettre du sieur Vollon, d'Auxonne, seront déposées aux archives de l'Assemblée, sur un reçu de l'archiviste, et que ces deux dernières pièces seront signées par deux secrétaires. »

M. le Président. L'objet le plus intéressant qui tient à la tranquillité de la ville, est la conduite de l'individu. П y a des rassemblements de plusieurs côtés. Cela demande votre attention, et j'exige des membres qu'ils soient en séance.

(1) C'est par suite d'une erreur dans l'expédition du décret que le nom de Pontarlier a été désigné. Il faut lire: Pontailler, ainsi qu'il résulte de la rectification faite par M. le ministre de la justice, dans la séance du 20 novembre 1791.

M. Delacroix. Je propose que l'Assemblée ne lève pas la séance que la sûreté de ce particulier ne soit hors de toute espèce d'atteinte.

(La motion de M. Delacroix est unanimement adoptée.)

M. Couthon. La seule précaution qu'il y ait à prendre pour la sûreté de cet individu, c'est, je crois, de mander sur-le-champ le maire ou, en cas d'absence du maire, un officier municipal, pour le recommander à sa surveillance.

(La motion de M. Couthon passe à l'unanimité.) M. le Président. Vous n'avez point encore prononcé le lieu où M. Varnier serait conduit : je propose de décréter que M. Varnier sera, lorsqu'on aura entendu le maire, transféré à l'Abbaye, pour y demeurer en état d'accusation.

(La proposition est décrétée.)

Un membre: Je propose, en attendant M. le maire, de reprendre la lecture du rapport sur les prêtres non assermentés.

Plusieurs membres : L'ajournement à lundi ! (L'Assemblée décrète que le projet de décret du comité de législation sur les prêtres non assermentés, sera imprimé et distribué demain, pour être discuté définitivement lundi) (1).

M. Audrein. Je demande que les lettres qui arriveront à l'adresse de M. Varnier, soient arrêtées et déposées aux archives, pour y être réunies au reste des pièces.

:

Un membre Dans les circonstances les plus orageuses, l'Assemblée constituante s'est bien gardée de violer le secret des lettres, elle l'a toujours respecté.

M. Audrein. Je ne propose pas de briser les cachets, mais seulement d'interrompre la correspondance.

M. Delacroix. Le secret des lettres est assuré par la Constitution, mais la Constitution n'a jamais eu pour but d'empêcher de prendre des précautions. Je demande que les lettres soient remises aux juges qui, sans les ouvrir, les remettront à l'accusé lors de son interrogatoire. I aura alors la faculté de les ouvrir, mais en présence des juges.

(L'Assemblée adopte la proposition de M. Delacroix.)

M. le Président. Messieurs, la section de Sainte-Geneviève a l'honneur de prévenir l'Assemblée qu'une députation viendra demain la féliciter sur le décret qu'elle a rendu relativement aux émigrants.

La section des Lombards demande à être entendue pour le même objet.

(L'Assemblée décrète que les deux députations seront admises demain.)

(L'Assemblée décrète ensuite qu'une députation de la ville de La Rochelle, le sieur Lafarge et autres pétitionnaires seront entendus demain; qn'on entendra immédiatement après le rapport du comité des pétitions, et ensuite le rapport relatif aux contributions publiques.)

Un membre: Je demande que le comité des secours publics s'occupe incessamment des moyens d'accélérer l'exécution des décrets de l'Assemblée nationale constituante, sur le soulagement des pauvres, et qu'il soit chargé de faire un rapport sur cet objet.

(L'Assemblée adopte cette motion.)

(1) Voir ci-après ce document aux annexes de la séance, page 42.

41

M. le Président. Voici une lettre qui m'a été adressée ce matin par un nommé M. Brillac. A cette lettre étaient jointes deux pièces relatives au rassemblement de Coblentz.

Un de MM. les secrétaires donne lecture de cette lettre qui est ainsi conçue :

« Coblentz, le 30 octobre 1791.

« Déjà près de 60,000 Français expatriés sont inscrits chez les princes; on sustente ceux d'entre eux qui arrivent sans moyens. Selon les renseignements que nous avons ici, on attend sous peu de temps encore, 40,000 de nos compatriotes; il y a peu de jours qu'il est sorti de la chancellerie une capitulation dont plusieurs exemplaires ont été délivrés aux intéressés; elle était signée par Monsieur et M. le comte d'Artois, au nom du roi, leur frère, pour la levée d'un corps de chasseurs royaux des princes, d'environ 1,200 hommes, et divisé en 16 compagnies. Colonel-propriétaire, M. Saint-Clair, officier anglais qui a servi chez les Brabançons; colonelcommandant, M. le chevalier de Mesnard la Valette, capitaine français.

« Ces corps doivent être complets au 1er janvier prochain, pour passer la revue au plus tard au 15 janvier prochain. M. de Mesnard est à Liège, député des princes français, pour demander la permission de recruter dans la principauté, au principes connus sur la Révolution de France, et prince évêque, qui ne la refusera pas, vu ses sa façon d'agir au sujet de la révolution de son pays. De là, M. de Mesnard ira à Bruxelles, remplir quelques commissions, sans doute du même genre, auprès des gouverneurs généraux, qui ne seront peut-être pas si zélés que l'évêque de Liège. On a déjà passé plusieurs marchés pour la livraison des armes, des tentes et autres choses nécessaires au nouveau corps. »

Plusieurs membres : L'ordre du jour !
(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

jour pour la discussion du rapport relatif au mé-
Un membre: Je demande que l'on assigne un
moire de M. Clavière.

Un membre: Il n'y a plus dans la salle un assez grand nombre de membres pour rendre des décrets. Toute discussion doit cesser.

(L'affaire Varnier est reprise.)

M. le Président. M. le maire n'était pas chez lui, mais un officier municipal vient pour le remplacer.

L'officier municipal est introduit.

M. le Président. L'Assemblée nationale vous a appelé, Monsieur, pour veiller à la sûreté d'un individu contre lequel elle vient de porter un décret d'accusation. Son intention est qu'il soit à l'instant transféré à l'Abbaye, sous la plus sûre garde. Elle vous a fait venir, parce que vous devez connaître spécialement ce qui peut concerner la tranquillité publique de la capitale.

L'officier municipal. Monsieur le président, j'ai connaissance du fait, et je vais exécuter les ordres de l'Assemblée. (Applaudissements.)

M. le Président. L'Assemblée vous charge, aussitôt que le citoyen accusé sera à l'Abbaye, dé lui en envoyer rendre compte.

L'officier municipal se retire.

(L'Assemblée suspend la séance jusqu'à ce que l'on ait appris que M. Varnier ait été transféré à l'Abbaye.)

(La séance est reprise à huit heures.)

M. le Président. On vient de m'annoncer que le sieur Varnier vient d'être conduit paisiblement à l'Abbaye, et qu'il est maintenant en sûreté. Ainsi, il me semble que la séance qui a été suspendue à ce sujet, peut être levée. (Oui! oui !) M. le Président. La séance est levée. (La séance est levée à huit heures.)

PREMIÈRE ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU SAMEDI 12 NOVEMBRE 1791.

RAPPORT du comité de législation sur les PRÊTRES NON SERMENTÉS (1) par M. Veirieu, député à l'Assemblée nationale (2).

Messieurs, les objets que votre comité de législation vient soumettre à votre sagesse présentent des rapports d'un ordre supérieur, et dignes, par leur haute importance, de la plus grave méditation.

Presque au même instant, et de plusieurs points de l'Empire, des pétitions nombreuses vous ont avertis des manoeuvres turbulentes et des efforts séditieux de quelques prêtres, ennemis acharnés de leur patrie. Votre comité de législation a jeté les yeux sur les tableaux affligeants de violences et de désordres que vous lui aviez prescrit de parcourir. Nous ne pouvons vous le dissimuler, Messieurs, il n'est point de moyens que ces prêtres perturbateurs n'emploient pour renverser, s'il est possible, la Constitution que nous avons juré de défendre, pour l'anéantir dans les horreurs d'une guerre civile. Insinuations perfides, mesures sinistres, propos séditieux, écrits incendiaires, calomnies contre la loi qui nous a arrachés à la servitude; désordres domestiques, insultes envers les autorités constituées; refus des sacrements par les curés non remplacés, envers ceux qui ont acquis des biens nationaux; coalition de ces prêtres avec les cidevants nobles; rébellions ouvertes à l'installation des curés amis de la pureté de l'évangile; outrages sanglants faits à ceux-ci, aux pieds même des autels; rassemblements formés devant les églises pour troubler le service divin; hordes de femmes égarées et séditieuses; curés chassés, poursuivis, assassinés; enfin, citoyens aigris, armés par une haine fanatique et prêts à s'entr'égorger. Voilà, Messieurs, l'idée rapide et générale des maux qui désolent une partie de l'Empire français.

Quelle fureur sacrilège anime ces ministres d'un Dieu de douceur et de paix? Est-ce par intérêt pour le ciel qu'ils arment d'un poignard fratricide le citoyen contre le citoyen? Est-ce une querelle religieuse dont il faut prévenir les suites funestes ou une troupe de prêtres factieux dont la tranquillité sociale demande la répression et le châtiment? Quels sont les moyens de faire cesser les troubles qu'ils suscitent? Par quel frein réprimerez-vous ces hommes dangereux et turbulents?

Votre comité, Messieurs, a pensé que l'examen de ces questions éclaircirait votre marche, et qu'il dirigerait sûrement votre opinion vers le

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Ecclésiastique, T', t.

(2) Voir ci-dessus, même séance, pages 31 et 41.

but où elle doit tendre dans des conjectures pénibles sans doute, mais incapables de détourner votre courage et d'affaiblir votre résolution.

Non, ce n'est pas d'une fausse et sanguinaire piété que les troubles qui vous occupent tirent leur première origine; nous le déclarons solennellement. Nous n'enveloppons point dans notre pensée tous ceux qu'un même égarement entraine. Plusieurs ignorent le crime affreux dans lequel on veut les faire tremper; mais nous devons vous le dire une politique ténébreuse couvre du voile de la religion un complot exécrable. Tous les conjurés ne sont pas au delà du Rhin. Il est aussi dans le royaume des ennemis violents de notre liberté, non moins ulcérés, non moins implacables; leur perfidie travaillé dans l'ombre à aigrir les esprits, à empoisonner les cœurs, à égarer les meilleurs citoyens, à exciter les dissensions intestines et cruelles.

Les premiers de ces conjurés, sans moyens de réunion dans l'Empire, placés sous l'œil vigilant de nos municipalités, dispersés par l'activité de nos gardes nationales, sont allés sur une terre étrangère ourdir une trame de leurs complots. Les autres, toujours en rapport avec le peuple des campagnes qu'ils gouvernent, toujours couverts de l'inviolable manteau de leur ministère, n'ont pas eu besoin de chercher sous un autre ciel un asile propice à leurs projets criminels; c'est au milieu de l'État, c'est dans son sein même qu'ils ont pu conjurer et qu'ils conjurent sa perte.

Eh! Messieurs, est-ce l'esprit de la religion qui peut les entraîner dans cet égarement déplorable? Mère de la paix et de la vertu, la religion commande-t-elle la sédition et les forfaits ?

De bonne foi, quel tort fait à la religion la réforme extérieure du clergé? Que l'on nous dise si nos lois se sont souillées par aucune altération de dogmes, et si elles ont détruit la forme du culte et l'antique lithurgie. Non, Messieurs, nos lois sont sages, elles ont rappelé le sacerdoce à sa pureté, à sa dignité originelle. Mais ce n'est pas ce que voulaient ces hommes corrompus par l'opulence et pervertis par la domination. De tous les temps, le sacerdoce voulut planer sur l'Empire; de tous les temps, Rome mit l'univers à contribution; de tous les temps sa puissance théocratique enchaîna et fit trembler les peuples et les rois.

La grandeur temporelle n'est plus, les scandaleuses richesses de ses ministres sont dispersées. Voilà la source de cette étrange coalition, le nœud de cette double ligue féodale et sacerdotale, la cause de ces orages désastreux qui grondent dans quelques-uns de nos départements.

Vous le concevez donc comme nous, Messieurs, ces mouvements n'ont pas pour objet réel la « liberté des cultes. » La liberté des cultes est déjà établie, elle existe par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle est garantie par la Constitution; ces insurrections prétendues religieuses ne sont donc qu'un système impie de révolte et de sédition.

Mais ce que l'on n'a peut-être pas remarqué encore, c'est la correspondance qui règne entre cette branche de conjuration et celle que vous avez frappée ces jours derniers, avec cette vigueur de caractère qui annonce si bien la sécurité, l'énergie et les forces d'une grande nation.

Combinez, Messieurs, les époques; rappelez les circonstances, le rapprochement vous révèlera les sinistres et profonds secrets de nos ennemis.

« PreviousContinue »