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[Assemblée nationale législative.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 novembre 1791.]

Au moment où Avignon est devenu, de nouveau, le théâtre de la fureur et du carnage, c'est lorsque vous apprenez que toutes les parties de l'Empire s'échappent et font frémir sur les bords du Rhin tous ces illustres mécontents qui veulent tout embraser et réduire en cendres, c'est alors qu'une foule de prêtres forcenés soufflent dans l'intérieur le feu de la guerre civile et préparent des poignards: ces mouvements corrélatifs sont les résultats d'un effort caché et commun; ces soulèvements sont les essais de leurs forces combinées; ces tentatives criminelles sont l'expérience de ce qu'ils pourront enfin oser. C'est à votre prudence à mesurer d'un œil tranquille tous les périls de l'Etat, pour les prévenir et pour les faire échouer; c'est au courage fier et généreux d'un grand peuple à les attendre sans alarme pour moi, je tire de tous ces faits la conséquence qui importe à votre délibération.

:

Ces prêtres factieux ne s'éloignent donc pas de nos temples pour des raisons de culte et de religion. Ces hommes impitoyables ne fomentent donc ces troubles que pour aider à renverser la Constitution qui blesse leur orgueil et qui détruit leurs richesses; ils veulent donc déchirer le sein de la patrie pour reprendre, dans les flots de son sang, et leurs domaines et leurs trésors.

et

Suivons-les, Messieurs, un instant, dans leurs routes profondes et sinueuses. Remarquez avec quel art ils marchent vers leur but odieux, traînent avec eux les malheureux citoyens qu'ils égarent; ils ne vont pas, sous le chaume, dire au pauvre agriculteur que la suppression de la dime est un attentat sacrilège, une impiété damnable; ce langage démasquerait leur fourbe et leur hypocrisie. Pour colorer et propager leur révolte, ils osent la lier à un système prétendu religieux. Ils répandent que l'organisation civile du clergé est une entreprise séculière sur la discipline ecclésiastique; qu'elle rompt le lien commun des fidèles, et (ce qui dans leur sens est toujours identique) qu'elle blesse les droits de l'Eglise ou « l'intérêt du ciel ». De là, refus du serment prescrit par la loi du 26 novembre dernier; de là, ces anathèmes contre cette réforme salutaire et si longtemps désirée; de là, ces bulles répandues et les prédications pour tromper la religion du peuple; de là, les menaces des foudres du Vatican, jadis bravées par le despotisme et que la liberté éclairée redoutera encore moins; de là, ces terreurs insensées de tant d'hommes pusillanimes, lorsque, pour leurs intérêts personnels, les ministres du culte osent les menacer de l'índignation divine; de là, cette résistance opiniâtre au remplacement de quelques pasteurs, l'aveugle dévouement de tant de paroisses, capables de se manifester par des actes ouverts de rébellion; ces divisions locales et intestines d'autant plus cruelles, pour le vain, le fatal prétexte de la religion; de lå enfin, Messieurs, les maux qui contristent l'humanité et le civisme, et qu'il faut réprimer par tous les moyens qui sont en notre disposition.

Mais quels sont ces moyens? où sont les remèdes convenables? Après ce que je viens de vous dire, Messieurs, la recherche en sera moins difficile; votre comité vient de vous dévoiler la grande conjuration politique que cache la prétention de ces prêtres factieux. Il vous en a développé les nœuds, et si cette ligue odieuse ne Vous offrait qu'une masse de coupables, votre comité vous dirait : « Défenseurs zélés du bonheur de la nation, ne vous armez point contre

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des conjurés du glaive trop lent de la loi : à de rapides maux, il faut de prompts remèdes. Arrachez sans délai toutes ces plantes venimeuses, et qu'une mesure grande, qu'une déportation éternelle et lointaine rende enfin à la société troublée son bonheur et sa tranquillité. »

Mais cette résolution qui vous a été proposée est-elle juste? et si elle n'est pas juste, serait-elle digne de législateurs?

Non, Messieurs, cette mesure n'est point juste; disons plus, elle serait «< peuple, cette grande et suprême loi, ne vous la inique », et le salut du dicte point.

་་

Elle serait inique », parce qu'elle frapperait peut-être autant d'innocents que de coupables. En effet, parmi les prêtres qui fuient nos temples, les uns sont, à la vérité, les agents aussi actifs que perfides de la conjuration qui se trame; mais les autres, faibles ou ignorants, égarés par des abstractions ou des sophismes théologiques, ou courbés sous le joug d'antiques préjugés, suivent en paix l'erreur d'une fausse conscience, ils la suivent sans troubler l'ordre civil.

Pourrions-nous, de sang-froid, adopter à leur égard une résolution si tyrannique et si atroce? Quoi, Messieurs, nous arracherions à leur asile des hommes quí, jusqu'au moment de leur paisible erreur, ônt signalé et honoré leur vie par des actes constants de bienfaisance et de vertu! Non, Messieurs, cette barbare politique ne peut pas être la vôtre. Elle ne peut convenir qu'à de farouches tyrans.

Eh! que penseraient de nous, que penseraient de nos lois, ceux qui verraient enlever de leur sein ces ministres du culte qui furent toujours leurs appuis dans l'indigence, leurs consolateurs dans leurs peines, leurs amis, leurs pères, leurs conseils? Nous osons le dire, Messieurs, cette mesure imprudente autant qu'injuste, aigrirait tous les cœurs, elle révolterait, elle grossirait la foule des conspirateurs, elle augmenterait leurs forces et mettraient dans le plus grand péril, et la patrie, et la Constitution.

Votre comité de législation croit, Messieurs, que vous devez employer des moyens de répression véritablement imposants et de la plus grande force possible; mais il croit aussi qu'il est de l'intérêt de l'Etat comme de celui de l'équité, de rejeter ces mesures trop arbitraires et trop violentes, qu'inspire sans doute un civisme bien intentionné, mais que la conscience du législateur repousse quand il songe qu'il est l'arbitre de la destinée publique, et quand il élance sa pensée pour prévoir les biens infinis ou les maux déplorables qui doivent être les résultats de ses déterminations.

Voici, Messieurs, le projet de décret qu'il vous propose. Souffrez cependant que je vous le dise: l'extrême brièveté du temps que la discussion du comité a laissé au rapport, à la rapidité de mon zèle et à mes veilles, m'a privé de la possibilité de vous développer ses principes; maís vous les avez entendus sí souvent dans cette tribune; ils ont été si profondément discutés par les orateurs qui m'ont précédé, que mon silence, forcé sur cette partie, ne doit pas vous inspirer le plus petit regret.

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, instruite que, dans plusieurs départements du royaume, les ennemis du bien public, sous prétexte de religion, exci

tent des troubles, et fomentent des séditions, décrète ce qui suit :

"Art. 1er. A compter du 1er janvier prochain, tout Français résidant dans le royaume, qui jouit de traitement ou pension sur le Trésor public, ne pourra en être payé, sous aucun prétexte, s'il ne justifie, par un certificat de la municipalité de son domicile, et visé par le directoire du district, qu'il a prêté le serment civique, porté en l'article 5 du titre II de la Constitution du royaume. Les trésoriers-receveurs ou payeurs seront personnellement garants et responsables des payements faits contre la teneur du présent décret.

« Art. 2. Afin de concilier avec la liberté des opinions religieuses, les précautions nécessaires pour empêcher que leur manifestation ne serve de prétexte à des troubles contre l'ordre public, aucun ministre d'un culte ne pourra s'immiscer dans l'exercice public ou prédication de ce culte, s'il n'a prêté le serment civique, porté en l'article 3 du titre II de la Constitution du royaume.

« Art. 3. Les officiers municipaux veilleront à ce qu'il ne se passe, dans les assemblées qui auront lieu pour la célébration d'un culte, rien de contraire au bon ordre ou à la loi. En cas de trouble, les coupables seront, par eux, punis ou dénoncés aux tribunaux, suivant l'exigence des

cas.

་་

Art. 4. Il est expressément défendu aux citoyens ainsi rassemblés, de s'occuper de toute autre chose que de l'exercice de leur culte; et dans le cas où ils prendraient des délibérations sur des objets civils et politiques, tous ceux qui y auraient concouru seront condamnés, par forme de police, à une amende du double de leur contribution foncière et mobilière, laquelle amende sera doublée, en cas de récidive.

Art. 5. Toute personne qui, sous prétexte de religion, distribuera ou publiera des écrits qui provoqueront à la révolte contre les lois, sera punie d'un an de détention.

Art. 6. Si, par suite desdites provocations, il est survenu des séditions, meurtres et pillages, les condamnés seront, en outre, punis des peines prononcées par le Code pénal, où par celuí de la police correctionnelle.

« Art. 7. Le ministre de la police se fera rendre compte tous les mois, par les accusateurs publics auprès des tribunaux, des dénonciations qui leur auront été faites, des poursuites auxquelles ces dénonciations auront donné lieu, et des jugements intervenus; il en rendra compte à l'Assemblée nationale tous les 3 mois, et plus tôt si le cas y échet.

Art. 8. Il sera incessamment fait une loi pour régler la manière de constater les actes de naissance, mariage et sépulture.

Art. 9. Le ministre de la guerre rendra compte, dans le délai de 15 jours, des démarches qu'il a faites pour håter l'organisation de la gendarmerie nationale dans tous les départements; et il proposera au Corps législatif, s'il y a lieu, d'après l'avis des corps administratifs, une augmentation dans le nombre des brigades, partout où il en sera besoin. »

DEUXIÈME ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU SAMEDI 12 NOVEMBRE 1791.

ENCORE UN MOT SUR L'ÉGALITÉ DE DROITS EN MATIÈRE DE CULTE, considérée comme moyen unique de prévenir les TROUBLES RELIGIEUX, par M. Ramond (1).

J'ai attentivement écouté et lu ce qui a été dit et écrit, depuis moi, sur les troubles religieux, et j'ai cru devoir mettre de nouveau mon opinion sous les yeux de mes collègues (2). Maintenant, qu'il me soit permis d'examiner la question.

Les mesures à prendre sont de trois sortes: 1° Il faut examiner si les lois destinées à réprimer les perturbations du repos public, sont suffisantes, et atteignent celles de ces perturbations qui ont la religion pour cause ou pour prétexte;

2° Il faut trouver dans les combinaisons d'une sage administration les moyens de prévenir le retour des troubles religieux;

3o Il faut enfin rendre l'état des citoyens indépendant de leur croyance, en donnant une forme purement civile aux actes qui déposent de leur naissance, de leur mariage et de leur décès.

Quant à la dernière considération, la volonté de l'Assemblée n'est point douteuse; son comité de législation ne peut manquer d'y répondre d'une manière satisfaisante; et la disposition des esprits à cet égard démontre assez que nous ne chercherons que dans des mesures de tolérance, plus ou moins étendues, la solution du problème que présente la secondé considération."

Pour ce qui est des mesures répressives, quelque peu disposé que je sois à tremper les mains dans le Code pénal, jusqu'à ce que les lumières de la philosophie aient complètement éclairé la théorie des délits et des peines, je voterai de tout mon cœur pour que les perturbations du repos public soient d'autant plus sévèrement châtiées, qu'elle ont une cause plus contagieuse; et comme il n'y a rien de si dangereux pour la prospérité d'un Etat, que des controverses armées, je ne refuserai pas même mon assentiment à la déportation des prêtres qui seront légalement convaincus de les avoir excitées, si toutefois on m'indique quelque coin du monde auquel on puisse, sans violer le droit des gens, faire le funeste présent d'un prêtre séditieux.

Je passe aux moyens de prévenir la continuation ou le retour des troubles religieux. Tous les gouvernements du monde ont trouvé ces moyens dans l'un de ces deux extrêmes: ou bien environner exclusivement un seul culte de toute la force et de toutes les faveurs publiques, ou bien les confier indistinctement tous à l'impartiale protection des lois.

Depuis cette époque assez récente, où le despotisme s'avisa, pour la première fois, de vouloir régner sur les consciences, tous les despotes ont pris le premier parti. Le second est le seul qui convienne aux peuples chez qui l'égalité des droits est le principe de l'organisation sociale. Entre l'un et l'autre, il est cependant un parti

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Ecclésiastique, X.

(2) Voir Archives parlementaires, t. XXXIV, séance du 29 octobre 1791, page 508.

mitoyen, dont les peuples demi libres se contentent. On le proposé à l'Assemblée nationale sous le nom de tolérance. Il consiste à souffrir que d'autres cultes s'élèvent à côté du culte dominant, aux frais de leurs sectateurs. Ce parti est le déguisement du premier. Il en a l'injustice, et n'en a point la franchise.

Il voile ouvertement l'égalité. Alléguer cette vérité, c'est la prouver.

Il ne satisfera point des dissidents qui mesureront leurs droits religieux à l'inaltérable mesure de leurs droits civils et politiques.

C'est une taxe imposée sur tous les cultes, un seul excepté : c'est une amende à laquelle sont condamnés ceux qui ne professent point le culte privilégié...

Et cette tolérance qu'on nous propose comme l'infaillible moyen de nous concilier une partie déjà soulevée de nos concitoyens, on espère qu'elle ne sera point appréciée à sa juste valeur, lorsque ceux mêmes qui nous l'ont préconisée l'ont mise à sa place, en nous avouant que la peine avec laquelle l'homme des campagnes payerait le pasteur de son choix était le meilleur moyen qu'ils connussent pour le ramener au pasteur que lui donne la constitution civile du clergé!

Grand Dieu! n'y a-t-il donc que cette funeste alternative, ou de forcer les discidents à reconnaître cette constitution civile, ou de les y induire ? Et si je conviens avec vous que moyens le second est le plus prudent, m'oblides deux gerez-vous à dire lequel est le plus honnête?

Certes, on se trompe fort si, au milieu d'un peuple libre, on croit trouver la sûreté ailleurs que dans la justice; et si l'on cherche parmi nous le repos dans d'autres combinaisons, que l'application universelle de l'égalité des droits. Un gouvernement despotique supporte les plus lâches accommodements avec les principes; notre Constitution ne peut en tolérérer aucun : la moindre violation de la justice l'ébranle, semblable à ces coupes si précieuses aux anciens, qui ne souffriraient que des boissons salutaires, et que brisait une goutte de poison.

J'ai démontré dans ma précédente opinion, que l'égalité de droits en matière de culte était facile à établir.

J'ai prouvé qu'elle était économique.

Personne ne me contestera qu'elle n'enlève aux ennemis de la Révolution le plus puissant levier avec lequel ils puissent soulever le peuple, car le prétexte de la religion offensée s'évanouit, car la cause d'un clergé cesse de se confondre avec celle de la Constitution, car l'homme égaré et crédule n'accusera plus cette Constitution de lui avoir enlevé son prêtre, et n'appellera point la contre-révolution pour le lui rendre.

Nul autre moyen n'atteint le même but. La tolérance ne satisfera personne. Toute mesure qui ferait céder le clergé assermenté est indécente, injuste, lâche, et ne servirait qu'à redoubler l'espoir des contre-révolutionnaires.

Que peut-on m'objecter? On m'oppose la Constitution; et moi, je l'oppose à mon tour. Elle veut que le traitement des ministres du culte catholique pensionnés, choisis, ou conservés en conséquence des décrets de l'Assemblée constituante soit au nombre des dettes de l'Etat; et cette loi de justice, de reconnaissance, d'humanité, est la base inébranlable de mes dispositions. Mais ce qu'elle veut encore, mais ce qu'elle déclare, mais ce qu'elle garantit, c'est le droit de tous les citoyens, d'élire ou choisir les ministres de leurs

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cultes. Or, ce droit est violé dans toute autre hypothèse, puisqu'il est taxé pour les uns, et qu'il ne l'est pas pour les autres.

"Mais, dit-on, la nation, en disposant des biens affectés aux ministres du culte a dû se charger de leur entretien. Tant pis pour ceux qui s'en séparent ils n'ont rien à prétendre

dans le salaire. »

Et moi, je fais cette question:

Ces biens appartenaient-ils au culte catholique, ou à ses ministres ou à la nation?

S'ils appartenaient au culte, le culte le plus semblable au culte exproprié a un droit exclusif à être entretenu.

S'ils appartenaient aux ministres, les non sermentés doivent les partager avec les assermentés.

S'ils appartenaient à la nation, comme nul homme de bon sens ne le niera, ce n'est ni tel ou tel culte qui a droit à l'entretien, ni tels ou tels ministres qui ont droit au salaire': la nation n'est composée que de Français; c'est aux cultes de tous les Français que les salaires doivent s'appliquer.

Eh bien, disent quelques philosophes, au lieu de payer tous les cultes, n'en payez aucun. C'est atteindre le même but, en épargnant à cette partie des contributions le voyage du Trésor public.

Et les 135 millions que coûtent actuellement les prêtres assermentés et ceux qui ne le sont pas ? Et ces traitements devenus dette publique, en accroîtrez-vous les charges de la nation sans qu'il en résulte aucune prestation à sa décharge?

Je le répète : mon plan seul respecte la justice et l'égalité; seul il réunit les considérations de l'économie à celles de la paix publique; seul, il ouvre une route entre la rigoureuse exécution de la constitution civile du clergé et le lâche abandon des fonctionnaires publics, établis sous ses auspices.

O més collègues, songez au parti que vous allez prendre! Jetez les yeux sur les complots de l'extérieur et les mécontentements de l'íntérieur, sur la détresse de la première de nos colonies, et sur une guerre religieuse près d'éclater!... Vous n'avez d'alliés, de forces, de trésors que dans le génie de la liberté; il triomphe si vous lui laissez un plein essor... si vous l'outragez, si son front s'humilie devant une grande iniquité... le charme est détruit et la patrie est en danger.

12 novembre 1791.

TROISIÈME ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGIS-
LATIVE DU SAMEDI 12 NOVEMBRE 1791.

UN PETIT MOT sur le mot de M. Ramond, député à
l'Assemblée nationale (1), par M. Chouteau,
aussi député (2).

Le ton d'assurance avec lequel quelques-uns
étalent leurs sophismes, me ferait presque croire

(1) Voir ci-dessus même séance, page 44, l'opinion
de M. Ramond sur l'égalité de droits en matière de
culte.
Assemblée législative ;

(2) Bibliothèque nationale.
ecclésiastique, EE.

qu'ils y croient eux-mêmes. La tolérance, dit l'un, telle qu'on la propose à l'Assemblée, viole ouvertement l'égalité. Mais qu'est-ce que l'égalité civile? Le droit qu'a chaque individu de faire également tout ce que la loi ne défend pas; le droit de faire comme tous les autres, en se conformant aux lois. La loi a dit : tout prêtre fonctionnaire public de la religion catholique sera salarié, aux conditions du serment civique... Tout prêtre fonctionnaire public de la religion catholique a donc droit à un salaire en faisant le serment; voilà l'égalité des droits; et celui qui refuse le serment, renonce sponte sua au droit qu'il avait au salaire. Celui qui soutient le contraire raisonne aussi puissamment que s'il disait que tous les citoyens ont également droit à la protection de la force publique, même en refusant de payer leur quotepart des impôts qu'elle nécessite.

La nation a-t-elle le droit de faire des lois ? un individu a-t-il le droit de s'y soustraire autrement qu'en s'expatriant? S'il y en avait, il serait un privilégié ; il aurait plus de droit que les autres.

Les dissidents, quels qu'ils soient, ne peuvent jamais réclamer plus que la loi ne leur accorde; en leur laissant la liberté du choix de leur culte, elle les met tous égaux en droits.

Permettre tous les cultes, à la charge, par ceux qui en adopteront un autre que le catholique, d'en payer les ministres, c'est leur imposer une taxe!... Pourquoi ne me dit-on pas aussi qu'on taxe un soldat en lui permettant de ne point manger son pain de munition et d'en manger du plus beau en le payant ? Le pain de munition pour tous le Français est un prêtre catholique sermenté. Vous n'en voulez point? II vous en faut un autre ? Eh bien ! prenez-le et le payez.

On fait trois questions Les biens dits ecclésiastiques appartenaient-ils au culte ? aux ministres catholiques ? à la nation? Il fallait y joindre cette quatrième : La nation a-t-elle le droit de disposer de ses biens de telle ou telle façon, à telle ou telle condition? la réponse à cette dernière écartera les conséquences que l'infidélité tire des premières.

Avec quelle affectation réclame-t-on sans cesse la liberté du culte en faveur des prêtres réfractaires! Ont-ils, prétendaient-ils avoir un culte différent de celui des prêtres conformistes? avec quelle mauvaise foi veut-on autoriser la conduite des réfractaires sous le faux prétexte de la liberté des opinions religieuses! On réclame pour eux notre sage Constitution? Eh! pourquoi fait-on semblant d'oublier que cette même Constitution ne laisse cette liberté d'opinion religieuse qu'à condition que sa manifestation ne troublera point l'ordre public? Et quand elle ne l'eût pas dit, quand on ne l'y trouverait pas littéralement exprimé, cette condition en seraitelle moins expresse, moins prononcée par la raison, moins nécessitée par le vœu public à qui tout cède? Quelqu'un aurait-il le front de soutenir que la manifestation des opinions des réfractaires, des non-conformistes, ne trouble point l'ordre public, quand ils soutiennent et persuadent que la Constitution renverse la religion et qu'ainsi il faut renverser la Constitution? Je pense qu'on me dispensera de prouver ces faits, puisqu'on n'exige pas de preuve de celui qui dit qu'il fait jour quand il est midi.

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du dimanche 13 novembre 1791. PRÉSIDENCE DE M. VIENOT-VAUBLANC. VICE-PRESIDENT

La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Isnard, secrétaire, donne lecture du procèsverbal de la séance du samedi 12 novembre.

Un membre: Je remarque que la rédaction du procès-verbal porte que lorsque les ministres se présentèrent à l'Assemblée, ils se firent annoncer par un huissier au nom du roi. Les ministres n'avaient pas à se faire annoncer.

Plusieurs membres: Ils sont entrés sans être annoncés.

M. le Président. Les ministres m'ont fait prévenir qu'ils demandaient à être entendus au nom du roi. J'ai alors envoyé un huissier qui les a introduits dans l'Assemblée et qui les a annoncés. (L'Assemblée, consultée, maintient la rédaction du procès-verbal.)

M. Merlin. Je demande, à l'occasion de l'article du procès-verbal, où il est dit qu'un des huissiers est venu annoncer les ministres, que l'Assemblée décide que ce sera la dernière fois que les huissiers feront cette annonce.

Un membre: Pourquoi cela?

M. Merlin. Parce que la Constitution donne aux ministres le droit de se présenter à l'Assemblée, à toute heure, pour donner des renseignements et rendre compte des objets qui concernent leur administration. Ils n'ont donc pas besoin de se faire annoncer. Je fais la motion qu'à l'avenir les huissiers ne viennent plus annoncer les ministres quand ils viendront en message au nom du roi.

M. Léopold. Je réponds à la motion de M. Merlin, qu'on n'a point annoncé les ministres, comme ministres, mais comme chargés d'un message spécial de la part du roi.

Plusieurs membres La question préalable sur la motion de M. Merlin.

M. Delacroix. Je demande la question préalable, parce qu'il faut distinguer lorsque les ministres viennent de leur propre mouvement, et quand ils viennent en message au nom du roi. Dans le premier cas, ils usent d'un droit qui leur est assuré par la Constitution, et alors ils ne doivent pas se faire annoncer, mais lorsqu'ils viennent en message ils doivent se faire an

noncer.

M. Merlin. Je demande à M. Delacroix s'il a vu cela dans la Constitution?...

(L'Assemblée, consultée, décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion de M. Merlin.)

Un membre: Il a été fait mention dans le procès-verbal d'une lettre sans signature, à l'occasion des recrutements qui se font à Coblentz. Comme il n'est pas de la dignité et de la justice de l'Assemblée nationale de s'occuper d'écrits obscurs et anonymes, je demande la suppression de cette mention.

M. Chabot. Le salut de la patrie est la suprême loi; cette maxime a toujours été celle de l'Assemblée nationale. Vous avez cru trouver dans cette lettre des renseignements sur les manœuvres qui menacent l'Empire. Voilà pourquoi vous l'avez jointe aux pièces renvoyées au co

mité, relativement à M. Varnier. Il fallait que M. le secrétaire en fit mention dans le procèsverbal. Je demande la question préalable sur la suppression de cette mention.

(La question préalable est adoptée.)

M. le Président. Je prie l'Assemblée de se souvenir qu'elle a consacré le dimanche à entendre les pétitions qui lui sont adressées; plusieurs pétitionnaires qui devaient être entendus dimanche dernier, et que les occupations de l'Assemblée en ont empêchés, demandent à l'être aujourd'hui.

M. Le Tourneur. Il a été décidé hier que j'aurais aujourd'hui la parole pour vous faire un rapport sur la détention d'une foule de personnes qui, aux termes de la loi d'amnistie du mois de septembre dernier, devraient être en liberté. Je prie l'Assemblée de vouloir bien m'entendre. Mon rapport ne durera que quelques minutes.

M. Léopold. Je demande que l'Assemblée commence par là.

M. Gossuin. Mais l'Assemblée a aussi décrété que son comité des pétitions lui ferait un rapport tous les dimanches après la lecture du procèsverbal. A quoi bon recevoir des pétitions et comment voulez-vous que le comité remplisse ses devoirs, si vous ne consentez pas à l'entendre au moins une fois la semaine?

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de M. Duportail, ministre de la guerre, tendant à exempter l'administration de la guerre du payement de divers droits. Cette lettre est ainsi conçue:

Paris, le 11 novembre 1791.

« Monsieur le Président,

« J'avais écrit à l'Assemblée constituante, de concert avec le ministre de la marine, les 30 mars, 27 avril et 6 mai derniers, relativement aux droits de timbre et d'enregistrement, que plusieurs directeurs de ces impositions exigent des troupes et des différents agents de l'administration militaire. Je joins ici copie de mes lettres à ce sujet, sur lequel je n'ai pu obtenir de décision. Comme les mêmes prétentions se renouvellent, et que d'ailleurs elles pourraient donner lieu à des difficultés sans nombre, je prie l'Assemblée nationale de vouloir bien s'en occuper le plus tôt possible.

« Je crois devoir représenter à l'Assemblée que, d'après le décret du 10 juin dernier, les registres de différentes caisses nationales sont affranchis de ces droits, que, par des décrets postérieurs, la même exemption a été prononcée pour différentes parties de l'administration publique, et enfin que les sommes fixées par la loi du 11 février, pour les masses destinées à pourvoir aux différents services militaires, ont été calculées avant l'établissement de ces impositions, et qu'il faudrait, par conséquent, augmenter les masses si on voulait les grever de cette nouvelle dépense.

«L'Assemblée nationale jugera peut-être plus convenable, d'après les considérations développées dans les lettres ci-jointes, d'étendre à l'administration de la guerre les exemptions qu'elle a accordées à d'autres services. Je ne crois pas qu'il puisse en résulter d'abus, car la ligne entre l'administration de la guerre et les autres parties du service public est trop clairement tracée pour donner lieu à aucune confusion.

« La suppression des passeports me met dans la nécessité de faire quelques réclamations; tous les marchés passés dans mon département, sti

pulent l'exemption de tous droits d'entrée et de péage. Si cette exemption cesse, les entrepreneurs seront dans le cas d'exiger ou le remboursement des droits qu'ils justifieront avoir payés, ou une augmentation proportionnée sur leurs prix. Dans l'un et l'autre cas, il en résultera une augmentation de dépense dont je demande que les fonds soient faits au département de la guerre. Je pense qu'il y aurait plus d'économie pour le Trésor public, et moins d'abus à craindre, de prononcer le remboursement des droits perçus, et en justifiant sur pièces authentiques, que d'augmenter les prix des fournisseurs, parce que cette augmentation ne pouvant avoir que des bases très incertaines, le fournisseur ne manquerait pas de combiner toutes les chances en sa faveur.

« Je suis avec respect, etc.

"

Signé DUPORTAIL. » (L'Assemblée renvoie la lettre du ministre de la guerre au comité des contributions publiques.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une notice abrégée des lettres, adresses et pétitions envoyées à l'Assemblée.

1° Deux pétitions, l'une du sieur Picot, l'autre des notaires de Bordeaux, qui demandent que l'Assemblée fixe le mode de leur remboursement.

(L'Assemblée renvoie ces deux pétitions au comité de liquidation.)

2o Pétition du directoire du département d'Eureet-Loir, qui demande un dégrèvement.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité des contributions publiques.)

3° Adresse du conseil général de la commune de la Fère.

(L'Assemblée renvoie cette adresse au comité militaire.)

4° Pétition des citoyens de la paroisse de Lucé, pour demander un oratoire.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité de division.)

5° Pétition du sieur Jacques Teillie, citoyen du bourg de Prahecq, qui demande qu'on lui rende une terre qu'il a donnée à des ci-devant Bénédictins, pour racheter sa dime, ou bien qu'on lui donne une indemnité.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité des domaines.)

6° Pétition du sieur Pierre-Nicolas Lequeux. (L'Assemblée renvoie cette pétition au pouvoir exécutif.

7° Pétition du sieur Jannot, relative à un faux assignat.)

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur cette pétition.)

M. Becquey. Je demande la parole pour dénoncer à l'Assemblée les troubles occasionnés dans le département de la Haute-Marne, par les obstacles que le peuple apporte à la libre circulation des grains.

(L'Assemblée décide que M. Becquey sera entendu.)

M. Becquey. La députation du département de la Haute-Marne a reçu du directoire du département deux lettres de suite qui lui annoncent qu'en vain cette administration et les autres corps administratifs ont réuni tous les efforts du zèle et de la fermeté pour faire exécuter la loi. Elle a été violée partout. Les administrateurs ont été forcés de quitter la ville, ils

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