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moins aisé d'extraire de la circulation ceux qu'il importe le plus d'en ôter.

Ces motifs et ces appréhensions ont été sentis dans le comité. Il est facile en effet de concevoir que le moyen le plus sûr d'attirer promptement les assignats de 2,000 à 500 livres, c'est d'offrir à leurs détenteurs les valeurs les plus séduisantes. Il semble même qu'on ne peut autrement assurer le succès d'opération; car, si les assignats de 5 livres doivent aussi servir à échanger ceux de 50 à 300 livres, la quantité beaucoup plus grande de ces derniers aura bientôt épuisé les caisses d'échanges et les autres ne seraient pas retirés.

Aussi, Messieurs, votre comité se serait-il interdit toute réflexion sur une autre manière d'échanger les assignats de 5 livres, s'il n'avait remarqué que votre intention était en même temps de les répandre, avec profusion, dans toutes les mains, et d'assurer à tous les citoyens une part égale aux avantages de cet échange.

C'est en examinant la question sous ces deux rapports, que votre comité a cherché et qu'il a trouvé le moyen de remplir vos vues et l'attente du public, par un procédé aussi facile à saisir qu'à exécuter.

Il fallait connaître d'abord à quelle somme s'élevaient les gros assignats encore en circulation, et votre comité a vu que si les échanges ordonnés par l'Assemblée nationale constituane étaient entièrement consommés, il ne devait, y en avoir, dans ce moment, que pour une somme d'environ 107 millions; mais ces échanges s'effectuant tous les jours par les caisses publiques, et par la vente non interrompue des biens nationaux, il ne faut pas croire que la totalité de ceux de 5 livres soit nécessaire pour les faire entièrement disparaitre.

Pour douter de cette nécessité, il ne faut que songer à la perte qu'éprouvent, dans les départements, les assignats de 2,000 et 1,000 livres, en échange, non pas contre du numéraire, mais contre de petits assignats autres que ceux de 5 livres; il ne faut que songer à l'embarras, à l'inquiétude qu'ils causent à ceux qui, ne pouvant les employer en un seul payement, se voient quelquefois exposés aux poursuites des créanciers, ou à la rigueur des privations, ou à la nécessité des emprunts, par la difficulté de l'échange, ou par les sacrifices qu'il exige.

Offrir donc à cet échange des assignats de 50 à 300, c'est garantir la certitude de les retirer de la circulation aussi promptement qu'on le désire.

Oh! Messieurs, les moyens s'en présentent bien naturellement en adoptant l'échange indéfini. En retour d'assignats de 5 livres, il en sera donné de 50 à 300 livres; alors, avec la même caisse commence un double échange. L'un pour les valeurs de 50 à 300 livres contre celles de 5 livres, l'autre pour les valeurs de 500 à 2,000 contre celles de 50 à 300 livres; et par ce jeu bien simple et constamment répété, vous parvenez à remplir les deux grandes vues dont l'échange est l'objet, vous contentez tous les citoyens, et vous mettez le comble au bienfait de l'émission.

Votre comité a considéré, en effet, comme un bienfait sollicité par la nation entière, l'échange des assignats de 5 livres. En exclure ceux de 50 à 300 livres, c'est exclure de la jouissance du bienfait, la classe des citoyens la plus digne d'y avoir part, celle vers laquelle vos regards sont constamment tournés; c'est le préparer à l'indignation de voir passer, dans les mains de ceux

qui serrent le numéraire et le vendent, les assignats de 5 livres qu'ils serreront aussi et qu'ils vendront; c'est subitement discréditer les petits assignats qui, jusqu'à ce moment, ont le moins perdu en échange du numéraire et donner à ceux de 2,000 à 500 livres, un prix que les accapareurs sauront bientôt y mettre, pour jouir seuls du privilège exclusif.

On dira peut-être que l'échange des assignats de 5 livres, dans les départements et les districts, ne sera pas à l'abri de l'arbitraire et de l'abus; qu'il y aura des préférences et des exclusions selon les caprices des administrateurs; que le peuple n'y participera pas davantage; que les administrateurs se plaindront de cet accroissement de travail utile et momentané. Eh bien! Messieurs, en supposant que ces abus et ces difficultés existent; en supposant que, malgré vos précautions, quelques officiers du peuple oublient un moment leurs devoirs, vous aurez du moins rempli les vôtres, en assurant à tous les citoyens les droits qu'ils ont à cette faveur. Mais pourquoi soupçonnerions-nous les administrateurs d'être moins jaloux que nous d'acquitter leurs obligations, lorsque nous recevons chaque jour les témoignages les moins équivoques de leur zèle.

On dira encore peut-être que l'envoi des 100 millions d'assignats de 5 livres, dans les départements, causera une forte dépense en frais de transports. Lorsqu'une mesure est commandée par le bien public, on doit moins regarder à ce qu'elle a de pénible, qu'à ce qu'elle a d'utile et d'indispensable. Peut-on calculer avec l'embarras des campagnes, dont nous voyons, depuis trop longtemps, les travaux ralentis ou suspendus par la difficulté de salarier les bras nécessaires; avec les manufactures dont les ateliers ne sont garantis de la langueur que par un renchérissement excessif des ouvrages; avec les citoyens qui, pour satisfaire à des besoins journaliers, sont obligés à des sacrifices sans cesse réitérés. Si, pour se dispenser de l'envoi des armes dans les départements et les districts, on eût fait valoir la raison de l'économie et des frais de transport, jusqu'où les fanatiques et les mauvais citoyens n'auraientils pas porté leur insolence et leurs excès ?

Croyez-bien, Messieurs, que la pénurie des petites valeurs, dans les campagnes, dans les mains du peuple, est un sujet de murmures, un moyen dont les hypocrites, qui le trompent et le séduisent, savent cruellement profiter. Hâtons-nous donc de disséminer nos petits assignats, hâtons-nous de porter à nos concitoyens un remède à des maux que nous avons partagés avec eux, il y a peu de jours, et que nous leur avons tous promis de guerir.

A ces considérations générales, votre comité en ajoutera une d'un intérêt plus général encore. C'est le payement des contributions publiques qu'on ne voit s'opérer qu'avec la plus grande lenteur. Peut-on douter que la rareté des petites valeurs n'y soit le plus puissant obstacle? Car, Messieurs, c'est le peuple, ce sont les citoyens laborieux qui payent les contributions, eux seuls, amis constants de la Constitution, acquittent avec exactitude leur dette envers la patrie, tandis que les riches mécontents vont porter sur une terre étrangère les fruits de l'industrie et des sueurs des bons citoyens. C'est donc dans leurs mains qu'il faut faire parvenir directement ces petites valeurs, pour féconder leur zèle et leur patriotisme.

Une caisse d'échange a été établie à Paris : on

. [30 novembre

proposera peut-être d'en accroître l'activité? Mais cet établissement, accusé sans cesse ou calomnié, offre-t-il aux départements et aux municipalités éloignées de la capitale, des moyens prompts et faciles? Tous les citoyens y sont-ils admis? La plupart des municipalités en ignorent l'existence, et les citoyens sans ateliers n'y aboutissent point.

Votre comité, Messieurs, déterminé par ces motifs, s'est donc arrêté à l'échange indéfini des assignats contre ceux de 5 livres, dans les départements et les districts. Il en a calculé les inconvénients et les avantages, et il a vu que les derniers l'emportaient de beaucoup sur les

autres.

Trois bases de répartition pouvaient vous être proposés l'une, les contributions foncière et mobilière; l'autre, la population; l'autre enfin, la représentation nationale fondée sur les deux autres. Votre comité vous propose la première comme réunissant dans une plus grande étendue, l'égalité et la justice dans la répartition. Il s'était arrêté d'abord à la représentation nationale, mais, considérant que cette base est fondée en partie sur le territoire, et que le territoire n'est pas ici la mesure des droits; votre comité vous propose d'adopter celle des contributions directes.

A ces dispositions pour la répartition et l'échange des assignats de 5 livres, votre comité aurait désiré, Messieurs, pouvoir vous en proposer sur l'échange des monnaies dont la grande circulation doit être le complément de cette heureuse opération. Cet objet important, Messieurs, est dans ce moment celui de l'attention la plus sérieuse de votre comité. Il vous présentera incessamment des détails sur les progrès de la fabrication des monnaies, et il vous rendra compte aussi des expériences qui vont être faites sous vos yeux par les artistes qui vous ont présenté leurs projets. Enfin, Messieurs, si le comité reconnaît que la fabrication des monnaies ne peu atteindre l'étendue et l'urgence des besoins, il vous proposera d'adopter le projet d'émission d'une petite monnaie en papier dont l'effet comblera tous les vœux.

Je n'ajouterai qu'une observation sur les sommes en assignats de 5 livres, qu'il me semble nécessaire d'accorder aux villes de Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Rouen, La Rochelle et autres grandes villes, etc., indépendamment de celle qui doit leur être attribuée dans la répartition des 100 millions. Votre comité vous proposera à cet égard un projet particulier dont l'exécution pourra avoir lieu après l'envoi dans les départements.

PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des assignats et monnaies, considérant qu'il est de sa sollicitude de retirer de la circulation des assignats de 2,000 à 500 livres, et de procurer à tous les citoyens les moyens les plus prompts de suppléer à la rareté du numéraire par l'échange de 100 millions d'assignats de 5 livres dans les départements et les districts, décrète qu'il y a urgence.

« L'Assemblée nationale après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

Art. 1er. Les 100 millions d'assignats de 5 livres destinés, par le décret du 1er novembre, à l'échange des assignats de plus forte somme, seront répartis entre les 83 départements, d'après les bases de la contribution foncière et mobilière,

tableau de répartition qui en sera formé.

«Art. 2. La somme en assignats de 5 livres attribuée au service des caisses de l'extraordinaire et du Trésor public, sur les 100 millions destinés à l'échange, sera remplacée sur les 300 millions, dont la fabrication à été ordonnée.

« Art. 3. Le commissaire du roi, chargé de la caisse de l'extraordinaire, adressera à chacun des directoires de département, par la même voie et de la même manière que les fonds destinés aux traitements des fonctionnaires publics, la somme qui lui reviendra en assignats de 5 livres, conformément au tableau qui lui sera remis.

«Art. 4. Les envois d'assignats dans les départements, commenceront le 15 décembre prochain et seront continués de 10 en 10 jours, jusqu'à concurrence définitive de 75 millions.

Art. 5. A la réception du présent décret, auquel sera joint le tableau de répartition entre les départements, les directoires de département feront entre leurs districts, et sur la base des contributions directes, la répartition de la somme qui leur sera attribuée. Le tableau de cette répartition sera rendu public, par la voie de l'impression, dans l'étendue de leur territoire.

« Art. 6. Les directoires de district fixeront un certain nombre de jours par semaine destinés à l'échange des assignats de 5 livres; ils feront connaître la somme qui devra être échangée chacun de ces jours pour un nombre déterminé de municipalités, qui en seront prévenues à

l'avance.

«Art. 7. Les citoyens qui auront des assignats à échanger, se rendront au directoire du district, munis d'un certificat de leurs officiers municipaux, qui constatera leur domicile et profession; le directoire formera une liste nominative de personnes et de valeurs d'assignats. Cette liste sera portée au receveur, qui ne pourra faire d'autres échanges que ceux y énoncés.

« Art. 8. Tous les citoyens, sans exception, seront admis aux échanges. Les directoires auront égard aux cultivateurs qui justifieront avoir entrepris des travaux sur leurs possessions, ainsi qu'aux fabricants et chefs d'ateliers en proportion du nombre de leurs ouvriers.

"

"

Art. 9. Les assignats de 5 livres seront donnés en échange d'assignats de toute valeur. Art. 10. Les assignats de 50 livres jusqu'à 300 livres reçus en échange, seront particulièrement employés à échanger ceux de 2,000, de 1,000 et de 500 livres concurremment avec ceux de 5 livres; mais il ne pourra en être donné de ces derniers que pour 300 livres au plus pour ceux de 2,000 livres, et en proportion pour les autres.

Art. 11. Les assignats de 2,000, de 1,000 et de 500 livres reçus en échange, seront, à mesure de leur rentrée, et en présence des porteurs, marqués d'un timbre et annulés.

« Art. 12. La durée des échanges ne pourra être de plus d'un mois, à compter du jour de la réception du dernier envoi d'assignats de 5 livres. Dès lors tous les assignats restant chez le receveur, après l'épuisement total de ceux de 5 livres, seront annulés.

«Art. 13. Ne pourront les receveurs de district faire aucun échange d'assignats de 5 livres que sur l'ordre ou le visa des directoires de district, et les directoires de district ne viseront ou n'ordonneront des échanges que sur des listes nominatives de personnes et de valeurs.

« Art. 14. Les listes d'échange seront chaque dimanche affichées dans les lieux accoutumés de la ville chef-lieu.

« Art. 15. Le comité d'assignats et monnaies présentera incessamment un projet sur la somme d'assignats de 5 livres qui devra être attribuée aux échanges particuliers des villes de Paris, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nantes, Rouen, La Rochelle et autres villes principales de commerce, indépendamment de leur part à la répartition des 100 millions.

«Art. 16. Les receveurs de district adresseront, tous les 8 jours, au trésorier de la caisse dé l'extraordinaire les assignats annulés provenant de l'échange, lesquels, sous aucun prétexte, et à peine de responsabilité de leur part, ne pourront être confondus avec ceux provenant du produit des biens nationaux.

"Art. 17. Les directoires de district feront passer tous les 8 jours aux directoires de département, et ceux-ci au trésorier de la caisse de l'extraordinaire, l'état des assignats annulés.

«Art. 18. Le trésorier de la caisse de l'extraordinaire en rendra compte, tous les 8 jours, à l'Assemblée nationale.

« Art. 19. Les assignats annulés provenant des échanges seront brûlés publiquement en présence des commissaires du comité des assignats et monnaies, de la même manière que ceux provenant du produit des biens nationaux. »

Un membre: Je demande que le rapport et le projet du comité soient imprimés et distribués, afin que chacun de nous puisse en prendre une connaissance suffisante pour la délibération. (Appuyé! appuyé !)

M. Guyton-Morveau. J'appuie cette demande, mais j'ai une observation à vous présenter. Lé rapport du comité semble supposer que la somme de 15,000,000 que vous avez accordée à la trésorerie nationale par votre décret du 28 de ce mois suffit à ses besoins, tandis que j'ai une note qui prouve que pour 10 jours seulement, il a fallu 17 millions. La guerre en nécessite 3,500,000 livres par mois, la marine 1,200,000 livres et les échanges de M. Delamarche 4,800,000 livres. M. Delamarche est obligé d'employer journellement aux échanges qu'il fait, non pour Paris, mais pour les départements, 150,000 livres qu'il reçoit tous les jours de la caisse de l'extraordinaire; or, votre dernier décret paraît interdire à la trésorerie nationale toute disposition autre que celle de sa caisse, et les commissaires ne peuvent plus se permettre de verser, en conformité de la loi de l'établissement de l'échange, 150,000 livres dans la caisse de M. Delamarche. Cependant, Messieurs, comme l'échange qui s'opère à la caisse de M. Delamarche est très important et très pressant, vous sentez combien il serait dangereux de faire manquer tout de suite un échange comme celui-là.

Je demande, au nom des commissaires de la trésorerie nationale, que vous leur donniez provisoirement une autorisation spéciale de continuer à faire ce versement de 150,000 livres par jour, sur les 15 millions que vous avez accordés, jusqu'à ce que l'Assemblée ait décrété de nouvelles mesures pour remplacer le mode des échanges.

M. Thuriot. Les observations de M. GuytonMorveau sont marquées au coin de la sagesse. Je demande que l'Assemblée y fasse droit; d'un autre côté, il me parait de la plus hauté évidence que nous serons obligés de convertir les

gros assignats en petits; je crois prudent de faire préparer tout de suite le papier qu'il faudra pour leur fabrication. En conséquence, je demande que le ministre des contributions publiques soit chargé de proposer incessamment à l'Assemblée, les moyens de pourvoir à une fabrication de papier de petits assignats suffisante pour tous les échanges qui seront jugés nécessaires.

M. Cambon. La demande du préopinant me paraît inexécutable. Quel serait le papier dont on préparerait la fabrication? Serait-ce du papier de 100 livres? on n'en veut plus. Serait-ce de celui de 100 sous? on travaille à en faire pour 300 millions. Cette fabrication ne sera pas achevée au 1er janvier. Avant d'en ordonner une nouvelle fabrication, il faut que vous déterminiez des petites valeurs d'assignats. Je m'oppose donc à la proposition de M. Thuriot. Quant à celle de M. Morveau, je crois que vous devez continuer le provisoire accordé à M. Delamarche, car M. Delamarche ne fait des échanges que sur le visa des municipalités pour le besoin des cultivateurs. et des fabricants. Je demande l'ajournement et l'impression du rapport du comité, et en outre l'impression et la distribution de l'état de répartition qui a été faite des 94 millions déjà consommés, afin que chaque député puisse connaitre si cette répartition à été légitimement et également faite, et si son département a eu une part complète dans la répartition.

Un membre: Je demande l'ajournement de la motion de M. Thuriot, jusqu'au jour où l'on discutera le projet du comité.

(L'Assemblée ajourne la discussion à samedi, ordonne l'impression du rapport, du projet de décret et des états d'échange à la trésorerie nationale (1), ajourne la motion de M. Thuriot lors de la discussion du projet du comité, et décrète la motion de M. Guyton-Morveau, sauf rédaction.)

Suit la teneur du décret rendu sur la motion de M. Guyton-Morveau, tel qu'il a été adopté lors de la lecture du procès-verbal :

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L'Assemblée nationale, considérant que le service de la caisse des échanges est sur le point de manquer, décrète qu'il y a urgence.

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L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que les commissaires de la trésorerie nationale sont autorisés à fournir, comme ci-devant, des assignats de cinq livres à la caisse des échanges du sieur Delamarche, sur les 15 millions dont le versement a été ordonné à la trésorerie, par décret du 28 de ce mois, et ce, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné.

Un membre: Je demande à faire une motion particulière. L'intérêt public sollicite un décret sur le partage à faire des communaux dans les différents départements: La cherté des subsistances en démontre la nécessité et dans plusieurs parties du royaume, les usagers se les sont déjà appropriés et partagés. J'invoque une prompté décision de l'Assemblée sur cet objet.

Un membre: Ce partage est infiniment délicat ; il dépend principalement de la connaissance des localités, et cette connaissance, nous ne pouvons l'acquérir si rapidement. De plus, la proposition me parait imprudente et impolitique dans un moment où la fermentation éclate pour ainsi dire de toutes parts. Les paysans des campagnes,

(1) Voir ces Etats d'échange aux annexes de la séance du 11 novembre 1791, page 19 ci-dessus.

assez soulevés déjà par des prêtres incendiaires, pourraient trouver dans une loi pareille, un prétexte à émeute. Une discussion semblable doit être renvoyée à un temps plus calme et plus propre à l'exécution d'une pareille loi. Je demande l'ajournement de la proposition qui vous est faite.

(L'Assemblée prononce l'ajournement.)

M. Basire jeune. Il existe un abus que l'Assemblée doit chercher à réprimer dans le service de la poste. Lorsque des particuliers envoient à leurs correspondants des assignats dans une lettre chargée, quelle qu'en soit la valeur, si ces assignats sont perdus en route, il est constant que la poste n'est tenue de rembourser que 300 livres. Je ne demande pas que l'on augmente la charge de l'administration des postes et qu'on la force de payer davantage; mais je demande que l'Assemblée prenne à cet égard les mesures qui penvent assurer la circulation du papier-monnaie. J'ai reçu, à ce sujet, un plan qui me paraît très bien fait, mais que je ne veux pas présenter à l'Assemblée avant qu'elle ait entendu là-dessus son comité; voici là motion que je propose:

« Le comité des assignats est chargé de s'occuper incessamment des mesures à prendre pour assurer aux citoyens les moyens de faire parvenir à leurs correspondants, des sommes quelconques en papier-monnaie, en remplacement de celles qui existent, et qui n'obligent l'administration des postes qu'à un remboursement de 300 livres pour les assignats de toute valeur, qui se seraient égarés dans le service des postes. » (L'Assemblée décrète cette motion.)

M. le Président annonce qu'aucun membre n'a obtenu la pluralité absolue des suffrages pour la vice-présidence et invite l'Assemblée à se retirer dans les bureaux pour procéder à un deuxième tour de scrutin.

(L'Assemblée se retire dans les bureaux et rentre en séance une demi-heure après.)

M. Lemontey, secrétaire, donne lecture des lettres et adresses suivantes :

1° Adresse des citoyens de la ville de Sézanne ; elle est ainsi conçue :

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« Les mesures sages et fermes que vous avez prises contre les conjurés rassemblés au delà du Rhin, et contre les prêtres non sermentés, vous assurent la confiance et les applaudissements de tous les vrais amis de la liberté. Nous vous invitons à conserver cette attitude noble et fière, qui seule peut faire trembler les factieux, et respecter la nation puissante que vous représentez.

:

« Il existe, vous n'en pouvez douter, des ennemis intérieurs, qui, sous le prétexte perfide d'intérêts religieux, cherchent à servir leur haine contre la Constitution et la félicité publique. Votre serment les forcera sans doute au silence et à l'inaction continuez d'écarter toutes considérations présentées par une philosophie naissante, dont les calculs sont impolitiques, et ne perdez jamais de vue que dans des moments de conspiration évidente contre la sûreté de l'Etat, ce ne sont pas les convenances, mais le salut de la patrie qu'il faut consulter pour le soutien de Vos vues sages et bienfaisantes. Comptez sur notre amour, notre patriotisme et nos armes. >>

(Suivent les signatures.)

(L'Assemblée décrète l'insertion et la mention honorable de cette adresse au procès-verbal.)

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(L'Assemblée renvoie cette lettre au comité des pétitions.)

3° Lettre de M. Amelot, qui annonce qu'il sera brûlé, vendredi prochain, pour 7 millions d'assignats provenant des rentrées sur les domaines nationaux, qui, joints aux 337 millions déjà brûlés, forment un total de 344 millions.

4 Lettre de M. Artier, consul de France à Larnaca, dans l'ile de Chypre, qui envoie l'acte de prestation de serment de M. Pierre-Paul-Henri Garnier, agent de la nation à Satalie; cette lettre est adressée à M. le Président et est ainsi conçue :

" Monseigneur,

« J'ai eu l'honneur de vous adresser, le 15 du mois de mai dernier, l'acte du serment que j'ai fait, en obéissant à la loi du 17 septembre 1790, sanctionnée par le roi le 15 novembre suivant, et qui constate aussi celui des Français en cette échelle.

« J'ai recu depuis celui qu'a fait M. PierrePaul-Henri Garnier, agent de la nation à Satalie, et je le joins ici en vous renouvelant l'assurance de notre attention à nous conformer exactement aux décrets de Nosseigneurs les représentants de l'Assemblée nationale, en adressant mes vœux au ciel pour leur conservation. « Je suis, etc.

«

Signé ARTIER. »

M. Boisrot-de-Lacour, au nom du comité de l'examen des comptes, fait lecture d'un projet de décret sur le plan de travail de ce comité (1); ce projet de décret est ainsi conçu :

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PROJET DE DÉCRET.

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de l'examen des comptes, décrète ce qui suit:

Art. 1er. Les fonctions du comité de l'examen des comptes consistent à vérifier et arrêter, sur registres, livres, journaux et pièces, tous les comptes définitifs non jugés ni apurés, qui sont ou doivent être présentés au Corps législatif d'après les décrets existants.

«Art. 2. Tous les comptes qui doivent être vérifiés et arrêtés par le Corps législatif, passeront préalablement par devant le bureau de compta

(1) Voir ci-dessus, séance du 19 novembre 1791, page 158, la décision de l'Assemblée ajournant la discussion de ce projet au mardi 22 novembre, et aux annexes de la même séance, page 163, le texte du rapport de M. Boisrot-de-Lacour.

bilité, établi par la loi du 15 septembre dernier.

«Art. 3. Le comité présentera toujours à l'Assemblée nationale le résultat des vérifications qu'il est chargé de faire.

«Art. 4. Il se concertera avec le ministre des finances pour accélérer le plus possible la reddition de tous les comptes des finances de la nation, qui sont arriérés, toujours en se conformant au mode décrété. »

M. Dorizy. Ce soir, les commissaires que vous avez chargés d'élaborer un nouveau plan d'organisation des comités de finances, s'assemblent, et nous espérons vous présenter bientôt un plan général d'organisation des comités de finances. Je vois, par le premier article qui vous est présenté, que l'on tend à vous faire déterminer quelles seront les fonctions du comité chargé de l'examen des comptes. Ce décret ne peut pas être rendu par l'Assemblée nationale, qu'elle n'ait entendu le résultat du travail des commissaires nommés par les comités. Je demande donc l'ajournement du projet de décret, après le travail que vous présentera le comité que vous avez chargé de vous proposer une nouvelle formation de tous les comités des finances.

(L'Assemblée ordonne l'ajournement.)

M. le Président. J'ai l'honneur de prévenir l'Assemblée qu'au 2° tour de scrutin pour la viceprésidence, M. Lemontey a obtenu 211 voix sur 397 votants en conséquence, je le proclame vice-président.

Les députés de l'assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue sont admis à la barre, en vertu d'un décret rendu au commencement de la séance.

M. Millet, orateur de la députation, s'exprime ainsi :

Messieurs (1), l'assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue nous a nommés les commissaires auprès de vous.

A ce titre, le premier de nos devoirs est de vous assurer de son attachement inviolable à la métropole, avant de vous peindre les événements affreux qui dévorent cette portion intéressante de l'Empire, et de solliciter les secours les plus prompts et les plus puissants pour en sauver, s'il est possible encore, les malheureux débris.

Depuis longtemps, nous prévoyions les maux qui nous frappent et qui, sans doute, nous anéantiront si la puissance et la justice nationale ne viennent rapidement nous secourir.

Nous venons vous en offrir le détail, qui ne vous donnera cependant qu'une idée imparfaite de nos désastres et de notre situation.

L'assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, après s'être constituée à Léogane, avait désigné la ville du Cap pour la tenue de ses séances. Les députés s'y rendaient successivement pour y remplir leur mission.

Quelques-uns d'eux arrivèrent le 16 au quartier du Limbé, distant de 6 lieues du Cap; ils y furent témoins de l'incendie d'une case à Bagasse, sur l'habitation Chabaud.

L'incendiaire était un nègre commandeur de l'habitation Desgrieux; ce nègre, armé d'un sabre, s'évadait: M. Chabaud le voit, le poursuit et l'atteint. Combat entre eux, le nègre est blessé, capturé et mis aux fers.

On l'interroge, il dépose que tous les commandeurs, cochers, domestiques et principaux

(1) Bibliotheque nationale: Assemblee législative, Colonies, n° 6.

affidés des habitations voisines et des quartiers adjacents ont formé le complot de mettre le feu aux habitations et d'égorger tous les blancs. Il désigne pour chefs quelques noirs de l'habitation de son maître, 4 de celles de Flaville, située à l'Acul, distante de 3 lieues du Cap, et le nègre Paul, commandeur de l'habitation Blin au Limbé.

La municipalité du Limbé se transporte chez M. Chabaud; mêmes questions au nègre incendiaire, mêmes réponses. La municipalité en dresse procès-verbal, l'envoie à l'assemblée provinciale du nord, prévient les habitants du quartier, indique au procureur l'habitation Flaville, le nom des conjurés qui sont chez lui, l'invite à s'en assurer et à les traduire à la conciergerie du Cap.

Celui-ci, plus confiant que soupçonneux, sensible et bon, rassemble les nègres soumis à son administration, leur communique l'avis de la municipalité, leur dit qu'il ne peut croire un complot aussi atroce, et leur offre sa tête s'ils la désirent; tous lui répondent que la déposition du commandeur de l'habitation Desgríeux est une imposture odieuse et lui jurent un inviolable attachement; il eut la faiblesse d'y croire; cet excès de confiance nous a perdus. La municipalité du Limbé requiert M. Planteau, procureur de l'habitation Blin, de lui représenter le nègre Paul. Cet esclave interrogé répond que l'accusation portée contre lui est fausse et calomnieuse, que, plein de reconnaissance pour les bontés de son maître, dont il reçoit tous les jours de nouveaux bienfaits, on ne le verra jamais tremper dans les complots tramés contre l'existence des blancs et contre leurs propriétés.

A la faveur de cette déclaration perfide et sur l'assurance que donne M. Planteau, que ce nègre mérite confiance, il est relâché.

Les choses restèrent dans cet état jusqu'au 21, que la force publique du Limbé, sur la réquisition de la municipalité, se transporta sur l'habitation Desgrieux pour arrêter le nègre cuisinier, dénoncé comme un des principaux chefs. Le nègre s'évade, va trouver le nègre Paul, de T'habitation Blin, et de concert avec les autres conjurés, ils préparent le fer et la torche destinés à l'exécution de leurs horribles projets.

Dans la nuit du 22 au 23, 12 nègres vont à la sucrerie de l'habitation de Noé à l'Acul, saisissent l'apprenti raffineur et le trainent devant la maison principale où il expire sous les coups dont il le percent, ses cris font sortir le procureur de l'habitation: il est renversé de deux coups de fusil. Les scélérats marchent vers l'appartement du raffineur, l'assassinent dans son lit, frappent à coups de sabre un jeune homme malade couché dans une chambre voisine, qui, laissé pour mort, se traîne cependant sur l'habitation limitrophe, où il apprend les horreurs dont il a été témoin, et annonce que le chirurgien a été seul épargné; exception qui s'est renouvelée à l'égard de presque tous les chirurgiens, dont les nègres avaient calculé que les secours pouvaient leur

devenir utiles.

Les brigands courent ensuite sur l'habitation Clement et y tuent le propriétaire et le raffineur. Le jour commence à paraitre, et il favorise la réunion des scélérats qui parcourent toute la plaine avec des cris affreux, incendient les maisons, les cannes, et égorgent les habitants.

Dans la même nuit, la révolte avait éclaté sur les 3 habitations de Galifet; les noirs de l'une de ces habitations pénètrent, les armes à la main,

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