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mère-patrie, qu'en arrivant dans cette capitale, où nous avions au moins des droits à la pitié, nous sommes précédés par la calomnie. Les hommes qui se sont fait un jouet de nos propriétés et de notre sang, s'attendaient à essayer de notre part de violents reproches, ils ont tenté de les prévenir; habiles dans l'art de la diffamation qui leur est si familier, après nous avoir rendus victimes de leurs attentats, il fallait encore nous en renvoyer le reproche et la honte, aussi cruels dans leurs fictions; que peu difficiles sur la vraisemblance, ils ont osé répandre que nos commettants étaient eux-mêmes les instigateurs de leurs propres maux; ils ont osé dire que le projet absurde et barbare d'opérer la contre-révolution était le but auquel ils avait sacrifié leurs propriétés, leurs familles, leur propre vie; ils ont osé dire que nous avons voulu nous donner à l'Angleterre.

Nous oserons, à notre tour, vous demander, Messieurs, avec la fermeté d'hommes libres, de citoyens français (car enfin nous sommes aussi Français et citoyens), nous oserons demander s'il est permis, chez quelque peuple de la terre, d'insulter avec autant d'audace aux malheureux qu'on a faits.

C'est donc nous qui avons mis le fer et le feu dans la main de nos nègres, c'est nous qui avons allumé la torche qui a dévoré nos habitations, c'est nous qui avons forgé ces poignards qui ont assassiné nos frères et nos amis ! c'est nous qui avons excité ces brutalités que des infortunes ont été forcées d'assouvir! c'est nous qui avons allumé dans notre patrie ce volcan, qui vient de la couvrir de décombres, et qui peut-être l'anéantira!

Ces dévastateurs, qui se disent patriotes, nous accusent d'avoir voulu opérer la contre-révolution! Ils ignorent donc que, dès les premiers jours de la Révolution, nous l'avons chérie, et que plus exposés à l'oppression sous le régime du despotisme, nous nous sommes avec plus d'ardeur élancés vers la liberté, nos actes les plus récents même, témoignent pour nous; est-ce être contre-révolutionnaire que d'avoir solennellement déclaré, en constituant notre assemblée que nous protégions de toute la force de la loi et de l'opinion publique, le recouvrement des créances de la métropole ? Est-ce être contre-révolutionnaire qui d'y avoir consacré, "qu'à l'Assemblée nationale appartenait le droit de régler nos rapports politiques et commer

ciaux? »

Est-ce être contre-révolutionnaire que d'avoir écrit aux représentants de la nation, la tombe entr'ouverte sous nos pas, que notre dernier soupir et notre dernier vœu seraient pour la patrie? »

Si nous eussions été contre-révolutionnaires, est-ce bien à l'Assemblée nationale que nous aurions adressé l'expression de ces sentiments ? On dit, on imprime, on répand que nous avons voulu nous donner à l'Angleterre; notre réponse à notre imposture est bien simple et se trouve à chaque page de nos procès-verbaux. On y voit nos principes et, nous osons le dire, l'accomplissement de tous nos devoirs.

Mais nous irons plus loin, permettez-nous une hypothèse qui justifie la position unique, dans les fastes de l'histoire où nous nous sommes trouvés.

A l'instant où la révolte a éclaté, tous les habitants de la ville du Cap ont recherché la cause de cet horrible événement.

Un folliculaire avait imprimé les décrets des 13 et 15 mai dernier avec le discours de M. Monneron, député de l'Ile-de-France; les premières dépositions apprennent que ces écrits, que tous ceux des prétendus philanthropes étaient lus et commentés par un mulâtre sur l'habitation Le Normand, dans des assemblées nocturnes où se trouvaient des nègres commandeurs, qui sont aujourd'hui les chefs des révoltés. On apprend que le Cap devait être compris dans l'incendie, que cette ville recélait dans son sein ceux qui devaient y mettre le feu et en massacrer tous les habitants; aussitôt on pousse des cris de rage et de désespoir.

Les philanthropes, la France entière, sont accusés de cet affreux complot; l'égarement, la fureur se peignent sur tous les visages, toutes les âmes sont enflammées; tout annonce un carnage horrible, un bouleversement général. Déjà des coups de fusil se font entendre: des nègres, des mulâtres en sont atteints sur les portes mêmes de l'assemblée générale. Ici on prend la cocarde blanche, là on invoque à grands cris les Anglais, d'autres prennent la cocarde noire. Ces mots, de la Nation, la Loi, le Roi », disparaissent de la salle que l'on préparait pour l'assemblée générale et une main égarée par la fureur les efface on s'écrie que la nation nous livre aux fers des assassins, aux bùchers des incendiaires, qu'enfin elle a appelé sur nous tous les forfaits dans ce jour qu'on croit le dernier de la colonie; des voix furieuses blasphèment contre une patrie qui, bien loin de les protéger, les assassine.

Au milieu de ce délire, dont nulle puissance ne saurait réprimer la première explosion, l'assemblée générale tente cependant des mesures de salut; les moments sont pressants; elle fait une proclamation qui défend, sous peine de la vie, de commettre aucun meurtre. Quatre de ses membres la publient pendant même qu'on l'écrivait. Ces commissaires se portent partout, partout ils trouvent des attroupements, des cris, des insultes même; mais ils parviennent à sauver des mulâtres, qui accusés, allaient être massacrés, et leurs soins et leurs prières suspendent la fureur du peuple.

Un nouveau sujet d'alarmes s'élève : l'assemblée générale est accusée de partager le crime des hommes de couleur, et elle est menacée; son courage ne se ralentit point. Les mulâtres offrent de s'armer pour la défense commune et de laisser pour garant de leur fidélité leurs femmes, et leurs enfants : elle ose les armer et, les unissant aux soldats du régiment du Cap, elle change en défenseurs ceux qu'on veut immoler comme ennemis.

Dans cette crise violente et qui menaçait d'une subversion totale, si, cédant à un mouvement qui était si propre à répandre l'effroi, nous en avions ressenti les effets si, comme ceux qui nous environnaient et qui nous menaçaient en ce moment, nous n'avions vu dans notre patrie que la cause de toutes nos infortunes, si nous avions appelé une puissance étrangère pour arracher les colons à leurs bourreaux, pour préserver leurs propriétés, pour conserver même la créance de la métropole; quel est l'homme qui, ayant une conscience, aurait osé nous condamner? Eh bien, nous sommes restés Français... Serons-nous réduits après cela à l'abjecte nécessité de nous justifier du reproche d'avoir voulu devenir indépendants? Qu'on parcoure tous nos actes; s'il en est un seul qui tende à nous sous

traire aux liens indissolubles qui nous attachent à l'Empire, nos têtes sont ici pour éprouver les supplices destinés à cette perfidie. Nous savons que quelques capitaines de navire dont la vanité a été blessée, parce que leur manque d'humanité a été rendu public, sont venus se réunir à des amis des noirs pour nous faire trouver coupables; mais les accents douloureux du commerce, touché de nos infortunes et des maux qu'elles lui présagent, leur apprendront quelle est leur erreur, et que s'ils parvenaient à nous rendre odieux par des calomnies, ils gémiraient bientôt eux-mêmes de leurs succès.

Oui, et nous avons l'orgueil de nous vanter, parce que c'était un devoir pour des hommes revêtus de la confiance de leurs concitoyens, nous avons demandé des secours à tous ceux qui nous environnaient; ces secours nous les avons implorés avec le gouverneur général, et par conséquent comme Français, comme hommes; et puisque nous n'avons pas affecté de choix en les réclamant au même instant de 3 nations différentes, nous avons assez prouvé que nos prières, dictées par le malheur, ne pouvaient offrir de projet funeste à la mère patríe. Enfin, qui osera chercher à nous accuser pour avoir recouru aux Anglais de la Jamaïque, quand l'Assemblée nationale, qui ne connaissait nos dangers et nos infortunes que par des récits incomplets, a cru devoir exprimer elle-même la gratitude nationale envers ce peuple généreux ?

Mais enfin, Messieurs, si nous eussions appelé les Anglais non pour nous prêter des secours, mais pour nous gouverner, à qui faudrait-il en imputer le crime? Mettez un moment à notre place celui des départements du royaume à qui vous supposez le plus de patriotisme et d'attachement au nom français: supposez que des excitateurs de révolte eussent soulevé dans son sein les domestiques contre les maîtres, les brigands contre les propriétaires; que cent fois ils les eussent dénoncés sans n'obtenir que du mépris; que loin de recevoir des secours de la mère patrie, tout ce qui part de son sein parût apporter avec soi des germes de révolte; que déjà la vie et la propriété d'une multitude de citoyens eussent été la proie des désordres; qu'ils eussent vu les meurtres les plus abominables commis sous leurs yeux, et qu'il n'y eût aucune espérance de protection; si dans ce moment d'horreur et d'abandon ces citoyens malheureux conçoivent l'idée de former de nouveaux liens et d'invoquer la protection d'une autre patrie, à qui croyez-vous, Messieurs, que le reproche dût étre adressé? Est-ce aux infortunés que le désespoir aurait égarés? Est-ce aux scélérats qui se seraient fait un plaisir de lasser leur patience et de briser les liens les plus chers et les plus sacrés, par l'excès du malheur?

Messieurs, nous connaissons et nous chérissons nos devoirs, mais nous connaissons aussi et nous réclamons nos droits, nous consacrons à la prospérité de la mère patrie le produit entier de nos cultures, elle doit nous défendre contre l'étranger, elle doit assurer nos propriétés et notre tranquillité contre les attentats des perturbateurs.

Il est aujourd'hui démontré que l'influence des amis des noirs est destructive des colonies; de quelques sophismes qu'ils s'environnent, ils n'anéantiront jamais le témoignage de nos malheurs. Il ne peut pas exister un homme de bonne foi qui doute que leurs travaux, leurs déclamations, leurs écrits, leurs infâmes émis

saires soient la cause active et constante qui, depuis 2 ans, prépare notre ruine et qui vient enfin de la réaliser.

La France nous doit protection, mais les forces ne peuvent suffire pour nous rassurer, si elle souffre que, dans son sein, on continue à nous préparer des révoltes et des massacres.

Elle nous doit protection; mais vainement voudrait-elle l'effectuer, si de tels attentats demeuraient impunis; ce qui devrait être la perte de nos ennemis ne sert qu'à les encourager.

Elle nous doit protection; mais à quoi nous serviraient ses armées et ses flottes, si elle permet que des écrits séditieux portent incessamment dans nos foyers le germe de tous les troubles, si elle souffre qu'on nous accable d'humiliations; et si nous environner de meurtre et de carnage devient, aux yeux de la patrie à laquelle nous nous immolons, un moyen de gloire et de triomphe.

Messieurs, pardonnez à notre langage, mais tant de malheurs nous ont acquis le droit de ne rien déguiser, l'amertume est au fond de nos âmes; cent fois nous avons appelé la vengeance publique sur les odieuses manœuvres de ces hommes qui bouleversent notre patrie sous le voile de l'humanité. Nous n'avons rien obtenu. Ah! puisse l'horrible catastrophe dont nous vous avons tracé le tableau, servir de leçon pour l'avenir, et préserver des mêmes malheurs ceux de nós concitoyens qui ne l'ont pas encore éprouvée.

C'est de la fermeté que vous mettrez à punir les auteurs de notre désastre, à réprimer leurs nouvelles tentatives, que les provinces de l'Ouest et du Sud peuvent attendre leur salut.

Quant à la province du Nord, elle a fait des pertes irréparables; des capitaux immenses ont été consumés; le rétablissement de ses travaux exige des avances de fonds, que le commerce et les propriétaires ne sauraient faire en totalité. Nous ne vous parlons pas des individus, mais vous examinerez, Messieurs, ce qu'exige de votre part l'intérêt de la colonie et celui de la nation.

Représentants du peuple français, vous venez d'entendre le récit de la plus grande calamité qui ait affligé l'espèce humaine dans le cours du XVIIIe siècle.

Vous venez d'entendre les plaintes de la première colonie du monde, nécessaire à l'existence de la nation dont les intérêts vous sont remis. Elle ne veut vous intéresser que par ses sentiments et ses malheurs.

Elle vous demande justice, sûreté, secours. M. le Président répond : « Chérir sa patrie est un doux sentiment: la servir dans les circonstances désastreuses est la première vertu civique, et elle est la vôtre. Les malheurs de la colonie sont affreux. L'Assemblée nationale les contemple avec horreur, avec indignation, avec amertume. Vous implorez sa justice, elle la doit à tous les citoyens de l'Empire; sa protection, elle la doit à votre courage, votre patriotisme, votre infortune; des secours, elle s'est déjà occupée de vous en procurer. Elle prendra votre demande dans la plus grande considération, et elle vous invite aux honneurs de la séance. » (Murmures à l'extrême gauche de la salle.)

M. Basire jeune. Comment, Monsieur le Président, vous admettez la séance des hommes qui viennent d'outrager la philosophie et la liberté, qui viennent d'insulter... (Murmures pro

longés. Quelques applaudissements à l'extrême gauche de la salle.)

Plusieurs membres: L'impression du discours des commissaires et de la réponse du Président. M. Basire jeune. Monsieur le Président, je m'oppose à l'impression d'un libelle, je demande la question préalable.

Plusieurs membres à l'extrême gauche: Appuyé! appuyé!

M. Ducos. Lorsqu'on demande l'impression d'un discours, d'une motion quelconque, on suppose que l'impression... (Le tumulte couvre la voix de l'orateur.)

M. Brissot de Warville. Je demande l'impression du libelle qui vient d'être lu et le renvoi au comité colonial.

Plusieurs membres : A l'ordre! à l'ordre M. Brissot!

(L'Assemblée est dans une vive agitation.)
M. Fauchet. C'est abominable !

M. le Président. Je mets aux voix la demande d'impression.

(L'Assemblée décrète à une très grande majorité l'impression.)

Plusieurs membres à l'extrême gauche réclament contre cette délibération.

M. Lacombe. Le bruit qu'on faisait lorsque la motion a été mise aux voix m'a empêché d'entendre. Je prie M. le Président de renouveler l'épreuve quand le calme sera rétabli.

M. le Président établit l'état de la délibération pour renouveler l'épreuve.

Deux membres à l'extrême gauche : La question préalable sur l'impression.

(La question préalable est mise aux voix. Environ 30 membres à l'extrême gauche se lèvent, et la question préalable est rejetée à la presque unanimité.)

M. Basire jeune. Je demande la division de la motion de l'impression et du renvoi au comité.

M. Chabot et quelques autres membres : Appuyé! appuyé!

Quelques membres Monsieur le Président, rappelez la minorité à l'ordre.

(L'Assemblée décrète, à la presque unanimité, que le discours lu à la barre, ainsi que la ré

du Président, seront imprimés, et que Pexamen en sera renvoyé au comité colonial.) (La séance est levée à quatre heures.)

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE. Séance du jeudi 1er décembre 1791, au matin. PRÉSIDENCE DE M. LEMONTEY, vice-président.

La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Torné, secrétaire, donne lecture du procèsverbal de la séance du mardi 29 novembre, au soir et du procès-verbal de la séance du mercredi 30 novembre.

M. Isnard, secrétaire, donne lecture:

1° D'une délibération de la municipalité de BouLogne-sur-Mer.

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Pierre Guicharel fils, l'offre de sa personne et de 200 livres.

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Depuis lors, ils ont répété la même soumission, et fait les mêmes offres sur les registres de la municipalité de Saillans.

Balthasard Souvion, citoyen de Saillans, a offert, sur le même registre, sa personne et de plus 1,200 livres, pour le soutien de la patrie.

« Ces suppléments de dons patriotiques n'ayant pas d'application fixe, les soussignés viennent prier l'Assemblée législative d'en ordonner: 1 l'emploi aux objets qu'elle jugera, dans sa sagesse, les plus urgents pour la patrie; 2° dans quelles caisses ils doivent compter; 3° en quels termes.

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(L'Assemblée décrète la mention honorable de cette adresse et son insertion au procès-verbal, et décrète en outre le renvoi à la caisse de l'extraordinaire.)

M. Dehaussy-Robecourt, au nom du comité des inspecteurs de la salle. Je demande la parole pour une motion d'ordre. Vous avez ordonné, par un décret du 14 novembre dernier (1), que le directeur de l'imprimerie royale fournirait à M. Baudoin toutes les lois sanctionnées, format in-quarto, pour être distribuées aux membres de l'Assemblée, à leur domicile. Quelques-uns de nos collègues ont pensé que ce décret comprenait toutes les lois de l'Assemblée constituante; mais je vous ferai remarquer qu'en donnant ce sens au décret du 14 novembre, on nécessitera une dépense de 35,760 livres, et cela pour faire un cadeau à chacun de nous. Ce serait donner aux législatures suivantes un exemple dangereux. Votre comité d'inspection vous propose de ne faire ordonner la fournitures des lois aux membres de l'Assemblée actuelle qu'à compter du

(1) Voir ci-dessus, page 59.

1er octobre et pendant la législature seulement. Voici le projet de décret qu'il vous propose:

« L'Assemblée nationale décrète que la livraison à faire par le directeur de l'imprimerie royale au sieur Baudoin, de toutes les lois sanctionnées, proclamations, règlements et autres pièces d'administration venant des presses de l'imprimerie royale, n'aura lieu que pour tout ce qui a été imprimé à compter du 1er octobre dernier, et ce qui s'y imprimera pendant le cours de la législation actuelle. »

(L'Assemblée adopte ce projet de décret.)

M. Wilhelm. Je prie l'Assemblée de vouloir bien m'accorder un congé d'un mois pour des affaires de famille.

M. Lecointre. J'appuie la demande de congé à condition que les honoraires de M. Wilhelm seront suspendus jusqu'à son retour.

M. Delacroix. Cela va sans dire; on ne peut supposer qu'un membre de l'Assemblée, après un moís d'absence, vienne réclamer son traitement.

Un membre: J'observe qu'il existe déjà un décret du 22 juin 1790 qui défend en cas d'absence de toucher le traitement. En conséquence, je demande qu'on passe à l'ordre du jour sur la motion de M. Lecointre, en motivant cette décision par l'existence de ce décret.

(L'Assemblée accorde à M. Wilhelm le congé demandé et passe à l'ordre du jour sur la motion de M. Lecointre, en conséquence du décret du 22 juin 1790.)

Un membre, au nom du comité du commerce : Messieurs, vous avez renvoyé, le 22 de ce mois, à votre comité de commerce, une pétition du sieur Thomas Eccleston (1), et vous l'avez chargé de vous en faire le rapport. Ce cultivateur informe l'Assemblée nationale qu'il est venu acheter en France 3 étalons et 15 juments pour les transporter en Angleterre, afin d'y multiplier une race particulière. Il s'est présenté à la douane du Havre pour acquitter les droits de sortie du royaume sur ces chevaux et les embarquer ensuite pour l'Angleterre; mais la loi du 29 juin dernier qui prohibe la sortie des chevaux n'a pas permis au percepteur des douanes de recevoir les droits et de laisser embarquer les chevaux du sieur Eccleston. Votre comité de commerce s'est concerté avec le comité militaire; ils ont pensé que vous deviez autoriser la sortie des étalons et juments achetés en France par M. Thomas Eccleston, cultivateur anglais; ils ont cru aussi ne pas devoir laisser échapper l'occasion de témoigner à l'Angleterre combien la nation française désire lui donner des preuves de son estime. J'ai, en conséquence, l'honneur de vous proposer le décret

suivant :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de commerce, voulant qu'il ne soit apporté aucun obstacle au cours ordinaire du commerce, et considérant que le sieur Thomas Eccleston, cultivateur anglais, est empêché depuis plus d'un mois, par la loi du 29 juin dernier, de faire embarquer pour l'Angleterre 15 juments et 3 étalons qu'il est venu acheter en France, que cet obstacle lui occasionne beaucoup de dépense, décrète qu'il y a urgence.

"Et le décret d'urgence préalablement rendu, l'Assemblée nationale décrète que le ministre des contributions publiques est autorisé à permettre la sortie par le port de Dieppe, en acquittant les

(1) Voy. ci-dessus, p. 302.

droits de sortie fixés par les tarifs, des 3 étalons et 15 juments que le sieur Thomas Eccleston y fera embarquer pour être transportés en Angleterre, à la charge cependant par ledit sieur Eccleston, de faire sa soumission à la douane de Dieppe; d'envoyer, dans le délai d'un mois, un certificat des officiers d'amirauté du port d'Angleterre où il fera son débarquement, pour justifier de l'arrivée desdits chevaux, lequel certificat devra être légalisé par le secrétaire d'ambassade de France en Angleterre, et à la charge aussi par ledit soumissionnaire de donner bonne et suffisante caution jusqu'à la concurrence de 6,000 livres. »

Quelques membres se sont opposés à ce décret en alléguant l'intérêt de l'agriculture; mais il leur a été répondu que l'intérêt du commerce et de la politique voulait que l'on n'empêchât pas les Anglais de sortir des chevaux du royaume, lorsqu'ils nous fournissent de si beaux étalons.

(L'Assemblée, consultée, adopte le projet de décret du comité de commerce.)

M. Becquey. Je viens vous entretenir des demandes de M. Varnier, accusé en vertu d'un de vos décrets, arrêté depuis près de trois semaines et tenu à un rigoureux secret contre lequel il réclame sans cesse; il a écrit de nouveau à M. le président. Voici, Méssieurs, quelles sont ses demandes.....

M. Lecointre. L'ordre du jour! Nous ne pouvons nous occuper de M. Varnier.

M. Merlin et quelques membres à l'extrême gauche. Renvoyez les pièces à la haute cour na

tionale.

M. Becquey. Vous êtes obligés de vous occuper de M. Varnier et je demande à le prouver en deux mots.

M. Delacroix. Je demande que l'Assemblée soit consultée pour savoir si M. Becquey sera entendu relativement à M. Varnier.

(L'Assemblée, consultée, décide que M. Becquey sera entendu.)

M. Becquey. Avant d'en dire davantage, il faut répondre aux objections que l'on pourrait répéter aujourd'hui, et qui m'ont environné à la tribune lorsque j'y ai déjà pris la parole en faveur de M. Varnier. On a prétendu que, dès que les décrets d'accusation avaient été portés par l'Assemblée nationale, elle ne devait plus s'occuper des personnes que ces décrets atteignent, et que ce serait, de sa part, usurper le pouvoir judiciaire que de statuer sur les pétitions des accusés. Lorsqu'on connaît les droits des hommes, lorsqu'on est pénétré des principes de notre Constitution, on ne doit pas supporter l'idée que, dans un pays libre, un citoyen arrêté en vertu de la loi puisse être privé un seul instant de la faculté de recourir à une autorité publique quelconque. Or, je le demande, quelle autorité, sinon la vôtre, M. Varnier pourrait-il invoquer aujourd'hui, lorsque le tribunal chargé de le juger n'est pas encore formé ? A quel autre pouvoir ferait-il parvenir ses plaintes ? qui pourrait, qui voudrait les entendre, si vous refusez de le faire? Il a donc le droit de vous les adresser, et c'est le devoir de l'Assemblée nationale de l'examiner avec soin. Passer froidement à l'ordre du jour, dans une telle circonstance, ce serait faire à un citoyen accusé cette réponse terrible :

Le temps viendra où vous aurez des juges, mais jusqu'à ce moment vous serez comme abandonné sur la terre, vous serez oublié du reste des hommes. (Murmures à gauche.)

Tel ne sera pas le langage des représentants d'une nation juste et sensible. J'ai donc la confiance que vous écouterez avec intérêt la pétition que vous fait M. Varnier et la proposition que je forme à son sujet. Le décret d'accusation qui le concerne porte qu'il sera mis au secret. If demande la révocation de cette disposition; il demande surtout qu'on ne le prive pas plus longtemps de la faculté d'écrire à sa mère au désespoir; il demande à lui porter du fond de sa prison les consolations de la piété filiale.

Je vais tâcher de vous prouver que vous pouvez et que vous devez accéder à ces réclamations; et j'observe d'abord que vous ne regardez pas la disposition du secret comme la suite nécessaire de tout décret d'accusation, puisque vous ne l'avez pas ajoutée à un autre décret de ce genre relatif à M. Delattre. Vous avez eu la faculté de ne pas imposer cette rigueur à la détention de M. Varnier, il vous est donc loisible de l'en délivrer aujourd'hui; il est même évident que la haute cour nationale n'étant pas réunie, il n'appartient qu'à vous seuls d'apporter ce changement à l'exécution de votre décret.

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

M. Thuriot. Il y a un décret général sur toutes les observations de M. Becquey. On ne l'a entendu que parce qu'on ne savait pas qu'il voulait les reproduire. Je demande qu'on passe à l'ordre du

jour.

M. Becquey. Vous n'en avez pas seulement la puissance, vous en avez aussi le devoir; car c'est un devoir pour des législateurs de ne pas accumuler les rigueurs contre un citoyen qui est accusé d'un grand crime, mais enfin qui n'est qu'accusé. C'est un devoir pour vous de ne pas violer cette maxime bienfaisante de la Déclaration des droits, que tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de så personne, doit être sévèrement réprimée par la foi.

Plusieurs membres : L'ordre du jour! l'ordre du jour!

M. Becquey. Notre Constitution consacre aussi un principe que nos anciennes lois criminelles, toutes barbares qu'elles étaient, avaient cependant toujours respecté, c'est de faire interroger les accusés dans les 24 heures de leur détention. Aucune disposition de la Constitution ne comprend dans cette règle générale les accusés de crimes de lèse-nation, ni ne les en exempte. Les formes de leur interrogatoire ne sont pas encore tracées. Mais M. Varnier pourrait-il souffrir du silence qu'a gardé jusqu'à présent la législation dans cette partie? Devons-nous lui laisser supporter les peines d'une captivité solitaire pendant tout le temps qui s'écoulera encore avant la réunion de la haute cour nationale? Serait-il done

possible que son sort dût dépendre en quelque sorte de l'activité ou de la lenteur que mettront les corps administratifs à envoyer les procèsverbaux d'élection des hauts jurés? Serait-il juste enfin, et nous serait-il permís de le priver plus longtemps, de l'exercice de la faculté qu'il doit avoir de recueillir, dès à présent, les preuves de son innocence, preuves que la durée du temps pourrait affaiblir d'une manière si fâcheuse pour lui?

Si nous ne pouvons pas charger les grands juges ou tout autre officier civil de faire subir sur-le-champ un premier interrogatoire à l'accusé, nous ne devons pas, pour cela, le retenir

plus longtemps au secret. Il doit jouir de son droit, de méditer dès à présent sur le décret d'accusation porté contre lui et sur les délits qu'on lui impute. Il doit pouvoir préparer les moyens de sa défense et s'entourer de ses parents de ses amis, de ses conseils, pendant que ses accusateurs travaillent, à leur gré, à accumuler contre lui les témoignages du dělit dont ils le disent coupable.

Plusieurs membres : L'ordre du jour! l'ordre du jour!

M. Becquey. Hâtons-nous donc de révoquer cette partie du décret du 12 novembre. Je crois avoir montré que vous le pouviez, que vous le deviez même. Et s'il était besoin d'ajouter quelque considération aux motifs de justice éternelle qui suffisent sans doute pour régler votre détermination, je vous inviterais à réfléchir un instant sur l'état actuel de l'affaire de M. Varnier. Je vous dirais que loin que le temps qui s'est écoulé depuis son arrestation, ait procuré quelques renseignements à sa charge, tous, au contraire, se réunissent en sa faveur.

Un grand nombre de membres : L'ordre du jour ! l'ordre du jour!

M. Albitte ainé. Un décret a déjà écarté tout ce que M. Becquey débite si éloquemment; il parle des Droits de l'homme; mais la sûreté de l'Etat est le premier des droits.

Plusieurs membres: Laissez parler M. Becquey. D'autres membres: Non! non! L'ordre du jour! (L'Assemblée, consultée, passe à l'ordre du jour.) (Applaudissements dans les tribunes.)

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M. le Président. L'avis du bureau est que M. Becquey doit continuer son discours. (Vives reclamations.)

M. le Président. Puisqu'il y a doute, je vais faire une nouvelle épreuve.

(L'Assemblée, consultée, décide que M. Becquey ne sera pas entendu.) (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Caminet. Il faut, lorsqu'on ne veut plus entendre un orateur, lui demander au moins ses conclusions. (Murmures.)

M. Vergniaud. Toutes les discussions qui ont eu lieu en faveur des prévenus de conspiration contre l'Etat, ont été occasionnées par l'insuffisance de la loi sur la formation du haut juré, car elles sont toutes fondées sur le délai expiré entre l'arrestation et le premier interrogatoire de l'accusé. Je demandé donc que, pour prévenir, par la suite, toute espèce de discussion qui entraîne une grande perte de temps, le comité de législation soit tenu de nous présenter dans le plus court délai un projet de décret pour compléter la loi sur la formation de la haute cour nationale.

(L'Assemblée adopte la motion de M. Vergniaud.) M. le Président. Avant de passer à l'ordre du jour qui est un rapport du comité colonial sur les troubles des colonies, une députation de

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