Page images
PDF
EPUB

écueils, on n'a voulu en voir qu'un. Les blancs disaient Si vous accordez aux gens de couleur les privilèges que la justice réclame en leur faveur, vous perdez les colonies, car nous ne nous soumettrons pas à votre loi. Les gens sages disaient de leur côté mais si l'on refuse aux gens de couleur ce que la justice sollicite pour eux, ces gens de couleur ne sont pas tellement abrutis par l'esclavage, qu'ils ne sentent bien l'injustice qu'on leur a faite. Les idées de liberté qui se sont développées en France ont également germé dans leur cœur, et peut-être que, réduits au désespoir, ils tenteront tous les efforts pour se procurer par la force, ce qu'on n'aura pas voulu leur accorder par justice. On n'a voulu voir, dis-je, qu'une de ces deux chances. On s'est occupé uniquement du danger que l'on courrait, si on n'avait pas égard aux représentations des blancs; et l'on ne s'est pas occupé du danger que l'on courrait, si l'on n'accordait pas justice aux gens de couleur.

Maintenant le concordat qui a été passé dans la partie de l'ouest de Saint-Domingue, a fait cesser les troubles, en a arrêté les progrès et a prévenu, dans cette partie de l'ouest, les désastres qui nous font gémir sur la partie du nord. Dans la partie du nord, ce sont également les gens de couleur qui ont aidé à arrêter ces désastres. Et remarquez qu'ils se sont conduits peut-être avec plus de magnanimité que les gens de couleur de la partie de l'ouest; car ils n'ont pas profité du besoin dans lequel se trouvaient les blancs. Ils ont dit qu'ils ne voulaient pas devoir à la nécessité, la justice qu'ils réclamaient. Ils ont commencé par offrir leur sang pour défendre la propriété des blancs comme pour défendre la leur, puis ont déclaré qu'ils attendraient le rétablissement du calme pour faire valoir leurs droits.

Dans ces circonstances, qui oserait mettre en doute si l'exécution du concordat passé dans la partie de l'Ouest est nécessaire à la conservation des colonies? Personne, pour peu qu'il désire sincèrement que les colonies restent attachées à la métropole. Et on ne peut réfléchir sur les événements arrivés dans les colonies, sans être convaincu que l'exécution de ce concordat ne soit absolument indispensable pour les con

server.

Si les troupes partent pour les colonies, les blancs, oubliant la reconnaissance qu'ils doivent à leurs libérateurs, peuvent se prévaloir de la supériorité de leurs forces pour révoquer le concordat que peut-être leur orgueil n'a pas souscrit volontairement. Croyez-vous que les gens de couleur ne seront pas irrités, ne seront pas indignés de voir qu'après avoir profité de leurs services pour arrêter l'insurrection et pour sauver les débris de la colonie, on tente de les vouer encore à un opprobre éternel? Croyezvous que leur désespoir ne tentera pas quelque entreprise? Et n'aurions-nous pas à redouter qu'ils ne cherchassent à s'ensevelir eux-mêmes par esprit de vengeance sous les ruines entières de la colonie?

Il est non seulement juste, mais encore nécessaire que ce concordat soit exécuté. Et j'ajoute, Messieurs, qu'en prenant des mesures pour l'exécution de ce concordat, vous ne blesseż pas la loi du 24 septembre. Que porte en effet cette loi du 24 septembre? Que les colonies décideront de l'état des personnes. Mais qu'est-ce donc que ce concordat, dont vous ordonnerez l'exécution provisoire? C'est un concordat consenti

par les blancs eux-mêmes. Ce ne sera donc pas 'Assemblée nationale qui usurpera l'initiative, qui ôtera aux colons la faculté accordée par le décret du 24 septembre, de statuer sur l'état des gens de couleur. (Applaudissements et murmures.) Remarquez que M. Guadet, si je l'ai bien compris, n'a proposé cette mesure que comme mesure provisoire jusqu'à ce que les colons légalement assemblés d'après les formes constitutionnelles aient émis leurs vœux. (Murmures prolongés.) J'ai cru comprendre que M. Guadet n'avait proposé cette mesure que comme une mesure provisoire. En l'adoptant comme mesure provisoire, vous vous renfermez strictement dans la loi du 24 septembre, puisque vous n'oterez pas aux colons le droit d'exprimer leur vou, lorsqu'ils seront légalement assemblés. Ainsi donc, Messieurs, on peut adopter cette mesure prompte sans violer la loi du 24 septembre; et si on peut l'adopter, j'ai prouvé qu'il était important, que la nécessité la plus urgente commandait l'exécution du concordat. Il faudra donc que l'Assemblée prenne le parti de décider que le concordat serà provisoirement exécuté jusqu'à ce que les colons aient émis leurs vœux. (Applaudissements.)

M. Basire jeune parle dans le tumulte.

Plusieurs membres proposent de fermer la discussion sur l'ajournement de la lecture du projet de décret de M. Brissot.

(L'Assemblée ferme la discussion et décrète l'impression du discours de M. Brissot.)

M. Garran-de-Coulon. Messieurs, je demande que M. Brissot ait la complaisance de lire son projet de décret demain matin et qu'on le distribue le soir.

Un membre: Je demande que le projet de décret de M. Brissot soit imprimé à la suite de son discours.

(L'Assemblée décrète l'impression du projet de décret (1) de M. Brissot à la suite de son discours et en ajourne la lecture à samedi.)

Plusieurs membres : L'impression du concordat !

[L'Assemblée décrète l'impression du concordat (2).]

M. le Président. Je rappelle à l'Assemblée la motion de M. Guadet tendant à laisser les dispositions de l'Assemblée nationale envers les colonies dans l'état où elles étaient avant le 24 septembre.

Un membre: L'Assemblée doit approuver provisoirement le concordat passé au Port-auPrince, ainsi que le proposent MM. Vergniaud et Guadet. Je demande T'ajournement de la motion de M. Guadet à samedi.

M. Delmas. Je propose un amendement : c'est de délibérer à l'instant la question d'approuver provisoirement le concordat.

Plusieurs membres : Ce n'est pas cela.

M. Delmas. Alors je demande l'ajournement à samedi de la discussion des motions de MM. Vergniaud et Guadet.

(L'Assemblée ajourne à samedi la discussion sur le concordat de Saint-Domingue.)

(La séance est levée à quatre heures.)

(1) Voir ce projet de décret, ci-après séance du 3 décembre 1791.

(2) Voir ce concordat aux annexes de la séance.

[blocks in formation]

L'an 1791, le 11 du mois de septembre, les commissaires de la garde nationale des citoyens blancs du Port-au-Prince, d'une part, et les commissaires de la garde nationale des citoyens de couleur du Port-au-Prince, d'autre part; iceux fondés de pouvoir, par arrêté du même jour, et du 9 du présent mois, assemblés sur la place d'armes du bourg de la Croix-des-Bouquets, à l'effet de délibérer sur les moyens les plus capables d'opérer la réunion des citoyens de toutes les classes et d'arrêter les progrès et les suites d'une insurrection qui menace également toutes les parties de la colonie, l'assemblée ainsi composée, s'étant transportée dans l'église paroissiale dudit bourg de la Croix-des-Bouquets, pour éviter l'ardeur du soleil, il a été procédé de suite à la nomination d'un président et d'un secrétaire; après quoi, il a été dit, de la part des citoyens de couleur, que la loi faite en leur faveur, en 1685, avait été méprisée et violée par les progrès et privilèges et par l'usage abusif et le despotisme ministériel de l'ancien régime, et qu'ils n'ont jamais joui que très imparfaitement du bénéfice de cette loi; qu'au moment où ils ont vu l'Assemblée des représentants de la nation se former, ils ont représenté que les principes qui ⚫ont dicté la loi constitutionnelle de l'Etat entraineraient nécessairement la reconnaissance de leurs droits, qui, pour avoir été longtemps méconnus, n'en étaient pas moins sacrés; que cette reconnaissance était consacrée par les décrets et instructions des 8 et 28 mars 1790, et par plusieurs autres rendus depuis; mais qu'ils ont vu avec la plus grande douleur que les citoyens blancs des colonies leur refusaient avec obstination l'exécution de ces décrets, pour ce qui les y concerne, par l'interprétation injuste qu'ils en ont faite; qu'outre la privation du bénéfice desdits décrets, lorsqu'ils ont voulu les réclamer, on les a sacrifiés à l'idole du préjugé, en exerçant contre eux un abus incroyable des lois et de l'autorité du gouvernement, au point de les forcer d'abandonner leurs foyers; qu'enfin, ne pouvant plus supporter leur existence malheureuse et étant resolus de s'exposer à tous les dangers pour se procurer l'exercice des droits qu'ils tiennent de la nature, et qui sont consacrés par les lois et civiles et politiques, ils le font réunis sur la montagne de la Charbonnière (3), où ils ont pris les armes le 31 août dernier pour se mettre dans le cas d'une juste défense; que T'envie d'opérer la réunion de tous les citoyens indistinctement leur fait accueillir la députation de MM. les commissaires blancs de la garde nationale du Port-au-Prince; qu'ils voient avec une

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Colonies, n° 4.

(2) Voy. ci-dessus, même séance, page 491. (3) C'est ainsi que le peuple de Rome se retira sur le Mont-Sacré, pour réclamer ses droits.

satisfaction difficile à exprimer le retour des citoyens blancs aux vrais principes de la raison, de la justice et de la saine politique; qu'ayant tout lieu de croire à la sincérité de ce retour, ils se réuniront de cœur, d'esprit et d'intention avec les citoyens blanc, pourvu que la précieuse et sainte égalité soit la base et le résultat de toutes les opérations; qu'il n'y ait entre eux et les citoyens blancs de différence que celle qu'entrainent nécessairement le mérite et la vertu et que la sincérité et la fraternité cimentent à jamais les nœuds qui doivent les attacher réciproquement; et, en conséquence, ils ont demandé l'exécution des articles suivants, auxquels lesdits commissaires blancs ont répondu, ainsi qu'il est mentionné ci-après :

Demandes des commissaires de la garde nationale des citoyens de couleur.

Art. 1er.

Les citoyens blancs feront cause commune avec les citoyens de couleur et contribueront de toutes leurs forces et de tous leurs moyens à l'exécution littérale de tous les points des décrets et instructions de l'Assemblée nationale, sanctionnés par le roi; et ce sans restriction et sans se permettre aucune interprétation, conformément à ce qui est prescrit par l'Assemblée nationale, qui défend d'interpréter ses décrets. (Accepté.)

Art. 2.

Les citoyens blancs promettent et s'obligent de ne jamais s'opposer directement ni indirectement à l'exécution du décret dn 15 mai dernier, qui, dit-on, n'est pas encore parvenu officiellement dans cette colonie; de protester même contre toutes protestations et réclamations contraires aux dispositions du susdit décret, ainsi que contre toute adresse à l'Assemblée nationale, au roi, aux 83 départements et aux différentes chambres du commerce de France, pour obtenir la révocation de ce décret bienfaisant. (Accepté.)

Art. 3.

Ont demandé les susdits citoyens la convocation prochaine et l'ouverture des assemblées primaires et coloniales pour tous les citoyens actifs, aux termes de l'article 4 des instructions de l'Assemblée nationale du 28 mars 1790. (Accepté.)

Art. 4.

De députer directement à l'assemblée coloniale, et de nommer des députés choisis parmi les citoyens de couleur qui auront, comme ceux des citoyens blancs, voix consultative et délibérative. (Accepté.)

Art. 5.

Déclarent, lesdits citoyens blancs et de couleur, protester contre toutes municipalités provisoires ou non, contre toute assemblée provinciale et coloniale; lesdites municipalités, assemblées coloniales et provinciales n'étant pas formées d'après les décrets et instruction des & et 28 mars 1790. (Accepté.)

Art. 6.

Demandent les citoyens de couleur, qu'il soit reconnu par les citoyens blancs que leur orga

nisation présente, leurs opérations récentes, et leur prise d'armes n'ont eu pour but que leur sûreté individuelle, l'exécution des décrets de l'Assemblée nationale, la réclamation des droits méconnus et violés, et le désir de parvenir, par ce moyen, à la tranquillité publique; qu'en conséquence, ils soient non inculpables pour les événements qui ont eu lieu, et qu'on ne puisse, dans aucun cas, exercer contre eux, collectivement ou individuellement, aucune action directe ou indirecte, pour raison des susdits événements; qu'il soit reconnu que leur prise d'armes tiendra jusqu'au moment où les décrets de l'Assemblée nationale seront ponctuellement et littéralement exécutés; qu'en conséquence, les armes, canons et munitions de guerre enlevés pendant les combats qui ont eu lieu, resteront dans les mains de ceux qui ont eu le bonheur d'être vainqueurs ; que cependant les prisonniers, s'il en est, seront mis en liberté de part et d'autre. (Accepté.)

Art. 7.

Demandent les citoyens de couleur que, conformément à la loi du 11 février dernier, et pour ne laisser aucun doute sur la sincérité de la réunion prête à s'opérer, toutes proscriptions cessent et soient révoquées dès ce moment; que toutes les personnes proscrites, décrétées et contre lesquelles il serait intervenu des jugements pour raison des troubles survenus dans la colonie depuis le commencement de la Révolution, soient de suite rappelées et mises sous la protection sacrée et immédiate de tous les citoyens; que reparation solennelle et authentique soit faite à leur honneur; qu'il soit pourvu, par des moyens convenables, aux indemnités que nécessitent leur exil, leurs proscriptions et les décrets décernés contre eux; que toute confiscation de leurs biens soit levée, et que restitution soit faite de tous les objets qui leur ont été enlevés, soit en exécution des jugements prononcés contre eux, soit à main armée; demandant que le présent acte soit strictement observé par tous les citoyens du ressort du conseil supérieur de Saint-Domingue, et surtout à l'égard des sieurs Boisson, Enard, des frères Regnault et autres compris au même jugement que ceux-ci, tous les habitants de la paroisse de la Croix-des-Bouquets, de même qu'à l'égard de Jean-Baptiste La Pointe, habitant de l'Arcahaye, contre lequel il est intervenu un jugement si sévère par une suite de persécutions exercées contre les citoyens de couleur, et qui, proscrit par les citoyens de Saint-Marc et d'Ariège, n'a pu se dispenser d'employer une juste defense contre quelqu'un qui voulait l'assassiner et qui l'assassinait en effet; se réservant les citoyens de couleur, de faire, dans un autre moment, et envers qui il appartiendra, toutes protestations et réclamations relatives aux jugements prononcés contre les sieurs Ogé et Chavanne et autres compris dans lesdits jugements; regardant dès à présent les arrêts prononcés contre les susdits sieurs comme infâmes, dignes d'être voués à l'exécration contemporaine et future, comme la cause des malheurs qui affligent la province du Nord. (Accepté en ce qui nous concerne.)

Art. 8.

Que le secret des lettres et correspondances soit sacré et inviolable, conformément aux décrets nationaux. (Accepté.)

Liberté de la presse, sauf la responsabilité dans les cas déterminés par la loi. (Accepté.)

[blocks in formation]

Art. 11.

Observent, en outre, les susdits citoyens de couleur, que la sincérité dont les citoyens blancs viennent de leur donner une preuve, ne leur permet pas de garder le silence sur les craintes dont ils sont agités; et, en conséquence, ils déclarent qu'ils ne perdront jamais de vue la reconnaissance de leurs droits et de ceux de leurs frères des autres quartiers; qu'ils verraient avec beaucoup de peine et de douleur la réunion prête à s'opérer au Port-au-Prince et autres lieux de la dépendance, souffrir des difficultés dans les autres endroits de la colonie; auquel cas ils déclarent que rien ne saurait les empêcher de se réunir à ceux des leurs, qui par une suite des anciens abus du régime colonial, éprouveraient des obstacles à la reconnaissance de leurs droits, et par conséquent à leur félicité. (Accepté.)

Après quoi, revenus à la place d'armes, la matière mise en délibération et mùrement réfléchie, l'Assemblée, considérant qu'il est indispensable d'employer tous les moyens qui peuvent contribuer au bonheur de tous les citoyens qui sont égaux en droits; que la réunion des citoyens de toutes les classes peut seule ramener le calme et la tranquillité, si nécessaires à la prospérité de cette colonie, qui se trouve aujourd'hui menacée de si grands malheurs; que l'exécution ponctuelle et littérale de tous les décrets et instructions de l'Assemblée nationale, sanctionnés par le roi, peut seule opérer cette réunion désirable, sous quelque point de vue qu'on l'envisage, il a été arrêté; savoir, de la part des citoyens blancs, qu'ils acceptent tous les articles insérés au présent concordat; et de la part des citoyens de couleur, que, vu l'acceptation de tous les articles sans restrictions, ils se réuniront et se réunissent, en effet, de cœur, d'esprit et d'intention aux citoyens blancs pour ramener le calme et la tranquillité, pour travailler à l'exécution ponctuelle des décrets de l'Assemblée nationale, sanctionnés par le roi, et pour employer toutes leurs forces et moyens contre l'ennemi commun.

A été arrêté par MM. les citoyens blancs et MM. les citoyens de couleur que, ce jour devant éteindre toute espèce de haine et de division entre les citoyens de la colonie en général, les citoyens de couleur du Port-au-Prince qui, par une fausse pusillanimité, ne se sont pas réunis à leurs frères de l'armée seront compris dans l'amnistie générale; que jamais aucun reproche ne leur sera fait, entendant qu'ils participent

également aux avantages que promet notre heureuse réunion à toutes les personnes et les citoyens indistinctement; de plus, que protection égale devant être accordée au sexe en général, les femmes et filles de couleur en jouiront de même que les femmes et filles blanches, et que les mêmes précautions et soins seront pris pour leur sûreté respective, et que le present concordat sera signé par l'état-major de la garde nationale du Port-au-Prince.

Il a été arrêté, en outre, que le présent concordat sera publié par la voie de l'impression; que des copies collationnées d'icelui seront envoyées à l'Assemblée nationale, au roi, aux 83 départements, à toutes les chambres de commerce de France, à M. le lieutenant général, au gouvernement et à tous ceux qu'il appartiendra.

Arrêté que, mercredi prochain, 14 du présent mois, MM. les citoyens blancs du Port-au-Prince se réuniront à l'armée de MM. les citoyens de couleur, en la paroisse de la Croix-des-Bouquets; qu'il sera chanté en l'église de cette paroisse un Te Deum en action de grâces de notre heureuse réunion; que MM. des bataillons de Normandie et d'Artois et des corps d'artillerie de la marine royale et marchande seront invités à s'y faire représenter par des députations particulières; que de même les citoyens de la Croix-des-Bouquets, de Mirebalais et autres endroits circonvoisins seront invités à s'y rendre, afin d'unir leurs vœux aux nôtres pour le bonheur commun.

Arrêté, en outre, que le présent concordat sera passé en triple minute, dont la première sera déposée aux archives de la municipalité future; la seconde, entre les mains des chefs de l'armée des citoyens de couleur; la troisième, dans les archives de la garde nationale du Port-au-Prince. Fait entre nous, de bonne foi, les jour, mois et an que dessus.

Signe FOURNIER. (Suivent une centaine de signatures.)

DEUXIÈME ANNEXE

A LA SÉANCE De L'assemblée NATIONALE LÉGISLATIVE DU JEUDI 1er DÉCEMBRE 1791, AU MATIN.

RÉFLEXIONS SUR LES REMBOURSEMENTS, ETC. PAR M. E. CLAVIÈRE.

Paris, ce 1er décembre 1791.

En proposant la suspension des remboursements qui s'exécutent à la caisse de l'extraordinaire en vertu de décrets rendus sur le rapport du commissaire du roi, directeur des liquidations, j'en ai donné pour motifs l'obscurite de la uette exigible et contentieuse, le défaut d'ordre et de règles qui régnaient dans les remboursements et dans les proportions auxquelles l'Assemblée constituante avait assujetti la circulation des assignats; circulation qu'il ne faut pas confondre avec leur création.

J'ai insisté sur la contradiction qu'il y avait à rembourser jour à jour, sans règle ni mesure; et cependant, par principe de justice, une dette dont on ne pouvait se promettre d'étre en état de traiter tous les propriétaires de la même manière; puisque sa somme totale, et son rapport exact avec la valeur des domaines nationaux destinés

à son remboursement, sont encore inconnus; puisqu'une foule d'accidents et de mécomptes, occasionnent des dépenses extraordinaires, et nécessitent des anticipations auxquelles on ne peut pourvoir que par des assignats, qui, n'étant autre chose que les domaines nationaux mis en monnaie, employent, du moins pour un certain temps, une partie de la valeur de ces domaines à une autre destination que celle de l'acquittement de la dette; - j'ai observé que cette nature de remboursement avait une foule d'inconvénients tous défavorables au crédit des assignats, qui n'en MÉRITENT et n'en doivent MÉRITER aucun; j'ai représenté la nécessité de dissiper incessamment les ténèbres qui couvrent la dette exigible et la valeur des domaines nationaux; et de fixer, pour cet effet, à tous ceux qui ont des demandes à faire, une époque au delà de laquelle aucune demande ne serait admissible au bureau de liquidation, et un délai passé léquel, toute prétention contre le Trésor national, serait frappé de déchéance; j'ai observé qu'avec ces précautions, négligées par l'Assemblée constituante, l'état de la dette exigible serait bientôt éclairci, et qu'alors on prendrait, pour les remboursements, des arrangements qui, reposant sur des bases certaines, n'exposeraient à aucun mécompte, à aucun désordre.

Cependant, comme il est des dettes dont le payement n'a été suspendu qu'abusivement, et qui, pour être remboursées, n'ont aucun besoin du bureau de liquidation comme dans celles que la nouvelle Constitution a rendu exigibles, il en est qui appartiennent ordinairement à une classe de citoyens peu aisés, auxquels leur pecule est nécessaire pour entreprendre quelque travail, j'ai représenté que ces sortes de dettes devaient être acquittées sans délai, et que leur liquidation devait même s'accélérer (1).

Je n'ai donc point proposé de suspension qui dùt alarmer personne, si ce n'est ceux auxquels le désordre convient. J'ai proposé, au contraire, une mesure de finance convenable à l'intérêt général, et fondée sur les principes de la justice et de l'équité. D'ailleurs la force des choses ne peut manquer de faire, sous une forme vicieuse et facilement abusive, ce que j'ai cru devoir proposer sous une forme légale, publique, et par cela insusceptible d'abus."

Je ne répondrai point à ceux qui prétendent que cette suspension serait une banqueroute. Car prendre des mesures pour éviter ce malheur, les prendre sur une nature d'engagements auxquels on n'a point attaché de terme fixe; les prendre parce que tout remboursement considérable, doit être assujetti à un système régulier et uniforme pour les créanciers dont les droits sont égaux; les prendre parce qu'une multitude d'abus favorises par l'état actuel chargent la

(1) Je n'ignore pas ce qu'on peut dire sur cette dernière sorte de dettes, comparativement aux autres dettes non constituces; je sais qu'on peut interesser l'indigence au paiement des creances praticiennes, comme à celui des créances populaires; et cela est vrai, lorsqu'il est egalement possible de satisfaire, sans danger et simultanément, aux unes et aux autres. Mais lorsque les circoutances sont difficiles, et lorsque l'affermissement du credit demande qu'on répande la cairté sur la situation des finances, et qu'on mette un grand ordre dans leur administration; lorsque pour cela il est nécessaire d'interrompre un cours de remboursements tout à fait contraire à l'ordre et à la clarté, peut-on se refuser à faire passer avant les autres une classe de citoyens qui, à tant d'autres égards, sont mal placés ?

nation de pertes énormes, c'est le contraire | d'une conduite qui, si, elle était réfléchie, serait frauduleuse; car certainement il est des créanciers qui souffrent de cette conduite pendant que d'autres en profitent.

Mais quelques personnes prétendent que le mot de suspension est maladroit, qu'il causera un discrédit, dont les suites ne peuvent être que funestes. Elles citent le discrédit que produisit l'arrêt de suspension rendu par M. de Sens, etc. Je réponds que ni les temps, ni les choses, ni les hommes ne se ressemblent; que M. de Sens suspendit des payements apointés à jour nommé. Je réponds qu'alors on ne voyait le sauveur de la banqueroute que dans les Etats généraux ; et que rien dans la conduite de M. de Sens ne prouvait l'intention sincère de les convoquer ; en sorte que la suspension annonçait bien plutôt le projet d'une banqueroute méthodique, qu'un acheminement à un ordre regénérateur sans infidélité. Il n'avait plus d'argent, les ressources ruineuses des ministres étaient épuisées; on ne pouvait plus lui supposer que des vues de despotisme qu'il espérait affermir par la banqueroute même, rien encore ne faisait soupçonner, aux habitués du pouvoir, l'énergie de la nation.

Enfin, il ne s'agit maintenant de suspendre le payement ni des rentes, ni des intérêts, ni d'aucune dette dont le jour du payement est fixé comme celui d'une lettre de change; mais de régler une liquidation absurde sous tous les rapports, une liquidation qui appelle de toutes parts la corruption, et un infâme trafic des deniers nationaux. Qu'on jette seulement les yeux sur les numéros qui devaient fixer l'ordre du remboursement de chaque créance reconnue, et qu'on explique pourquoi cet ordre n'a servi à rien ?

Mais que disent ceux qui s'élèvent contre une suspension motivée et décrétée ? Ils conviennent que la marche des remboursements est vicieuse; ils conviennent que le régime des liquidations, ou plutôt le défaut de régime est abusif; ils conviennent qu'il faut nécessairement user de retar dements, renvoyer les créanciers tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre; enfin qu'il faut louvoyer... En! voilà précisément ce qui est détestable; voilà ce qui ouvre la porte aux abus; ce qui remplace l'équité par les préférences de la faveur; ce qui expose les représentants de la nation à des offres, où l'on suppose déjà qu'ils sont corruptibles, tandis qu'ils seraient perdus, que la chose publique s'abîmerait avec eux, si on pouvait les en soupçonner. Car, où il y a corruption, les principes disparaissent, et où les principes n'osent plus se montrer, tout tombe en dissolution.

On croit avoir tout dit, en prenant son parti d'une cinquantaine de millions dilapidés par un trafic qui, dit-on, est inévitable! Mais le législateur qui se laisse atteindre par la corruption, peut-il vous promettre l'esprit public, le patriotisme, les lumières, la bonne foi que vous en attendez ?... Et savez-vous ce que peut coûter à la France un législateur accrédité, qui, pour favoriser un remboursement se laisse surprendre aux insinuations d'une cupidité nécessairement perfide? Qu'ils nous disent, nos législateurs, si déjà d'audacieux intrigants n'ont pas tenté de corrompre leur fidélité ?

D'autres ennemis de la suspension proposée posent en fait que la nation ne peut faire banqueroute, et que se trouvât-elleˆ arriérée d'un milliard après avoir employé tous les domaines

nationaux, elle ne serait pas pour cela dans le cas de suspendre ses payements; mais qu'alors elle ferait un emprunt; que par conséquent il faut laisser continuer et les liquidations et les remboursements sur le pied où ils ont commencé, sauf de petites mesures intérieures qui nous représenteraient cette administration arbitraire dont un ministre célèbre usait, sans pouvoir en deviner la fin et qui, marchant au jour le jour, en s'assortissant aux événements, exigeait une source d'expédients au-dessus du cerveau le plus inépuisable.

J'ai demandé à ces personnes, dont les erreurs font toujours jaillir quelques lumières, ce qu'elles pensaient de l'état des changes de la France avec l'étranger? La France est perdue, m'ont-t-elles dit, si leur dégradation continue... Mais quelle en est donc la cause? Car les émigrations, le triste désastre de Saint-Domingue, compensé, quant à la balance du commerce, par le rehaussement du prix des denrées coloniales, s'il avait eu le temps d'influer, et les achats de blés, ne peuvent pas expliquer l'avilissement excessif du change; d'autant moins que cet avilissement, rendant aux étrangers les marchandises françaises peu coùteuses, doit en avoir, et en a effectivement, occasionné des demandes considérables, qui ramènent en France beaucoup de remises... Alors il a bien fallu parler de ce déplorable agiotage dont on se plaint avec si peu d'intelligence. Il s'est emparé des changes avec l'étranger; on joue à la hausse et à la baisse sur le change, comme sur les effets publics; en sorte, qu'à des demandes réelles de papier sur l'étranger, s'ajoutent les demandes factices et incomparablement plus considérables des joueurs... Des centaines de millions existent en lettres de change sur l'étranger, ou en promesses de les fournir, sans nulle espèce de rapport avec le commerce; et ce jeu influe aujourd'hui sur nos changes, comme le désirerait l'ennemi de la France le plus acharné.

Que faut-il au joueur à la baisse sur les changes, pour faire réussir ses spéculations de brigand? Tout ce qui peut affaiblir ou détruire le crédit public. Il suppose que la crainte porte les riches à réaliser leurs propriétés, pour les faire passer en pays étranger; il suppose que les étrangers, propriétaires de fonds publics, ou de créances exigibles en France, voudront les réaliser à tout prix; et si ces craintes intéressent la sûreté personnelle, il suppose un accroissement d'émigration, et par conséquent une exportation plus grande de la richesse française; et comme personne ne tient un compte des sommes qui, réellement, peuvent être envoyées dans l'étranger, il est le maître de l'opinion publique sur la quantité de lettres de change qui seront demandées; et l'on peut s'en rapporter à lui, pour faire circuler à cet égard les exagérations les plus mensongères...

Cet ennemi intérieur se nourrit donc de tout ce qui peut être, ou désastreux, ou faire craindre des désastres. Il stipendiera, s'il le faut, ces écrivains habiles dans l'art des faux calculs, pour épouvanter le public sur la situation des finances; il préconisera ces esprits pervers qui s'acharnent contre notre monnaie territoriale, qui nous répètent sans cesse leurs absurdités, et veulent nous faire croire à leurs prophéties, parce que nous n'avons pas assez cru à leur profonde méchanceté, parce que nous osions espérer qu'une administration intelligente et soigneuse veillerait chaque jour et avec sollici

« PreviousContinue »