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convient à la vôtre de discuter de grands intérêts. En effet, si celui qui dénonce est un de ces hommes dont les avis mêmes utiles, ne vaudraient autant qu'ils seraient proposés par un autre, s'il passe pour un de ces êtres soupçonneux dont la malignité se plaît à calomnier les inteutions d'un homme lorsqu'il ne faudrait accuser que sa capacité; ou si la folle manie de s'obstiner à paraître lui fait un besoin de trouver des crimes pour trouver des auditeurs; (Applaudissements.) il est certain que ses paroles ont déjà perdu d'avance une faveur qui reste à l'accusé, et que la conviction seule pourrait leur rendre : maís si, au contraire, le dénonciateur est un homme bienveillant, mais juste, qui n'ait pas seulement des vertus, mais des lumières, plus prêt d'absoudre que de blâmer, mais plus prêt encore de veiller que d'absoudre, s'il est connu pour examiner sans prévention, mais avec scrupule, et pour ne hasarder une accusation qu'après avoir emprunté, pour ainsi dire, la balance dont la justice elle-même se servirait, alors, sans doute, on doit à la vertu éclairée et courageuse, de prendre en grande considération les avertissements, et il sera nécessaire d'interpeller le ministre.

Toutefois, Messieurs, je ne voudrais pas que le ministre fût mandé à l'instant, à moins que la délibération ne fût tellement pressée, qu'elle ne pût souffrir le moindre retard. Déjà plus d'une fois cette proposition de mander sur-le-champ a été faite dans l'Assemblée, et elle a dù inquieter les amis de la chose publique. Outre qu'il est pénible de voir harceler et saccager des individus qu'il n'est question que de contenir, voyez ce que l'on gagne à cette précipitation excessive. Les ministres ne sont-ils pas préparés? Vous rendez leur situation très favorable, et ils vous échappent. Sont-ils préparés? Vous les faites paraître véritablement forts, si vous ne soutenez pas vis-à-vis d'eux la discussion, et c'est vous qui ne leur échappez pas. Tant d'imprudence est le moyen le plus infaillible de détruire la responsabilité même, de sacrifier à la fois les uns aux autres, et en pure perte, le Corps législatif et les ministres, d'attirer sur soi le discrédit que l'on appelle sur eux, de les venger à l'instant même où on les humilie, et peut-être d'agrandir leur autorité des débris de votre consideration, et de la pitié de l'opinion publique. (Applaudisments.)

La Constitution veut que les ministres soient tenus de donner des éclaircissements, toutes les fois qu'ils en sont requis par le Corps législatif; profitons de ce mot, éclaircissements, distinguons avec soin entre éclaircissements et accusation, et nous reconnaitrons que dans les trois quarts des dénonciations, c'est toujours par l'éclaircissement qu'il faudra commencer. On peut même y interposer une gradation de plus si la Constitution vous autorise à requérir des éclaircissements de vive voix, à plus forte raison vous laisse-t-elle la faculté de les demander par écrit; faculté plus avantageuse et pour le ministre et pour nous pour le ministre, parce qu'en lui communiquant la dénonciation faite contre lui, on ne le déplace pas, on ne l'enlève pas à ses travaux; pour nous, parce qu'en exigeant qu'il donne ses réponses écrites, nous sommes à portée de les comparer, soit entre elles, soit avec les autres pièces, de juger en un mot jusqu'à quel point elles résolvent le doute proposé; et, dans ce cas, de deux choses l'une; ou la réponse est suffisante, alors vous rendez justice au ministre;

ou elle n'est pas suffisante, et alors ou bien vous renvoyez au ministre pour qu'il fournisse une nouvelle explication, ou bien vous renvoyez soit à un comité soit à une commission spéciale et momentanée pour que le rapport vous en soit fait, ou bien enfin, vous vous déterminez à mander le ministre. Voilà comment ce mot mander qui n'était rien encore et qui finirait par devenir insignifiant, si l'on en abusait, peut acquérir dorénavant par l'opinion un caractère de gravité qui répondrait à un de ces décrets ou mandats que la justice rend contre un citoyen soupçonné d'une prévarication.

Le ministre comparaît donc devant vous. Actuellement, qu'arrivera-t-il? s'il a été faussement inculpé, vous rejetez la dénonciation; c'en est assez pour son triomphe, sauf à lui à se procurer, dans les cas où il en a le droit, une reparation civile et judiciaire dont nous n'avons pas à nous occuper, que s'il ne répond pas complètement, si sa conduite est équivoque, mais non encore suffisamment éclaircie, je pense que le Corps législatif doit déclarer que le ministre répondra plus amplement, espèce de suspension qui sans l'entacher précisément, le laisse cependant sous un jour douteux, dont il a un grand intérêt de sortir pour remonter à une réputation sans mélange.

Enfin, si le ministre a décidément tort, on doit encore distinguer. Il y a tel manquement qui mérite une improbation nationale, et tel autre pour qui ce ne serait pas encore assez, mais qui doit donner lieu à une accusation criminelle. Dans le premier cas, il n'est pas douteux que le Corps législatif a bien le droit, sans doute, d'énoncer sur un homme public cette censure des pouvoirs constitués, qui est permise par la Constitution elle-même: Suivons, dit Montesquieu, la nature qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau, et que la plus grande partie de la peine, soit l'infâmie de la souffrir. »

On multipliera vainement les combinaisons, on ne trouvera jamais que trois responsabilités. La responsabilité capitale, qui tient aux accusations, la responsabilité pécuniaire, qui est presque impraticable, et enfin, la responsabilité morale, qui, par une condition remarquable, quoique la moins réelle, est la plus usuelle de toutes et peut seule produire un effet de tous les moments, dans les gouvernements libres qui se conduisent par les mœurs. (Applaudissements.)

Je désirerais, Messieurs, qué celle-ci s'énonçât par des formules calmes et élevées, telles qu'il convient à la majesté d'une assemblée de législateurs. On a dit de l'historien Tacite qu'il a puni les tyrans quand il les a peints. Ce mot sublime, cet hommage à la suprématie de la vérité qui seule frappe un homme plus durement quelquefois que les faisceaux de tous les licteurs; cette expression, dis-je, est l'image vraie du supplice, qui attend un ministre duquel on déclarerait qu'il s'est abrogé un pouvoir arbitraire, ou qu'il s'est endormi dans une inaction funeste.

Nous n'en sommes plus aujourd'hui à citer les Anglais qui ont eu avant nous le simulacre de la liberté; mais la justice veut qu'on vous présente leur exemple dans un point où ils se sont élevés à toutes là hauteur de la raison et de la liberté même. Lorsque la Chambre des communes, sans aller jusqu'à l'impeachment, c'est-à-dire, l'accusation, veut se borner à prononcer sa censure sur la conduite d'un ministre, elle arrête à son égard un certain nombre de résolutions, dont la série est très remarquable.

convenient de la precedente, maintiendrait l'Assemblée dans la dignité dont elle ne doit pas se departir. L'Angleterre, il faut l'avouer, nous en offre encore le modèle dans des motions plus d'une fois adoptées. Il suffirait de déclarer alors que l'opinion du Corps legislatif est que l'etat de la nation demande une administration ferme, efficace, etendue, qui puisse mettre fin au désordre dans lequel se trouvent les affaires, et que la continuation des ministres, dans leur place, après les resolutions prises à leur sujet, est un obstacle à l'union pour concilier la confiance du Corps législatif et du public.

Elle déclare d'abord en général, que tel prin- | adoptant une autre formule, qui, sans avoir l'incipe est eminemment essentiei au maintien d'une stolete bien governée, que teile action serait contraire a de prinsipe, et meriterait l'animadversion publique. Ele declare ensuite que cette action se trouve avoir ete commise, que c'est de tele maniere, et ene y joint le rapprochement des circonstances; ene deciare que cette action Lene à telers ocaséquences prejudiciables et subversites; ele denare enfin, que tel ministre a commis ou laissé commettre ce fait, et voilà comment je ministre se trouve atteint et appréhendé moralement. Le grand art de ceux qui redigent ces arrêtes, consiste à placer peu à peu dans chaque article preparatoire, certains mots dont leffet ou le contre-coup retombe sur le ministre dont on se plaint: tandis que, d'un autre côté, le grand art des ministeriels qui entendent lire ces resolutions, est de tacher qu'elles soient temperées et amorties par d'autres mots qui les neu

tralisent.

Apres avoir rendu cet hommage à une forme anglaise, je crois qu'il faut se garder d'étendre unë imitation, qui, sans ajouter aucune force au mode de responsabilité, pourrait avoir par la suite le tres grand inconvénient d'altérer la Constitution. Entre l'arrêté de censure et l'acte d'accusation il est un intermédiaire, dont la Chambre des communes fait quelquefois usage, quoiqu'elle sente elle-même qu'il ne faut s'y résoudre que comme à une mesure extrême. Cet intermediaire consiste à présenter une adresse au roi, pour lui déclarer que les ministres ont perdu la confiance de la nation. On a déjà tenté parmi nous d'employer une déclaration semblable. La première fois, elle fut proposée pendant plusieurs séances à l'Assemblée constituante, où elle finit pourtant par être rejetée. Au surplus, quand on l'aurait adoptée, le danger eût été moindre, précisément parce que l'Assemblée était constituante, parce qu'au milieu de la Révolution elle était quelquefois obligée de se saisir également du pouvoir legislatif et du pouvoir exécutif, parce qu'on l'a vu souvent décréter comme constitutionnels des articles qui ont cessé de l'être depuis, qui n'étaient qu'importants, mais qu'elle aimait mieux presenter à la certitude de l'acceptation qu'au hasard de la sanction.

Dans de pareilles circonstances, cette mesure eût été probablement suivie de succès, et n'aurait pas compromis l'Assemblée nationale; mais pour nous, qui sommes le Corps législatif, ce serait, je crois, une grande imprudence de mettre à exécution la faculté que nous attribue l'article 28 de la loi sur l'organisation du ministère, de déclarer au roi que les ministres ont perdu la confiance de la nation. En effet, il ne tiendrait qu'au roi de ne pas révoquer les ministres, ainsi qu'il en a le droit, aux termes de l'Acte constitutionnel. Il vous dirait comme le roi d'Angleterre : les ministres dont vous vous plaignez peuvent avoir perdu votre confiance, mais ils n'ont pas perdu celle de la nation, et pour m'en assurer, j'en appelle à la nation elle-même que je vais consulter voilà donc un procès très inconvenable, très fàcheux engagé entre le Corps législatif et le roi; mais comme le roi aurait un prétexte fondé, comme la conservation des ministres, malgré le vœu des représentants, n'est pas inconstitutionnelle, mais seulement difficile et qu'il peut y avoir des circonstances où cette difficulté même tournerait à son avantage, il trouverait une forme et des moyens pour introduire ce grand appel. Prévenez-le, Messieurs, en

Telle est, Messieurs, l'unique échelle qu'il m'a été possible de tracer dans une carrière où il faut savoir se tenir continuellement entre les élans du patriotisme et les limites de la prudence, et où les peines étant ou faibles ou difficiles à varier, tout le mérite consiste à multiplier les formes qui multiplient à leur tour l'importance des peines. Quand on a bien médité sur la responsabilité ministérielle, on arrive à une réflexion frappante. Si jusqu'à présent elle a passé pour être illusoire, si on ne l'a regardée que comme un mot et une chimère, c'est moins encore parce qu'elle n'existait qu'à demi, que parce qu'elle ne pouvait presque pas être exercée; parce qu'elle etait incomplète dans les cas les plus ordinaires, c'est-à-dire dans les cas négatifs; parce qu'elle n'avait point de commencement; parce qu'il aurait fallu des événements trop graves pour fournir un moyen de l'entamer; en un mot parce qu'il lui manquait les degrés nécessaires pour parvenir, de proche en proche, à se réserver dans l'accusation.

Dans quelles circonstances plus décisives pouviez-vous, Messieurs, agiter une aussi grande question que celle qui concerne l'indispensable surveillance du pouvoir exécutif et de ses agents, l'inaction de nos ministres ayant laissé, dans beaucoup d'endroits et sur beaucoup d'objets, refroidir l'etablissement de la Constitution qu'ils auraient dù accélérer et que ranime seul l'atinosphère encore brùlant du patriotisme général (Applaudissements.); des ennemis perfides sous le manteau sacré de la religion déchirant l'intérieur de l'Empire; au dehors des ennemis audacieux s'efforçant d'arracher l'Europe entière de ses fondements pour la précipiter sur la France; nos colonies s'anéantissant dans les horreurs de la dévastation; notre Trésor national trompant l'attente d'une longueespérance; au milieu de nous des malentendus cruels égarant les esprits et divisant les cœurs, les uns se tournant vers la puissance exécutrice, moins encore par leurs espérances que par la crainte puérile de voir les autres dominer; ceux-ci portant plus d'amour à la puissance législative, parce qu'ils ont peut-être plus d'indépendance dans l'âme, tandis qu'avec plus de sens et d'équité, ils se persuaderaient qu'on doit affectionner également toutes les deux; à côté de nous quelques uns de ces intrigants redoutables dont parle Tacite, qui, pour renverser le pouvoir, prêchent la liberté, et qui attaquent ensuite la liberté même pour se ressaisir du pouvoir. Mais la liberté ne se sera pas en vain levée sur nos têtes; elle vivra, et les ministres, Messieurs, qui auront secondé ou retarde vos efforts, recueilleront les bénédictions ou l'exécration dé leurs contemporains et de la postérité.

PROJET DE DÉCRET.

« L'Assemblée nationale, considérant qu'il de

vient plus essentiel que jamais au maintien de la Constitution, que les ministres soient tenus d'apporter la plus grande activité possible à l'exécution des lois;

«Que le plus sûr moyen de les y obliger, est de déterminer dans toute son étendue le mode de leur responsabilité;

Que cette responsabilité prévue par la Constitution, par le Code pénal et par la loi du 27 avril 1791, sur l'organisation du ministère, n'a encore été effectuée que pour les délits positifs, et qu'il reste à l'étendre aux délits négatifs ou d'omission, qui sont les plus fréquents et qui peuvent devenir aussi graves.

Qu'il convient d'employer à la fois contre ces délits les moyens de les prévenir, et les moyens de les réprimer, décrète ce qui suit :

« Art 1er. Dans les discussions qui intéresseront la sûreté nationale, les ministres sont engagés de présenter avec exactitude au Corps législatif les faits et renseignements qu'ils jugeront capables d'aider sa délibération le tout en se renfermant dans les objets relatifs à leurs départements et sans pouvoir faire aucune proposition, ainsi que la Constitution le leur interdit.

« Art. 2. D'ici à ce qu'il soit autrement statué, les ministres rendront compte, tous les 15 jours, à l'Assemblée nationale, de l'état de leurs départements et des principales mesures qu'ils auront prises.

« Art. 3. A la fin de chaque décret urgent ou important, il sera fixé aux ministres un délai dans lequel ils devront rendre compte de l'exécution dudit décret.

« Art. 4. Lorsqu'une dénonciation sera faite à l'Assemblée nationale contre un ministre, si elle est de peu d'importance, ou si le ministre s'en justifie, le Corps législatif dira qu'il rejette

la dénonciation.

"

Art. 5. Si la dénonciation paraît devoir être accueillie, l'Assemblée nationale demandera d'abord au ministre des éclaircissements par écrit.

Art. 6. Si ces éclaircissements ne suffisent pas, ils seront renvoyés au ministre pour en fournir de nouveaux, ou bien, ils seront renvoyés soit à un comité, soit à une commission, pour le rapport en être fait; ou bien, le Corps législatif, s'il le juge convenable, mandera le ministre.

« Art. 7. Si les éclaircissements donnés de vive voix par le ministre ne sont pas satifaisants, le Corps législatif pourra dire que le ministre répondra plus amplement.

« Art. 8. Si le ministre est répréhensible, le Corps législatif pourra le soumettre à une censure improbative en déclarant, par une suite de résolutions, quel a été le genre de son inaction et quelles sont les conséquences qu'elle pourrait

avoir.

«Art. 9. Dans les cas où il sera nécessaire que cette censure produise encore un plus grand effet, le Corps législatif pourra déclarer que l'état de la nation demande une administration ferme, efficace, étendue, qui puisse mettre fin au désordre dans lequel se trouvent les affaires, et que la continuation des ministres dans leur place est un obstacle à l'union nécessaire pour concilier la confiance du Corps législatif et de la nation.

« Art. 10. Suivant que le Corps législatif aura acquis des preuves graves et caractéristiques de l'inaction des ministres, lesdits ministres seront sujets à accusation, et pourront être poursuivis criminellement. » (Vifs applaudissements.) 1re SÉRIE. T. xxxv.

M. Chéron-La-Bruyère. Je demande l'impression du discours et du projet de décret de M. Hérault-de-Séchelles

M. Albitte ainé. Je m'oppose à l'impression, mais je demande le renvoi au comité de législation, parce que le travail de M. Hérault n'a pas été communíqué au comité.

Quelques membres demandent l'impression et le renvoi au comité de législation.

D'autres membres: La division !

M. le Président. Je vais mettre successivement aux voix l'impression, puis le renvoi au comité de législation.

M. Montaut. Je demande la question préalable sur l'impression.

(L'Assemblée, consultée, rejette la question préalable et décrète l'impression du discours et du projet de décret de M. Hérault-de-Séchelles.)

M. Gérardin. Je m'oppose à la motion de renvoi au comité de législation. Je demande que les comités ne soient pas ici de véritables tribunaux chargés de juger les opinions. Il faut que les membres de cette Assemblée puissent échapper à leur aristocratie et qu'ils soient dispensés de soumettre leurs travaux particuliers à la revision despotique des comités. Je conclus à ce que le projet de M. Hérault soit mis en discussion aussitôt après l'impression. (Applaudissements.)

Un membre: J'observe que l'Assemblée en chargeant le comité de législation de présenter un travail sur la responsabilité des ministres, a cru qu'il était apte à faire ce travail, et qu'en ne lui renvoyant pas le projet présenté par M. Hérault, l'Assemblée regarde le comité comme incapable. Plusieurs membres : C'est cela! c'est cela! D'autres membres: La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion.)

Plusieurs membres: La question préalable sur la demande du renvoi!

(L'Assemblée consultée, rejette la question préalable, et ordonne le renvoi du projet de décret de M. Hérault au comité de législation.)

M. Briche. Je demande la parole pour rendre compte d'un fait.

Il y a quelque jours vous avez décrété (1) que le général Wimpffen ferait au directoire du département du Haut-Rhin la déclaration des moyens par lesquels on a voulu le suborner pour livrer Neuf-Brisach; et qu'il déposerait les pièces originales qu'il pourrait avoir. Je reçois à l'instant d'un des membres du directoire du département du Haut-Rhin la lettre suivante :

"

Nous avons vu ce matin M. Wimpffen, à qui on avait donné, de Paris, connaissance du décret de l'Assemblée nationale; il nous a dit que quand ce décret lui serait notifié officiellement, il ferait sa déclaration, mais qu'il ne pourrait désigner la personne qui lui a écrit de la part des princes, parce qu'il en a déjà effacé le nom, et parce qu'il prendrait par là le caractère de délateur, ce qui est contre ses principes.

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Le décret de l'Assemblée avait pour objet de connaître les coupables. Je ne crois pas qu'il soit permis à M. Wimpffen de détériorer une pièce originale, et de convertir en lettre anonyme une lettre dont on lui demande le dépôt. Je demande, en conséquence, qu'il soit tenu de nommer la personne qui lui a écrit la lettre.

(1) Voyez ci-dessus, séance du 22 novembre page 292.

33

M. Delacroix. L'Assemblée ne peut rien décider d'après un fait rapporté et transmis par un particulier. Lorque l'Assemblée aura reçu une réponse officielle du directoire du département du Haut-Rhin, elle jugera si M. Wimpffen doit ou non obéir à ses decrets. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour. (Appuyé! appuye!)

(L'Assemblée, consultée, passe à l'ordre du jour.)

M. le Président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères qui demande à lire un mémoire sur son ancienne administration du département de l'Intérieur et concernant la nécessité de procurer quelques avances à un certain nombre de départements, pour les dépenses relatives aux travaux des routes (1).

M. Delessart, ministre des affaires étrangères, ancien ministre de l'intérieur. Messieurs, ceci est une suite des comptes que j'ai déjà rendus relativement aux ponts et chaussées.

Par le compte que j'ai soumis à l'Assemblée nationale le 31 octobre dernier, je l'ai prévenue que je mettrais successivement sous ses yeux différents mémoires sur des objets relatifs à l'administration des ponts et chaussées qui restaient encore à régler, et dont je venais de lui donner un premier aperçu. J'ai annoncé en même temps que, de tous ces objets, le plus urgent était celui des avances, pour les travaux des routes, à faire à certains départements qui en demandaient avec de vives instances.

L'Assemblée nationale n'a sûrement pas perdu de vue que, par une loi du 25 février dernier, les dépenses des chemins avaient été portées, par aperçu, à 20 millions, et avaient été comprises au nombre de celles que les départements auraient à s'imposer sur eux-mêmes, et qui devraient faire partie des sols additionnels aux contributions foncière et mobilière.

Il paraît inutile que je rende en ce moment un compte détaillé de toute la correspondance, relative aux besoins des départements, que j'ai eue avec leurs directoires, non seulement depuis, mais même avant la loi dont je viens de parler; je n'exposerai pas non plus toutes les lenteurs qu'a éprouvées cette même correspondance de la part d'un grand nombre de directoires: on doit les attribuer, sans doute, aux circonstances inséparables de toute institution nouvelle, et surtout au défaut d'organisation des ponts et chaussées; beaucoup de ces corps administratifs se sont trouvés en effet, pendant une grande partie de la présente année, sans agents capables de rassembler toutes les notions qui, dans ces premiers instants, leur manquaient nécessairement.

Je rappellerai seulement ce que j'ai déjà dit dans le compte général que j'ai rendu, en dernier lieu, de la partie des ponts et chaussées; et j'observerai de nouveau que je me suis toujours cru obligé de laisser aux différents directoires l'espérance que, dès les premiers instants, j'avais conçue moi-même, de voir l'Assemblée nationale se porter à faire quelques avances pour les travaux des routes, sur les fonds du Trésor public: c'était de concert avec le comité des finances de cette Assemblée que j'avais adopté cette mesure, sans laquelle presque tous les départements, vu le retard des impositions, fussent tombés dans un découragement qui eût été très âcheux dans les circonstances actuelles.

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Depenses publiques, no 2.

L'Assemblée constituante elle-même avait secondé ces vues jusqu'à un certain point, et une loi du 6 avril dernier avait ordonné « qu'il serait avancé par le Trésor public une somme de 2 millions, pour être employée, en la présente année, soit au payement des ouvrages d'art et d'entretien des routes déjà faites, soit au payement des appointements, salaires et frais de conduite du quartier de janvier, sauf le remplacement sur les départements pour les parties qui devraient être à leur charge ».

Les fonds accordés par cette loi ont été d'autant plus vite consommés, que parmi les ouvrages d'art auxquels ils devaient être appliqués concurremment avec les autres travaux, il s'en trouvait de très considérables et de très urgents tels que ceux du Havre, auxquels une autre loi du 14 mars 1791 avait spécialement destiné une somme de 650,000 livres; cette somme, et plusieurs autres également appliquées à des travaux du même genre, ont été imputées sur ces 2 millions, sur lequels, à ce moyen, 665,660 livres seulement ont été employées de manière à être dans le cas du remplacement par les départe

ments.

Ces fonds se trouvèrent épuisés vers la fin de juin, et ce fut à cette époque que le ministre des contributions se prépara à adresser aux directoires des différents départements les instructions nécessaires pour le répartement des contributions directes, ainsi que les modèles des états qu'ils avaient à former pour déterminer les dépenses à la charge des départements, auxquelles il devait être pourvu par les sols pour livre additionnels.

Je crus alors que c'était le moment de faire déterminer par ces départements les sommes auxquelles se porteraient les travaux qui devaient être à leur charge, et j'écrivis circulairement à leurs directoires le 28 juin : par cette lettre, je leur indiquai les réductions que je croyais convenables de faire sur les sommes par eux proposées d'abord, et qui, vu l'époque de l'année à laquelle nous étions dès lors parvenus, me semblaient beaucoup trop considérables.

Par cette même lettre, je continuais à leur témoigner que l'Assemblée nationale se prêterait vraisemblablement à faire des avances sur les fonds du Trésor public; mais je leur déclarais en même temps qu'elle ne se porterait certainement à y consentir, qu'autant qu'elle aurait la certitude que les directoires des départements auraient délibéré le fonds nécessaire pour subvenir à la totalité de la dépense, et que ce fonds serait entré dans les sols pour livre additionnels; enfin, autant seulement que les contributions directes, ainsi que les sols pour livre seraient répartis, et qu'ainsi le Trésor national aurait l'assurance de pouvoir recouvrer sur les contributions de 1791 les sommes qu'il aurait avan

cées.

Ce fut à peu près vers l'époque où cette lettre fut expédiée, que je me vis forcé de faire discontinuer même les faibles avances autorisées par la loi du 6 avril 1791, attendu que, d'une part, ainsi que je l'ai déjà dit, les 2,000,000 accordés par cette loi se trouvaient absorbés; et de l'autre, qu'une seconde loi du 25 juillet, en accordant 3 autres millions pour les travaux publics, avait spécifié que ce ne serait que pour ceux qui étaient à la charge de la nation; ce qui excluait nécessairement toutes nouvelles

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cette dernière somme, lequel sort de l'objet particulier du présent rapport; et je vais présenter les moyens de satisfaire aux besoins urgents des départements car je ne proposerai pas d'accueillir la totalité des demandes qu'ils ont faites par leurs réponses à ma lettre du 28 juin dernier; mais je ne croirai pas non plus qu'il convienne de tenir rigoureusement aux conditions que je supposais, par cette même lettre, devoir être exigées par l'Assemblée; car, si elle ne procurait des avances qu'aux départements qui auraient réparti entièrement leurs impositions, bien peu seraient encore en état de profiter de ce secours. Je pense seulement qu'il ne doit être accordé qu'à ceux qui auront pris l'engagement formel de le remplacer sur les sols additionnels.

Il serait impossible de déterminer positivement les avances que le Trésor public pourra se trouver dans le cas de faire, attendu que beaucoup des directoires qui ont manifesté des besoins, n'ont pas fixé de sommes, et qu'il faudra attendre, à cet égard, de nouvelles réponses de leur part; que, d'un autre côté, les besoins de ceux qui déjà avaient formé des demandes, ne peuvent manquer de s'accroître successivement; et enfin, qu'il en est un certain nombre qui, jusqu'à ce moment, ont gardé le silence, mais qui peut-être solliciteront aussi des secours. Je serais porté cependant à croire que toutes ces demandes réunies pourraient se porter définitivement à près de 5 millions.

Si je suis d'avis de n'accorder en ce moment, pour cet objet, qu'une somme de 3 millions, et qui, en réalité, se réduit même, ainsi qu'on peut se le rappeler, à 1,500,000 livres, c'est parce que j'ai cru devoir ne pas perdre de vue les besoins de tout genre qui assiègent le Trésor public dans ces instants difficiles, et j'ai pensé d'ailleurs qu'il pourrait suffire de donner actuellement aux départements une partie seulement des avances qu'ils demandaient, sauf à engager l'Assemblée nationale à leur en procurer d'autres, d'ici à quelques mois, si la lenteur des recouvrements mettait absolument dans ce cas. Il semblerait convenable alors d'appliquer de préférence ces nouveaux secours aux départements dans lesquels cette lenteur aurait évidemment pour motif des circonstances locales qui ne tiendraient au défaut de volonté, ni des administrateurs, ni des administrés.

Je persiste donc à proposer de prendre 1 million 500,000 livres sur le Trésor public, et sur une partie des 8,031,200 livres assignés aux dépenses à la charge de ce trésor, par la loi du 25 février dernier, et en même temps, d'autoriser les directoires des départements à expédier des mandats, jusqu'à concurrence d'une pareille somme de 1,500,000 livres, sur la portion du produit des rôles d'acomptes qui représente les sous additionnels des contributions foncière et mobilière de 1791.

Je dois observer qu'au nombre des dépenses qui devront être acquittées par les moyens que je propose, se trouvent les appointements d'une partie des ingénieurs attachés actuellement aux différents départements, lesquels appointements, pour la plupart, sont arriérés depuis le commencement de la présente année.

La loi du 18 août dernier a définitivement déterminé la portion du traitement de ces ingénieurs qui devait être à la charge du Trésor public, et celle qui serait supportée par les départements. Cependant il pourra s'élever diffé

rentes questions relativement au payement de plusieurs de ces agents, soit parce qu'il s'en trouve qui, jusqu'au moment de l'organisation, n'ont été attachés, même provisoirement, à aucun département, soit parce que quelques autres, tels que les ingénieurs en chef des ci-devant généralités, se sont au contraire trouvés, jusqu'à la même époque, servir à la fois dans plusieurs, et qu'il serait difficile de déterminer les proportions dans lesquelles ils devraient être payés par chacun de ces départements. Je crois donc qu'il conviendra que je sois autorisé à faire payer définitivement ces ingénieurs par le Trésor public, jusqu'au moment où les uns et les autres ont été nommés aux places qu'ils occupent actuellement.

Il se présentera encore d'autres questions relativement à quelques-uns des ingénieurs qui sont chargés de la conduite des travaux dont la dépense est supportée par la Trésorerie nationale.

Il ne pourra y avoir de doute, à ce qu'il semble, à l'égard de ceux qui seront attachés uniquement à ces travaux; mais il pourra s'en élever quant à ceux qui auront en même temps à conduire d'autres ouvrages qui seront à la charge des départements: au surplus, j'ai lieu d'espérer que l'Assemblée nationale voudra bien fixer promptement mes incertitudes à cet égard, en s'occupant, le plus tôt possible, de classer et déterminer, d'une manière invariable, toutes les dépenses qui devront être supportées par le Trésor public, et celles qui le seront par les départements; cette classification, dont j'ai déjà annoncé la nécessité à l'Assemblée, sera la màtière d'un nouveau mémoire que je me propose de mettre incessamment sous ses yeux. Lorsque cette dernière base aura été déterminée, les commissaires de la Trésorerie nationale, que les mesures à prendre pour faire remplacer les sommes avancées semblent devoir regarder particulièrement, se trouveront alors entièrement à portée d'indiquer aux différents départements les sommes qui, de leur part, seront dans ce cas. Ce remplacement devra comprendre également les 665,660 livres déjà avancées sur les 2 millions accordés par la loi du 6 avril dernier, et dont j'ai fait mention ci-dessus.

Je pense donc, pour me résumer, qu'il conviendrait :

1° D'accorder pour le moment, et sauf remplacement, une avance de 1,500,000 livres à distribuer, suivant les besoins, entre les différents départements qui ont formé des demandes, et qui ont pris l'engagement formel de remplacer, sur les sous additionnels, les secours qui leur seraient accordés. Ladite somme de 1,500,000 livres, applicable aux dépenses relatives aux travaux des routes, à prendre sur celle restant des 8,031,200 livres assignées par la loi du 25 février dernier, et de donner en même temps aux départements la faculté d'expédier des mandats jusqu'à concurrence d'une pareille somme de 1,500,000 livres sur la portion du produit des rôles d'acomptes qui représente les sous additionnels des contributions foncière et mobilière de 1791.

2o D'autoriser le ministre de l'intérieur à faire acquitter définitivement par le Trésor public, les appointements d'ingénieurs qui se trouveront ne devoir être supportés par aucun département, et ce, jusqu'au moment où les ingénieurs qui seront dans ce cas, auront passé aux places qu'ils remplissent en cet instant.

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