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bien, les honnêtes gens », comptaient sur le ministre, sur le procureur général syndic, son ami, sur la majorité des administrateurs du directoire. Il savait bien, cet homme, ce ministre qui avait dans son département la police du royaume, que c'était à Caen où se coalisaient des milliers de ci-devant gentilshommes, qui, depuis longtemps, y tramaient leurs complots.

Il savait bien que les prêtres perturbateurs conspiraient avec eux contre les citoyens et la Constitution. Quand la masse des conspirateurs est plus grande, quand elle est organisée, quand tout est prêt pour l'explosion, il écrit à ses chers administrateurs, dont le règne touchait à sa fin: il se hâte de faire ouvrir les églises nationales aux réfractaires; il caresse ces implacables ennemis de la Révolution; il insulte les patriotes qui se soumettent, avec une profonde sagesse, à tout ce qui présente l'apparence de la loi, mais qui s'éveillent aux premières et hâtives violences des satellites de la contre-révolution. Alors, tous les projets perfides se déconcertent; le patriotisme triomphe; les chefs du complot sont arrêtés; et le plus grand ennemi de la patrie, Delessart, est trompé dans son espérance. Comme il avait bien calculé tout son système de contre-révolution! comme tout se tenait dans son plan d'un bout de l'Empire à l'autre! On en voit surtout ici la perfection. Il faut qu'au milieu de toutes les crises, rien ne soit prêt pour l'assiette de l'impôt, que les contributions publiques manquent tout à coup, et que le désordre en tout genre soit porté à son comble. Le conseil de département devait ne pas pouvoir s'assembler dans une ville en combustion. Le procureur général syndic aurait eu la place d'ordonnateur général dans une branche d'administration lucrative; et cette place, on assure qu'il l'a. Le ministre aurait pourvu d'une autre manière au sort de ses administrateurs affidés; et lui-même, ayant bouleversé tout l'intérieur, aurait quitté ce ministère, pour achever de ruiner nos affaires au dehors, dans un autre ministère où les tyrans étrangers auraient trouvé, à leur tour, en lui, leur ami le plus fidèle. Si, dans le Calvados, tout n'a pas réussi selon ses vues, il se retourne dans les autres départements, et surtout dans Paris, à d'autres mesures pour assurer les mêmes succès. Tout le royaume est en discorde par son zèle à servir les réfractaires, par sa dévotion envers les perturbateurs. Le nombre des patriotes sincères lui paraît encore trop grand: il cherche à les désunir; il y réussit il rend suspects les représentants du peuple à ceux mêmes qui chérissent la Constitution. Enfin, il porte l'audace à son comble: il diffame, au nom du roi, l'Assemblée nationale. Il proclame dans tout l'Empire que le Corps législatif ne connaît ni la Constitution, ni les mœurs françaises. Il n'appartient point au roi d'avilir les législateurs et de les calomnier à la face de la nation. Le ministre qui se permet cet attentat arrive au dernier terme du crime de haute trahison. Car la liberté est perdue tout entière, la patrie tombe dans l'anarchie, puis retourne au despotisme, si les représentants du peuple ne sont plus rien dans son estime. (Applaudissements dans les tribunes.) Aussi, quels insolents placards se permettent les écrivains soudoyés par l'aristocratie, depuis l'exemple éclatant d'impudence que le ministre leur a donné dans la proclamation royale! Il faut le dire, Messieurs, avec la confiance qu'inspire le sentiment de la force civique et de la libre vertu, si la majorité de l'Assemblée nationale n'avait pas été formée d'excel

lents citoyens, c'était dans nos mains que

mourait

la patrie. Mais elle vivra, elle triomphera, et les perfides périront. (Applaudissements dans les tribunes.)

Je demande que M. Delessart soit mandé à l'instant, et que M. le Président soit chargé par l'Assemblée de lui faire ces deux questions:

1° Est-il vrai que vous n'avez envoyé au département du Calvados que le 25 novembre la loi du 29 septembre sur la répartition des contributions foncière et mobilière?

2o Est-il vrai que vous avez signé une proclamation royale où se trouvent ces paroles: « Le roi, plaçant sa confiance dans les mêmes mesures, vient de refuser sa sanction à un décret de l'Assemblée nationale dont plusieurs articles rigoureux lui ont paru contrarier le but que la loi devait se proposer, et que réclamait l'intérêt du peuple, et ne pouvoir pas compatir avec les mœurs de la nation et les principes d'une Constitution libre?... »

Comme il est impossible qu'il nie ces deux faits, qui sont des crimes nationaux, je conclus par demander que l'on porte alors contre lui le décret d'accusation. (Vifs applaudissements dans les tribunes.)

Plusieurs membres à droite: L'impression!

M. Monneron. Je demande que M. Fauchet soit tenu de fournir les preuves de l'assertion qu'il a faite, que les grains sortent par toutes les frontières du royaume : parce que si la chose est vraie, si le mal est certain, on trouvera les moyens d'y remédier; si elle ne l'est pas, on saura que M. Fauchet a avancé une imposture capable de causer des effets très funestes. (Applaudissements dans une partie de l'Assemblée. Murmures dans les tribunes.)

Un membre: Pour prouver à l'Assemblée que M. Fauchet a dit une chose qui n'est pas sans fondement, je citerai ce qui est arrivé à Saint-Omer. Dans une seule semaine, 80,000 rasières de blé devaient sortir de cette ville. Le peuple, irrité de ces sorties énormes, s'est porté à des excès et a barré la rivière. Les grains, les blés, les avoines, tout sort par nos frontières. Comme cette matière n'est pas à l'ordre du jour, je demanderai la parole quand elle y sera, et je conclus à ce que la motion de M. Fauchet soit mise aux voix. (Vifs applaudissements dans les tribunes et cris: Oui! oui!)

Un membre: Pour faciliter à M. Fauchet la preuve qu'un des préopinants paraît demander de lui, je lui offre d'abord une lettre. Bientôt, je lui donnerai des preuves authentiques de ce qu'il a avancé touchant la sortie des "blés hors du royaume, à Mons, à Coblentz, à Bruxelles et ailleurs.

Un membre: Je demande que la dénonciation que M. Fauchet vient de faire contre le ministre de l'intérieur soit renvoyée à celui de vos comités que vous jugerez devoir vous en faire le rapport. Les faits présentés par M. Fauchet sont de la plus grande gravité. Aussi vous ne devez point vous hâter. Si le ministre est coupable, il faut que la nation qu'il a trahie soit vengée, il faut que la responsabilité des ministres ne soit pas illusoire; mais aussi, si les inculpations atroces qui ont été faites contre le ministre sont dénuées de fondement, il faut que l'opinion publique, puisqu'il n'y a pas d'autre moyen de le venger, fasse justice d'une aussi injuste inculpation.

M. Delacroix. Et la proclamation du roi, la connaissez-vous?

Un membre: Il vient de vous être avancé par un des préopinants que, sans l'insurrection du peuple de Saint-Omer, 80,000 rasières de blé seraient passées au port de Dunkerque et de là à l'étranger; c'est une fausseté, et c'est avec de semblables déclamations qu'on entretient les insurrections et qu'on empêche les administrations de contenir le peuple dans le devoir. Ces 80,000 rasières étaient effectivement destinées pour Dunkerque; mais vous n'ignorez pas que plusieurs départements méridionaux sont dépourvus de grains; vous n'ignorez pas que ces départements ont fait des demandes dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord, pour se procurer des blés. Ces blés, destinés aux pays méridionaux, ne pouvaient avoir d'autre issue que par Dunkerque (1).

Il faut que je vous dise encore, Messieurs, quelles sont les précautions que l'on emploie pour assurer la véritable destination de ces grains. Les blés embarqués, les capitaines sont dans l'usage de signer des reconnaissances pour ces sortes d'expéditions. Ils en signent quatre. L'une est remise au capitaine, une autre reste entre les mains des pétitionnaires; la troisième est expédiée aux commettants, la quatrième est remise à la municipalité de la ville d'où partent les grains. Cette municipalité adresse cette quatrième reconnaissance à la municipalité du lieu de destination qui, lorsque la cargaison est arrivée, donne un certificat de décharge. Aucune expédition ne peut se faire sans que celui qui la fait ne signe une soumission d'une somme équivalente à la valeur du chargement pour garantir la destination de ce chargement.

Eh bien, Messieurs, c'est avec de pareils propos qu'on perpétue les insurrections et qu'on empêche le peuple d'obéir à la loi...

Plusieurs membres : La preuve !

Le même membre: Je défie qu'on me donne une contradiction à ce que j'avance, et j'apporterai, si vous voulez, la preuve de ce que je viens de vous dire.

Plusieurs membres: L'ordre du jour!

M. Gérardin. Il serait essentiel qu'on rappelât ces Messieurs à l'ordre quand ils s'en écartent. C'est en laissant divaguer tous les membres de l'Assemblée que l'on s'écarte de l'ordre du jour par des motions incidentes qui empêchent que l'on s'occupe des lois qui peuvent assurer la paix et le bonheur de l'Empire. Au lieu de cela on jette le trouble dans l'Assemblée et dans la France. Je demande qu'on les rappelle à la question et à l'ordre quand ils s'en écartent.

M. Mouysset. Messieurs, si vous incitez le peuple à empêcher les grains de sortir d'un pays pour aller dans un autre, vous ne lui apprendrez qu'à affamer ses concitoyens.

M. Cambon. Messieurs, je puis donner à l'Assemblée des renseignements sur les 80,000 rasières de blé. Un des préopinants vous a dit que le peuple de Saint-Omer s'était soulevé pour empêcher que ce blé ne fût exporté à l'étranger. Ce fait est absolument faux, et c'est avec de pareils propos qu'on entretient les insurrections. Il est facile de trouver la destination de ces blés dans les démarches qui ont été faites par

(1) Voir aux annexes de la séance, la Proclamation du roi relative à cet objet, page 546.

différents négociants et par différentes communes du département de l'Hérault, département méridional de la France qui n'a point de grains pour subsister. Dans toutes les années ordinaires, on est obligé de les tirer du département de la Haute-Garonne qui, cette année-ci, se trouve avoir une récolte médiocre. Le département de l'Hérault, ayant eu des craintes, s'était adressé au ministre, par la voie de ses députés, pour savoir s'il pourrait sans danger faire venir du blé du département du Pas-de-Calais. Sur la réponse que nous lui avons donnée, que la circulation était libre dans le royaume, je suis sûr qu'on a adressé des demandes au département du Pas-de-Calais pour faire venir diverses cargaisons, que ces cargaisons devaient partir de Dunkerque pour se rendre à Cette et de là être distribuées dans les départements méridionaux. (Oui! oui!) Nous avons appris avec peine que ces cargaisons avaient été arrêtées, et nous avons fait passer un nouvel avis aux administrateurs de notre département pour les prévenir et les engager à faire venir du blé d'Italie. C'est ainsi que, par des déclamations dénuées de tout fondement, on parvient à inquiéter le peuple, à le soulever contre la loi et à arrêter la circulation des grains. Nous réclamons pour nos pays méridionaux, qui n'ont pas de grains et qu'on expose, par de telles manœuvres, à manquer de subsistances. Je demande donc l'ordre du jour sur ce qui vient d'être dit à cet égard.

Un membre: L'Assemblée s'écarte du point de la question; il est important de la ramener à l'objet de la discussion. Elle porte sur deux points principaux d'abord sur la signature apposée par M. Delessart, au bas de la proclamation du roi, et ensuite sur le défaut d'envoi à temps, du décret concernant le répartement de la contribution foncière et mobilière. A l'égard du premier point, je ne crois pas qu'il puisse entrer dans l'intention d'aucun membre de cette assemblée, d'essayer de justifier le ministre. Le délit est très constant, il est sous les yeux de tous les citoyens, et je crois que l'Assemblée nationale ne peut pas garder plus longtemps le silence, sans reconnaitre la vérité de l'inculpation qu'elle contient. Je persiste à croire que, dès à présent, vous n'avez pas d'objet plus instant que de demander sur-le-champ le ministre à la barre, pour qu'il vous rende raison des termes de la proclamation; mais relativement au second objet, je dis que M. l'évêque du Calvados est tombé dans une erreur. Ce n'est point au ministre de l'intérieur qu'il appartient d'envoyer les lois concernant les contributions foncière et mobilière.

Voix diverses: C'est juste! C'est à celui des contributions publiques. Non! non!

Le même membre: Messieurs, à l'instant où l'Assemblée nationale va exercer une fonction très grave, elle ne doit certainement pas tomber dans une erreur. J'ai été procureur général syndic d'un département; j'ai été à même de connaitre à qui appartient l'envoi des lois, et j'ai toujours vu, je ne sais pas si cela est changé depuis, que le ministre des contributions publiques envoyait constamment les lois sur les contributions.

Plusieurs membres : C'est une erreur!

Le même membre: Si c'est une erreur, l'Assemblée nationale va juger. Je voulais proposer à l'Assemblée de distinguer les deux faits; mais si J'Assemblée nationale juge que le ministre doive

également répondre sur l'un et sur l'autre, ma motion tend à ce que, dès à présent, il soit mandé pour rendre compte de sa conduite. Il n'est pas possible que, pour l'intérêt de sa propre dignité, pour la confiance qu'elle doit inspirer, l'Assemblée nationale garde le silence sur les inculpations produites relativement à la proclamation du roi, sans en connaître au moins tacitement la validité.

Je dois cependant rectifier les idées qui ont été présentées relativement au transport des grains. (Murmures.) Le fait est d'autant plus vrai qu'il est arrivé d'Alger un vaisseau pour notre département, qui a été déchargé à Marseille.

M. Pierre Bernard (d'Auxerre). J'observerai relativement à la proclamation du roi que depuis 15 jours, on a déjà tenté deux fois de vous la dénoncer et que deux fois cette dénonciation a été rejetée, à une grande majorité, par la question préalable. (Murmures.)

Plusieurs membres : Dites par l'ordre du jour.

M. Pierre Bernard (d'Auxerre). Eh bien, oui, par l'ordre du jour; cela revient à peu près au même. Puisqu'on reproduit encore cette dénonciation, je demande à l'Assemblée la permission de lui présenter quelques observations.

Je conçois que la formule du serment du roi étant fixée par la Constitution, il ne peut être dans l'esprit de cette Constitution que le pouvoir exécutif engage une lutte entre le Corps législatif et lui, et qu'il cherche à combattre l'acte sur lequel porte son refus, et à se populariser à votre détriment. Je conçois encore qu'aux termes de l'article 6 de la première section du chapitre IV de la Constitution, attribuant au roi le pouvoir de faire des proclamations conformes aux lois, pour en ordonner ou en rappeler l'exécution, ce serait une question peut-être à élever que de savoir si là où il n'existe pas de loi, il peut y avoir une proclamation à faire par le pouvoir exécutif.

Mais, Messieurs, j'ai examiné la proclamation du roi qui donne lieu à la motion qui vient de Vous être faite derechef, et il m'a semblé que cette proclamation n'avait pour objet qu'une invitation pressante de rentrer dans leur patrie à ceux contre lesquels votre décret portait la peine de mort en cas d'une plus longue résistance. (Murmures.) On y lit, à la vérité, que plusieurs dispositions rigoureuses de ce même décret, ont paru au roi contrarier le but que la loi devait se proposer; mais il dit seulement que cela lui a paru; il ne l'affirme pas; il n'entre d'ailleurs dans aucun des motifs qui pourraient justifier son opinion; et il exprime de la manière la plus franche et la plus expresse, ses sentiments sur la conduite des émigrés. Je maintiens même que le roi a dù, pour le salut de l'Etat, prendre une mesure quelconque, et que ceux qui lui reprochent aujourd'hui cette proclamation, eussent eu être bien plus de raison de lui reprocher de l'avoir pas faite, et d'avoir par là fourni un prétexte aux émigrés de tirer de son refus de sanctionner votre décret cette induction, qu'il ne désapprouvait pas leur fuite, et appuyer sur une pareille idée l'affreux espoir d'une subversion générale.

ne

Vous ne pouvez donc point approuver, Messieurs, la dénonciation qui vous est faite, et vous pouvez encore moins approuver la manière dont elle est soutenue. Il est trop aisé maintenant de se répandre en déclamations vagues, et il y a trop peu de courage à reproduire ces lieux communs usés, pour que vous puissiez encore les accueillir. On

n'a pas le droit de soupçonner les intentions de personne; mais quand ceux qui se conduisent ainsi voudraient autant le despotisme qu'ils l'abhorrent; quand il leur conviendrait de faire une seconde révolution, certes ils ne pourraient pas mieux y conduire qu'en harcelant sans cesse le pouvoir exécutif, qu'en cherchant sans cesse à retarder sa marche, pour lui reprocher ensuite de ne pas marcher. (Murmures.)

Messieurs, le pouvoir exécutif est dans la Constitution: si l'on s'est dit bien fortement que l'on veut cette Constitution, il faut l'y maintenir; il faut, au lieu de le ralentir, accélérer son action. Je sais qu'il est de sa nature de chercher toujours à s'agrandir; aussi je prétends qu'il faut le surveiller, mais avec décence, mais sans avilir ses agents, mais d'une manière digne de vous; il faut enfin que tous ceux qui renouvellent à chaque instant ces misérables pointilleries se persuadent enfin que les applaudissements qu'ils obtiennent ne passent pas les tribunes. (Applaudissements et murmures.) A moins qu'il ne faille mettre en ligne de compte les applaudissements beaucoup plus sincères qu'on leur donne à Worms et à Coblentz.

Mais qu'ils consultent nos départements; ils apprendront combien on s'y afflige de tous nos débats pénibles; ils sauront avec quelle impatience on attend que cette majorité sage, sur laquelle reposent les destinées de la France, se montre enfin ce qu'elle est, qu'elle oppose le courage et l'énergie à ces scènes affligeantes qui ne peuvent qu'altérer la confiance due aux représentants de la nation et la considération dont ils ne peuvent pas se passer plus longtemps.

Je finis, Messieurs, et je demande expressément que la question préalable nous fasse raison une fois pour toutes de ces divagations qui n peuvent que reculer le moment où la confiance de la nation nous sera acquise sans réserve.

M. Delacroix. Je demande l'impression du discours de M. Bernard.

Plusieurs membres : Oui! oui! et l'envoi aux 83 départements.

M. Viénot-Vaublanc. Je conviens, avec plusieurs préopinants, que les expressions du ministre qui ont été citées à la tribune sont contraires à la dignité du pouvoir législatif; car moi, qui ai pour principe invariable de ne jamais chercher à rabaisser le pouvoir exécutif, j'ai aussi pour principe, encore plus profondément gravé dans mon âme, de ne jamais souffrir qu'on attente à la majesté du Corps législatif. Mais, Messieurs, les personnes qui vous ont dénoncé ces expressions vous proposent une mesure extrême dont vous ne devez vous servir qu'après de mûres réflexions, une mesure qui doit être dans vos mains une arme infaillible envers les ministres. M. Fauchet, qui demande que le ministre soit mandé à la barre, a-t-il bien prévu la manière dont le Corps législatif se conduirait dans ce moment-là, les demandes qui seraient faites par le Président, les réponses faites par le ministre, et beaucoup d'incidents que je ne prévois pas moi-même ? Non, sans doute, rien de tout cela n'est prévu. A quoi donc aboutirait cette mesure, de mander le ministre à la barre? A mettre le Corps législatif dans une position imprévue qui le compromettrait et à l'exposer à imettre la passion à la place de la dignité qui doit toujours accompagner ses délibérations.

Je demande donc le renvoi au comité de législation de la dénonciation faite par M. l'abbé

Fauchet, et j'invite tous les membres de l'Assemblée à lui faire part de leurs lumières pour l'aider à préparer un travail à ce sujet, afin qu'il puisse en rendre compte demain si on l'exige. Vifs applaudissements dans l'Assemblée et dans une partie des tribunes).

M. Carnot-Feuleins le jeune. On a trop affecté jusqu'à présent de confondre les ministres du roi avec le roi lui-même, sous le nom vague de pouvoir exécutif. Il est temps enfin, Messieurs, de distinguer ces deux puissances. (Rires prolongés.)

Un membre: Il n'y a qu'une seule puissance dans l'Empire.

M. Carnot-Feuleins le jeune. Je vois, Messieurs, par l'interruption que j'essuie qu'il y a encore beaucoup de personnes qui ont intérêt à confondre les ministres avec le roi lui-même. (Murmures.)

Un membre: Monsieur le Président, rappelez Monsieur à la Constitution.

M. Vergniaud. Je demande que la discussion soit fermée.

M. Delacroix. Il y a longtemps que M. Carnot devrait être rappelé à l'ordre; il a interrompu M. Fauchet par des propos qui méritaient qu'on le rappelåt à l'ordre, et même quelque chose de mieux.

M. Carnot-Feuleins le jeune. Le roi doit être instruit de ce qui se passe dans le royaume, par les ministres, par ses courtisans, ou par le Corps législatif. Si les ministres, si les courtisans le trompent, le Corps législatif lui doit la vérité. Si vous avez à vous plaindre des ministres, ce n'est pas une raison pour que vous ayez à vous plaindre du roi; en conséquence, je propose..

Un grand nombre de membres : La discussion fermée!

(L'Assemblée ferme la discussion.)

M. le Président établit l'état de la délibération.

Plusieurs membres : La priorité pour la motion de M. Viénot-Vaublanc.

(L'Assemblée accorde la priorité à la motion de M. Viénot-Vaublanc et renvoie en conséquence la motion de M. Fauchet au comité de législation.)

M. Chéron-La-Bruyère. Je demande que le rapport du comité de législation soit fait dans 3 jours; il est important que l'Assemblée juge promptement une dénonciation de cette importance. Il y a déjà longtemps que je sollicité un rapport sur une dénonciation faite par M. Rouyer, du payement d'une pension payée par le ministre à un homme mort depuis trente ans : Il faut que le ministre en soit responsable, et que le rapport en soit fait sans délai.

(L'Assemblée, consultée, ordonne que le comité de législation lui fera dans 3 jours le rapport sur la dénonciation de M. Fauchet.)

M. Chéron-La-Bruyère. Je renouvelle la motion que j'ai faite déjà deux fois relativement à la dénonciation de M. Rouyer; il est important que la nation ne paye pas de pension à un homme mort depuis 30 ans. Je demande définitivement que ce rapport soit fait demain par le comité de liquidation.

M. Rouyer. Je vois bien que l'on cherche à m'inculper sur la dénonciation que j'ai faite. Il parait que le comité de liquidation ne s'est pas

encore éclairé sur la pension que l'on paye depuis 30 ans à un homme mort. Comme j'avais fait publiquement la dénonciation, j'ai voulu qu'elle fût prouvée publiquement. J'ai demandé en conséquence que la liste des pensionnaires de l'Etat fùt apportée sur le bureau pour être examinée par l'Assemblée, ce qui a été décrété(1). Plusieurs fois j'ai demandé à MM. les secrétaires si cette liste avait été remise, et ils m'ont répondu qu'elle n'avait pas paru. Il n'y a donc pas de ma faute si le rapport n'est pas fait.

Un membre du comité de liquidation: On a déposé au comité 5 ou 6 gros registres qui composent la liste des pensionnaires de l'Etat. Pour remettre sur le bureau la liste des pensions que M. Rouyer désirait consulter, il fallait savoir l'année de la naissance du pensionnaire. M. Rouyer a été invité plusieurs fois à se rendre au comité pour communiquer cette note; il n'y a pas encore paru. (Rires prolongés.)

M. Rouyer. Je demande l'exécution du décret; il porte que la liste sera remise sur le bureau. Jusqu'à ce que le décret ait été exécuté, je n'ai que faire d'être sollicité à me rendre au comité.

M. Delacroix. Le seul moyen de sortir d'embarras est d'exécuter le décret.

Un membre: Les registres des pensions sont si volumineux qu'on ne peut les déplacer sans beaucoup de peine. Il est tout simple que M. Rouyer prenne la peine de se rendre au comité pour donner des renseignements et aider à chercher l'article qu'il a dénoncé.

M.Chéron-La-Bruyère.Je demande que si le rapport de cette dénonciation n'est pas fait, il soit permis de ne pas y ajouter foi.

Plusieurs membres parlent sur le même sujet. M. Vergniaud. Je demande l'ordre du jour nous ne remplissons pas nos fonctions en écoutant toutes sortes de dénonciations.

Plusieurs membres Appuyé! appuyé ! (L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

Un membre (à droite): Monsieur le Président, on a demandé l'impression de la dénonciation de M. Fauchet. Cette motion est appuyée; je vous prie de la mettre aux voix.

Plusieurs membres à gauche: La question préalable.

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion d'impression.)

M. le Président. L'ordre du jour est la suite du discours de M. Brissot sur la cause des troubles de nos colonies et sur les moyens d'y ramener la paix, et la discussion des motions de M. Guadet et Vergniaud sur les colonies; mais avant de passer à l'ordre du jour, je donne la parole à M. Cambon qui l'a demandée pour une motion d'ordre.

M. Cambon (au nom du comité de la Trésorerie nationale.) Il y a eu, le 1er novembre, une demande de fonds faite par la caisse de l'extraordinaire, qui a fourni des avances à la Trésorerie nationale. Les 100 millions d'assignats dont vous avez ordonné l'émission, sont employés : vous avez ajourné les moyens de pourvoir aux dépenses ordinaires; cependant la caisse de l'extraordinaire, la Trésorerie nationale ne peuvent vous rendre compte de leurs

(1) Voy. ci-dessus, séance du 19 novembre, page 158.

besoins, si vous ne fixez l'ordre des remboursements et des liquidations. Les commissaires de la Trésorerie se sont transportés hier à la caisse de la Trésorerie nationale; ils ont vérifié que le déficit produit par la lenteur de la rentrée des contributions du mois dernier était de 18 millions, et qu'en y joignant les dépenses extraordinaires de 1791 et le payement de 1790, la caisse de la Trésorerie nationale se trouvait avoir un déficit de 30 millions, dont il était nécessaire que la caisse de l'extraordinaire fit le versement sans délai.

Il est de la plus grande importance, Messieurs, que l'Assemblée se place dans un état de choses à n'être pas surprise et fatiguée journellement par de semblables demandes. Le travail sur les finances est renvoyé de jour en jour. Je fais la motion que toute autre affaire soit suspendue jusqu'à ce que la matière des finances ait été traitée en grand et définitivement ordonnée.

Plusieurs membres: Aux voix la motion de M. Cambon.

M. Delacroix. Je demande que ces questions soient discutées en grand, et que l'on ne s'en occupe pas actuellement pour ne prendre que des mesures provisoires.

M. Tarbé. On ne se pénètre pas assez des difficultés que présente un plan général de liquidation, pour vous proposer de mettre inopinément cette question à l'ordre du jour.

Un membre: Je demande que ces questions soient ajournées après celle des colonies. Les troupes qui doivent porter des secours à SaintDomingue sont prêtes, et vous savez combien il est important que ceux qui les commanderont aient des instructions précises.

M. Cambon, rapporteur. Il faut des espèces pour les payer.

M. Guyton-orveau. Je demande à M. Cambon s'il a à proposer des mesures préparatoires; autrement, je demande qu'on attende l'organisation des comités des finances, et qu'on ne propose pas des projets qui n'auraient en leur faveur que des préventions ou des passions particulières.

Plusieurs membres demandent que la discussion soit ajournée à lundi pour être continuée sans interruption.

(L'Assemblée, consultée, ajourne à lundi et jours suivants la discussion sur les finances.)

M. Dorizy, commissaire, nommé par les divers comités des finances pour présenter un plan commun d'organisation, demande à l'Assemblée qu'elle veuille bien entendre le rapport de son travail.

(L'Assemblée ajourne ce rapport à demain.)

M. le Président. Avant de donner la parole à M. Brissot, je dois annoncer que les députés de la partie française de Saint-Domingue ont fait passer une adresse à l'Assemblée dont ils demandent que la lecture soit faite, ainsi qu'une délibération de la partie française de Saint-Domingue relativement aux gens de couleur, prise le 20 septembre 1791. L'Assemblée est-elle d'avis d'en entendre la lecture?

Voix diverses: Oui! oui! Non! non! (L'Assemblée, consultée, décide que les pièces seront lues.)

Un de MM. les secrétaires fait lecture de l'adresse, qui est ainsi conçue:

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» A peine avions-nous conçu quelque espoir de la vive impression qu'avait paru faire sur vous le tableau de nos malheurs, que le récit de la séance d'hier est venu jeter la consternation dans nos âmes. Vous avez ajourné la motion de l'un de vos membres, tendant à ratifier le concordat passé entre les gens de couleur et les blancs dans la partie de l'Ouest, et par conséquent à vous écarter de la teneur de la loi du 24 septembre dernier...

M. Ducos. J'ai l'honneur de vous observer, en faisant une motion d'ordre, que cette adresse est une véritable discussion sur la question qui va occuper l'Assemblée. L'intention de l'Assemblée n'était certainement pas, en ordonnant la lecture, d'accorder l'initiative aux parties intéressées. (Murmures.)

Un membre: J'observe à M. Ducos que l'Assemblée vient de décréter cette lecture, il est très important de connaître cette adresse qui peut éclairer les esprits.

Plusieurs membres s'adressant à M. le secrétaire Continuez! continuez!

M. le secrétaire, continuant la lecture: « ...nous sommes loin, Messieurs, de répugner à des dispositions favorables aux hommes de couleur, mais le droit de statuer sur l'état des personnes appartient à la colonie par une loi constitutionnelle. Ce droit est le seul garant de notre existence, et nous ne pouvons pas l'abandonner. N'en doutez pas, Messieurs, aussitôt que l'Assemblée générale aura recu le décret qui l'autorise à statuer sur l'état politique des hommes de couleur, elle se sera empressée de faire pour eux tout ce que lui prescrivent la sagesse et la justice, et sans doute elle aura confirmé tout ce qu'elle leur a accordé avant notre départ.

« Le premier article de la loi du 24 septembre dernier aura rétabli entre les hommes de couleur et les blancs les liens d'affection et de reconnaissance qui, pour la tranquillité des colonies, n'auraient jamais dù cesser d'exister, et que nos ennemis ont su détruire. Les blancs, dans les premiers moments de l'insurrection, ont reçu des hommes de couleur des services signalés; ils se seront acquittés aussitôt qu'ils auront reçu le décret, et le souvenir du service et de la récompense sera peut-être le principe de leur union et la base éternelle de notre tranquillité.

« Nous osons vous l'affirmer, Messieurs, s'il existe encore un espoir d'arracher les restes de la colonie aux mouvements rapides de l'insurrection auxquels nous l'avons vu livrée, il est dans l'arrivée de cette loi, dont l'Assemblée générale aura su faire usage, soit pour déterminer les esclaves à la soumission, soit pour établir une confiance solide et durable entre les différentes classes d'hommes libres; vous ne sauriez porter atteinte à cette loi, Messieurs, sans donner une nouvelle activité aux principes de nos malheurs.

L'arrivée de votre décret même, la discussion qu'il provoquerait produirait une seconde secousse à laquelle nous ne résisterions pas; vous verriez s'accroître toutes les alarmes des propriétaires et toutes les insurrections des esclaves. Vous n'auriez rien changé à l'état de ceux-ci; il suffirait qu'en touchant à l'Acte constitutionnel qui nous donne le droit de règler leur condition, Vous eussiez fait concevoir la possibilité de vous occuper de leur indépendance; les liens déjà si

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