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saisie réelle sur les propriétés de leur débiteurs, en ne lui donnant pas d'effet rétroactif, leur assurera des secours infiniment plus considébles et plus féconds que tout l'argent qu'il vous serait possible de tirer du Trésor de la nation, pour leur en faire un don ou un prêt. Cet argent ne changerait rien aux dispositions immorales, fruits nécessaires de l'impunité des abus. Mais si la loi établit la saisie en faveur des créanciers méprisés, elle contraindra les colons au soin de leurs affaires; des idées d'ordre prendront dans ces têtes exaltées la place du caprice, de l'inconstance et du mépris de la probité.

Vous aurez donc tout à la fois resserré le lien des colonies à la métropole, régénéré le caractère des colons, assuré les propriétés des commerçants de la métropole, diminué la nécesité d'un gain considérable sur les colons, et procuré un prompt secours aux malheureuses victimes des dévastations actuelles.

Eh! pourquoi, Messieurs, les colons s'opposeraient-ils à une loi qui réunit tant de caractères de justice? Elle existe dans les colonies anglaíses c'est la première qu'eussent promulguée les Anglais, sí la trahison qui se disposait à les rendre maîtres de nos colonies eût pu réussir, et si, par impossible, l'indignation des nombreux et courageux habitants de nos côtes eût enduré cette infâme conquête d'une nation libre sur une nation qui combat pour sa liberté. Sans doute, cette perfidie n'a jamais pu être conçue ni regardée comme possible par les hommes réfléchis de l'Angleterre.

Vous adopterez donc cette loi, Messieurs; vous ferez plus, vous la considérerez comme urgente. Et en effet, attendez-vous, dès qu'elle sera rendue, à voir cingler de tous nos ports une foule de navires chargés de toutes les sortes de secours nécessaires aux colons; attendez-vous à voir le sol de nos îles acquérir une nouvelle valeur; car une terre qui appelle les avances par une bonne responsabilité, vaut certainement un plus grand prix que celle qui pouvant s'y soustraire, ne peut être regardée que comme un gouffre qui engloutit tout et ne restitue rien.

Deux dispositions particulières terminent le décret que je vais vous lire. Dans l'une je demande que l'on charge le comité colonial de faire son rapport sur les troubles de la Martinique c'est un devoir sacré. Les patriotes gémissent dans cette île sous le joug le plus rigoureux, et vous ne serez pas sourds aux cris de vos frères. L'autre a pour objet de voter des remerciements aux Etats-Unis d'Amérique, et à l'Etat de Pensylvanie, qui ont prêté généreusement des secours aux colons. Que ne leur prêtent-ils ces bons quakers, et leurs lumières sur la manière de conduire les esclaves, et leurs mœurs pures! Le sang n'arroserait pas le sol de Saint-Domingue, et la paix y règnerait comme elle règne dans la Pensylvanie depuis plus d'un siècle. (Applaudissements.) Voici le projet de dé

cret:

PROJET DE DÉCRET.

«Art.1er. L'Assemblée nationale déclare qu'il y a lieu à accusation contre l'assemblée générale de Saint-Domingue séant au Cap, comme prévenue d'avoir menacé et tenté de séparer cette colonie de la métropole, et de la livrer à une puissance étrangère; comme prévenue d'usurpation du pouvoir législatif, d'actes d'oppression,

d'emprisonnements arbitraires, et la suspend en conséquence de toutes fonctions. Décrète que ceux de ses membres qui ont porté des cocardes noires ou autorisé à en porter, qui ont pris part aux délibérations par lesquelles on a envoyé des commissaires à la Martinique, empêché de partir des « avisos » pour la France, surtaxé les marchandises, enlevé marchandises et argent, emprisonné sur des ordres arbitraires, seront mis en état d'arrestation par les commissaires ci-après; qu'ils seront embarqués pour la France et traduits devant la haute cour nationale, pour leur être fait, sur la poursuite des grands procurateurs de la nation, leur procès et à tous leurs complices, fauteurs et adhérents, tant aux colonies qu'en France. (Applaudissements dans les tribunes.)

« Art. 2. Décrète que les 6 députés de l'assemblée coloniale de présence à Paris seront traduits à la barre et interrogés sur les questions qui leur seront faites.

« Art. 3. Déclare qu'il y a lieu à accusation contre M. Blanchelande, pour ne pas s'être opposé aux projets de cette assemblée, tendant à séparer la colonie de la métropole, n'en avoir pas prévenu les pouvoirs constitués en France, pour avoir agi de concert avec ladite assemblée; en conséquence, qu'il sera rappelé, suspendu de ses pouvoirs, mis en état d'accusation et traduit devant la haute cour nationale.

« Art. 4. Décrète qu'il sera procédé à la formation d'une nouvelle assemblée coloniale; que les membres en seront choisis par les assemblées paroissiales, conformément aux décrets des 8 et 28 mars, sans distinction de couleurs et sans autres conditions que celles déterminées par l'article 4 du décret du 28 mars; que cette assemblée se réunira à Léogane, et s'y occupera, aussitôt après sa formation, de l'examen du projet de constitution coloniale, dont l'Assemblée nationale lui a décrété l'envoi.

« Art. 5. Que pour faire procéder à l'exécution des articles ci-dessus, il sera choisi par l'Assemblée nationale, au scrutin individuel, et hors de son sein, des commissaires, dont 3 pour SaintDomingue, 3 pour la Martinique et Sainte-Lucie, et 1 pour la Guadeloupe.

« Art. 6. Que ces commissaires seront autorisés à informer des troubles arrivés dans ces îles, recevoir les dépositions, faire arrêter et traduire en France ceux qu'ils jugeront coupables; à informer pareillement contre ceux qui ont pris part à la révolte des noirs; à procéder à la formation de la nouvelle assemblée coloniale; à recevoir le vœu des assemblées coloniales sur le projet de constitution coloniale qui leur a été adressé; enfin, à ordonner toutes les mesures nécessaires pour rétablir la tranquillité dans les îles et la maintenir, jusqu'à ce que la constitution des colonies aít été décrétée définitivement par l'Assemblée nationale et exécutée dans les colonies.

« Art. 7. Décrète que le roi sera prié de rappeler le sieur Blanchelande, et les officiers qui pourront être accusés, ainsi que les bataillons de Normandie et d'Artois; d'envoyer 2 vaisseaux de ligne à Saint-Domingue, 1 à la Martinique, avec un nombre de frégates proportionné; que sur ces vaisseaux et fregates seront embarqués les 7 commissaires ci-dessus dénommés, et 3,000 garainsi que celles des nationaux; que ces troupes de ligne, qui sont et seront envoyées aux îles, ne pourront être mises en activité qu'à la réquisition et avec l'autorisation des commissaires ci

vils; qu'aussitôt arrivées dans les îles, les pouvoirs des commissaires envoyés ci-devant, sont suspendus.

«Art 8. L'Assemblée déroge expressément à tous décrets relatifs aux colonies, contraires aux présentes dispositions.

« Art. 9. L'Assemblée nationale vote, au nom de la nation française, des remerciments aux blancs et aux hommes de couleur qui ont, par leur zèle et leur vigilance, empêché la ruine de la colonie.

«Art. 10. L'Assemblée vote des remerciments aux citoyens des Etats-Unis d'Amérique et à l'assemblée générale de Pensylvanie, qui ont offert et prêté des secours aux colons de Saint-Domingue. Autorise son président à écrire une lettre au président du congrès des Etats-Unis, au président du gouvernement de Pensylvanie et à celui de l'assemblée générale de cet Etat.

"Art. 11. L'Assemblée charge son comité colonial de lui présenter incessamment un mode de secours pour Saint-Domingue, et un projet de décret, qu'il concertera avec le comité de législation, pour autoriser les planteurs à hypothéquer à leurs emprunts leurs biens meubles et immeubles dans les colonies, et autoriser les créanciers à saisir par les voies de droit, faute de payement.

Art. 12. L'Assemblée charge pareillement son comité colonial de lui présenter incessamment son rapport sur l'état des îles de la Martinique, de la Guadeloupe, et de Sainte-Lucie.» (Vijs applaudissements.)

M. Vergniaud. Je demande à faire une motion d'ordre. Le projet de décret qui vient de vous être lu, a rapport aux mesures définitives qu'il conviendra de prendre pour rétablir l'ordre dans les colonies. Or, l'Assemblée ne saurait s'occuper en ce moment des mesures définitives sans s'exposer à les manquer par une trop grande précipitation. Vous avez ajourné à ce matin la discussion d'une mesure provisoire qui vous a été proposée par M. Guadet (1) et qui me parait nécessaire pour préserver les citoyens de couleur de Saint-Domingue des vengeances auxquelles on voudrait faire servir les troupes que vous y enverrez, c'est celle de confirmer provisoirement le concordat, et de décréter que les troupes ne pourront agir qu'à la seule réquisition des cominissaires envoyés par le roi. Je crois qu'il est important que les orateurs qui vont monter à la tribune, se renferment uniquement dans la discussion de cette motion. (Applaudissements.)

M. Ducos appuie les observations de M. Vergniaud.

M. Viénot-Vaublane. Je m'oppose à la proposition de M. Vergniaud. Il me parait inconséquent de prendre des mesures provisoires qui devront être exécutées à 1,800 lieues d'ici, lesquelles mesures seront très longtemps à parvenir, et, à peine parvenues, devront être remplacées par les mesures définitives que vous aurez prises. Ces mesures définitives auront peutêtre des vents favorables et feront une traversée deux fois moins longue que les mesures provisoires. Au milieu de tant d'agitations, au milieu de tant de mesures, tantôt provisoires, tantôt définitives, toujours contradictoires, où voulezvous que les colons mettent leur confiance, quand voulez-vous qu'ils reposent? Qui peut rassurer

(1) Voy. ci-dessus, séance du jeudi 1" décembre 1791, au matin, page 490.

les esprits, si ce n'est une loi définitive, une résolution stable et solide?

Je demande que la motion de M. Vergniaud soit rejetée et je conjure tous les membres de l'Assemblée de peser bien attentivement le projet de décret présenté par M. Brissot avec celui qui sera présenté par le comité colonial; et après, en joignant l'amour de la patrie et de la Constitution, à laquelle est attachée la conservation des colonies, et notre humanité pour nos frères de Saint-Domingue, j'ose croire que nous terminerons cette malheureuse affaire par un décret digne de nous, qui attachera les colonies à la métropole et qui sera à la fois un monument d'humanité et de politique. (Vifs applaudissements.)

M. Vergniaud. Je pense comme M. Vaublanc qu'il serait infiniment dangereux de prendre des mesures provisoires qui pourraient se trouver en contradiction avec les mesures définitives, et ce n'est pas là l'objet de ma motion; mais la mesure proposée par M. Guadet est impérieusement commandée par les circonstances. Vous avez des troupes prêtes à s'embarquer. Il est indispensable de déterminer d'une manière claire quel sera l'emploi de ces troupes, et par qui elles pourront être requises; ce provisoire-là est indispensable.

M. Guadet. Vous avez déjà décrété que vous ne prononceriez définitivement qu'après avoir entendu le rapport de votre comité colonial: or, ce rapport ne doit être fait que le 19 décembre. Plusieurs membres: Le 10! le 10!

M. Guadet. Eh bien, le 10. Peut-être ce rapport donnera-t-il lieu à une longue discussion, et avant que votre décret définitif puisse être rendu, les troupes seront parties: elles auront été l'instrument aveugle du parti dominant, et votre décret ne trouvera à Saint-Domingue, d'après les dispositions aujourd'hui bien connués des colons blancs, au lieu d'hommes, que des cadavres; au lieu de sucreries, que des ruines. Voilà, Messieurs, ce que l'amour bien entendu de l'humanité me fait craindre. Je demande donc qu'on s'occupe d'une mesure avant le départ des forces destinées pour Saint-Domingue. (Applaudissements.)

M. Thorillon. La lecture qui vous a été faite d'un arrêté de l'assemblée générale de SaintDomingue, par lequel les gens de couleur et les blancs sont d'accord sur leurs moyens de défense, me parait détruire les craintes du préopinant et vous convaincre de l'inutilité d'une mesure provisoire qui, d'ailleurs, semblerait préjuger la mesure définitive. Vous n'êtes point en état de rendre un décret définitif; cela est contraire à tout ce que vous avez fait jusqu'ici. En effet, M. Brissot a demandé à faire seul le rapport, vous en avez senti les inconvénients et vous avez décidé que vous entendriez le comité colonial. On a pris ensuite une autre marche. On a demandé à juger un incident qui touchait au fond. M. Brissot a été admis à prononcer un discours. Toute l'Assemblée a cru que cela était juste, parce qu'on veut savoir les faits de part et d'autre. Mais véritablement nous ne les connaissons encore que sur les rapports de gens qui s'accusent mutuellement. Nous devons donc attendre le rapport plus sûr d'un intermédiaire impartial, qui pèsera devant vous les motifs et les allegations des deux parties et qui fixera l'opinion de tous ceux qui cherchent la vérité.

(Applaudissements.) Je demande donc qu'on ne prenne aucun parti sur la motion de M. Guadet, avant d'avoir entendu le rapport du comité colonial.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

M. Garran-de-Coulon. Je demande l'ordre du jour sur la motion de M. Vaublanc, et je soutiens que, même en écartant les faits énoncés dans le discours de M. Brissot, nous avons assez de données pour prendre un parti sur la proposition de M. Guadet, qu'on appelle improprement une mesure provisoire. Je soutiens qu'elle est définitive. (Exclamation.) Vous ne pouvez, sans rétracter votre décret, ne pas traiter la question telle qu'elle a été ajournée. En effet, les mesures provisoires ne peuvent être ainsi appelées que parce qu'elles portent sur un objet infiniment instant; mais, ni M. Guadet ni moi, ne pensons qu'il s'agisse de rendre un décret que nous pourrions révoquer, lorsque nous aurons entendu le rapport du comité colonial. (Murmures.) Je demande donc qu'on passe à l'ordre du jour.

M. Guadet. Je demande à lire le décret que j'ai proposé pour prouver qu'il n'est pas distinctif de celui du 24 septembre. Le voici:

"

Le roi sera invité d'employer les forces destinées pour Saint-Domingue, à assurer provisoirement, dans toutes les colonies, l'exécution et le maintien du concordat passé le 11 septembre dernier, entre les colons blancs et les gens de couleur de la partie de l'Ouest. (Murmures.)

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Plusieurs membres demandent une nouvelle lecture.

M.Guadet fait une nouvelle lecture de son projet de décret.

M. Viénot-Vaublanc. Si l'on justifiait encore la nécessité d'adopter sans examen une pareille mesure, sur ce que le comité ne fera son rapport que dans dix jours, je demanderais avec étonnement ce que c'est que cette vivacité française qui précipite les décisions les plus importantes. Certes, Messieurs, il est temps enfin que cette vivacité cède à la lenteur sage et réfléchie, et que l'Assemblée des législateurs de la Francé prenne le caractère imposant qui lui convient.

Si nous voulons sauver la chose publique, pour un législateur dix jours ne sont pas un siècle, s'il veut les employer à méditer une si grande question.

L'humanité d'un côté, la politique de l'autre, l'intérêt de votre commerce et de vos frères d'Amérique, tout exige de vous les plus profondes réflexions. Il faut que nous n'adoptions pas, de confiance, des mesures de cette importance. Il faut qu'avant de prendre une décision, chacun des membres de l'Assemblée ait eu lé temps de recueillir les connaissances et les notions nécessaires sur les colonies avant de prononcer; et pour cela dix jours ne me paraissent que dix minutes. Je demande donc que les motions de MM. Guadet et Vergniaud soient ajournées jusqu'après le rapport du comité colonial et que cependant le roi soit invité de suspendre le départ des troupes et l'envoi du décret du 24 septembre dernier, si l'on juge nécessaire d'accompagner ce départ d'une mesure provisoire, parce que rien n'est plus dangereux que les mesures provisoires. (Applaudissements.)

M. Ducos. La discussion du fond de la question serait plus simple que ces discussions d'ajournement, et il serait de meilleure foi de donner tout de suite la parole à ceux qui ont réfléchi

sur cette matière. Je demande donc l'ordre du jour.

M. Tarbé. Ce que propose M. Guadet serait la violation provisoire d'une loi constitutionnelle. Je crois que la proposition de M. Vaublanc n'est pas plus admissible. Il ne vous appartient pas de suspendre le départ des troupes; si vous adoptiez des mesures comme cela, que deviendrait la responsabilité? (Murmures.j

Au roi appartient le soin de prendre toutes les mesures propres à réprimer les désordres dans les départements; si vous le gênez dans l'exercice de ce droit, vous portez atteinte à la prérogative, vous détruisez la responsabilité des mi

nistres.

Le rapport du comité colonial est pour le 10. Il n'est malheureusement que trop vrai que les secours destinés à Saint-Domingue ne pourront partir d'ici au 10 de ce mois. La nouvelle d'une insurrection à Brest, dont nous avons été instruits ce matin au comité colonial, détruit notre espérance de voir partir les secours aussitôt que nous le désirerions. Ainsi, que ce ne soit pas la crainte du départ précipité des troupes qui vous fasse prendre une mesure provisoire qui serait dangereuse ou suspendre le départ des troupes, ce qui serait inconstitutionnel. Je demande que la discussion de la motion de M. Guadet soit ajournée après le rapport du comité colonial.

Un membre: Les députés de Saint-Domingue vous ont bien rendu compte des malheurs de cette ile; ils vous ont même parlé d'un arrêté de l'assemblée générale, en date du 20 septembre; mais ce qu'ils ne vous ont pas dit, c'est que

Borte à cet arrêté, des députés du

sont venus apporter à l'assemblée générale le concordat, et que, le 25 septembre, cette assemblée a pris un nouvel arrêté par lequel elle confirme celui du 20, et déclare qu'elle ne s'opposera pas à l'exécution du décret du 15 mai, quand il lui sera officiellement parvenu. Que veulent donc dire ces députés quand ils s'opposent au maintien provisoire du concordat que l'assemblé générale a elle-même confirmé? Quelle choquante contradiction! Que veut-on, dans ce moment-ci, en envoyant des troupes à Saint-Domingue? Elles vont y exécuter le décret du 24 septembre, c'est-à-dire le signal de la mort.

Je demande donc, en insistant, sur la proposition de M. Vaublanc, que le roi soit invité à suspendre l'envoi des commissaires et le départ des troupes jusqu'à ce que l'Assemblée, suffisamment éclairée, ait pris à cet égard un parti définitif : et je propose, en outre, que l'Assemblée nationale mande à sa barre les députés extraordinaires de Saint-Domingue, à l'effet de les sommer de déposer sur le bureau la délibération du 25 septembre dont ils doivent être porteurs, comme de celle du 20. (Applaudissements.)

M. Vergniaud. Je demande la parole pour présenter un projet de décret.

Lorsqu'une première fois, par respect pour les formes constitutionnelles, vous avez été forcés de différer d'un ou de plusieurs jours le vote des dépenses nécessaires pour les secours destinés à la colonie de Saint-Domingue, on n'a pas manqué de calomnier vos intentions, de vous accuser d'une indifférence coupable, et pour accréditer ces reproches, on a eu l'adresse de l'insérer dans une lettre signée par le roi, et contresignée Bertrand. Si vous prononcez en ce moment la suspension du départ de ces secours réclamés

avec tant de force par des citoyens malheureux, avec quelle énergie et quelle apparence de raison ne répétera-t-on pas ce reproche d'insouciance? (Murmures.)

Je ne dirai pas qu'il serait inconstitutionnel de prononcer cette suspension, comme on la présente; car elle n'est proposée que sous la forme d'une invitation au roi'; mais je dis que la nécessité et l'urgence des secours étant démontrées, toute suspension serait dangereuse. Il faut régler les réquisitions de manière que vos intentions ne soient pas trompées. La motion de M. Guadet a paru effaroucher plusieurs esprits, parce qu'on a confondu le maintien provisoire du concordat avec sa confirmation; c'est-à-dire un provisoire avec une mesure qui préjugerait par le fait la détermination définitive. Je demande à rétablir ma motion, et j'ose croire que personne n'y verra une atteinte au décret du 24 septembre et qu'on y trouvera la base des pouvoirs à accorder aux commissaires et aux troupes. Le voici :

L'Assemblée nationale, considérant qu'aussitôt qu'elle a été instruite des désordres arrivés à Saint-Domingue, elle a décrété qu'une somme de 10 millions serait employée à faire passer dans les colonies les secours dont elle pourrait avoir besoin en troupes de ligne, armes ou instruments; considérant qu'elle s'occupe dans le moment de chercher les causes et les moyens les plus efficaces pour les faire cesser; considérant qu'elle s'est déterminée, dans cette circonstance critique, par les sentiments douloureux qu'ont dù lui inspirer des Français malheureux, et par ceux de fraternité qui uniront toujours la tropole aux colonies; considérant enfin que l'espoir des colons serait déçu, et les intentions de l'Assemblée nationale trompées, si des factieux malveillants parvenaient à diriger l'emploi des forces destinées à secourir Saint-Domingue, de manière à favoriser des actes d'oppression, et préparer ainsi la renaissance des troubles; décrète ce qui suit :

Art. fr. Les troupes de ligne qui sont dans la partie française de Saint-Domingue, celles qui sont embarquées ou qui doivent l'être pour s'y rendre, ne pourront y agir que sur la réquisition des commissaires civils envoyés par le roi.

« Art. 2. Les commissaires civils seront tenus, sous leur responsabilité, de faire toutes les réquisitions nécessaires pour le rétablissement de l'ordre dans les colonies et de la subordination dans les ateliers.

Art. 3. Ils seront tenus également de faire toutes les réquisitions nécessaires pour protéger les réclamations qui seraient faites dans les formes prescrites par les lois pour protéger la liberté des assemblées coloniales, la sûreté de tous les individus, et pour assurer à toutes ces personnes la jouissance de l'état qui leur avait été accordé par les assemblées coloniales, et dont, en conséquence, elles se seraient trouvées en possession à l'arrivée desdits commissaires civils à SaintDomingue.

«Art. 4. Si en usant de la faculté qui leur est laissée par le décret du 24 septembre dernier, les assemblées coloniales faisaient, après l'arrivée des commissaires civils et des troupes de ligne, quelque innovation dans l'état déjà accordé aux personnes, les commissaires civils ne pourront requérir la force armée pour l'exécution des arrêtés qui ordonneraient ces innovations, qu'autant que lesdits arrêtés seront revêtus des formes légales, et notamment de la sanction du roi.

Art. 5. Les commissaires civils sont chargés, au nom de la patrie, d'employer tous les moyens que le civisme, le zèle et le patriotisme pourront leur suggérer, pour pacifier tout, pour ramener la paix, faire régner la justice, et rétablir dans les colonies le calme, avec l'espoir d'un avenir plus heureux.

« Art. 6. Le roi sera prié de presser les assemblées coloniales de toutes les îles françaises, pour qu'elles émettent promptement leur vœu sur la Constitution, qui, en fixant dans leur sein la question sur l'état des personnes de couleur, et assayant leur régime intérieur sur de bonnes bases, les préservera à l'avenir des troubles...

Plusieurs membres : C'est le fond, cela!

M. Vergniaud, continuant la lecture « ... qui les affligent depuis la Révolution, et qui les unira plus que jamais à la métropole.

« Le présent décret sera porté, dans le jour, à la sanction. »

M. Delacroix. L'exemple de ce qui s'est passé sous l'Assemblée constituante, doit nous éclairer sur nos devoirs et nous engager à ne pas nous exposer aux reproches qu'on a pu lui faire. Elle a rendu différents décrets contradictoires, parce qu'elle les rendait sans discussion, et ils ont produit les effets les plus funestes. Nous devons nous préserver de tomber dans cet inconvénient. Je propose à l'Assemblée d'ajourner tous les projets de décret après le rapport du comité colonial, parce qu'alors vous prendrez une mesure définitive, qui assurera, d'une manière précise et invariable, le sort des colons.

Je demande, en outre, que, dès à présent, le roi soit prié de suspendre le départ des troupes, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale ait statué définitivement sur les moyens à prendre pour rétablir l'ordre et la tranquillité dans les colonies. (Applaudissements.)

Plusieurs membres: La discussion fermée!
(L'Assemblée ferme la discussion.)

Piusieurs membres: La priorité sur la motion de M. Delacroix!

(L'Assemblée accorde la priorité à la motion de M. Delacroix.)

Plusieurs membres : La division!

(Après quelques débats, l'Assemblée décrète la division.)

M. le Président. Je mets aux voix la première partie de la motion de M. Delacroix.

M. Vergniaud. Que ceux qui demandent la responsabilité se lèvent.

(L'Assemblée décrète à une grande majorité la première partie de la motion de M. Delacroix et prononce, en conséquence, l'ajournement au 10 décembre de la discussion des projets de décret de MM. Brissot de Warville, Guadet et Vergniaud.)

M. Gérardin. Je demande la question préalable sur la seconde partie de la proposition de M. Delacroix.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

D'autres membres: A l'ordre! à l'ordre! aux voix la suspension du départ!

M. le Président. On demande la question préalable sur la seconde partie de la proposition de M. Delacroix: je vais mettre aux voix la question préalable.

Un grand nombre de membres, interrompant avec violence: Non! non! aux voix la suspension!

M. Gérardin. Je demande à motiver la question préalable.

Les mêmes membres : Vous n'avez pas la parole.

M. Gérardin. Je demande à la motiver. (Non! non!) J'ai résisté à tous les genres de despotisme (Murmures.), et je résisterai encore à celui-ci. (Rires).

M. Garran-de-Coulon. Je demande que M. Gérardin soit entendu, et je demanderai moimême à motiver la question préalable.

(Plusieurs instants se passent au milieu de grandes rumeurs et de vives altercations.)

M. Gérardin et Garran-de-Coulon demandent avec insistance à être entendus.

(L'Assemblée décide qu'ils ne seront pas entendus.)

M. le Président. Je mets aux voix la question préalable.

(L'Assemblée, consultée, rejette la question préalable sur la seconde partie de la proposition de M. Delacroix.) (Vifs applaudissements dans les tribunes.)

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M. Garran-de-Coulon. Je demande par amendement l'ajournement de la seconde partie de la motion de M. Delacroix. Je vous prie de bien considérer que vous allez vous charger d'une reponsabilité effrayante. (Murmures.)

Il est étonnant que les mêmes personnes qui vous ont dit qu'il était dangereux de prendre une résolution précipitée, vous proposent de décider, sans discussion, une pareille question.

Je dis qu'en suspendant l'envoi des troupes, vous allez vous charger d'une responsabilité terrible. Le pouvoir exécutif ne pourra agir; vous n'aurez aucune garantie contre ses agents. Et si les troubles se renouvellent, ce que l'envoi du 24 septembre dernier est très capable de faire, vous n'aurez personne sur qui vous pourrez faire retomber la responsabilité. Vous vous exposez aux reproches que vous feront avec justice les colons et tous les peuples voisins. Dans une circonstance de si haute importance, vous ne pouvez pas vous dispenser de laisser partir les troupes. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour sur la seconde partie de la motion de M. Delacroix, ou qu'elle soit ajournée.

M. Gérardin. La colonie de Saint-Domingue vous demande et des secours et des vivres. Voulez-vous suspendre l'envoi des secours? Pensezvous un instant suspendre l'envoi des vivres? Voulez-vous vous charger de la malédiction des colonies et des villes de commerce? Voulez-vous vous charger de la responsabilité que vous appelez sur l'Assemblée nationale par une mesure aussi profondément impolitique, par une mesure qui, j'ose le dire, ne serait plus soutenue, si elle avait supporté la lumière de la discussion?

J'appuie de toutes mes forces l'ajournement de la question. C'est au pouvoir exécutif à savoir s'il est important ou non de suspendre le départ 1re SERIE. T. XXXV.

des forces destinées à secourir Saint-Domingue. (Murmures.) C'est au ministre à donner des ordres sous sa responsabilité. Mais, ce que je vous demande par dessus tout, pour l'honneur de l'Assemblée (Murmures prolongés.) et pour la tranquillité de l'Etat, c'est de ne pas prendre une décision de cette importance au milieu du tumulte et dans le choc des passions, mais d'ajourner à demain.

M. Lasource. Vous n'attaquez point la Constitution en suspendant l'envoi des troupes. On vous a dit que vous vous chargeriez d'une responsabilité terrible; et moi, je vous dis que vous vous chargez d'une responsabilité bien plus terrible, si vous vous laissez reprocher par l'Europe et par la postérité d'avoir envoyé des assassins pour poignarder des citoyens..... (Murmures prolongés et exclamations.)

Un grand nombre de membres: A l'ordre! à l'ordre! A l'Abbaye !

(Le désordre et les clameurs se prolongent pendant plusieurs minutes. Au milieu du tumulte, on distingue les motions d'ordre de MM. Merlin et Delacroix ayant pour objet d'entendre, préalablement au rappel à l'ordre, les explications de M. Lasource.)

M. Gossuin. Je demande que M. Lasource soit entendu, parce qu'il n'a pas eu sans doute l'intention d'insulter nos braves soldats.

(Le calme se rétablit.)

M. le Président. On propose que M. Lasource soit rappelé à l'ordre. Il demande à s'expliquer; je lui accorde la parole.

M. Lasource. Je demanderais moi-même à être rappelé à l'ordre si j'étais coupable d'une autre inconséquence que d'un vice d'expression et d'une mauvaise construction de phrase; mais je déclare solennellement que j'étais loin de vouloir inculper les braves soldats français qui seront envoyés dans les colonies, et que je n'ai pas voulu dire autre chose, sinon qu'il était à crain dre que si on ne donnait aux chefs des instructions précises, ils devinssent, sans le savoir, des assassins, des instruments aveugles des vengeances d'un parti. (Applaudissements.) Jamais je n'ai voulu attirer un semblable soupçon sur les troupes.....

Un membre: Et sur qui donc, alors?

M. Lasource. C'est sur les intrigants qui sont dans les colonies, et je pourrais m'appuyer de l'expérience du passé pour prouver combien il serait dangereux de mettre les troupes à la disposition de ces hommes qui, ennemis implacables de la Révolution, n'ont peut-être travaillé à la destruction des colonies que pour porter un coup mortel à la Constitution.

M. Delacroix. C'est cela, vous avez raison!

M. Lasource. Maintenant, Messieurs, si l'Assemblée est satisfaite de cette explication, je poursuis mon opinion. On vous a dit encore que vous pouviez peut-être perdre les colonies par le retard qui vous est proposé. Eh bien, je demande maintenant à qui l'on envoie ces troupes? Par qui vous sont-elles réclamées? Par ces mêmes commissaires qui vous ont aujourd'hui présenté une adresse dans laquelle leur perfidie est dévoilée (Applaudissements.), qui réclament contre l'exécution provisoire du concordat, seul moyen d'avoir la tranquillité.

Je m'explique quand M. Guadet a demandé le maintien provisoire du concordat, on s'est ré35

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