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crié contre cette proposition. Hé bien, Messieurs, I je vous le demande, ou ils ont consenti ce concordat de bonne foi, ou ils ne l'ont pas consenti de bonne foi. (Murmures.) S'ils ne l'ont pas consenti de bonne foi, je dis que vous devez vous défier de ceux qui vous demandent des troupes, car ils veulent sans doute exercer des vengeances et tourner ces forces contre les hommes de couleur avec lesquels ils ont fait ce concordat. S'ils l'ont au contraire consenti de bonne foi, pourquoi s'opposent-ils donc à ce que vous le mainteniez provisoirement, lorsqu'il est commandé par l'intérêt de la paix ?

Plusieurs membres : Ce n'est pas la question. M. Lasource. Je dis que la question est de savoir si l'on mettra des troupes sous l'influence des colons, sans leur prescrire une règle de conduite, sans ordonner formellement l'exécution du concordat; je suis dans la question quand je prouve que les sentiments des colons sont suspects; et je ne crains pas d'avancer que l'Assemblée générale, que M. Blanchelande, sont les véritables ennemis de la Constitution. (Quelques applaudissements.)

Je conclus en observant qu'on a dit que les troupes ne pouvaient ni ne devaient partir de suite, et que, par conséquent, il n'y a pas d'inconvénient à suspendre leur départ.

M. Ducos. Je demande l'ajournement de cette question à demain, et j'observe qu'il y aurait de la mauvaise foi de la part de ceux qui demandent la suspension, à s'opposer à un ajournement, qui est une suspension de fait, ou qui du moins n'empêche pas la suspension, car certainement les troupes ne partiront pas demain.

M. Cambon. J'appuie la motion de M. Ducos. M. Rougier-La-Bergerie. Je demande que le départ des troupes, annoncé par les papiers publics comme devant avoir lieu le 15 de ce mois, soit reculé au 20.

M. Delacroix. Je crois qu'avant de faire auprès du roi la démarche qu'on propose, il faudrait s'informer de l'époque présumée du départ des troupes qui sont à Brest; car, s'il est vrai qu'elles ne peuvent pas s'embarquer avant le 15 ou le 20 décembre, c'est-à-dire avant l'époque de votre décret définitif, cette démarche serait iuutile. Si elles doivent partir auparavant, vous ferez l'invitation. J'appuíe donc l'ajournement à demain. (Applaudissements.)

Plusieurs membres prennent encore successivement ou simultanément la parole, pour reproduire les motifs déjà allégués dans les deux opinions.

Plusieurs membres : La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion et ajourne à demain la discussion de la seconde partie de la motion de M. Delacroix.)

M. le Président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères qui l'a demandée.

M. Delessart, ministre des affaires étrangères, ancien ministre de l'intérieur, Monsieur le Président, je viens d'apprendre qu'on a dénoncé à l'Assemblée mes actions et mes principes. J'ose dire qu'il me sera facile de justifier les unes et les autres, et peut-être dois-je me féliciter d'avoir une occasion de les produire au grand jour et de confondre mes détracteurs. Mais j'ai besoin pour cela que les faits articulés soient sous mes yeux; j'attends donc avec impatience que les papiers

publics m'aient fait connaître quelles sont ces inculpations, pour pouvoir y répondre.

Il est un objet cependant sur lequel je m'empresse de me justifier, c'est sur l'article des subsistances. On me reproche de n'y avoir pas donné tous mes soins, peut-être même de m'être livré à une négligence reprochable. J'ose dire, et je ne crains pas d'être démenti ici, qu'il n'y a pas d'efforts, pas de soins, pas de genre de prévoyance que je n'aie employés, soit pour empêcher l'exportation des grains à l'étranger, ce qui est impossible par la nature des choses et par le haut prix où les grains sont montés, soit pour faciliter la circulation à l'intérieur du royaume qui n'est malheureusement que trop interrompue. J'en rendrai compte à l'Assemblée, et comme j'ai eu sur cet objet des rapports assez multipliés avec beaucoup de membres de cette Assemblée, j'ose invoquer ici leur témoignage pour me rendre justice.

Plusieurs membres (Applaudissant): Oui! oui! C'est très vrai !

Plusieurs membres demandent la parole. Voix diverses: L'ordre du jour! La clôture de la séance!

D'autres membres : Non! non! (Vive agitation.) MM. Merlin, Delacroix et plusieurs membres à gauche, observent qu'il y a séance ce soir et qu'il est temps de lever la séance.

M. le Président. Les réclamations contraires qui se font de tous côtés prouvent que l'Assemblée a besoin d'exprimer son vou. Plusieurs membres demandent la parole, d'autres que la séance soit levée; je consulte l'Assemblée."

(L'Assemblée, consultée, décrète que la séance est levée.)

(La séance est levée à quatre heures.)

PREMIÈRE ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU SAMEdi 3 décembre 1791, AU MATIN.

PROCLAMATION du roi relativement à l'arrestation de 4 bateaux chargés de grains, qui a eu lieu à Saint-Omer, le 4 novembre 1791.

Le roi est informé que, malgré les précautions prises par les officiers municipaux de la ville de Saint-Omer pour protéger le passage de 4 bateaux chargés de grains destinés pour les départements du royaume qui manquent de subsistances, et malgré les acquits à caution en bonne forme, visés par lesdits officiers municipaux, dont étaient munis les maîtres ou conducteurs desdits bateaux, le peuple égaré par de fausses alarmes, s'est attroupe, le 4 de ce mois, pour s'opposer au passage desdits bateaux ; qu'en vain les officiers municipaux ont requis la force publique au nom de la loi; qu'il n'a pas été possible de rassembler la garde nationale en nombre suffisant, et que les troupes de ligne prêtes à obéir aux ordres qui leur ont été donnés, n'ont cependant pu être employées, parce que le passage de la rivière s'est trouvé en un moment obstrué par un amas de pierres qui y a été formé par les attroupés, et que les ouvriers commandés pour les ôter ont refusé

formellement d'obéir; que dans cette position, et attendu l'impossibilité de faire partir les 4 bateaux chargés de grains, les officiers municipaux, après avoir fait tout ce que leur zèle pouvait leur commander, ont été forcés de faire rétrograder les 4 bateaux et de les faire placer près du corps de garde pour les mettre sous sa protection à l'abri de toutes voies de fait et violences.

Le roi a appris avec douleur une violation aussi caractérisée de la liberté de la circulation intérieure des grains, et justement alarmé des conséquences fâcheuses qui pourraient en résulter, Sa Majesté ne peut différer d'user de l'autorité que lui donne la Constitution pour assurer, autant qu'il est en elle, l'exécution des lois et la soumission de tous les citoyens aux réquisitions des corps administratifs chargés d'en maintenir l'observation. Sa Majesté veut néanmoins rappeler les lois déjà rendues en faveur de la libre circulation des grains, afin de faire connaître combien l'Assemblée nationale constituante a jugé cette libre circulation nécessaire pour l'intérêt du peuple, puisqu'elle en a fait l'objet d'une attention. particulière et la matière de plusieurs décrets.

Le 29 août 1789, l'Assemblée nationale constituante a décrété « que la vente et circulation des grains et farines seraient libres dans toute l'étendue du royaume, et que ceux qui feraient des transports de grains ou farines par mer seraient assujettis à des déclarations, et à justifier de leur arrivée au lieu de destination, et l'exportation à l'étranger a été défendue. »

Le 18 septembre 1789, l'Assemblée nationale constituante, convaincue « que la sûreté et la sécurité du peuple étaient essentiellement attachées à l'exécution rigoureuse du décret du 29 août précédent, a ordonné que toute opposition à la vente et libre circulation des grains dans l'intérieur du royaume serait considérée comme un attentat contre la sûreté et la sécurité du peuple, et que ceux qui s'en rendraient coupables seraient poursuivis extraordinairement comme perturbateurs du repos public. »

Le 2 juin 1790, l'Assemblée nationale constituante, informée que par des excès commis dans plusieurs départements, la liberté si nécessaire, est-il dit, de la vente et circulation des grains avait été attaquée, et que ces excès, s'ils n'étaient réprimés, amèneraient promptement la famine, a déclaré ennemis de la Constitution, de l'Assemblée nationale, de la nation et du roi, tous ceux qui excitent le peuple à des voies de fait et à des violences contre la liberté de vente et de circulation des denrées et subsistances. Elle met sous la protection et sauvegarde de la loi, de la Constitution, de l'Assemblée nationale et du roi, tous les citoyens, les laboureurs, fermiers et métayers, les commerçants et marchands de grains et subsistances. Elle ordonne que les contrevenants seront reconnus et dénoncés par les honnêtes gens, comme ennemis de la Constitution et des travaux de l'Assemblée nationale, de la nation et du roi. Elle ordonne en même temps aux gardes nationales, qui sont les citoyens actifs eux-mêmes, et aux troupes de ligne, de déférer sans délai à toutes les réquisitions qui leur seront faites par les corps administratifs et municipaux.

Le 7 décembre 1790, l'Assemblée nationale constituante a ordonné, sur la pétition du conseil général du département du Pas-de-Calais, que la loi du 29 août 1789, et les articles 3 et 4 de celle du 18 septembre suivant, sur la libre circulation intérieure seraient exécutés dans les 10 lieues

frontières pour les transports de grains par les canaux et rivières, lorsque les chargements excéderaient 30 quintaux, et que de quelques lieux que les grains fussent partis, les acquits à caution seraient pris ou visés dans les municipalités de la route des 10 lieues frontières.

Enfin, le 26 septembre dernier, l'Assemblée nationale constituante, convaincue de la nécessité de réprimer efficacement toute atteinte qui pourrait être portée à la libre circulation des grains, et d'en punir les auteurs, a rendu graduellement responsables de la valeur des grains les départements, les districts et les municipalités où il se serait commis quelque violation à la loi de la libre circulation, de manière que cette responsabilité pût retomber en définitive sur les auteurs de la violation et du désordre.

L'Assemblée nationale constituante ne s'est pas contentée d'ordonner aussi formellement la libre circulation; l'exacte et scrupuleuse obéissance aux lois déjà rendues sur cette matière, lui a paru si nécessaire et d'une si haute importance, qu'elle a voulu en faire un article particulier du serment de la fédération. Et c'est au nom de toutes les gardes nationales du royaume que leurs députés à la fédération générale ont juré, le 14 juillet 1790, d'être à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale, et acceptée par le roi; de protéger la súreté des personnes et des propriétés et la circulation des grains et des subsistances dans l'intérieur du royaume.

Comment la promulgation de lois aussi positives n'a-t-elle pas encore prémuni le peuple contre de fausses alarmes? Comment l'évidence des principes sur lesquels ces lois sont fondées n'a-t-elle pas éclairé sa raison ? Comment continue-t-il à se livrer à des soupçons injustes, à des mouvements si peu réfléchis, à une désobéissance si répréhensible et en même temps si contraire à ses véritables intérêts? Comment refuse-t-il sa confiance aux administrateurs qu'il a lui-même choisis, lorsqu'ils ne lui parlent qu'au nom de la loi, lorsqu'en voulant la faire exécuter ils remplissent un devoir qu'ils ne pourraient négliger sans se rendre coupables, sans trahir leur serment, sans mettre la Constitution même en danger, puisque c'est par la soumission seule aux lois qu'elle peut être inébranlable. Les citoyens qui se sont inscrits dans la garde nationale ont-ils donc oublié qu'ils ont été armés pour assurer l'exécution des fois ? que leur premier devoir est d'obéir aux réquisitions qui leur sont faites par les corps administratifs, sous leur responsabilité, et que cette responsabilité retombe tout entière sur leur propre honneur, lorsqu'ils trompent ainsi la confiance que les administrateurs doivent avoir dans leur attachement pour la Constitution, et dans leur zèle à se dévouer pour assurer l'exécution des lois.

Le roi, dans toutes les occasions où il a été donné des atteintes particulières à la libre circulation des grains, a donné les ordres les plus précis pour les faire cesser. Sa Majesté a cherché à multiplier les instructions sur ce sujet de tant de fausses opinions, de tant d'inquiétudes mal fondées, et c'est par une suite de ce sentiment de bonté qui la porte toujours à ne voir que des citoyens trompés par leurs propres craintes sur leurs besoins, plutôt que des hommes d'une désobéissance réfléchie à la loi, qu'elle veut encore aujourd'hui essayer de les faire revenir de leur

erreur avant de les livrer à la poursuite des tribunaux.

Le roi répète à tous enfin, qu'en même temps qu'il s'efforce de maintenir, conformément aux lois, la libre circulation intérieure, il a fait donner les ordres les plus précis sur toutes les frontières, pour empêcher qu'il ne se fasse aucune exportation à l'étranger. La même surveillance a été recommandée dans tous les ports et sur toutes les côtes. La formalité des acquits à caution sous laquelle il est permis, par la loi du 29 août 1789 et par celle du 7 décembre 1790, de faire des transports de grains par mer et par les canaux et rivières pour les autres ports du royaume, est exigée et observée avec la plus grande exactitude. Il ne peut donc y avoir aucune inquiétude raisonnable sur les expéditions des grains qui se font par les ports et par les rivières ou canaux navigables, puisque les acquits à caution garantissent que ces expéditions n'ont et ne peuvent avoir aucune destination étrangère. Ces explications claires et précises ne laissent plus de prétexte à la résistance. La justice, la raison, l'intérêt même bien entendu du peuple, lui font maintenant un devoir de ne plus apporter d'obstacles au libre passage des grains; car il ne peut plus ignorer qu'ils sont destinés à secourir les départements du royaume, qui, ayant eu le malheur d'éprouver une grande dísette, ne peuvent se procurer de subsistances qu'en faisant faire pour leur compte des achats dans les départements, dont le produit des récoltes est supérieur à la consommation. Ceux qui ont été favorisés cette année par une abondante récolte, ne doiventils pas prévoir qu'ils peuvent éprouver à leur tour le malheur qui afflige aujourd'hui quelques parties du royaume? Ne doivent-ils pas craindre que s'ils refusent de secourir du superflu de leurs besoins leurs concitoyens, leurs frères, ils ne soient exposés aux mêmes obstacles, sans avoir le droit de réclamer une réciprocité à laquelle ils se seraient imprudemment refusés.

Le roi, après avoir ainsi fait tout ce qui est en son pouvoir pour dissiper les inquiétudes du peuple, veut en même temps pourvoir, par tous les moyens que la Constitution lui donne, à ce que la loi soit observée et exécutée par tous; mais c'est à regret que Sa Majesté se verrait forcée de provoquer la sévérité de la justice contre ceux qui continueraient à opposer une résistance coupable à la libre circulation des grains dans l'intérieur du royaume.

En conséquence, le roi ordonne que les lois précédemment rendues et qui ordonnent la libre circulation des grains dans l'intérieur du royaume seront exécutées selon leurs forme et teneur; ordonne Sa Majesté aux officiers municipaux de la ville de Saint-Omer de faire cesser sans délai les obstacles qui ont empêché jusqu'ici le libre passage des quatre bateaux chargés de grains arrêtes à Saint-Omer le 4 de ce mois et dont les maîtres ou conducteurs étaient munis d'acquits à caution en bonne forme et visés par la municipalité. Enjoint Sa Majesté auxdits officiers municipaux de requérir au besoin la force publique; aux gardes nationales, à la gendarmerie nationale et aux troupes de ligne d'obéir aux réquisitions qui pourraient leur être faites, à peine de demeurer responsables des consequences qui pourraient résulter de leur refus de prêter assistance à la loi. Ordonne Sa Majesté que la responsabilité graduelle établie par le décret du 26 septembre pour garantir aux propriétaires la valeur de leurs denrées, sera exercée conformément au

dit décret contre ceux qui encourraient la peine de ladite responsabilité. Ordonne que ceux qui s'opposeraient encore au libre passage desdits bateaux, seront dénoncés aux tribunaux et poursuivis conformément à la loi. Ordonne, en outre, Sa Majesté que la présente proclamation sera lue, publiée et affichée dans la ville de Saint-Omer, qu'elle sera également publiée et affichée partout où besoin sera.

Fait au conseil d'Etat tenu à Paris le 13 novembre 1791. Signé : LOUIS. Et plus bas : DELES

SART.

DEUXIÈME ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU SAMEdi 3 décembre 1791, AU MATIN.

OPINION de M. Jean-François Michon-Dumaret, député du département de Rhône-etLoire (1), sur le projet de décret de M. Brissot, concernant les TROUBLES DES COLONIES (2).

Inscrit des derniers pour parler sur les colonies, je n'ai pas l'espoir de pouvoir développer à la tribune mes idées sur les grandes questions que fera naître, sans doute, le rapport du comité colonial; je prends donc le parti de les exposer au public, et de réfuter par la voie de l'impression, trois des principales questions de M. Brissot. Les talents et l'influence du membre qui présente une opinion, rendent plus impérieux le devoir de la combattre à tous ceux de ses collègues qui la croient erronée.

Quand l'origine des désordres qui viennent d'anéantir une partie de la colonie de Saint-Domingue serait aussi connue que leurs funestes résultats, on serait sans doute embarrassé de déterminer les formes d'après lesquelles on devrait poursuivre et faire punir d'aussi énormes attentats; mais lorsque ces crimes restent encore cachés sous un voile épais; lorsque des imputations mutuelles, vagues, dénuées non seulement de preuves, non seulement de probabilités, mais la plupart de vraisemblance, quel a été mon étonnement de voir un membre de l'Assemblée nationale proposer froidement de déclarer qu'il y avait lieu à accusation contre les premières victimes de l'incendie que nous devons chercher à éteindre! Si la justice avait jamais besoin des ressorts de la sensibilité, cette douce émotion de l'âme aurait dans cette circonstance pu lui fournir des armes bien puissantes pour appuyer ses droits; mais on ne doit chercher à toucher que ceux qu'on ne peut convaincre, et l'éloquence devrait être bannie du temple des lois.

Pour assurer, il faut un commencement de preuves; mais, regardera-t-on comme tel, les insinuations de la théorie systématique de M. Brissot? Regardera-t-on comme un commencement de preuves, des récriminations peut-être justes, mais qui ne sont encore appuyées d'aucun fait certain? Regardera-t-on comme un commencement de preuves l'embargo mis sur tous les na

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, Colonies D.

(2) Voy. ci-dessus ce projet de décret, même séance, page 341.

vires, dans un instant où l'on avait un si pressant besoin de tous leurs secours, dans un instant où l'excès du danger pouvait conseiller des mesures imprudentes, mais que cet excès même justifiait? Enfin, regardera-t-on comme un commencement de preuves, l'aviso envoyé à la Jamaïque, avant d'en avoir dépêché un en France? Mais, dans un péril imminent, on s'adresse à son voisin le plus proche, fùt-il notre ennemi, parce qu'on attend de son humanité les plus prompts secours. On impute, il est vrai, des arrestations illégales à l'assemblée coloniale; mais d'abord a-t-on examiné si ces emprisonnements étaient en effet illégaux? D'ailleurs, s'il est des circonstances où la nécessité ne permet pas de recourir à la lenteur des formes de la loi, la situation où se trouvait Saint-Domingue n'en est-elle pas une des plus pressantes? La municipalité de Quimper n'a-t-elle pas obtenu des applaudissements pour avoir arrêté, quoique illégalement, le sieur Tardi? La sûreté publique sera toujours la première des lois. Enfin, c'est à l'occasion de la révolte des nègres, qu'on propose d'accuser les colons: ceuxci chargent à leur tour les amis des noirs, d'avoir provoqué cette insurrection. Eh bien, ce qui est le plus probable, c'est que ni les uns, ni les autres ne méritent de telles imputations. Lorsque les Français, dans leurs sublime sefforts, brisèrent en un instant des fers rivés avec art pendant 1,200 ans, fit-on un crime à des écrivains philosophes d'avoir révélé aux nations, leurs forces et leurs droits? La vérité peut bien quelquefois être impolitique, mais elle n'est criminelle qu'à la cour des tyrans ; là, elle se cache sous le voile le plus épais; elle peut se montrer toute nue aux regards d'un peuple libre. Il est bien plus naturel de penser que le sentiment de la liberté, qui peut sommeiller, mais qui vit toujours dans le cœur du plus vil esclave, s'est réveillé avec énergie dans l'âme de quelques nègres fiers et courageux; qui ont communiqué ce sentiment à leurs compagnons d'infortune; et que l'étincelle, sortie du cerveau qui, quoique sous une toison de nègre, est capable de fortes conceptions, a électrisé tous ceux qui ont brisé leurs chaines.

Mais supposons un instant les colons coupables. D'après quelles lois les jugera-t-on ? Quel sera le tribunal compétent pour reconnaître leurs crimes et en prononcer le châtiment ? lls ne sont encore gouvernés que par leur ancien code, qui peut suffire pour les défits ordinaires : mais dans un temps de révolution (et ils sont encore dans ce temps, leur Constitution n'étant point faite), doit-on juger des crimes de haute trahison d'après les lois rédigées par le despotisme? S'il en était ainsi, ceux à qui la patrie doit des autels auraient pu périr sur un échafaud. Serait-ce à la haute cour nationale qu'ils devraient être renvoyés ? mais ils n'ont point fourni, mais ils ne doivent jamais fournir aucun membre au tribunal de cassation: ils n'ont pas de jurés et certes si un tribunal est compétent à leur égard, c'est celui à l'établissement, à la composition duquel ils n'ont pas concouru.

M. Brissot propose ensuite d'envoyer dans les colonies des commissaires civils choisis par le Corps législatif : mais, ou ces commissaires ne seront revêtus d'aucun pouvoir, ou ils auront celui de faire exécuter des lois. Dans le premier cas quel peut être l'utilité de cette mission ? Dans le second cas, le Corps législatif pourrait-il déléguer des fonctions essentiellement séparées des siennes, et empiéter de la sorte sur le pouvoir auquel la Constitution a confié expressé

ment l'exécution des lois? Un principe généralement reconnu, est que nul ne peut déléguer un droit qu'il n'a ni ne peut avoir. D'ailleurs quelles seraient les lois que feraient exécuter les commissaires? Mes réflexions sur la troisième proposition de M. Brissot démontreront peut-être combien serait difficile la désignation de celles dont on leur confierait l'exécution.

La quatrième proposition de M. Brissot est bien plus spécieuse, et la bonté des motifs dont il se sert pour l'appuyer, ne saurait être révoquée en doute. Le concordat, dont tous les principes découlent de la nature et de la justice, proposé et exécuté solennellement entre des hommes égaux en droits, doit réunir de plus l'avantage d'étouffer toutes les semences de haine et de discorde entre des colons divisés par l'orgueil, mais unis par le même intérêt, d'une couleur différente, mais souvent d'un même sang. Certes, je regarderai comme un des beaux jours de la législature, celui où les colons viendront proposer une loi que demandent impérieusement l'humanité, la raison, l'égalité et leurs intérêts; un cri universel de joie fera retentir les voûtes de la salle; les suffrages unanimes des représentants de la France l'approuveront au milieu des applaudissements de tous les amis de l'huma

nité.

Mais pour faire une loi, il ne suffit pas qu'elle soit juste, qu'elle soit sage; il faut encore en avoir le droit. Examinons donc quel est celui que l'Assemblée législative peut exercer à l'égard des colonies.

L'Assemblée constituante, dépositaire de tous les pouvoirs de la nation, composée des représentants de tout l'Empire français, avait le droit d'établir une Constitution pour l'intégrité de ce même Empire. Des considérations politiques, solidement appuyées sur les différences de sol, de culture, de climat, de mœurs, d'habitudes, de relations, la déterminèrent à ne pas comprendre les colonies dans la Constitution française. Il ne s'agit point ici d'examiner si les inconvénients qui résultaient des diversités dont j'ai parlé sont balancés par ceux que peuvent faire naître deux Constitutions dans le même Empire. Le fait est qu'elle l'a ainsi décidé, et qu'il n'appartient pas à l'Assemblée nationale seule de changer cette décision. Je n'ai pas même besoin d'examiner si le décret du 24 septembre est constitutionnel ou non, et s'il est possible, comme on l'a avancé dans la tribune, qu'un décret soit constitutionnel pour le peuple dont il doit faire la règle et ne le soit pas pour le corps qui fait les lois. Cette maxime serait bonne dans la bouche des despotes, qui croient bien que leurs sujets devaient obéir à leurs lois, mais qui n'entendaient pas y être eux-mêmes soumis. Il serait cependant facile de prouver que l'Assemblée constituante, en déclarant, le 3 septembre, qu'elle ne pouvait plus rien changer à la Constitution française, qui se trouvait terminée, n'entendait pas se démettre du pouvoir de donner aux colonies une Constitution dont les premières bases n'étaient pas encore posées.

Mais quand le décret du 24 septembre ne serait pas constitutionnel, l'Assemblée nationale actuelle a-t-elle le droit de substituer spontanément le concordat à ce décret ?

Elle ne peut tenir le droit de donner des lois aux colonies que des colons eux-mêmes, ou de l'Assemblée constituante. A quel autre titre, « les lois étant l'expression de la volonté générale, et tous les citoyens ayant droit de concourir per

sonnellement ou par leurs représentants à leur formation », à quel autre titre, dis-je, un corps qui n'a dans son sein aucun représentant des colonies pourrait-il s'investir de la puissance de leur dicter des lois? De ce défaut de représentants des colonies dans l'Assemblée nationale actuelle, il résulte qu'elle ne peut user que d'un pouvoir émané de l'Assemblée constituante; mais alors l'exercice de ce pouvoir est restreint à la latitude qu'elle a tracée, aux formes qu'elle a prescrites. Elle a déclaré que l'initiative des lois coloniales appartenait à nos colonies. Voyons si le concordat peut être considéré comme une initiative.

Encore une fois, je répète que mon vœu le plus ardent est de voir présenter ce concordat comme la première pierre sur laquelle doit être assise la Constitution. Je déclare même que je ne donnerai mon assentiment à aucune disposition qui pourrait contrarier les principes d'égalité, de justice, qui devraient former toujours le nœud social.

Comme la loi, l'initiative ne peut être que l'expression de la volonté générale, légalement recueillie, et présentée officiellement au corps ou à l'individu qui doit lui donner la sanction. Le concordat ne réunit point ces caractères essentiels; c'est une transaction passée entre des particuliers sans convocation, sans délibération préliminaire, qui ne peut obliger que ceux qui l'ont souscrite, bien différente en cela de la loi, qui soumet à ses dispositions ceux qui n'ont pas voulu ou qui n'ont pas pu assister à la délibération, et la minorité même, qui n'y a pas consenti. De plus, le concordat vous est parvenu par l'organe de M. Blanchelande, qui, en fait de législation, n'est point ni ne peut être l'intermédiaire ou l'agent des colonies. Il n'est donc pas possible que vous puissiez regarder le concordat comme une initiative, et que sous ce titre il puisse être soumis à votre délibération.

D'ailleurs, je ne doute pas que les colons blancs, instruits par l'expérience et le malheur, pénétrés de la reconnaissance qu'ils doivent aux hommes de couleur, et de la sainteté d'un engagement très solennel, trop récent pour être déjà oublié, ne fassent enfin taire les préjugés et l'orgueil, pour écouter la voix de la raison et de la vérité. Mais, comme il serait imprudent d'attendre que les sentiments qui les animeront au jour de leur délivrance, puissent se refroidir, ils devraient être invités à présenter, dans le plus bref délai, les bases de leur Constitution. Il serait monstrueux que plus longtemps, dans le même Empire, une partie des citoyens eût une Constitution, pendant que l'autre en serait privée.

Je ne peux qu'applaudir à la quatrième disposition du projet de M. Brissot; et en la considérant sous les rapports commerciaux sur lesquels nous pouvons dès à présent statuer, je pense comme lui que les habitations situées aux colonies doivent être assujetties aux mêmes hypothèques et aux mêmes saisies que les biens situés en France.

Je conclus donc en demandant la question préalable sur les trois premières dispositions de M. Brissot, ainsi que sur les articles qui y ont rapport, et le renvoi de la quatrième aux comités de législation et des colonies.

TROISIÈME ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU SAMEDI 3 DÉCEMBRE 1791, AU

MATIN.

LETTRE de M. Belle, député d'Indre-et-Loire, insérée au numéro 68 du Journal des Débats et des Décrets, et relative à la dénonciation de M. l'abbé Fauchet contre M. Delessart, ministre de l'intérieur (1).

Paris, le 6 décembre 1791.

« Je viens, Messieurs, de recevoir avec la 16° livraison du procès-verbal un exemplaire du discours prononcé le 3 de ce mois par M. l'abbé Fauchet, contenant la dénonciation contre M. Delessart, ministre. Je m'étonne d'abord d'avoir trouvé ce discours joint au procès-verbal de l'Assemblée, lequel, ce me semble, ne devrait être accompagné que de pièces avouées par l'Assemblée elle-même.

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Quoi qu'il en soit, je me demande pourquoi je n'ai pas retrouvé dans ce discours les passages les plus remarquables de celui prononcé à la tribune; ou plutôt pourquoi je les ai trouvés travestis et déguisés. En effet, Messieurs, suivant ce discours prononcé à la tribune, et extrait fidèlement dans votre numéro 64: « Les subsistances, « les comestibles de toute espèce s'écoulent par tous les ports et par toutes les frontières du royaume, le ministre s'est rendu le protecteur de tous les « ennemis de la chose publique. De là l'orateur semble induire que ces approvisionnements sont pour nos ennemis du dehors.

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Suivant le discours imprimé : « Les grains, « les farines, jusqu'aux moindres graines comes"tibles s'écoulent par les côtes du royaume, par « les frontières, sans arriver aux départements méridionaux qui en manquent. » Ici l'orateur flagorne les députés des départements méridionaux, justement indignés contre lui, pour avoir, à la tribune, fait un crime de haute trahison au ministre de ce que celui-ci laissait s'écouler par les ports des subsistances destinées en effet pour l'approvisionnement de leurs départements, mais arrêtées par le peuple.

"

«Suivant votre version, toujours fidèle, Messieurs, ce ministre évangélique prétend que: « tous a les morts enterrés à Avignon sont des victimes immolées par Delessart. Je voudrais, dit-il, que aces ombres indignées s'attachassent éternellement « à ses pas; que toujours présentes à ses yeux elles le poursuivissent partout; que le remords ron« geur dévorât ses entrailles. Oui, Messieurs, qu'il a vive, mais que ce soit pour respirer, dans la glacière d'Avignon, l'odeur infecte des cadavres san a glants, qui n'ont été privés de la lumière que par « sa férocité.

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Mais cette imprécation, féroce elle-même, et qui a soulevé l'Assemblée, se trouve infiniment adoucie dans le discours imprimé. L'orateur voudrait seulement que : « l'imagination du ministre,

longtemps tourmentée de remords, contemplat " cette caverne infecte où ils (les morts d'Avignon) sont engloutis. »

Ainsi, lorsque la France retentit du frémissement qu'a produit, dans l'Assemblée, la déclamation furibonde de M. Fauchet, cet évêque la

(1) Voir la dénonciation de M. Fauchet, ci-dessus, page 530.

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