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sements dans les tribunes.) Je demande, en outre, que les scellés soient apposés sur leurs papiers.

M. Jaucourt. Je ne m'oppose pas à l'amendement de M. Delacroix. Plus on mettra de précipitation dans l'envoi du courrier, plus on assurera la tranquillité publique et plus j'approuverai les mesures prises; mais je dis que c'est trop témérairement juger le patriotisme d'un régiment qui, dans aucune circonstance, n'a donné lieu de présumer... (Murmures.)

Un membre: Monsieur le Président, c'est indiscret.

M. le Président. Je réclame pour Monsieur la liberté des opinions.

M. Jaucourt... qui, dans aucune occasion, n'a jamais pu inspirer de doute sur ses sentiments. Je l'avouerai franchement; je n'attache pas une grande importance à ce qui a été dit par M. Delacroix relativement à ce régiment. Mais il est nécessaire que, dans toutes les circonstances où l'on parait douter du patriotisme des troupes de ligne et des dragons dont j'ai l'honneur de commander un régiment, il y ait quelqu'un dans l'Assemblée qui ait le courage de déclarer que si, dans tous les régiments, il existe des aristocrates, il existe aussi, dans tous, des officiers patriotes toujours portés à défendre l'intérêt public, toujours veillant sur la conduite des officiers aristocrates, toujours courageux pour maintenir le patriotisme trop effervescent des troupes, toujours prêts à faire respecter leur grade, par cela seul qu'ils sont officiers, et que la subordination est nécessaire. Il faut que l'on sache encore que s'il y avait le moindre doute, la moindre inquiétude sur le salut de la chose publique, ces officiers seraient les premiers à s'emparer de ceux de leurs camarades d'armes dont la conduite serait coupable et seraient sùrs d'être soutenus par tous les dragons ou soldats qu'ils commandent. (Vifs applaudissements.)

M. Delacroix. M. Jaucourt a mal compris ou a fait semblant de ne pas comprendre ce que j'avais dit. Ce n'est pas le patriotisme des dragons que j'ai voulu inculper, mais celui de leurs officiers. J'ai dit qu'il fallait éviter tout inconvénient qui pourrait s'opposer à ce qu'on s'assurât de la personne de ce lieutenant-colonel. Et certes ce n'est pas la première fois que des commandants de régiment ont abusé de leur autorité pour soustraire à la loi des officiers arrêtés en vertu de décrets de prise de corps. Il serait donc à craindre qu'un officier supérieur ne trouvât, non pas dans la totalité des dragons, mais dans un assez grand nombre...

Plusieurs membres : C'est mauvais, Monsieur Delacroix, c'est mauvais; taisez-vous !

M. Delacroix. Oui, Messieurs; oui, Messieurs, c'est pour répondre à M. Jaucourt. Je connais le patriotisme comme lui; et malheureusement je sais que le nombre des officiers patriotes est très petit. Je n'ai voulu parler que des officiers, quand j'ai témoigné des craintes de mouvement. (Murmures prolongés. Le bruit couvre la voix de l'orateur.)

Plusieurs membres : La discussion fermée sur l'amendement de M. Delacroix!

(L'Assemblée ferme la discussion sur l'amendement de M. Delacroix.)

Un membre: Je demande l'ajournement du décret d'accusation. (Murmures.)

(Cette motion, qui n'est pas appuyée, n'a pas de suite.)

Plusieurs membres demandent une seconde lecture des procès-verbaux.

D'autres membres : La question préalable! (L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la motion de relire les procèsverbaux.)

M. le Président consulte successivement l'Assemblée sur les diverses motions qui ont été faites.

(L'Assemblée porte le décret d'accusation contre les sieurs Malvoisin, Gauthier et Marc fils, sauf rédaction et désignation; ordonne que le pouvoir exécutif sera chargé d'envoyer ce décret sur-lechamp à Toul, par un courrier extraordinaire, que les scellés seront apposés sur les papiers des accusés et qu'ils seront conduits à l'instant et séparément dans les prisons d'Orléans.)

Un membre: Je demande que les accusés soient tenus au secret jusqu'après leur interrogatoire.

Un membre: Je demande la question préalable sur cette motion, en la motivant sur la disposition de la loi qui ordonne précisément de tenir les accusés au secret jusqu'après leur interrogatoire.

(L'Assemblée adopte la question préalable ainsi motivée.)

M. le Président. Je rappelle à l'Assemblée le deuxième amendement de M. Gouvion tendant à ce que les corps administratifs, les municipalités et gardes nationales soient chargés de surveiller les enrôlements et machinations qui se trament contre la sûreté publique dans l'intérieur du royaume.

M. Aubert-Dubayet. J'observe à l'Assemblée qu'il existe déjà une loi qui défend que les enròlements soient faits par des hommes qui n'auraient point un caractère légal pour cet objet.

M. Gérardin. Je demande le renvoi au comité de législation pour en faire le rapport demain et nous présenter un projet de décrét à cet égard.

(L'Assemblée renvoie la motion de M. Gouvion au comité de législation pour faire le rapport demain.)

M. Dumas. Je demande que les membres du comité de législation se retirent à l'instant dans leur comité pour rédiger le décret d'accusation.

Un membre: Il serait plus simple d'ordonner que les secrétaires s'occuperont sur-le-champ de la rédaction de ce décret.

(L'Assemblée, consultée, adopte cette dernière motion.) (Voir la rédaction du décret, ci-après p. 567.)

M. Carez. Je demande qu'il soit fait mention honorable au procès-verbal de la conduite sage et patriotique de la municipalité et du conseil général de la commune de Toul.

(L'Assemblée, consultée, décrète cette motion.) Un membre: J'observe qu'il ne faut point perdre de temps, parce que M. de La Galissonnière enverrait un courrier à l'un des accusés, son allié, et rendrait ainsi les mesures de l'Assemblée inutiles. M. Lacombe-Saint-Michel se plaint du tumulte dans lequel l'Assemblée délibère.

M. le Président. C'est une réflexion que je fais bien souvent.

M. Albitte. J'observe à l'Assemblée qu'il serait grand temps que le comité de législation nous fit son rapport sur l'affaire de Caen, qui concerne

cependant quatre-vingt-quatre accusés de la plus haute espèce.

M. Guyton-Morveau. Je demande aussi que M. Noireau, actuellement détenu dans les prisons de Dijon, soit transféré dans celles d'Orléans. Voici, en effet, une lettre du procureur général syndic du département, qui me témoigne ses inquiétudes sur la garde de ce prisonnier, quoiqu'il ait eu la précaution de mettre à la porte de sa chambre des gardes nationales sur le zèle desquels il peut compter; mais il me marque que les prisons sont environnées de gens suspects, que même elles en contiennent et qu'il est véritablement inquiet.

M. Lacombe-Saint-Michel. Je demande que tous ceux contre qui l'Assemblée nationale portera un décret d'accusation soient transférés sans délai dans la prison d'Orléans dès qu'ils

seront arrêtés.

(L'Assemblée décrète la motion de M. LacombeSaint-Michel.)

Un de MM. les Secrétaires donne lecture d'une pétition du sieur Gauthier, aubergiste à Stenay, qui a pour objet de demander une loi interprétative des décrets de l'Assemblée nationale constituante, des 27 et 29 mai 1791, relative aux fermes et régies.

(L'Assemblée renvoie cette pétition au comité de commerce.)

M. le Président. L'ordre du jour appelle le rapport du plan d'organisation des comités des finances et la discussion de la motion relative à l'invitation à faire au roi de suspendre le départ des troupes pour les colonies; mais j'observe que la séance du dimanche est consacrée à entendre les pétitionnaires et qu'ils sont aujourd'hui en très grand nombre.

Plusieurs membres : La priorité pour l'admission des pétitionnaires.

(L'Assemblée, consultée, décrète que les pétitionnaires seront admis.)

Plusieurs membres demandent qu'il soit fixé une séance extraordinaire, ce soir, pour entendre les différents rapports.

D'autres membres demandent que cette séance extraordinaire soit fixée à demain soir.

(L'Assemblée décrète qu'il y aura demain soir une séance extraordinaire.)

Les 15 commissaires du Bureau de la comptabilité sont admis à la barre. Ils présentent le plan (1) de leur organisation et le tableau général de l'état actuel de la comptabilité ancienne et nouvelle ils protestent de leur patriotisme, et assurent qu'ils ne croiront pas avoir rempli toutes les obligations qui leur sont imposées, tant que la patrie aura encore quelque chose à exiger d'eux.

M. le Président s'adressant aux commissaires de la comptabilité. L'Assemblée nationale reçoit votre hommage, et s'occupera sans retard des plans que vous lui soumettez. Elle compte sur votre zèle, votre pénétration, votre inflexible probité. Telle est l'importance de vos fonctions que vous ne pouvez être vertueux ni coupables à demi. Secondez par votre infatigable vigilance les intentions de l'Assemblée nationale, car le plus cher de ses devoirs, la plus ferme de ses volontés est de connaître tout l'emploi des deniers

(1) Voir ci-après, aux annexes de la séance, p. 572, le plan d'organisation du Bureau de la comptabilité.

de l'Etat, d'épargner les tributs du peuple, et de donner enfin un cours régulier à ces fleuves salutaires, si longtemps égarés dans des marais fangeux, ou abreuvant des plantes vénéneuses. L'Assemblée vous accorde les honneurs de la séance. (Vifs applaudissements.)

Plusieurs membres demandent successivement l'impression du discours des commissaires, de la réponse de M. le Président et des mémoires et tableaux présentés par les commissaires du Bureau de la comptabilité.

(L'Assemblée décrète successivement ces différentes motions; puis renvoie les mémoires au comité de l'examen des comptes.)

M. Ducamp, ancien officier, est admis à la barre. Il se plaint de ce que le colonel du régiment de Royal-Touraine lui a ôté sa place de capitaine de ce régiment en écrivant au ministre de la guerre que le pétitionnaire avait donné sa démission; il demande qu'aux termes du décret du 12 septembre il soit réintégré dans le grade qu'il devrait avoir suivant son ancienneté de service, et, en outre, la décoration militaire.

M. le Président s'adressant au pétitionnaire. Les vieux militaires qui ont droit, par les blessures dont ils sont couverts, à l'estime et à la reconnaissance publiques doivent attendre une prompte justice de l'Assemblée, lorsque surtout il portent à côté de ces nobles blessures les cicatrices du pouvoir arbitraire. Elle prendra votre pétition en considération et vous invite à assister à sa séance.

(L'Assemblée renvoie la pétition de M. Ducamp au comité militaire.)

Un de MM. les secrétaires présente, dans les termes suivants, la rédaction du décret d'accusation rendu contre les sieurs Malvoisin, Gauthier et Marc.

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture des procès-verbaux de la municipalité de Toul, département de la Meurthe, en date des 25, 26 et 27 novembre, et de l'arrêté du conseil général de la commune, en date du même jour 27 novembre dernier,

« Décrète qu'il y a lieu à accusation contre Charles-François Malvoisin, lieutenant-colonel, commandant le 13° régiment de dragons; NicolasFrançois-Xavier Gauthier, ci-devant garde du corps du roi; et Charles-François Marc, fils mineur de Clément Marc, ci-devant chantre de l'église collégiale de Toul, comme prévenus d'attentats à la sûreté de l'Etat, d'enrôlements et de complots en faveur des ennemis de l'Etat.

Décrète que le pouvoir exécutif sera chargé d'envoyer le présent décret à Toul, sur-le-champ et par un courrier extraordinaire; que les accusés, aussitôt après leur arrestation, seront transférés séparément dans les prisons de la ville d'Orléans, et que les scellés seront apposés sur leurs papiers. >>>

(L'Assemblée adopte cette rédaction.)

M. le Président. Messieurs, le roi vient de me faire dire qu'il recevra à trois heures la députation chargée de lui porter ce décret.

L'ordre du jour, qui est l'admission de plusieurs pétitionnaires à la barre, est repris.

M. Chéron-La-Bruyère. Je demande que les pétitionnaires ne puissent lire que leurs conclusions. (Murmures.)

(Cette motion n'a pas de suite.)

MM. Viaud et Masson, députés par les habitants de l'ile de Noirmoutier, sont introduits à la barre.

M. Masson, ayant obtenu la parole, s'exprime ainsi :

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Messieurs, si sous l'ancien gouvernement, si dans les crises diverses qui l'ont agité; si, enfin, dans l'état délabré des finances de cet Empire, qu'on a vu réduites aux derniers expédients, les habitants de l'île de Noirmoutier se sont fait entendre jusqu'au trône, quel espoir n'ont-ils pas aujourd'hui de se faire écouter dans le sanctuaire de la loi, sous le régime de la justice et de la liberté! autrement serait-il possible que l'aurore de la félicité de la France fût pour ces insulaires l'avant-coureur d'une nuit éternelle?

"Tel est pourtant, Messieurs, le malheur dout est menacée l'île de Noirmoutier, qui nous députe vers vous, pour réclamer contre les impositions énormes sous lesquelles de nouveaux oppresseurs veulent l'anéantir.

«Nous contractâmes,au mois de février dernier, l'obligation d'acquitter la dette sacrée des contributions, en sollicitant, auprès de l'Assemblée constituante, de n'être plus ce que d'adroits financiers appelaient autrefois étrangers effectifs, malgré qu'en conséquence, ainsi que toutes les îles du département de la Vendée, nous ne payions ni dixième, ni taille, ni capitation, ni aucun impôt de n'importe quel genre.

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« C'est en opposant la justice à toutes les tentatives fiscales, que tous nos rois, jusqu'à Louis XVI, ont pris notre état précaire en considération. Nous rougirions de demander, sous ces prétextes, à ne pas partager les charges de l'Empire, pour ne participer qu'à ses avantages; on a voulu pourtant insinuer que ces fausses prétentions étaient celles de nos communes; elles nous ont spécialement chargés d'en donner un désaveu formel au milieu de la nation assemblée, et de déposer dans cette enceinte leur soumission aux lois à côté du trésor de la liberté.

"Il est naturel que si du fond de nos îles nous moissonnons les fruits de la nouvelle Constitution, nous coopérions à leur culture: puisque tous les citoyens sont appelés par elle à les moissonner également, ils doivent également, en raison de leurs facultés, contribuer à la dépense et à l'entretien qui en sont inséparables. C'est sur ces bases, Messieurs, que nos pays, qu'on impose pour la première fois, demandent à l'être; et alors devenus sujets aux contributions, ainsi que l'intérieur du royaume, il est de la majesté, de la justice et de la dignité d'une aussi grande nation, de prendre ces iles sous sa protection, de les garantir avec l'art et à ses frais, puisque les autres domaines de l'Etat le sont par la nature.

«Mille fois ces vérités ont été mises sous les yeux des corps administratifs, dont l'un est à 30 ou 40 lieues de nous; ils ont été constamment sourds à ces justes réclamations; et cela, pourquoi ? Parce qu'elles étaient éloignées de tendre à leur décharge; en conséquence, nous sommes informés que nous devons être taxés arbitrairement; comme si la justice sociait avec l'arbitraire! ce qui, en matière d'imposition, se trouve, sitôt que leur assiette a pour base des principes défectueux. On veut imposer en raison de la population est-ce un point invariable? Tous les pays de même valeur et de même étendue sont-ils donc également peuplés ? Quand, par supposition, ils le seraient, n'y aurait-il pas à excepter les bords de la mer, où, à cause des pêches, des armements et du commerce, se fixent une infinité d'individus de toutes les parties du globe? Outre ces considérations, nos pays en offrent d'autres ; c'est qu'à défaut de bèstiaux,

tous les travaux, même ceux de l'agriculture, s'y font à force de bras. C'est pourtant, d'après la population qu'on veut asseoir dans l'ile de Noirmoutier, la cote contributive.

«C'était là, dit-on, la seule base qu'on devait adopter dès lors que l'ile de Noirmoutier était en retard relativement aux sections cadastrales requises par la loi autre faux principe, surtout quand on saura que dans cette ile il n'a jamais existé de rôle d'imposition; ses charges, ses réparations journalières en avant toujours tenu lieu; que les propriétés, d'ailleurs, y sont divisées, subdivisées et morcelées à l'infini : d'où il il résulte une impossibilité morale d'exécuter la loi des sections comme dans le continent. Ainsi donc, nulles raisons, nuls motifs pour y asseoir arbitrairement les contributions en blessant ainsi les droits de la justice distributive.

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« Dans ces circonstances, et environné des ténèbres de l'incertitude, était-il un autre parti à prendre que celui d'ordonner aux municipalités de l'ile de choisir un arpenteur, qui, conjointement, avec un autre nommé par le directoire du district, procéderait à l'arpentement entier de cette ile, en désignant, par un procès-verbal authentique, les rochers escarpés et de nul produit; les dunes de sable mobiles, nuisibles et arides, les terres vaines et vagues, les landes stériles, et enfin, la partie productive, seule sujette à la contribution foncière, pour ensuite frapper ces propriétés ainsi et de la même manière que sont atteintes celles du continent de pareille valeur; telles que celles des paroisses de Notre-Dame, et de Saint-Jean-de-Mont, de Beauvoir-sur-Mer, et de Saint-Gervais, qui cernent notre ile, et qui sont absolument de même nature? Alors, voilà où il n'y aurait plus d'arbitraire, et où la balance serait dans son juste équilibre, à la seule charge des digues et chaussées qui défendent cette île des irruptions de la mer.

« Nous n'avons cessé, Messieurs, de demander des commissaires, tant pour constater la valeur respective des propriétés, que pour visiter ces travaux coûteux élevés contre l'Océan : s'ils eussent été accordés à nos instances, ils vous diraient que nous sommes une classe de Français dont les fortunes sont incertaines, et dont les plus précieuses espérances peuvent redevenir, dans un instant, la proie des flots; ils vous attesteraient que notre ile n'est point, comme ces superbes jardins de l'Egypte, suspendus dans les airs; mais ils vous apprendraient que ces terrains productifs sont assis au fond de l'Océan, à 12 pieds environ au-dessous du niveau de la mer qui tantôt marche amicalement et majestueusement sur les remparts qu'on lui oppose, tantôt déploie contre eux des montagnes écumantes; et enfin, que ces derniers ouvrages sont, ainsi que les premiers, dignes de Sémiramis.

En assujettissant ces pays à la contribution foncière, telle que les paroisses limitrophes, outre que non seulement il est de la grandeur de la nation de mettre au rang de ses travaux publics toutes les digues que baigne l'Océan, et par lesquelles sont garantis les fonds hypothéqués à ses contributions, c'est qu'il est également juste que les emprunts contractés jusqu'à ce jour, deviennent la propre dette de l'Etat, parce que, sans ces engagements, il ne serait plus question d'imposer ces domaines qui n'existeraient peut-être plus.

Nos ennemis, s'il en existe, pourraient objecter que nos terres produisent tous les ans ; mais ils

ne diront pas que nos deux récoltes réunies ne peuvent souvent atteindre celle qu'ils ont moissonnée après un an de repos; quand bien même il y aurait un peu d'excédent, ils se donneraient bien de garde, vu les dangers que nous courons, de changer leurs champs pour les nôtres, pour y vivre dans une prison continuelle, nuit et jour dans les craintes et dans les alarmes, et dans un endroit où il n'y a ni foire, ni marché, ni manufacture, etc., etc.

« Dans la Révolution, les habitants de l'ile de Noirmoutier perdent tout; il ne leur reste que leur patriotisme et leur amour pour la liberté, constant et inné avec eux, qui, inaccessibles, se sont montrés aussi fermes et aussi inébranlables que les rochers voisins, où viennent se briser les flots qui les environnent. La Constitution française y est si sacrée, que, s'ils en étaient les seuls dépositaires, à l'exemple de ce grand homme de l'antiquité, elle échapperait à l'Océan, viendrait-il à franchir les limites qu'ils lui ont imposées.

« Le patriotisme exige que l'on veille à la conservation de nos propriétés, qui nous lient de si près à la Constitution. Ne serait-ce pas attenter à celles de ces insulaires que de les imposer, sans égard à leurs charges, aux risques et aux dangers qu'ils courent, et en vertu desquelles ils n'ont jamais été imposés? C'est sous la garantie de n'avoir point d'autres fardeaux qu'ils s'étaient originairement soumis à des redevances prodigieuses, qui viennent d'être vendues comme biens nationaux au profit de l'Etat.

« Dans la régénération de l'Empire, l'île de Noirmoutier n'a pu rien obtenir, malgré ses réclamations; il semble qu'elle ait été totalement mise en oubli, excepté lors de l'assiette des impositions; et il est à croire que, dans les temps malheureux où une guerre, surtout sur mer, menacerait cet Empire, on pourra y trouver plus de 500 des meilleurs marins bien connus sur nos vaisseaux, et auxquels on devrait nécessairement un hydrographe pour y enseigner la marine sur les lieux.

"Cette île a été oubliée dans le seizième des biens nationaux, malgré que ses communes aient, dans les temps opportuns, fait leur soumission de 1,400,000 livres, pour acquérir tous ceux que renferme ce canton.

« Elle a été oubliée dans les secours qu'elle a réclamés pour une perte de plus de 120,000 livres, causée à ses digues et chaussées par les hautes marées des 19 et 20 janvier dernier.

« Elle a été oubliée enfin, quand elle a demandé la défense définitive d'aliéner le château de la ville de Noirmoutier, les bois de la Chaise et de la Blanche, dont, au mois de février dernier, nous avions obtenu, par un décret, la conservation provisoire, comme d'une utilité indispensable à la défense de l'île, au commerce, à la navigation; en un mot, à l'Etat entier, pour ne pas dire même aux nations étrangères.

«En nous résumant, Messieurs, nous ne connaissons que deux partis à prendre, ou de nous laisser le pesant fardeau des digues, des chaussées, de nos canaux, et de nos côtes, dont la conservation coûte immensément, et surpassait tous impôts, la digue de Devin ayant seule absorbé prés de 300,000 livres, sans compter que la même somme ne suffirait pas pour la garantir, et qu'il existe, en outre, environ 12,000 toises d'autres digues; ou d'assujettir nos pays auxcontributions d'après le même mode et sur les mêmes bases que les paroisses circonvoisines; qu'en conséquence, les communes choisiront un expertarpenteur, qui, avec celui que nommerait le dis

trict, à moins que l'Assemblée, à nos prières, ne veuille de suite en envoyer, « pour y procéder à l'arpentement, en distinguant dans leur procèsverbal les dunes de sable, les rochers, les terrains vagues et incultes, d'avec les parties productives, pour, d'après le résultat, imposer chaque arpent, comme le sont les voisins; qu'alors toutes les digues et chaussées que baigne l'Océan, tant celles existantes aujourd'hui, que celles que les temps nécessiteront d'élever, seront et demeureront pour le compte de la nation, qui toujours laissera sur les lieux une certaine somme dont les municipalités pourront disposer dans les cas pressants, à la charge d'en rendre compte, et de mander de suite le préposé du gouvernement, afin qu'il vienne aussitôt faire réparer les dommages arrivés le tout sous peine de responsabilité ».

«Sans ces précautions, l'île serait infailliblement bientôt submergée, s'il fallait aller au loin chercher des secours; et il en serait ainsi qu'il en est du chemin, qui, deux fois par jour, à marées basses, communique au continent, où, faute de réparations bien sollicitées, plusieurs personnes ont trouvé leur tombeau.

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Que les dettes contractées par les communes seront acquittées des premiers deniers des impositions, ou sur le produit du bénéfice de la vente des biens nationaux auxquels cette île a droit de prétendre, en vertu de ses soumissions.

« Qu'il sera établi à la résidence de la ville de Noirmoutier un hydrographe, pour y tenir une école gratuite de marine.

Que les deux paroisses ne pouvant être réunies, mais seulement les municipalités, seront conservées, et que la succursale de l'Epine, immédiatement entre les deux paroisses, le sera comme leur oratoire.

< Que le château de ladite ville de Noirmoutier, le jardin qui en est séparé non compris, ensemble les bois de la Chaise et ceux de la ci-devant abbaye de la Blanche, situés le long de la mer, et hors des murs de clôture, seront définitivement inaliénables comme utiles à l'Etat, servant de rade et de balises à la navigation, lesquels continueront à être sujets à l'administration forestière.

Que la défense d'aliéner les biens du ci-devant abbé de Noirmoutier sera levée, s'il y a lieu, plusieurs personnes se présentant pour en acquérir en tout, ou partie.

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Cette récompense, Messieurs, est due à ces insulaires, qui se sont empressés de satisfaire à la loi du don patriotique, sitôt qu'elle leur fut connue; qui n'ont cessé, et notamment depuis deux ans, de donner des preuves du patriotisme le plus épuré; qui n'ont rien épargné pour faire respecter dans leur sein les nouvelles lois, y faire régner la paix au milieu des troubles que de fanatiques oppresseurs fomentaient dans leur département; qui, en conséquence, n'ayant pu être armés par leurs administrations, ont envoyé, à leurs frais, chercher des armes et munitions, tant à la Rochelle qu'à Rochefort, s'en sont tous munis, sans exception, pour la défense de la patrie, pour réprimer le moindre attentat contre la liberté et l'audace de ceux qui ont été porter chez l'étranger leur esprit corrupteur et corrompu.

« Cette île enfin demande le secours et la protection de la nation dont elle fait partie, et de plus, à être, sans aucune différence, régie, administrée et gouvernée comme le reste de l'Empire français.

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M. le Président. Messieurs, l'Assemblée prendra votre pétition en considération; elle vous invite à sa séance.

(L'Assemblée décrète que les réclamations contenues dans le mémoire des habitants de l'île de Noirmoutier seront renvoyées aux comités des contributions publiques et de marine, pour les objets qui les concernent.)

Une députation d'artistes de la société des Arts, de la société des Neuf-Sœurs, et d'autres sociétés fraternellement réunies, est introduite à la barre.

L'orateur de la députation lit une pétition signée individuellement par un grand nombre d'entre eux, et par laquelle ils demandent : 1° que la nation accorde des secours aux artistes qui ne sont pas aisés; 2° que le décret du 27 septembre 1791 soit rapporté et que le bureau de consultations qui, suivant ce décret, doit être composé de 15 commissaires de l'académie des sciences, et de 15 commissaires des autres académies, le soit de 60 membres, en y ajoutant 30 commissaires choisis parmi d'autres sociétés d'artistes légalement établies; 3° que quand, il sera établi, ses séances soit publiques.

M. le Président répond aux pétitionnaires et leur accorde les honneurs de la séance.

(L'Assemblée renvoie la pétition aux comités réunis d'instruction publique et de commerce.)

Une députation du bataillon des vétérans et du bataillon des jeunes enfants de la patrie, est introduite à la barre.

M. Caillères de l'Etang, commandant du bataillon des Vétérans, et orateur de la députation, s'exprime ainsi :"

« Monsieur le Président et Messieurs les honorables membres de l'auguste Assemblée,

«Le bataillon des vétérans, par une députation de 12 de ses membres, offre à l'auguste Assemblée, par la voix de son instituteur et commandant, son vif et pur hommage, ainsi que celui des enfants de la patrie, qui vous apportent, au milieu de nous, leur pétition de quelques pièces de petits canons, afin que, sous vos auspices, ils puissent tous s'exercer en même temps, dans l'art de l'artillerie, depuis 10 jusqu'à 18 ans, pour entrer, tout formés, dans les corps militaires. Quoi de plus capable de réveiller et d'exciter pour jamais dans cette vive et première jeunesse, la plus ardente émulation, surtout si l'auguste Assemblée veut bien, dans sa sagesse, décréter, dès à présent, que les élèves de la patrie entreront à 18 ans, décorés du grade de sous-lieutenant, dans les corps militaires !

"L'incorruptible Pétion, le nouveau maire, à qui nous avons présenté les trois petits bataillons de nos petits enfants, sous les noms d'Henri IV, Louis XIV et de Saint-Martin; ce digne maire veut réunir ces élèves de la patrie sous le même drapeau de l'espérance qu'elle leur a donné en vertu d'un décret de vos prédécesseurs, au Champ-de-Mars, à la première et si solennelle fédération, en présence des bannières des 83 départements réunis de la nation.

Puisse l'auguste Assemblée opérer cette réunion dans son sein même!

« Quel bonheur pour moi, après avoir présenté en l'Assemblée constituante, l'hommage des prémices du bataillon des vétérans, comme leur instituteur, d'offrir en ce jour à la première Assemblée législative l'hommage réuni de plus de quatre-vingts bataillons de vieillards, et presqu'autant de bataillons d'enfants de la patrie,

formés sur le même plan de patriotisme entre lesquels se trouve vigoureusement placée la force incalculable de 83 armées de l'Empire française, bien capables, sans doute, Messieurs, d'entourer victorieusement l'auguste Assemblée nationale, de la soutenir dans la fière attitude où elle vient de rendre des décrets admirés de l'univers, et de faire baisser et fléchir devant elle toutes les couronnes des tyrans de la terre, et de la préparer au doux règne de la constitution et de la liberté; enfin de lui faire goûter les fruits des Droits de l'homme, et ceux du code équitable que votre sagesse lui prépare.

C'est pour le succès de ce grand ouvrage que les grands-pères, les enfants et les petits-enfants vous offrent, par ma voix, le sacrifice de leur sang pour la gloire de la patrie et de l'humanité. (Vifs applaudissements.)

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L'instituteur des jeunes élèves de la 4 division des enfants de la patrie prend ensuite la parole et s'exprime ainsì:

"Messieurs,

« L'instituteur des 200 élèves de la 4o division, section de Louis XIV, ayant eu le précieux avantage d'assurer la majesté de l'Assemblée constituante, qu'il se trouvait trop heureux d'offrir à sa patrie le sacrifice de ses soins, de ses veilles et de ses modestes revenus; qu'il ne consentirait jamais à en recevoir aucune espèce de récompense, et que la seule qui peut être chère à son cœur, c'est de voir ses jeunes élèves, ornés, dès l'âge le plus tendre, des sciences et des beauxarts, des vertus morales et patriotiques, jouir des doux fruits de notre aimable liberté; regarde, en ce moment, comme un de ses devoirs les plus sacrés, de vous offrir de nouveau, accompagné des fils de la loi et assisté des vétérans-inspecteurs décrétés, l'hommage pur de ses sentiments et de jurer, en présence de la religion et de la sagesse de la nation française constituée en corps législatif, dans le sanctuaire de la justice, qu'ils n'ont pas dégénéré; que jusqu'au dernier soupir et tant qu'il circulera une goutte de sang dans ses veines, il se souviendra que c'est le sang illustre des Français libres, et qu'il descendra content dans la nuit du tombeau, s'il a été assez heureux pour inoculer dans l'âme de ses jeunes citoyens soldats les sentiments qui l'animent pour le salut et la liberté de sa patrie victorieuse. (Vifs applaudissements.)

"Dans cette circonstance, Messieurs, encouragé par les progrès rapides que font, dans les arts civils et militaires ces jeunes défenseurs de l'autel de la patrie, et par les vifs applaudissements que leur prodiguèrent, lors de la distribution des prix faite par M. le maire et La Fayette le 30 août dernier, les députations de l'Assemblée nationale, du corps municipal et électoral, etc., l'instituteur désirant ne les priver d'aucune des connaissances nécessaires aux différents arts qu'ils cultivent, réclame en leur faveur l'exécution du décret qui les constitue, dont voici les expressions textuelles et littérales, section 2, article 35 des décrets des 27 et 28 juillet 1791, concernant l'organisation des gardes nationales : « L'Assemblée nationale permet également qu'il s'établisse dans chaque canton, sous la même forme d'organisation, un bataillon composé de jeunes citoyens au-dessous de l'âge de dix-huit ans: cette compagnie, commandée par les officiers de la même classe, sera soumise à l'inspection de trois vétérans nommés à cet effet par leurs compagnies. ▾

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