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aux commissaires nommés par les sections de travailler et de continuer des recherches que l'on redoute et contre lesquelles on multiplie les embarras et les chicanes. C'est pour décourager les citoyens, c'est pour prévenir l'Assemblée législative contre eux, que la municipalité a lancé en avant le fidèle ministre de l'intérieur. On a supposé que l'Assemblée nationale ne les écouterait plus.

Daignez, en attendant, Messieurs, et c'est à quoi nous concluons, daignez ne pas accorder une confiance trop aveugle à la déclaration du ministre; retenez sous la responsabilité de cet agent du pouvoir exécutif, l'assurance qu'il vous a donnée pour se charger des subsistances de la capitale, en cas d'erreur ou d'imprudence de sa part; défendez aux administrateurs des subsistances, qui vont quitter leurs postes le 15 de ce mois, de se soustraire, par leur absence hors du royaume, à la responsabilité de leurs opérations administratives; ordonnez-leur de rester en France jusqu'à la reddition et l'apurement de leurs comptes, qui n'ont point été rendus (Applaudissements dans les tribunes), et que le département aurait dû faire rendre tous les six mois aux termes de la loi; ordonnez aux officiers municipaux de fournir aux citoyens actifs qui le requerront, tous les renseignements, toutes les pièces que la loi leur assure sur l'administration de leurs affaires, et notamment de leurs subsistances; et nous nous engagerons, envers l'Assemblée, de revenir bientôt auprès d'elle pour lui remettre le fruit des travaux et des recherches des commissaires des sections.

Ah! puissions-nous, Messieurs, puissions-nous changer nos inquiétudes en une assurance légitime. Puissions-nous substituer à nos tourments l'amour dont nous aimons à couvrir nos bienfaiteurs.

Chacun de nous, à l'exemple de ses concitoyens, sera toujours prêt à verser son sang pour le maintien de la Constitution et l'observation de la loi. Si nos ennemis ont cherché à vous présenter la capitale comme faible ou factieuse, nos ennemis vous ont trompés. Nous avons toujours des bras et de l'obéissance, de la soumission et de l'énergie, et vous pouvez compter sur tous les sentiments d'un peuple qui n'a jamais changé, et qui, s'il pouvait être encore au-dessus de luimême, le deviendrait par la confiance qu'il a en vous et dans vos décrets. (Applaudissements.)

(Les membres de la députation, au nombre de 50 environ, remettent chacun leur pétition individuelle. On annonce 500 signatures.)

M. le Président, répondant à la députation. Messieurs, l'Assemblée nationale s'occupe avec sollicitude de l'objet important que vous venez de mettre sous ses yeux. Elle attend des citoyens de Paris une sagesse toujours égale à leur patriotisme et à leur courage. Elle se fera rendre compte de tout ce qui est relatif aux subsistances. Reposez-vous avec confiance sur ses soins paternels. Ce sont vos législateurs, ce sont vos frères qui demandent cette confiance. L'Assemblée natíonale vous invite à sa séance. (Vifs applaudissements.)

Un membre: Il y a dans la pétition des sections de Paris deux objets très distincts. D'abord il est question des subsistances; cet objet doit être renvoyé au comité d'agriculture et du commerce. Le second objet est la manière dont les sections pourront émettre leurs vœux d'une manière commune; cela doit être renvoyé au comité de légis

lation. Il en est de même d'une loi pour la responsabilité des administrateurs de la commune. Il faut donc réunir ces deux derniers objets pour en charger le comité de législation et renvoyer le premier au comité d'agriculture et de com

merce.

(L'Assemblée renvoie la pétition des sections de Paris aux comités réunis d'agriculture et de commerce et de législation.)

M. le Président. J'observe à l'Assemblée que l'on a remis à l'adresse de son Président, de la part de M. Varnier, les papiers ci-joints: l'un est intitulé Délibération de la société ci-après désignée, portée au folio 8 de son registre; un autre est intitulé Délibération de la société ci-après désignée, et portée au folio 10 de son registre; ensuite il y a deux lettres. Ces papiers ont été remis à un huissier par le concierge de l'Abbaye, où est emprisonne M. Varnier. Les papiers étaient sur lui, et c'est M. Varnier lui-même qui les envoie pour que l'Assemblée en fasse l'usage qu'elle jugera à propos.

Voix diverses: Aux archives! La lecture! Le renvoi au comité !

Un membre: Le décret d'accusation étant porté, les pièces doivent être envoyées au tribunal qui connaîtra du délit. (Appuyé! appuyé!)

M. Grangeneuve. Je demande que M. le Président remette les pièces à celui de qui il les tient, parce qu'il ne les a pas d'une manière légale.

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La séance est ouverte à 9 heures du matin. M. Isnard, secrétaire, donne lecture du procèsverbal de la séance du dimanche 13 novembre.

Un membre: Le comité des domaines m'a chargé de proposer à l'Assemblée de décréter que 6 nouveaux secrétaires-commis seront attachés aux bureaux de ce comité.

(L'Assemblée décrète cette proposition.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre de MM. Marion et Cie, de Saint-Malo, qui offrent deux navires doublés en cuivre et de 500 tonneaux, l'un dans le port de Saint-Malo, et l'autre dans celui de Nantes, pour porter des secours à Saint-Domingue. (Applaudissements.)

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait une mention honorable de cette offre dans le procès-verbal.)

M. Dubois-de-Bellegarde donne lecture d'un extrait des registres des délibérations du conseil général de la commune, du conseil d'administration du district d'Angoulême et du directoire du département de la Charente, en date des 4, 22, 27 octobre et 8 novembre 1791. Cet extrait est relatif à une difficulté qui s'élève sur l'exécution d'un

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«Je suis informé, monsieur le Président, que sur la demande que le ministre de la marine a faite par mes ordres, et sous sa responsabilité, d'une somme de 10,370,912 livres, pour faire face à la dépense d'un armement extraordinaire qu'exige la situation désastreuse où se trouve réduite la colonie de Saint-Domingue, l'Assemblée a décrété qu'il n'y a pas lieu à délibérer, attendu la forme inconstitutionnelle dans laquelle elle a été instruite de cet armement.

«Je ne vois aucun article dans la Constitution, qui prescrive une forme différente de celle qui a été suivie dans cette circonstance par le ministre de la marine, et que l'Assemblée constituante a consacrée, en décrétant avant et depuis l'acceptation de la Constitution, toutes les demandes de la même nature présentées par une lettre du ministre, adressée par mon ordre au président. L'Assemblée législative elle-même a suivi cet exemple en accordant, le 8 de ce mois, un fonds de 500,000 livres, en faveur des invalides, sur la seule demande du ministre de la guerre.

« Je ne puis pas dissimuler combien je suis affecté de voir que dans un moment où le salut de l'Empire est en danger, où le meurtre et l'incendie ravagent la plus précieuse de nos colonies, menacent d'une ruine totale les manufactures, le commerce et l'agriculture, l'Assemblée pût se fonder sur une pareille difficulté pour surseoir à délibérer sur un objet d'une aussi haute importance. Les vœux et les inquiétudes des principales villes du royaume, manifestés par leurs adresses, n'annoncent que trop combien il est pressant de porter les remèdes les plus efficaces à un mal aussi grave, dont les suítes compromettraient essentiellement la subsistance du peuple qui sera toujours l'objet de ma vigilance et de ma plus vive sollicitude.

« J'espère qu'une considération aussi majeure déterminera l'Assemblée à ne pas différer plus longtemps de décréter les fonds extraordinaires dont j'ai chargé le ministre de la marine de lui faire la demande. »

u Signé LOUIS. »

Par le roi DE BERTRAND.

M. Tarbé. Messieurs, puisque les formes constitutionnelles sont maintenant remplies d'une manière incontestable, et que l'Assemblée me paraît suffisamment instruite par les différents rapports qui lui ont été faits jusqu'à ce jour sur les colonies, je demande que l'Assemblée passe sur-le-champ à la discussion du projet de décret qui lui a été présenté, il y a quelques jours, par es comités de marine et des colonies réunis. Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

M. Bréard. Je demande que ce soit mis à 2 heures.

M. Tarbé. Je ne m'oppose point à ce qu'on suspende à 2 heures; mais je demande que le rapport soit fait à cette heure-là, pour ne point

nous exposer à de nouveaux retards sur l'affaire des colonies.

Quelques membres demandent l'ordre du jour qui est la discussion du projet de décret du comité de législation sur les prêtres non assermentés.

M. Tarbé. Alors je propose la question préalable sur la demande de l'ordre du jour.

M. le Président. J'observe qu'il existe un décret qui a fixé à l'ordre du jour la question des prêtres et que je dois le faire exécuter.

Un membre: J'observe que l'Assemblée n'est pas encore assez nombreuse pour ouvrir une discussion aussi importante que celle des prêtres non assermentés. Je propose, en conséquence, qu'on s'occupe, en attendant, de celle relative aux colonies.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

(Cette proposition est mise aux voix et décrétée.)

M. Forfait, rapporteur des comités de marine et des colonies réunis, n'étant pas présent, l'Assemblée décide que la discussion s'ouvrira dès qu'il sera arrivé. (Voir ci-après, p. 62.)

Un membre: On vous a proposé dernièrement de demander au ministre de la guerre un compte relativement à l'armement des gardes nationales qui sont sur les frontières. Malgré les demandes réitérées des volontaires pour les habillements, armes et équipements, malgré les représentations que j'ai faites au ministre, il parait que les choses sont encore restées dans l'ancien état. J'ai reçu de ces volontaires deux lettres, l'une de Strasbourg et l'autre de Colmar: elles m'annoncent que depuis 15 jours ou 3 semaines que les gardes nationales volontaires y sont arrivés, ils sont sans armes, et même sans l'espérance d'en avoir. On n'a pas encore commencé de les exercer aux évolutions militaires. Je demande que le ministre soit tenu de rendre compte, à l'Assemblée, des mesures qu'il aura prises pour leur en faire parvenir et sur les réponses qu'il a dû recevoir concernant l'équipement et l'armement des gardes nationales. (Appuyé! appuyé!)

Un membre: Comme il est inutile d'occuper l'Assemblée des détails d'une correspondance particulière, je demande que le préopinant déclare si les lettres qu'il a reçues sont des lettres officielles, et que, dans le cas contraire, l'Assemblée passe à l'ordre du jour.

M. Delacroix. Je sais certainement, par une lettre que j'ai reçue de Strasbourg, que les gardes nationales ont actuellement reçue la majeure partie de leurs armes, et qu'ils recevront le reste incessamment. Je demande, en conséquence, qu'on passe à l'ordre du jour.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

Un membre, au nom du comité d'inspection, fait un rapport à la suite duquel l'Assemblée a rendu le décret suivant :

"L'Assemblée nationale, sur le rapport du comité d'inspection, décrète que le Directeur de l'Imprimerie royale fera parvenir au sieur Baudouin le nombre nécessaire d'exemplaires in-4° de toutes les lois sanctionnées, proclamations, règlements et autres pièces d'administration venant des presses de l'imprimerie royale, pour être distribués à tous les membres de l'Assemblée, à leur domicile. "

M. Quatremère-Quiney. Il y a bientôt trois semaines qu'un rapport de l'instruction publique

est à l'ordre du jour; il ne vous occupera pas plus de cinq minutes. La discussion ne durera pas davantage. Ainsi je demande que l'Assemblée veuille bien m'entendre, ce rapport est relatif à la réclamation des artistes, sur un article du décret rendu par l'Assemblée constituante, au mois de septembre dernier, concernant les encouragements dus aux arts.

(L'Assemblée décide que M. Quatremère-Quincy sera entendu.

M. Quatremère-Quincy, au nom du comité de l'Instruction publique (1). L'Assemblée nationale a, par son décret du 19 octobre, renvoyé à son comité d'instruction publique pour lui présenter un rapport sur le fond de la pétition des artistes non académiciens qui ont exposé leurs ouvrages au salon du Louvre.

Quatre autres pétitions, la première des mêmes artistes, venue depuis à l'appui de la première; la seconde des membres composant l'académie royale de peinture et de sculpture; la troisième de M. Restoret; et la dernière de M. Nivard, au nom des membres de l'académie des peintres de paysage, marine, etc., ont été de même renvoyées à votre comité.

Je ne vous représenterai pas, Messieurs, qu'il est urgent de prononcer sur l'objet principal de toutes ces pétitions. Vous vous rappelez, sans doute, que le désir de vous faire éclairer sur votre décision vous détermina à prolonger le terme de l'exposition des tableaux. Elle le trouve. Cependant cette prorogation que la rigueur de la saison rend inutile à la jouissance publique, a de plus le triple inconvénient d'user l'intérêt et la curiosité en apportant de la satiété dans cette sorte de jouissance, d'éloigner beaucoup trop une dispensation d'ouvrages après laquelle il est permis de croire que les artistes doivent soupirer, et de priver enfin plusieurs d'entre eux du bienfait de ce concours par l'impossibilité où ils seraient d'y laisser plus longtemps des ouvrages revendiqués par ceux qui en sont les propriétaires.

Ces considérations et plusieurs autres ont commandé à votre comité le prompt et court rapport qu'il m'a chargé de vous faire.

L'Assemblée nationale,constituante après avoir, par son décret du 21 août 1791 sur la liberté d'exposition publique au salon du Louvre, appelé à une égalité de droits naturels des hommes parmi lesquels le talent doit seul avoir la puissance de créer des distinctions, voulut encore, par son décret du 17 septembre, les appeler tous, sans autre privilège que celui du talent, à un partage commun des bienfaits nationaux.

Jusque-là l'encouragement des arts avait été mis au rang des prérogatives de la Couronne; sa répartition, au nombre des pouvoirs ministériels, et la prétention à cette faveur était demeurée lé patrimoine de cette jurande royale connue sous le nom d'Académie de peinture ». L'Assemblée nationale constituante sentit que si quelque chose avait besoin d'être purifié dans sa source et annobli dans sa fin comme dans ses moyens, c'était surtout ce genre de bienfaisance envers des arts dont la délicatesse s'effraye de l'idée seule d'un bienfait, et qui, lors même qu'ils voudraient un appui, repousseraient la main malhabilement protectrice qui leur ferait avouer le secret de leur besoin. Elle comprit que ce n'était plus dans les antichambres des ministres qu'il fallait ré

(1) Journal Logographique 1" législature, tome III, page 294.

duire l'homme de génie à aller épier les caprices de la fortune et mendier les faveurs de l'orgueil. Elle comprit que tout encouragement se dégrade par la sollicitation qui l'obtient, comme par la bienveillance qui l'accorde, que tout ce qui, dans ce genre, met un homme dans la dépendance d'un homme, suppose une protection dont l'idée seule rabaisse le talent, atténue les dons du génie et en flétrit les couronnes.

Elle voulut que, substituée à la bienfaisance du roi, la munificence nationale associât les arts du génie aux hautes conceptions et aux grandes destinées d'un peuple libre; que cet encouragement, dégagé des formes serviles qui en rabaissaient la valeur, devint le prix d'une lutte honorable et libre entre tous les talents, et que l'acquittement de la dette de la nation envers le génie que l'homme déguise sous les formes d'un concours public s'embellit encore de toutes celles de la victoire.

Mais il résultait de là que, régénéré dans son principe, amélioré dans les moyens et rectifié dans les conséquences, l'encouragement des arts ne pourrait plus être le patrimoine d'une classe privilégiée, qu'il ne pourrait plus dépendre de la volonté du choix arbitraire d'un seul, et que l'idée d'une faveur nationale provoquait la nécessité d'un jugement libre.

L'Assemblée nationale constituante renferma tous ces principes et toutes ces conséquences dans la loi du 17 septembre; mais l'empressement qu'elle mit à faire ce bien ne lui permit peut-être pas de le bien faire.

Cette dispensation d'encouragement, la première qui porte les caractères de la liberté, et par rapport aux concurrents, et par rapport aux juges, devait éprouver dans son exécution toutes les difficultés que présente toute institution nouvelle greffée subitement sur d'anciennes habitudes.

Votre comité ne vous présentera, dans ce moment, aucune de ses vues sur les moyens d'améliorer l'institution des encouragements publics, de les lier par une sorte de solennité à un système général d'instruction et surtout d'en tirer un double avantage en faisant servir à l'encouragement le mode même de sa répartition. Ces considérations feront une des parties du travail dont vous l'avez chargé.

Mais votre comité vous doit le développement des causes qui ont excité entre les artistes académiciens et ceux qui ne le sont pas, le débat soumis à votre jugement.

Voici l'article de la loi qui y a donné lieu:

« Pour cette année seulement, et sans préjuger ce qui sera déterminé à l'avenir, les travaux cidessus ordonnés seront distribués par les membres de l'Académie de peinture et sculpture, deux membres de l'Académie des sciences, deux membres de l'Académie des belles-lettres et vingt artistes non académiciens, lesquels seront choisis par les artistes qui ont exposé leurs ouvrages au selon du Louvre. »

Il est évident que cette disposition n'annonce qu'un commencement de justice et d'égalité et que la loi qui n'avait pu mettre de prédilection dans une répartition nationale, que la loi qui n'avait pu, avant le concours, préjuger dans quelle classe d'artistes se trouverait la prééminence des talents, a cependant, en conférant le droit de répartir l'encouragement à l'Académie entière, c'est-à-dire à 150 contre 20, a véritablement laissé à cette corporation le privilège dont elle avait toujours joui jusqu'alors.

[Assemblée nationale législative.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1791.]

Vainement, cette disposition pour ceux qui n'en comprendraient pas les conséquences, présentet-elle l'Académie de peinture et les adjoints comme un tribunal aussi important par le nombre que par l'élite de ses juges! Certainement, quelle que puisse être la diversité des opinions sur la nature de ce tribunal, il est à croire qu'il n'eût pas trouvé de récusant, si ses membres eussent pu cesser d'être tout à la fois partie dans le procès et juges dans leur propre cause. Tel est surtout l'inconvénient du mode provisoire décrété par l'Assemblée nationale constituante et qui consiste à admettre comme juges des prix d'encouragement, ceux-là mêmes qui ont le droit d'y prétendre.

Mais vous sentirez encore plus, d'après cela, Messieurs, combien ce droit de juger conféré à tous les membres de l'Académie, qui sont au nombre de 150, doit donner d'inquiétude à tous les artistes non académiciens, qui deviendraient par là, non les rivaux, mais les justiciables de leurs adversaires.

Il est sans doute permis de croire que là où il existe deux classes d'artistes distinctes dans l'opinion, divisées par les prétentions, il doit y avoir aussi disparité de sentiments et division d'intérêt, et sans doute aussi l'expérience du passé, dans un bien autre ordre de choses, nous permet, sans calomnier l'avenir, de prévoir de la partialité, là surtout où l'esprit de corps a pu produire l'esprit de parti.

Il est donc encore permis de croire qu'en ne consultant que les données trop probables des passions humaines, l'Académie, par la prodigieuse prépondérance de ses voix, redeviendrait l'adjudicataire exclusif des encouragements, et qu'une seule clause de la loi, si elle pouvait être exécutée dans sa rigueur, frusterait par le fait les artistes non académiciens, du bienfait que la loi a voulu leur accorder.

Ce n'est pas ici le cas, et ce n'est pas à nous d'examiner de quel côté est la pluralité des talents, de peser les mérites de chaque classe d'artistes, d'apprécier leurs droits respectifs; tout jugement actuel sur cet objet serait un préjugement de la question, et tout préjugement serait une injustice.

L'Académie royale de peinture s'est livrée dans son adresse à ce jugement anticipé, mais elle ne s'est point flattée d'égarer votre opinion.

Que la voix publique ait déjà prononcé, cela se peut; mais cette voix publique à laquelle il appartient de proclamer les talents et de créer les réputations, ne saurait décerner des prix, qu'en passant par l'organe d'un jugement legal; et ce jugement ne peut être revêtu d'une sanction légale, en pareille matière, qu'en s'entourant de toutes les précautions qui peuvent en garantir l'impartialité et comment acquérir cette impartialité, entre deux classes juges et rivales l'une de l'autre, si ce n'est en leur donnant un droit égal de suffrage?

Quant à la délicate modestie de l'Académie, qui craint aujourd'hui de voter dans sa propre cause, qui craint de couronner sa victoire lorsqu'elle ne craint pas de la proclamer et qui ne s'effraye du droit que la loi lui avait donné, que lorsqu'elle se croit menacée de le partager avec ses rivaux, votre comité ne se charge pas d'interpréter cette tardive abrogation; mais voici ce qu'il croit que vous pouvez lui dire:

Ce n'est point aux artistes en particulier, c'est aux arts en général, que la nation décerne des encouragements. Tant que de nouvelles institu

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tions n'auront pas réglé et gradué le mode important de l'émulation et de l'instruction publique, il importe à la nation que la répartition actuelle, soit tout ce qu'elle peut être, c'est-àdire judicieuse et impartiale.

Pour qu'elle soit judicieuse, il faut que les hommes à talent y concourent.

Pour qu'elle soit impartiale, il faut que les différents intérêts soient contrebalancés avec justesse.

Puisque la loi a voulu que les concurrents fussent juges, et puisque l'état des choses ne permet presque pas de trouver des juges hors des prétendants, vous ne pouvez renoncer au droit de juge qu'en abdiquant celui de concurrent.

Mais l'intérêt des arts et celui de la justice s'opposent à ce que vous renonciez à l'un et qu'on vous prive de l'autre.

Votre comité a pensé, Messieurs, qu'il serait impossible, pour le présent, de proposer un autre mode de jugement tout imparfait que soit celui-ci.

Un temps viendra, sans doute, où les artistes ne seront classés que par leur génie, et où le public ne connaîtra dans ce genre que les parallèles du talent.

Pour l'instant, la véritable question se réduit à la conciliation de deux intérêts trop distincts pour n'être pas opposés. C'est cet équilibre à feur donner que votre comité vous propose d'opérer par un nombre égal de juges, choisis dans chaque classe, et par chaque classe d'artistes. Cette disposition aura de plus l'avantage démie, et d'en être à peine une interprétation, de ne déroger presque point à la loi de l'Acapuisque l'Académie pourrait en se résignant d'elle-même sous ce niveau de la justice, exécuter la loi, par une délégation à quelques-uns de ses membres, comme par leur totalité.

Votre comité a pensé, en outre que pour prévenir et résoudre toutes les difficultés d'exécution que ce mode provisoire de répartition serait dans le cas de faire naître cette année, il conviendrait de la soumettre à la surveillance immédiate du directoire du département.

Voici, en conséquence, le projet de décret qu'il vous propose:

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité d'instruction publique sur les réclamations des artistes qui ont exposé leurs ouvrages au salon du Louvre, et après avoir entendu le décret d'urgence, attendu l'instante nécessité de la répartition des encouragements, décrète ce qui suit:

Article premier. En interprétation de l'article 3 de la loi du 17 septembre, concernant les sculpture et gravure, l'Académie de peinture, etc., encouragements à donner aux arts de peinture, élira parmi ses membres un nombre de 20 juges, pour, avec les 20 autres juges choisis par les artistes non académiciens qui ont exposé cette année, et les quatre juges nommés par les académies des sciences et des belles-lettres, concourir à la distribution des travaux d'encouragement.

«Art. 2. Le directoire du département sera autorisé à prononcer définitivement sur toutes les difficultés d'exécution auxquelles pourrait donner lieu le mode de répartition provisoire, qui se fera sous son inspection immédiate.

« Le présent décret sera porté, dans le jour, à la sanction du roi. »

Un membre combat ce projet de décret qu'il trouve humiliant, pour une association distin

guée par les plus grands talents, et qui ne mérite pas qu'on la soupçonne de s'approprier ce qui ne lui sera point dů.

Un membre: L'ajournement à mercredi ! (L'Assemblée ajourne la discussion à mercredi prochain.)

M. le Président. La parole est à M. le rapporteur des comités de marine et colonial réunis.

M. Forfait, au nom des comités de marine et colonial réunis (1), donne lecture de la nouvelle rédaction du projet de décret sur les dépenses extraordinaires exigées par l'envoi de secours à Saint-Domingue, projet de décret qui avait été renvoyé aux comités le 9 novembre, en raison de la forme inconstitutionnelle dans laquelle il était présenté. Il est ainsi conçu :

«L'Assemblée nationale, ouï le rapport de ses comités des colonies et de marine, décrète ce qui suit:

«Art. 1°. Il sera fait, sur la proposition du pouvoir exécutif et conformément à la demande du ministre de la marine, en date du 8 novembre 1791, un fonds extraordinaire de 10,370,912 livres pour les dépenses extraordinaires qu'exige l'expédition du secours à envoyer à Saint-Domin

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Art. 2. Sur le fonds extraordinaire de 10,370,912 livres, il sera mis, sans délai, à la disposition du ministre de la marine, 3,456,970 1. 13 s. 4 d., tiers de la totalité qu'il faut accorder, le reste montant à 6,913,941 1. 7 s. 8 d., devant également être mis à sa disposition au commencement de chaque mois à raison du douzième, à compter du 1er décembre prochain jusques et y compris le 1er novembre 1792.

« Art. 3. Ces diverses sommes ne sont que provisoirement accordées, et sans entendre rien préjuger sur la distribution des fonds pour le département de la marine, qui sera tenu, pour la totalité, de se conformer aux formes prescrites par les lois pour la reddition des comptes.

A

Un membre: Le projet de décret dont on vient de nous faire lecture, a-t-il été imprimé et distribué conformément au décret rendu par l'Assemblée la semaine dernière?

M. Forfait, rapporteur: Non! mais c'est pour la seconde fois qu'il vous est lu.

Plusieurs membres demandent l'impression et l'ajournement jusqu'après la distribution.

M. Forfait, rapporteur. C'est la deuxième fois que ce projet de décret vous est présenté; car vous ne l'avez rejeté, il y a quelques jours, que parce qu'il n'était pas démandé dans les formes

(1) Voy. Archives parlementaires 1" Série, Tome XXXIV, séance du 9 novembre 1791, page 719.

constitutionnelles. Depuis cette première lecture, les divers membres ont eu le temps de faire et de préparer leurs observations. Je demande que la discussion soit ouverte sur l'heure.

M. Delacroix. En ordonnant par un décret que les projets qui vous seront présentés par vos comités seront imprimés et distribués au moins la veille, vous n'avez entendu parler que de ceux dont vous n'auriez pas connaissance; mais celui-ci vous a déjà été lú, ainsi vous avez pu le méditer. Je demande que l'Assemblée décrète au moins le premier article purement et simplement sans entrer dans aucun détail, parce que le ministre vous rendra compte de l'emploi des fonds qui seront accordés pour les colonies.

Un membre: J'appuie les observations de M. Delacroix; mais j'ajoute qu'il importe que les troupes qui seront envoyées dans les colonies soient composées seulement de gardes nationaux. De toutes parts ils se sont offerts pour cette expédition. Si on souffre que le ministre seul en dispose, il y enverra des troupes qui sont nécessaires dans l'intérieur du royaume; ce serait une perfidie du ministre, et il y aurait du danger à s'y exposer. Dans le cas où cette proposition ne serait pas adoptée, je demande au moins que la garde nationale y soit envoyée en nombre égal aux troupes de ligne. (Murmures.) Messieurs, il est inutile de feindre. Vous avez, de la part du ministre de la guerre, avec l'extérieur séduisant de la bonne foi, des actes toujours renouvelés de perfidie. Ainsi, Messieurs, ne vous laissez pas abuser... (Bah! bah!)

M. Forfait, rapporteur. Je ne crois pas qu'il convienne à l'Assemblée de déterminer la nature des troupes à envoyer aux colonies, parce que cette disposition soustrairait les ministres à la responsabilité prononcée contre eux. Je demande la question préalable sur cette proposition.

Relativement à la proposition de M. Delacroix, je crois qu'il convient que l'Assemblée nationale fixe quelle est la somme qu'elle donnera au ministre. Il vous demande 10 millions, qui doivent être employés dans le cours d'une année; il est très inutile de la mettre à sa disposition actuellement, et par conséquent de grever le Trésor public de l'émission actuelle d'une somme de 10 millions.

Il suffit, Messieurs, de mettre à la disposition du ministre le tiers de cette somme, qui est essentiellement nécessaire pour les premières dispositions à faire; le reste doit lui être distribué de mois en mois, ainsi que votre comité vous le propose. De cette manière le Trésor sera déchargé; au surplus, j'ai l'honneur de vous observer que les bases de ce projet de décret ont été calquées sur les trois articles d'un projet de décret rendu par le Corps constituant dans une circonstance semblable à celle-ci.

M. Voisard fils. Je n'ai pas médité le projet du comité, et beaucoup de membres sont dans le même cas; je demande l'ajournement à 24 heures.

M. Gossuin. Il s'agit de sauver une partie de l'Empire, et nous délibérons! Je demande la question préalable sur l'ajournement.

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la demande d'ajournement.) Plusieurs membres: Fermez la discussion! (L'Assemblée ferme la discussion.) Plusieurs membres : Le décret d'urgence! D'autres membres: Il n'est pas nécessaire!

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