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à tous les fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction en Notre Seigneur Jésus-Christ.

Lorsque des circonstances qui vous sont connues, nos très chers frères, nous forcèrent de nous éloigner de vous, l'espoir de communiquer avec notre clergé, et par lui, avec les peuples de notre diocèse, détermina notre retraite, et fut le seul adoucissement à nos peines. Cette consolation nous a bientôt été enlevée; les communications sont devenues plus difficiles; les visites, les recherches, les inquisitions ont été multipliées pour intercepter les correspondances, si la confiance publique a été ouvertement trahie.

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Ce n'est qu'avec des précautions extraordinaires qu'une partie des exemplaires de notre lettre du 8 avril vous est parvenue, et nous ignorons si celle que nous vous adressons aujourd'hui pourra tromper cette inquiète et jalouse vigilance qui observe et contrarie toutes nos démarches. Nous avons su que la persécution régnait d'une extrémité du royaume à l'autre ; que des évêques, elle s'étendait à tous les pasteurs, et qu'elle s'animait de jour en jour dans notre diocèse. Votre attachement à la foi catholique nous était connu depuis trop longtemps pour que nous eussions à craindre que les promesses et les démarches changeassent vos sentiments, mais nous désirions d'apprendre vos combats et vos triomphes, la situation de chacun de vous, l'état de chaque église particulière, les dispositions des fidèles de notre diocèse. Nous désirions des instructions détaillées sur des objets si digues de notre sollicitude pastorale, lorsque nous avons appris que plusieurs de nos chers coopérateurs venaient de se refugier sur une terre étrangère. Nous nous sommes sentis aussitôt pressés d'aller jusqu'à eux; après une navigation longue et difficile, nous avons débarqué sur une terre hospitalière qui avait ouvert un asile à nos frères; nous avons eu la satisfaction de les embrasser.

« Nous avons entendu le récit des dangers auxquels ils venaient d'échapper et de la violence qui les avait réduits à s'y exposer: nous avons appris de quelles mains partaient les coups redoublés, qui accablaient des ministres fidèles; nous avons su que les pasteurs étaient poursuivis par des outrages et des calomnies; que, sans respect pour l'age, sans égard pour les infirmités, plusieurs avaient été arrachés de nuit, et à main armée, du milieu de leurs troupeaux, et trainés indignement dans les prisons; que d'autres, pour se soustraire à de pareilles violences, avaient été forcés de prendre la fuite, sans asile, n'osant pas même séjourner chez les hôtes charitables qui les recueillaient, dans la crainte d'attirer sur eux quelques malheurs en leur demandant l'hospitalité; que néanmoins, un grand nombre dans les villes, et la presque totalité des peuples dans les campagnes, gémissaient de ces excès; qu'ils s'attachaient de plus en plus à leurs pasteurs légitimes; qu'ils marquaient de l'éloignement pour les intrus, et refusaient constamment de communiquer avec eux. Tel est, mes chers frères, le récit qui toujours a pénétré notre âme de douleur et d'admiration; en voyant ce qu'est aujourd'hui notre diocèse, nous nous sommes rappeles ce qu'il fut, et des larmes ont coulé de nos yeux..... » (Kires prolongés.)

Un membre: Oui, des larmes hypocrites! Plusieurs membres: Assez! assez! Le renvoi au comité de surveillance!

M. Rouyer. J'appuie le renvoi au comité de

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Expédition de Saint-Domingue.

Troupes. Le bataillon de Provence, parti de Brest sur la frégate la Fine, qui a mis à la voile le 5 novembre, et sur la fregate la Normande, 500 hommes; un bataillon doit être embarqué dès le 25 novembre, sur des bâtiments de Lorient, qui n'attendaient que le bon vent, 600 hommes: 200 hommes d'artillerie sont arrivés à Brest le 1 décembre pour être embarqués sur une fregate qui a ordre de mettre seule à la voile; elle emporte, outre ces 200 hommes, 60,000 piastres. Un bataillon de Béarn s'est embarqué au Havre sur des bâtiments prêts à mettre à la voile, 750 hommes. Un bataillon d'Agenois s'est rendu le 29 novembre à Rochefort pour s'y embarquer sur deux frégates et deux autres bâtiments, qui ont pu être en état d'appareiller le 1 décembre, 750 hommes. Total 2,800 hommes.

« Un bataillon de Royal-Auvergne a dù arriver, le 4 décembre, au Havre, et doit mettre à la voile le 12; 750 hommes du bataillon de la Reine sont à Lorient et doivent s'embarquer vers le 15 décembre, etc... »

Ces troupes, Messieurs, et d'autres dénommées par le ministre, forment au total 6,300 hommes. On envoie aussi 216,000 piastres, 10 à 12,000 fusils, des sabres, des tentés et beaucoup de vivres.

J'ai l'honneur d'observer à l'Assemblée que le ministre de la marine n'a fait que ce qu'il devait faire, car les mesures qu'il a prises sont absolument conformes à l'exécution du décret que vous avez rendu il y a quelques jours. Mais j'ajoute que pour sauver les colonies, l'Assemblée n'a pas un moment à perdre sur le parti définitif qu'elle doit prendre."

Plusieurs membres : Oui! oui! Il faut adopter de suite le concordat.

M. Delacroix. Sans doute, car c'est lui qui a sauvé les colonies. Monsieur le Président, je vous prie de vouloir bien mettre à l'ordre du jour la motion relative aux colonies qui, samedi dernier. avait été ajournée à hier matin, mais qui n'a pu venir en discussion.

M. Rouyer. J'appuie cette proposition et je demande que le decret sur lequel se fonde le ministre de la marine pour envoyer 6,300 hommes soit lu à l'Assemblée, parce que je soutiens que c'est un fait faux. (Murmures prolongés.)

M. Delmas, D'après ce que vient de dire le preopinant, il parait qu'il a entendu que ce que j'ai dit était une réflexion du ministre. C'est

absolument une réflexion qui m'appartient et qui n'appartient point au ministre. J'ai cru qu'il était de mon devoir, après la lecture de ces détails, de dire que le ministre de la marine n'avait fait que ce qu'il devait faire, parce que peut-être on aurait pu l'inculper encore. (Applaudissements.)

M. Delacroix. Ce n'est pas le moyen de prononcer sur le sort des colonies d'élever, avant que l'ouverture de la discussion, de nouvelles contestations sur ce qu'a fait le ministre. Nous devons nous occuper seulement du sort des colonies et de la motion qui a été faite samedi.

Je demande donc qu'on ouvre à l'instant la discussion sur la motion de suspendre le départ des troupes. Et sans doute l'Assemblée en sentira la nécessité lorsqu'elle réfléchira que ce décret du 24 septembre est parti, que les troupes qu'on envoie aux colonies sont chargées d'assurer l'exécution de ce décret, que c'est peut-être le seul moyen de perdre toutes nos colonies, parce que les rigueurs qu'il faudra employer pour faire exécuter ce décret vont augmenter la division et la discorde. Il est donc temps, Messieurs, de prendre un dernier parti et de le faire passer promptement aux colonies. Le gouverneur, ou celui qui sera à la tête de l'expédition sera à l'abri de la responsabilité en disant que toute la rigueur qu'il à déployée était nécessitée pour assurer l'exécution du décret du mois de septembre. Si vous agissez autrement, vous écarterez le concordat qui a un peu rétabli le calme pour faire exécuter une loi qui a été la première cause de la discorde.

M. Aubert-Dubayet. Je ne m'oppose point à une partie de la motion de M. Delacroix; mais qu'il me soit permis d'observer que les troupes qui vont dans les colonies n'ont pas pour but unique d'assurer l'exécution de la loi du 24 septembre, c'est aussi pour former une force puissante qui intervienne et s'oppose à l'insurrection terrible des noirs. Sur ma motion, vous votâtes des remerciements à milord Effingham; sur celle de M. Brissot, vous avez été priés d'en voter aux Etats-Unis d'Amérique et au gouvernement de Pensylvanie, pour avoir envoyé des secours à nos frères des colonies. Comment donc la nation se mettrait-elle aujourd'hui en contradiction avec elle-même ? S'il est question d'ouvrir la discussion sur le fond, je demande que demain elle soit

ouverte.

M. le Président. M. le ministre de la marine demande la parole pour se justifier relativement aux plaintes portées contre lui par la municipalité de Brest; je la lui accorde.

M. Bertrand, ministre de la marine (1). Messieurs, j'attendais avec impatience qu'une dénonciation formée contre moi me fournit une occasion de soumettre à la sagesse et à la justice de l'Assemblée nationale quelques considérations assez importantes pour la déterminer à n'accueillir qu'avec la plus grande circonspection les inculpations sans cesse renaissantes et toujours injustes qu'on se permet de hasarder, dans son sein, contre les principaux agents du pouvoir exécutif.

Quelques membres : C'est vrai!

M. Bertrand, ministre de la marine. Il est de votre dignité, Messieurs, d'apprendre enfin à la

(1) Bibliothèque de la Chambre des Députés : Collection des affaires du temps, Bf in-8° 165, t. 137, n° 36.

France que le temple auguste de la patrie n'est pas un asile ouvert à la calomnie, pour répandre impunément ses poisons et appeler l'animadversion du peuple, souvent contre ses véritables défenseurs. (Murmures.)

On m'accuse d'avoir faussement annoncé que nul officier de marine n'avait quitté son poste; je vais répondre à cette inculpation; mais je dois d'abord vous rendre compte de ce qui a été fait dans le département de la marine, relativement aux objets des dispositions du décret du 29 novembre dernier qui porte que « les ministres présenteront à l'Assemblée, d'ici au 15 décembre prochain, l'état de radiation qui a dû être fait en exécution des décrets des 4 janvier et 18 décembre 1790, des appointements, traitements et pensions des fonctionnaires publics ou pensionnaires de la nation, qui, à cette époque, étaient absents du royaume, ou qui s'en sont absentés depuis, sans mission expresse du gouvernement; et de ceux qui, étant employés dans les pays étrangers, n'auraient pas prêté le serment civique dans le délai prescrit

».

Les décrets précédents, dont vous avez ordonné ainsi l'exécution, portent: 1° qu'il ne sera payé même provisoirement, aucunes pensions ni aucuns traitements et appointements attribués à quelques fonctions publiques, aux Français habituellement domiciliés dans le royaume, et actuellement absents, sans mission du gouvernement, autérieure à ce jour; 2° que tous Français fonctionnaires publics ou recevant des pensions ou traitements quelconques de l'Etat, qui ne seraient pas présents et résidents dans le royaume, et qui n'auraient pas prêté le serment civique dans le délai d'un mois après la publication de ce décret, sans être retenus dans les pays étrangers, par une mission du roi, pour les affaires de l'Etat, seront, pas ce seul fait, déchus de leurs grades et emplois, et privés de leurs pensions, appointements et traitements.

J'ai lieu de croire qu'à l'époque du premier de ces décrets (4 janvier 1790), aucun officier de la marine n'était absent du royaume; mais quoi qu'il en soit, il ne peut être douteux que la loi n'ait eu son exécution, puisqu'il était ordonné aux trésoriers de ne payer aucuns appointements, que sur la présentation du certificat de résidence, et sur celle des quittances de contribution patriotique et autres.

Il a été expédié des ordres pour l'exécution de ces dispositions; et les trésoriers n'ont pu y contrevenir sans s'exposer à voir rayer ces articles de leurs comptes. Deux officiers de la marine, M. le chevalier de Sade... (Murmures.)

Plusieurs membres Monsieur le Président, rappelez le ministre à l'ordre!

M. Delacroix. Il n'y a plus de chevaliers.

M. le Président. Monsieur, l'Assemblée vous rappelle que la Constitution porte l'abolition de tous les titres et que vous devez vous y conformer.

M. Bertrand, ministre de la marine. Je vais m'y conformer.

Ďeux officiers de la marine, M. de Sade et M. de La Bintinaye, ayant passé en pays étranger, annonçant l'un, qu'il ne voulait pas prêter le serment civique; l'autre, qu'il ne rentrerait pas en France, le ministre de la marine proposa au roi de les faire rayer des listes, conformément au décret du 18 décembre 1790, et l'Assemblée constituante en fut informée par des lettres des 16 mars et 16 avril 1791.

Trois officiers généraux, MM. Deshayes, de Cry,

588 [Assemblée nationale législative.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1791.]

d'Apchon et de Castellet étaient absents du royaume depuis quelques mois; le premier, à Spa; les deux autres, à Nice; l'état de leur santé ne leur permettait pas de rentrer. M de Castellet présentait un motif de plus, celui de rester dans l'asile où il s'était réfugié, après avoir couru les plus grands dangers à Toulon dans quelques insurrections.

Le ministre de la marine écrivit plusieurs fois à l'Assemblée pour exposer avec détail la situation de ces trois officiers généraux, et demander, en leur faveur, une exception à la loi.

Il n'a rien été prononcé sur ces demandes. Deux de ces officiers ont cessé d'écrire; mais M. de Castellet continue à représenter qu'il est sans ressource; qu'il n'a échappé qu'avec les plus grandes difficultés au danger qui l'a menacé dans le moment même où il venait de prêter le serment civique à Toulon, et que son traitement lui est absolument nécessaire pour subsister; et néanmoins aucun d'eux n'a été payé.

Les différentes lois qui ont été faites relativement au serment civique, ont été exécutées par les officiers de la marine.

On peut même dire que ce corps en a devancé l'exécution dans un moment où son zèle pouvait intéresser la chose publique.

En effet, la loi du 15 juin, qui prescrit une nouvelle formule de serment, porte qu'il sera prêté par les officiers de la marine, « après la nouvelle formation du corps, en recevant les nouveaux brevets ». Cependant, au moment de la nouvelle du départ du roi, les officiers qui étaient à Brest et à Lorient s'empressèrent de renouveler leurs serments, et prévinrent l'envoi du décret du 22 juin. Des commissaires de l'Assemblée furent envoyés alors dans les départements des frontières, pour recevoir le serment des troupes de ligne. On était prêt d'en nommer également pour les ports, lorsque les députés de Brest firent eux-mêmes l'observation qu'il serait peu nécessaire d'y envoyer, et que, d'après la loi du 15 juin, il fallait attendre la nouvelle orga

nisation.

Depuis cette époque, le ministre n'a fait expédier que les congés de droit qui étaient réclamés par les officiers revenant de la mer. Quelques autres, exposant des affaires majeures ou des raisons de santé, ont obtenu aussi des congés ou des prolongations, mais sans appointements pour ceux qui, d'après les règles et les usages suivis depuis les dernières ordonnances devaient en être privés.

Ainsi, on ne peut regarder que comme l'effet d'un zèle inconsidéré, les demandes qui ont été faites plusieurs fois à l'intendant du port de Brest, de suspendre tout payement d'appointe ments aux officiers qui n'étaient pas présents.

Cela n'était pas nécessaire pour empêcher que les officiers absents du royaume pussent toucher leurs traitements, puisqu'on ne les payait que sur le vu des certificats exigés par la loi, et qui prouvaient leur résidence. Il en résultait done seulement la privation du traitement pour les officiers qui, revenant de la mer, avaient obtenu des congés ordinaires, et pour ceux que leurs affaires, leur mauvaise santé, ou toute autre cause aussi legitime appelait ou retenait chez eux.

Ainsi, les décrets relatifs au payement des appointements, et ceux qui prescrivent les serments, ont été exécutés par les officiers de la marine autant qu'il était possible pour ce corps qui a été supprimé par la loi du 1 juin, et dont la nouvelle formation n'est pas encore faite.

Je n'ignore certainement pas que, dans ce moment, beaucoup d'officiers de la marine sont hors du royaume; mais il est vrai aussi que, parmi ces officiers, il n'en est point qui ait abandonné son service; c'est-à-dire, qu'aucun de ceux qui sont employés, soit à la mer, soit dans les ports, n'a déserté son poste. On me reproche d'avoir annoncé publiquement ce fait; mais il était certain alors; et j'ai lieu de croire qu'il l'est encore. J'ai donc pu le dire, et j'ai dù laquelle est fondée l'objection qu'on m'oppose. le publier. Je développerai les motifs qui m'ont guidé, après que j'aurai éclairci l'équivoque sur

་་

J'observerai d'abord que tous les officiers de la marine ne sont pas toujours en service. Les capitaines de vaisseaux sont employés dans les ports à tour de rôle; et lorsque le temps de leur service est fini, ils sont libres de se retirer chez eux, sans avoir pour cela besoin de congé. Les nouvelles lois relatives à la marine ont consacré cette disposition des anciennes ordonnances; elle est formellement établie par l'article 3 de la loi du 1er juin 1791 qui porte: « que les capitaines et les lieutenants qui ne sont pas de service à la mer, ou dans les arsenaux, ne seront pas tenus alors de résider dans les départements.» Les officiers revenant de la mer avaient aussi la permission de s'absenter pendant un temps qui était fixé ordinairement à la moitié de la durée des campagnes qu'ils venaient de faire, et il était aussi accordé des congés pour raison de santé. Ainsi, quoique tous les officiers de la marine fussent portés sur l'état de quelqu'un des ports, il n'y avait ordinairement dans ces ports que le nombre réellement nécessaire au service; et les officiers qui étaient ainsi employés et en activité réelle, ont, jusqu'à présent, demeuré à leurs postes, ainsi que tous ceux qui étaient sur les bâtiments de l'Etat.

Je sais trop bien qu'un grand nombre d'autres ont abusé de leurs congés, ou de la facilité qu'ils avaient de s'absenter, pour passer en pays étrangers, et tandis que je m'occupais des moyens d'arrê ter les progrès alarmants de cette émigration. Je crus très utile d'opposer à l'opinion qui entraînait un grand nombre de ces officiers, une opinion contraire; j'essayai de leur présenter l'exemple de ceux de leurs camarades que le sentiment de leurs devoirs tenait attachés au service des ports. Je voudrais pouvoir dire que cette mesure a eu le succès que je désirais; mais, quoi qu'il en soit, je me crois bien loin d'être blainable de l'avoir adoptée. Je serais coupable, sans doute, si j'avais favorisé alors l'idée qu'on cherchait à répandre sur l'opinion générale des officiers de la marine à cet égard, puisque c'aurait été le moyen de déterminer l'irrésolution de quelquesuns d'entre eux, et de les porter à émigrer. I était essentiel, au contraire, de prouver que les sentiments étaient au moins partagés, et que celui du devoir l'emportait sur toute autre idée chez ceux de ces officiers qui étaient actuellement attachés à des fonctions actives.

Mais, quelqu'utilité qui dut en résulter pour la chose publique, je ne me serais pas permís d'annoncer ce fait, s'il n'avait pas été exactement vrai. Les efforts qu'on fait pour tâcher d'attaquer cette vérité sont nuisibles, sans doute, puisqu'en faisant considérer l'idée de l'émigration comme générale dans le corps de la marine, on augmente Feffet de cette opinion funeste; mais on ne pourra parvenir à détruire mon assertion positive, qu'en l'attaquant d'une manière directe, c'est-à-dire en prouvant que quelques-uns des officiers de

la marine qui étaient en service actuel, ont déserté leurs postes.

On a dirigé contre moi une seconde accusation. Elle est relative à la nomination de M. de La Jaille au commandement du vaisseau le Dugué-Trouin; et à cet égard, ma réponse ne peut être que très simple.

Je suis chargé depuis trop peu de temps du ministère de la marine, pour connaître personnellement les officiers. Je suis par conséquent obligé de m'en rapporter, pour ces choix, aux notes qui me sont présentées sur leurs services antérieurs, et à l'opinion établie sur leur compte. J'ai soin de consulter particulièrement le chef de ce corps que je suis à portée de voir, et dont les sentiments patriotiques et le civisme sont le plus connus c'est ce que j'ai fait dans cette circonstance; et tous les témoignages sans exception ont été favorables à M. de La Jaille.

J'ignorais et j'ignore encore les reproches réels qu'on peut avoir à lui faire, car, s'il est vrai, comme on le prétend, qu'on ait formé contre lui quelques inculpations devant l'Assemblée constituante, et qu'elle les ait trouvées assez peu fondées pour n'y pas donner la moindre suite, elles ne méritent sans doute aucune considération. La diversité et la violence des partis qui ont agité les colonies depuis le commencement de la Révolution, ont exposé tous ceux qui y ont été employés pour quelque service public, à des accusations, à des plaintes, et plus souvent encore à des déclamations vagues, mais toujours très vives de la part de quelqu'un de ces partis. Il serait difficile de se les rappeler toutes, et bien injuste sans doute d'attacher quelque importance à celles que l'Assemblée constituante a trouvées assez dépourvues de vraisemblance, pour ne pas daigner s'en occuper.

Je vous prie, Messieurs, de vouloir bien observer que je n'ai aucun moyen de connaître d'avance des opinions qu'on n'énonce pas sur la plupart des officiers particuliers, dont le public ne s'occupe que lorsqu'ils sont destinés à quelque service qui les met en évidence. Je sens vivement combien il serait important pour moi de pouvoir diriger les nominations du roi de manière à prévenir les malheurs affreux qui sont la suite de la violence avec laquelle l'opinion se déclare ensuite dans les ports; mon devoir est de ne rien négliger pour éviter que les scènes cruelles qui viennent d'avoir lieu à Brest, et que rien ne saurait excuser, ne se renouvellent jamais. Je demande à être éclairé; je désire qu'on me donne des avis; je les approfondirai tous, et je ferai ce qui dépendra de moi pour distinguer ceux de ces avis qui seront dictés par le patriotisme, de ceux qui pourraient n'être que le résultat de haines personnelles, ou de passions des particuliers; mais lorsque rien n'aura pu m'indiquer d'avance l'opinion qui s'élèvera dans un port après la nomination d'un officier, et que je n'aurai eu aucun moyen de la prévoir, je suis bien convaincu que l'Assemblée nationale ne me jugera pas susceptible du moindre reproche.

Je ne puis terminer ce que j'ai à dire sur cet objet, sans réclamer votre humanité et votre justice en faveur de M. de La Jaille, dont vous connaissez la situation. Il est toujours renfermé dans les prisons du château de Brest; il demande avec instance que sa conduite soit examinée, jugée et punie si on a un reproche fondé à lui faire, mais que s'il est exempt de blâme, ses calomniateurs, et ceux qui ont mis sa vie dans le plus grand danger, ne demeurent pas impunis.

Ce funeste événement, joint à celui de l'insurrection de l'équipage de la frégate l'Embuscade, a inspiré les plus vives inquiétudes aux officiers destinés à commander les bâtiments qui étaient en armement à Brest. Ils demandent à les remettre en d'autres mains, et il sera très difficile de trouver des officiers qui osent s'exposer aux dangers qui peuvent être la suite du désordre des ports, et de l'insubordination des équipages.

Le roi m'a chargé de vous inviter à vous occuper des mesures que les circonstances exigent, et des moyens de pourvoir au service de cette partie importante des forces publiques.

Le corps de la marine, supprimé par la loi du 15 mai, n'existe actuellement que d'une manière provisoire; il doit être incessamment recréé; et je serai prêt à proposer au roi les listes de la nouvelle formation, dès que les divers objets qui doivent faire partie de cette organisation générale, et dont j'ai rendu compte à l'Assemblée nationale, le 29 octobre dernier, seront déterminés. Les officiers qui n'obéiront pas aux ordres qui leur seront donnés d'après cette formation, et qui ne se rendront pas aux postes qui leur seront assignés, devront sans doute être rayés des états. Si le nombre en était très considérable, les dispositions faites par les lois générales pour les remplacements ordinaires du corps de la marine, pourraient être insuffisantes, et il deviendrait nécessaire de déterminer un mode particulier pour faire ces remplacements de la manière la plus prompte et la plus facile. L'Assemblée trouvera sans doute les moyens de la concilier avec la nécessité de ne pas compromettre la sûreté des vaisseaux de l'Etat, et l'honneur du pavillon français.

Mais en attendant cette formation nouvelle du corps de la marine, les besoins actuels du service exigent les mesures les plus promptes. Beaucoup d'officiers sont absents; d'autres, qui n'ont cessé de témoigner leur zèle et leur attachement à leurs devoirs, craignent peut-être de s'exposer au mouvement d'effervescence qui agite les équipages et les habitants des ports, ou bien ils en sont repoussés par l'opinion publique.

Je sais qu'on a annoncé à l'Assemblée nationale qu'un grand nombre d'officiers de la marine marchande étaient en état de commander les vaisseaux de guerre et qu'ils en avaient le désir comme les moyens. Je m'empresserai de proposer de les employer, mais je ne peux me dispenser d'observer que les concours qui ont été ouverts pour les places d'enseignes entretenus et d'aspirants, ne présentent pas encore les moyens de remplacement qu'on devrait en attendre. L'examinateur annoncé depuis deux mois à Brest, y est arrivé le 24 novembre, et aucun navigateur ne s'est encore présenté pour l'examen d'enseigne entretenu, et il n'y a eu que 7 concurrents pour 24 places d'aspirants.

Je dois représenter aussi que les lois du 15 mai déterminent les grades exigés pour le commandement des bâtiments des divers rangs, et que les enseignes entretenus ou non entretenus ne pourront commander ni les vaisseaux de ligne, ni les frégates, à moins qu'une loi formelle n'autorisât, dans les circonstances actuelles, cette exception à la règle générale.

Je crois avoir suffisamment prouvé combien les dénonciations présentées contre moi étaient peu fondées, et que lorsque j'ai annoncé qu'aucun des officiers de marine n'avait quitté son poste, j'ai avancé une vérité exacte, et, j'ose le dire, une vérité utile.

La dénonciation fondée en preuves est toujours | un devoir quand elle peut être utile à la chose publique; mais la calomnie est toujours un crime et un crime que la vengeance des lois doit atteindre partout, parce que le privilège de porter impunément atteinte à l'honneur ou à la vie d'un citoyen, quel qu'il soit, ne peut appartenir à personne dans un Etat policé; et si ce privilège horrible pouvait exister, l'abus le plus coupable qu'on put en faire serait de l'employer contre les fonctionnaires publics, parce que ce serait les mettre dans la dure nécessité de consacrer à repousser des inculpations injurieuses, le temps qu'ils doivent à la patrie, et qu'ils consacrent à mériter ses éloges et sa reconnaissance.

Enfin, Messieurs, l'intérêt de la Constitution et de ses véritables amis, c'est qu'elle soit exécutée. C'est au roi qu'est confié le soin important d'y veiller sans cesse. Les ministres sont ses principaux agents ils doivent être investis d'une grande considération, parce que cette considération est toujours la mesure de la soumission aux ordres qu'ils transmettent, et parce qu'il est impossible d'y porter la moindre atteinte sans affaiblir dans leurs mains tous les moyens d'exécution. Ainsi, autant ceux qui inculpent avec fondement les ministres prévaricateurs acquièrent de droits à la reconnaissance publique, autant ceux qui osent calomnier les ministres attachés à leurs devoirs, sont dignes de blâme, parce qu'en effet la Constitution ne peut avoir de plus dangereux ennemis. Si les nombreux mécontents que notre sévère exactitude doit faire naître, veulent, par là, fatiguer notre zèle et faire porter, pour ainsi dire, à chacun de nous la peine de sa probité, j'ose avancer au nom de tous que leurs efforts seront infructueux. Nous sommes trop glorieux de cette espèce de supplice, pour être jamais tentés d'y échapper. (Vifs applaudissements dans l'Assemblée et dans les tribunes.)

Plusieurs membres : L'impression du discours du ministre!

M. Rouyer et plusieurs autres membres demandent la parole.

Voix diverses: L'ordre du jour! L'impression! M. Cavellier. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour sur ce que vient de dire le ministre et sur la demande que j'entends faire de l'impression de son discours. Le rapport du comité de marine, qui se fera demain au soir, prouvera combien on doit peu ajouter de foi à cette prétendue justification."

Plusieurs membres : Le renvoi au comité de marine! (L'Assemblée est dans une vive agitation.) M. le Président rappelle les différentes propositions qui ont été faites.

M. Rouyer (l'interrompant). Je demande la parole. (Murmures.) Je fais mon devoir en répondant à l'insolente diatribe du ministre. Monsieur le Président, je demande que vous consultiez l'Assemblée pour savoir si je dois être entendu.

M. le Président. M. Rouyer demande la parole sur le mémoire du ministre. Je mets aux voix s'il sera entendu.

(L'Assemblée décide à une grande majorité que M. Rouyer ne sera pas entendu et renvoie le mémoire du ministre de la marine au comité de marine.)

Plusieurs membres: L'impression du mémoire!
M. Delacroix. Je demande la question préa-

lable sur la motion d'impression. (Appuyé! appuyé!)

(L'Assemblée rejette la question préalable et décrète l'impression.)

M. Brival. Vous venez d'ordonner l'impression du mémoire, cependant le ministre le garde. Je demande qu'il soit tenu de remettre sur le bureau, et à l'instant, la copie de son discours pour que les mots ne soient pas changés. (Rires et murmures.)

M. Bertrand, ministre de la marine, se lève pour parler.

Plusieurs membres : L'ordre du jour! l'ordre du jour!

M. Castel monte à la tribune et commence un discours sur la motion qui a été faite d'inviter le roi à suspendre l'envoi des troupes à Saint-Domingue (1). Il rappelle l'empressement que l'Assemblée a montré à envoyer à SaintDomingue des secours sollicités par l'intérêt de sauver les colonies, secours demandés et offerts avec le zèle le plus empressé par toutes les villes de commerce. Il s'étonne de ce que cet empressement paraît ralenti depuis là connaissance qu'on a du concordat passé, le 12 septembre, entre les colons blancs et les hommes de couleur. Il cherche les causes qui peuvent porter à demander la suspension de l'envoi des secours, et il voit que la seule cause peut être la défiance sur l'observation de ce concordat de la part des colons blancs, et sur leurs dispositions en faveur des hommes de couleur. Il entre dans l'examen et dans la discussion de la solidité et de la légitimité de ces motifs.

M. Bertrand, ministre de la marine, sort de la salle au milieu de cette discussion.

M. Romme, interrompant M. Castel. On laisse sortir le ministre sans lui demander son dis

cours.

Plusieurs membres : A l'ordre! à l'ordre!

Un membre: Puisque le ministre emporte son manuscrit, sans doute pour y faire des changements, je demande qu'il ne soit pas imprimé.

M. Audrein et plusieurs autres membres appuient cette motion.

M. Fauchet, secrétaire. Je dois rendre compte de ce qu'a dit le ministre. Comme nous lui demandions son manuscrit, il nous a répondu qu'il avait lu son discours sur une minute écrite de sa main et que cette minute était trop informe pour qu'on pùt l'envoyer à l'impression; qu'il allait faire mettre son discours au net et qu'il l'enverrait sans délai.

Un membre: Et ce ne sera plus la même chose!

Un membre: Et le Logographe?

M. Aubert-Dubayet. Je demande, pour tranquilliser l'Assemblée, qu'on envoie chercher le discours tel qu'il est."

M. Goupilleau. Je demande le rapport du décret qui a ordonné l'impression.

M. Delacroix. L'Assemblée a ordonné l'impression du discours du ministre; je demande qu'on passe à l'ordre du jour.

M. Goupilleau insiste pour faire rapporter le décret.

(1) Voyez ci-après ce discours, séance du 6 décembre 1791, page 603.

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