Page images
PDF
EPUB

Vous savez, Messieurs, que toutes les sommes actuellement en circulation, et celles que vous avez encore à y faire entrer, sont, à très peu de choses près, en assignats de 50 livres et audessus.

Vous savez également que les 100 millions d'assignats de 5 livres que le corps constituant avait décrétés pour l'échange des assignats de 2,000, 1,000 et 500 livres, sont entièrement employés, et qu'il n'en reste plus à la disposition des caisses.

Cependant, Messieurs, le caissier de la caisse. de l'extraordinaire en a besoin pour les appoints des remboursements qu'il est chargé de faire.

La trésorerie nationale est obligée d'en employer la majeure partie, et presque tous les services qu'elle doit acquitter en exigent: la guerre, la marine, les étapes, les subsistances, le traitement des fonctionnaires publics, les petites parties de rentes, les échanges, les appoints en absorbent une grande quantité; et ces petits assignats ne pourraient être représentés, dans les payements de la trésorerie nationale, que par des écus qu'elle serait obligée de se procurer à un prix très élevé.

Il est donc de la plus haute importance de prévenir, ou au moins de diminuer autant qu'il est en nous cet achat ruineux, et de tenir à la disposition des caisses la quantité d'assignats de 5 livres dont elle ne peuvent se passer.

Votre comité des assignats, instruit qu'il ne restait presque plus d'assignats de 5 livres des premiers 100 millions décrétés (1), a donc cru qu'il était de son devoir de prendre en grande considération cette position du Trésor public, et de vous proposer les moyens de prévenir l'embarras qu'éprouverait le service, et la dépense qu'entraînerait l'achat du numéraire.

Vous avez encore, Messieurs, à l'époque où nous sommes, près de 80 millions destinés à faire face aux dépenses de ce mois.

Vous avez déjà une partie des 100 millions d'assignats de 5 livres que vous venez de décréter dont le papier est fabriqué, et vous pouvez déjà disposer de quelques-uns.

Vous les avez, nous en convenons, destinés à des échanges pour les départements, et vous devez, autant qu'il sera en vous, maintenir cette disposition bienfaisante; mais il est impossible, il serait impolitique, il serait, je dis plus, imprudent de confier, en un même instant, aux messageries une somme aussi considérable; et cette somme existerait en état d'être distribuée actuellement, que votre comité n'oserait vous proposer cette mesure.

Votre comité vous proposera donc, Messieurs, de prendre sur cette somme, et par forme d'emprunt seulement, celle de 25 millions, qui sera versée dans la caisse de l'extraordinaire, pour subvenir aux appoints de ses paiements, et à ceux dont la trésorerie nationale est chargée.

Ces 25 millions ne seront également livrés que par échange; ils pourront facilement, et à une époque suffisamment rapprochée, être remplacés sur les émissions futures d'assignats de 5 livres, que toujours vous désirerez substituer à ceux de plus forte somme, et compléter à ce moyen, selon votre væu, l'échange des 100 millions que vous avez destinés aux départements.

(1) Voir ci-après aux annexes de la séance, page 19, l'état de distribution des assignats de 5 livres remis à la trésorerie nationale du 11 juillet au 9 novembre 1791.

Par cette mesure, Messieurs, vous maintenez le service de vos caisses, vous versez toujours d'une manière directe, dans tout le royaume, des petits assignats, et vous détruisez les gros. Vous laissez l'émission au degré où elle est, sans lui donner aucun accroissement, et vous prévenez, à la satisfaction de toute la nation, un obstacle qui vous obligerait à un achat très coûteux, et dont le double effet serait d'être onéreux au Trésor public, et d'accroître le prix du numéraire.

Le comité des assignats et monnaies vous propose donc le décret suivant :

PROJET DE DÉCRET.

Décret d'urgence.

« L'Assemblée nationale, considérant que la caisse de l'extraordinaire et celle de la trésorerie nationale, ont un besoin indispensable de petits assignats de 5 livres, et que les 100 premiers millions destinés à leur service, par forme d'échange, sont entièrement employés; décrète qu'il y a urgence.

Décret.

« L'Assemblée nationale, voulant concilier les besoins de la caisse de l'extraordinaire et celle de la trésorerie nationale, avec les dispositions de son décret du premier de ce mois, et désirant prévenir les suites dangereuses du défaut de petits assignats pour le service de ces caisses, après avoir prononcé le décret d'urgence, décrète ce qui suit:

Art. 1er. Il sera pris sur les assignats de 5 livres, actuellement fabriqués et prêts à être mis en émission par échange, en exécution du décret du premier de ce mois, la somme de 25 millions, et cette somme sera délivrée au caissier de la caisse de l'extraordinaire, en la forme ordinaire.

Art. 2. Ces assignats seront employés aux besoins journaliers desdites caisses, et échangés contre des assignats de 500, 1,000 et 2,000 livres, qui seront brûlés en la forme ordinaire.

« Art. 3. Ils ne seront délivrés que par forme d'emprunt sur les 100 millions destinés à l'échange dans les départements et districts du royaume, et ils seront remplacés sur les émissions futures pour compléter l'échange des 100 millions décrétés le premier du présent mois de novembre. »

Plusieurs membres : Ajourné.

M. Lavigne. Vos commissaires à la trésorerie nationale ont annoncé, hier au soir, au comité des assignats qu'il ne restait plus dans leur caisse, en assignats de 5 livres, qu'une somme d'environ 150,000 livres, laquelle, jointe à un million qui se trouve chez M. Le Couteulx, forme le complément des premiers 100 millions d'assignats de 5 livres qui, dès cet instant, sont entièrement consommés. La trésorerie nationale demande qu'il lui soit délivré, à l'instant, pour 20 millions d'assignats de 5 livres, pris sur les 100 millions dont vous avez ordonné la fabrication.

J'ai l'honneur de prévenir l'Assemblée, dont l'intention, en décrétant une nouvelle émission de petits assignats, a été de favoriser la circulation du numéraire dans les départements, qu'elle doit scrupuleusement veiller sur l'emploi de ces assignats. Cet échange, dans les départements

n'étant pas du goût de tout le monde, l'Assemblée doit s'attendre à voir renouveler les demandes de la trésorerie nationale, à mesure que la fabrication avancera. La trésorerie nationale et les autres ministres voudraient tous les engouffrer, et rendre nulle la mesure que vous avez décrétée en faveur des départements.

Suivant l'état sommaire envoyé par la trésorerie nationale, il paraît qu'elle a employé, dans les payements ou échanges, depuis le 24 juin dernier, 94 millions; mais il me paraît aussi que, sur cette somme, il n'y a réellement d'employé à un service nécessaire, comme solde des troupes, marins et autres de ce genre, que 45 millions, ce qui fait par mois 9 millions. Cependant, la trésorerie nationale demande encore des fonds en ce moment. Le comité, bien persuadé que cette somme est plus que suffisante pour le service de deux mois, avait d'abord consenti à ne demander que 20 millions; mais pour se mettre à l'abri des tracasseries que pourrait renouveler la trésorerie nationale, le comité vous propose de porter à 25 millions la somme à lui accorder. J'appuie cette proposition, mais je demande qu'il soit ajouté au décret :

« 1° Que les 25 millions d'assignats de 5 livres sont accordés à la trésorerie nationale pour son service complet pendant deux mois au moins, et qu'elle ne pourra, avant l'expiration de ce délai, faire de nouvelles demandes.

་་

Que la trésorerie nationale sera tenue de présenter au comité des assignats et monnaies l'état détaillé de l'emploi des assignats de 5 livres qu'elle prendra pour ses payements ou appoints, par date et par numéro.

Plusieurs membres : Appuyé!

M. Isnard. Je demande que la somme à délivrer à la trésorerie nationale soit réduite à 15 millions, avec tous les amendements qui ont été faits par le préopinant.

J'ajoute par amendement, Messieurs, que cette caisse soit tenue de donner également à l'Assemblée nationale la note de tous les assignats de 5 livres qui lui ont été délivrés dans l'échange des premiers 100 millions, afin que nous voyions si ces assignats de 5 livres ont été distribués pour le bien public, ou bien si on ne les a pas échangés pour mettre le produit de l'agiotage en poche. (Applaudissements.)

Je demande encore qu'un certain monsieur dont je ne sais pas le nom, et qui avait été nommé par le roi pour opérer l'échange des premiers 100 millions d'assignats, rende compte de l'échange qu'il peut en avoir fait, soit aux divers négociants, soit aux différentes autres personnes, parce qu'il est très fort à craindre qu'il n'ait égafemeut agioté les assignats, et je n'ai que trop sujet de le croire.

Un membre: Vous avez vu la consommation que la trésorerie nationale a faite des petits assignats. On dit que cette consommation a tourné presque tout entière au profit de l'agiotage. Vous avez vu, Messieurs, qu'on n'a pu vous prouver dans cet instant qu'un emploi de 45 millions et que l'on vous a dit que 9 millions par mois avaient suffi. On vous demande des petits assignats pour des appoints et on vous demande 25 millions; c'est parce que l'on veut encore agioter et en tourner au moins 12 millions à son profit.

Je suis témoin que les commis de la trésorerie nationale, en envoyant en province des petits assignats, ont gardé une partie de ces petits as

signats; c'est que, lorsque l'on faisait un envoi de 60 ou 80,000 livres en petits assignats, il y avait environ 10 ou 15,000 livres en assignats de 500 et de 50 livres. Pourquoi cela? parce que les commis gardaient ces petits assignats pour les échanger.

D'après ce que l'on vous a dit, que 9 millions par mois suffisaient, je demande, comme M. Isnard, que la somme proposée soit réduite à 15 millions.

M. Pieyre. Nous avons vérifié l'administration de la trésorerie nationale; nous avons trouvé chez elle tous les renseignements que nous avons demandés; nous avons trouvé dans le plus grand ordre les comptes dont nous avons pris connaissance; nous avons vu la marche que l'on a tenue pour la distribution des petits assignats. Ce compte est on ne peut plus détaillé.

La trésorie nationale nous a promis un compte non moins détaillé de l'emploi des 94 millions qu'elle a reçus de la caisse de l'extraordinaire. Il ne faut pas trouver étrange que, dans cinq mois, la trésorerie nationale ait employé 94 millions; il y avait des décrets de l'Assemblée constituante qui l'obligeaient à faire en petits assignats, autant qu'il serait possible, tous les paiements relatifs au culte, aux corps administratifs et à l'ordre judiciaire.

M. Audrein. Avant de répondre aux demandes de la trésorerie nationale, il faut tout d'abord se rappeler les besoins des départements. Depuis longtemps, et trop longtemps, leurs administrateurs sont embarrassés dans les détails de leur administration, et malgré cet embarras, ils administrent. La trésorerie nationale devrait faire comme eux et ne pas demander comme elle pourrait le faire dans des temps d'abondance.

Je propose, par amendement, que les 25 millions de livres destinées aux caisses de l'extraordinaire et de la Trésorerie nationale ne leur soient délivrées que par portions, au fur à mesure de leur fabrication et en proportion des envois dans les départements; bornons-nous, pour le moment, à accorder à la Trésorerie nationale la somme de 10 millions et, au 15 du mois prochain, lorsqu'il vous sera justifié de l'emploi qu'elle en aura fait, vous pourrez lui en donner d'autres.

De cette manière, vous serez sûrs que les payeurs n'auront reçu le complément des 25 millions que lorsque les départements auront reçu le payement des 75 millions que vous leur destinez. (Applaudissements.)

Un membre: J'appuie la motion de M. Isnard, parce que ce n'est qu'au moyen d'un tableau au vrai de l'échange des petits assignats qu'on pourra prévenir l'agiotage.

Un membre: Pour répondre à l'un des préopinants, qui a dit que les petits assignats étaient bien employés, je ne citerai qu'un fait. Dans le département de Rhône-et-Loire, il a été fait des envois d'assignats: par la lettre d'envoi, on annonçait qu'il y avait une somme de 40 millions en petits assignats, et le vrai, c'est qu'il n'y en avait que la moitié ou le quart et que le surplus était suppléé par des assignats de 500 livres. Le fait est vrai. (Applaudissements.)

Un membre: Je demande que l'Assemblée charge le comité des assignats de présenter un moyen pour prévenir l'agiotage dans les dépar

tements.

M. Merlin. Je demande que l'on éclaircisse

le point de savoir si les caissiers se déchargent à la vue des demandes ou à la vue des bons?

M. Cambon appuie le projet de décret du comité.

M. Merlin insiste pour que l'on réponde à sa question, attendu que si le bon était de 30,000 livres, tandis que la demande serait de 100,000 lilivres, on porterait 100,000 livres, lorsque réellement on n'aurait donné que 30,000 livres.

Plusieurs membres demandent que la discussion soit fermée.

M. Dorizy, rapporteur. Je n'ai qu'un mot à ajouter. On a fait différentes objections contre le projet du comité : je supplie d'abord l'Assemblée de le considérer sous son vrai et unique point de vue.

Voulez-vous accorder à la caisse de l'extraordinaire et à celle de la trésorerie nationale les 25 millions de petits assignats qu'elles vous demandent et dont elles ont besoin? vous mettrez leur service en activité sans augmenter la dépense.Voulez-vous, au contraire, les leur refuser, vous les obligez à acheter 10, 20 millions dé numéraire, à 20 0/0, et vous chargez l'Etat d'une dépense prodigieuse.

M. Isnard vous a proposé un amendement pour justifier de l'emploi des petits assignats, et cet amendement a paru appuyé d'un grand nombre de membres de l'Assemblée. J'approuve beaucoup les vues de M. Isnard; il est membre du comité des assignats; ses fonctions de secrétaire l'ont empêché de se trouver à la séance d'hier du comité; sans cela, il y eût vu que la motion qu'il fait aujourd'hui est en partie remplie par la trésorerie nationale.

Je tiens ici le bordereau sommaire des différentes parties de dépenses qui ont nécessité l'emploi des 100 millions d'assignats de 5 livres, et il existe au comité des assignats une lettre de MM. les commissaires de la trésorerie nationale par laquelle ils s'engagent précisément à remettre ce compte, par détail, dans les trois jours, au comité. Ce compte sera très lumineux; une partie des membres de votre comité l'ont vu.

Pour ce qui concerne l'échange, M. Delamarche, commissaire du roi dans cette partie, tient un état distribué par colonnes et contenant les noms des départements, le montant des demandes qu'ils font, les réductions que messieurs de la trésorerie sont quelquefois dans le cas d'ordonner sur les demandes exagérées des départements; ensuite se trouvent le nom, l'adresse et le numéro de celui à qui les fonds sont délivrés. Qui plus est même, Messieurs, on porte l'exactitude plus loin on ne délivre point la somme à l'individu même qui l'a demandée; on la fait porter chez lui pour s'assurer qu'il est vraiment domicilié; de sorte que, s'il se fait quelque agiotage, c'est le domicilié lui-même qui abuse de la confiance que sa qualité lui attire en ne rendant pas à son département la somme entière qu'il a reçue; votre comité se propose, à cet égard, de demander l'impression de la liste de M. Delamarche, et cette impression sera envoyée dans les départements. (Applaudissements.) Vous voyez, Messieurs, que ce que je viens de vous dire répond à l'observation de M. Merlin.

Suivons donc, Messieurs, les sages principes qui ont été développés hier à la tribune par celui qui nous préside en ce moment. Cessons de tourmenter ainsi les ministres et les agents du pouvoir exécutif; ne nous hâtons pas de les inculper et ne nous contentons pas pour cela de

vaines suspicions. Si nous voulons les accuser, ayons en main de quoi les convaincre de prévarication, et je promets d'être le premier dénonciateur, si je me trouve jamais en pareille circonstance (Applaudissements.); mais j'éloignerai toujours les dénonciations vagues, les inculpations prématurées, qui ne peuvent tendre qu'à intervertir le bon ordre qui doit régner entre les grandes autorités constituées, lorsque c'est notre accord parfait qui peut seul nous assurer un gouvernement actif. (Vifs applaudissements.)

M. Chéron-La-Bruyère. Je demande que l'Assemblée prononce l'ajournement et ordonne dorénavant aux comités qui ont des rapports à lui faire et des projets de décret à présenter, de les faire imprimer et distribuer au moins 24 heures à l'avance, lorsqu'ils devront proposer l'urgence.

(Cette motion est appuyée, mise aux voix et décrétée.)

M. le Président met aux voix le décret d'urgence dans les termes suivants :

«L'Assemblée nationale, considérant que la caisse de l'extraordinaire et celle de la trésorerie nationale ont un besoin indispensable de petits assignats de 5 livres, et que les premiers 100 millions destinés à leur service, par forme d'échange, sont entièrement employés, décrète qu'il y a urgence. >>

(Ce décret est adopté.)

M. Isnard fait une nouvelle lecture de ses amendements.

Un membre combat l'amendement de M. Isnard tendant à faire fournir à l'Assemblée nationale un état de la comptabilité de M. Delamarche, caissier de l'extraordinaire, en ce qui concerne les assignats de 5 livres délivrés dans l'échange des premiers 100 millions; il fait observer que M. Delamarche, étant un agent de la caisse de l'extraordinaire, ne peut être comptable qu'envers les administrateurs de cette caisse.

Un membre demande la question préalable sur les amendements.

Un membre combat la question préalable et fait observer que, sans pouvoir donner les noms de commis de M. Le Couteulx, il est certain que plusieurs d'entre eux ont porté chez divers banquiers des sommes de 6 à 7,000 livres en assignats.

M. Isnard. Je n'avais d'autre intention que de rassurer les départements.

M. Brissot. Je demande le renvoi à lundi de la discussion sur les amendements.

M. Couthon. Beaucoup de membres n'étant pas suffisamment éclairés, je demande le renvoi du tout à lundi et qu'en attendant on ordonne l'impression du projet du comité et de tous les amendements.

Un membre: Il est impossible d'ajourner une loi sur laquelle on a décrété qu'il y a urgence.

M. Cambon. M. Isnard ne demande que deux choses 1° que l'on ne donne que 15 millions à la caisse de la trésorerie nationale; 2° que les agents de la nation rendent compte de leur conduite. Cette dernière proposition ne me paraît pas de nature à soulever des contestations; quant à la première, il me semble bien qu'elle peut être admise; mais je m'élève contre toute demande d'ajournement, parce qu'on ne peut pas refuser à la trésorerie nationale l'avantage que l'on accorde à tous les particuliers d'échanger

de gros billets contre des billets de cent sols et parce que si vous renvoyez à lundi le projet du comité, vous la mettez dans l'obligation d'aller acheter chèrement, à beaux deniers comptants, les petits billets qui lui sont nécessaires dans le service journalier pour ses échanges et ses appoints.

Un membre: Si vous adoptez le projet du comité, il faut décréter aussi l'amendement de M. Isnard ou ajourner le tout à lundi.

M. le Président. Je vais mettre aux voix l'impression des amendements et ensuite celle du projet de décret.

Un membre: Il est ridicule de proposer d'imprimer les amendements.

M. Léopold. Les impressions se font aux frais de la nation et il faut en être avare.

M. Delacroix. Vous avez décrété l'urgence sur le projet du comité; il est donc indispensable, qu'en vertu de ce décret, vous accordiez un seCours au moins provisoire. Je propose, en conséquence, que vous décrétiez qu'il sera versé dans la caisse de la trésorerie nationale, provisoirement, une somme de 10 millions de petits assignats, et que vous ajourniez le reste du projet et les amendements à lundi.

(Cette proposition est appuyée, mise aux voix et adoptée.)

Un membre demande l'impression du surplus du projet de décret du comité.

(Cette proposition est adoptée.)

En conséquence, le décret suivant est rendu : « L'Assemblée nationale, voulant concilier les besoins de la caisse de l'extraordinaire et de la trésorerie nationale avec les dispositions de son décret du 1er novembre présent mois, et désirant prévenir les suites dangereuses du défaut de petits assignats pour le service de ces caisses, après avoir prononcé le décret d'urgence, décrète « Qu'il sera pris provisoirement sur les assignats de 5 livres actuellement fabriqués et prêts à être mis en émission successive par échange, en exécution du décret du 1er de ce mois, la somme de 10 millions, laquelle sera délivrée au caissier de la caisse de l'extraordinaire, en la forme ordinaire; sur le surplus du décret proposé par le comité des assignats, ajourne la discussion à lundi prochain, et ordonne l'impression du rapport et du surplus du projet de décret. »

Un de MM. les secrétaires fait lecture:

1° D'une pétition des notaires royaux de Nevers qui demandent l'interprétation de quelques articles du décret relatif aux notaires.

(Cette pétition est renvoyée au comité de législation.)

2o De trois lettres écrites par les sieurs Drouet, Jobin et Rotrou, qui demandent à être entendus à la barre.

(L'Assemblée décrète qu'ils seront admis dimanche prochain.)

3 D'une lettre de M. Garnery, libraire, ainsi conçue :

Législateurs, la Constitution est l'évangile des Français; elle deviendra la bonne nouvelle de tous les peuples; elle éclaire déjà même l'Espagne et l'Italie, par les exemplaires qu'on y en a répandus. Je l'ai fait imprimer sur papier vélin, en petit format et en caractères de Didot: Vous ne pouvez vous dispenser d'agréer le pre

mier exemplaire, qui est dû au souverain. Le roi aura le second. (Applaudissements.) « Je suis avec respect, etc...

a Signé GARNERY. » Plusieurs membres demandent qu'il soit fait mention honorable de cette lettre au procèsverbal.

M. Garran-de-Coulon. Cette lettre est si courte et contient de si bons principes, que j'en demande l'insertion au procès-verbal. (Applaudissements.)

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé!

M. Chéron-La-Bruyère. La lettre de M. Garnery renferme des principes anticonstitutionnels : nous ne sommes pas le souverain; nous n'en sommes que les représentants. (Murmures.) Je m'oppose à l'insertion au procès-verbal.

M. Merlin. Je demande à répondre. Ce n'est point à l'Assemblée que le libraire fait ce don, c'est à la nation dans ses représentants.

Un membre: On a mis en avant une maxime constitutionnelle que je demande à réfuter; il est de fait que le représentant est le même que le représenté. Vous faites des lois, parce que vous représentez le souverain. (Murmures.)

(L'Assemblée, consultée, accepte l'hommage de M. Garnery, en décrète la mention honorable au procès-verbal et passe à l'ordre du jour sur la demande d'insertion de sa lettre.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre des officiers municipaux de la ville de Caen relative aux troubles survenus dans cette ville le 5 courant et ainsi conçue:

[blocks in formation]

« Nous avons dejà prévenu M. Bonnet-de-Meautry, député de notre ville, de l'insurrection qui a eu lieu dans nos murs, samedi dernier ; et nous avons lieu de croire qu'il vous en aura rendu compte. Il ne nous fut pas possible alors d'entrer dans tous les détails que nous transcrivons dans le procès-verbal que nous joignons à la présente. Vous verrez, Messieurs, à quels dangers notre ville a été exposée. Nous ne devons notre salut qu'à la prudence et au courage de nos gardes nationales. Nous sommes occupés maintenant à prendre les déclarations des personnes mises en état d'arrestation, et à recevoir les rapports; nous nous proposons de rédiger un procès-verbal par suite, et nous nous empresserons de vous en adresser copie avec les pièces y relatives. « Nous sommes, avec respect, Messieurs, etc. Signé: LES OFFICIERS MUNICIPAUX DE LA VILLE DE CAEN. »

Suit le procès-verbal du conseil général de la commune de Caen ainsi conçu :

Aujourd'hui 5 novembre 1791, à 2 heures de relevée, le conseil général de la commune de Caen, assemblé dans le lieu ordinaire de ses séances, pour dresser le procès-verbal des faits relatifs à l'insurrection qui a eu lieu ce matin, a recueilli ce qui suit:

Depuis quelque temps une foule d'émigrants. et de ci-devant nobles, tant de la ville de Caen que des environs, se réunissaient dans les lieux et les places publiques, formaient des cavalcades et semblaient, par leur arrogance, leurs propos et leurs menaces, annoncer des projets hostiles. Ils sondaient les esprits et croyaient qu'ils rallie

raient facilement à leur parti ceux qu'ils désignaient sous le nom d'honnêtes citoyens, de mécontents. Il leur fallait un prétexte, et la cause des prêtres non assermentés leur en donnait un. On les entendait de toute part plaindre le sort de ces prêtres; ils s'agitaient, et en faisant cause commune avec eux, ils voyaient un moyen de grossir le nombre de leurs partisans. Ces circonstances avaient déterminé les administrateurs du département à prendre un arrêté qui prescrivait aux prêtres, ci-devant fonctionnaires publics, de quitter leurs paroisses, en exceptant toutefois ceux dont les municipalités auraient donné bon témoignage. Mais la lettre du ministre de l'intérieur, en les rétablissant dans les droits qui leur avaient été précédemment accordés, a occasionné une fermentation que le ministre était sans doute loin de prévoir. On a vụ des prêtres non sermentés se présenter dans les paroisses desservies par des prêtres constitutionnels, ayant à leur tête des huissiers et des recors. Fidèles à la loi, les prêtres constitutionnels leur ont ouvert leurs églises et leur ont fourni tous les ornements nécessaires au culte divin; ils n'en ont pas moins été mortifiés, injuriés, menacés par les gens qui accompagnaient les prêtres non sermentés. On a remarqué que plusieurs de ces gens malintentionnés avaient des pistolets et plusieurs autres armes. Ces rassemblements commencèrent à donner de l'inquiétude aux citoyens, et particulièrement au corps municipal.

« Le vendredi 4 de ce mois, M. Bunel, ci-devant curé de la paroisse de Saint-Jean, se présenta pour y dire la messe, environ à 8 heures du matin. Nous avons su qu'il avait averti le curé constitutionnel de ses intentions, et que la majeure partie des habitants de cette paroisse, composée de ci-devant privilégiés, avaient été également prévenus: aussi, à l'heure marquée, l'église était pleine; et ce qui a paru étonnant, dans un jour ouvrable, ce fut de voir le sanctuaire et le choeur remplis de ci-devant nobles et domestiques qu'on soupçonnait être armés de pistolets, et qu'on supposait être apostés pour exciter le trouble et faire un coup de main au besoin. Le ton de ces domestiques, leurs propos menaçants aigrirent les patriotes qui assistaient à cette messe; mais ceux-ci, par prudence, évitèrent toute espèce de rixe. M. Bunel annonça qu'il se rendrait demain à l'église à la même heure. On l'entendit dire à ceux qui l'environnaient patience, soyons prudents, le ciel nous aidera et tout ira bien. Une autre voix annonça un Te Deum en action de grâces.

[ocr errors]

Le conseil général de la commune, instruit de ce qui venait de se passer, crut qu'il était de sa prudence d'écrire au sieur Bunel pour le prier de se dispenser de dire la messe le lendemain. La lettre ne pût lui être remise qu'à 8 heures et demie du soir, et il répondit le fendemain matin, sur les 9 heures, qu'il se soumettait à la réquisition de la municipalité; mais les personnes prévenues la veille, ignorant la détermination ultérieurement prise par M. Bunel, se sont rendues à l'église des 8 heures du matin. L'annonce de la veille avait malheureusement circulé dans la ville, et une affluence considérable de monde se rendit à la paroisse. Quelques patriotes, inquiets sur un rassemblement aussi subit, entrèrent dans l'église. On fut instruit des causes de ce rassemblement, et ceux qui étaient attachés à leur ancien curé disaient hautement qu'ils l'attendaient pour dire la messe et pour chanter un Te Deum.

Un officier de la garde nationale, qui venait d'entendre que 7 ou 8 domestiques avait provoqué et insulté un grenadier, demanda à l'un de ces domestiques quels étaient leurs motifs. Sa réponse, accompagnée d'un ton menaçant, a été : Vous venez chercher probablement ce que vous trouverez nous avons plus de force que vous, et nous vous chasserons de l'église. » Ce domestique a été entouré à l'instant de ses camarades.

Ces propos ont échauffé les esprits; un groupe s'est porté vers l'église, et les domestiques ont été appuyés d'une quarantaine de personnes parmi lesquelles on a reconnu des jeunes gens jusqu'alors suspects et qui, par leur conduite, étaient regardés comme des ennemis de la Constitution. L'un d'eux a voulu désarmer un homme de la garde nationale, venu pour rétablir l'ordre. Il fit plusieurs tentatives, il fut repoussé et reçut plusieurs coups de baïonnettes, qui le renversèrent. Plusieurs personnes avaient des pistolets dans leurs poches, et en tirèrent plusieurs coups.

«Le tambour major de la garde nationale, ayant vu tirer une amorce sur lui, a tiré son sabre et a chargé ceux qui avaient provoqué cette attaque.

« Le corps municipal avait chargé deux commissaires d'aller sur les lieux et de lui rendre compte de ce qui se passait. A leur retour, deux officiers municipaux et le substitut du procureur de la commune s'y sont rendus avec deux compagnies de grenadiers et de chasseurs, et tous les citoyens de la garde nationale qui ont pu être rassemblés. Ils ont dissipé le premier attroupement. Quelques coups de fusil et de pistolet ayant été tirés dans la rue Guibert, les commissaires s'y rendirent avec leur détachement; le corps municipal s'y est présenté au même moment avec le drapeau rouge non déployé; ils empêchèrent qu'on enfonçat la porte de la maison de M. Durossel, d'où l'on a vu partir plusieurs coups de fusil. Quatre gendarines nationaux déclarent avoir été mis en joue par des gens apostés dans la même maison."

Après avoir assuré cette disposition par des piquets de gardes nationaux, le corps municipal a fait ordonner aux compagnies de ne pas tirer sans ordre des chefs, et il eut la satisfaction de voir en peu de temps renaître l'ordre et la tranquillité dans cette partie de la ville. Quatre personnes ont été blessées dans le premier moment de l'insurrection. Deux l'ont été très grièvement. « Le calme paraissait renaître dans la ville; mais le nombre des mécontents s'augmentait, et il était important, sinon de tarir la source des troubles, au moins d'assurer la tranquillité publique par les moyens que la prudence pouvait suggérer. La municipalité, ou plutôt le conseil général de la commune, alors assemblé, jugea convenable de consulter les corps administratifs: un officier municipal, deux notables et le substitut du procureur de la commune ont été chargés d'inviter les corps administratifs à se rendre à la maison commune ils se sont transportés au département, accompagnés par un détachement de gardes nationales.

« Le procureur général syndic était absent; et pour donner au département le temps de prendre une résolution, les commissaires se rendirent au directoire de district. Les administrateurs de ce directoire s'empressèrent d'accéder à la demande du conseil général de la commune. De suite, les membres du conseil, accompagnés des administrateurs de district, sont rentrés

« PreviousContinue »