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M. Ducastel. Vous avez accordé la priorité au projet de M. Brissot; le décret est rendu; il est irrévocable, et je m'y soumets; mais la justice demande qu'on puisse le discuter. Pourquoi empêcherait-on la discussion? Est-ce parce qu'elle a été faite? Non. Est-ce parce qu'elle est interdite par le règlement ou par la raison? Non. Je ne me présente à la tribune que pour réclamer une chose juste sur le point le plus important l'honneur de l'Assemblée, l'intérêt de nos colonies, l'intérêt de la métropole. Je demande, Messieurs, que la discussion s'ouvre et pour qu'elle puisse être faite avec le calme qui convient, je vous demande encore de l'ajourner à demain.

Plusieurs membres à gauche : Non! non!

M. Ducastel. Je demande l'ajournement à

demain matin. Cette mesure est sage; elle ma: tient tous les intérêts et dès qu'elle les ma tient, des législateurs doivent se rendre à ce exhortation.

Nous ne sommes pas dans le calme, quoiq nous y soyons en apparence. Nous avons bes de la méditation d'un jour; nous ne blessC personne en différant de quelques heures. / crois que ma motion est équitable; elle est ap puyée. Je demande qu'elle soit mise aux vo (Applaudissements.)

(L'Assemblée, consultée, ajourne à dema: matin la discussion du projet de décret & M. Brissot.)

M. le Président annonce que, vu l'heure tardive, il n'y aura pas de séance le soir. (La séance est levée à cinq heures.)

PREMIÈRE ANNEXE

A LA SÉANCE DE L'ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE DU MARDI 6 DÉCEMBRE 1791 (1).

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Londres, le 25 octobre 1791.

A l'Assemblée nationale, au roi et à la nation française, la société des Wighs constitutionnels à Londres; M. Briton, président.

"

L'abrégé de la Constitution française ayant été lu par le secrétaire, les résolutions suivantes ont été prises à l'unanimité:

« Arrêté que la société applaudit à la Révolution française et aux principes fondamentaux d'après lesquels l'Assemblée nationale a forme la Constitution.

Arrêté que la société félicite l'Assemblée nationale, le roi et la nation, sur l'acceptation donnée à la Constitution par le roi des Français.

« Arrêté que la société présente ses remerciements à l'Assemblée constituante sur le patriotisme sublime et le noble désintéressement qu'elle a montrés en établissant et maintenant jusqu'à sa séparation les principes d'une Constitution, ouvrage de la sagesse et de l'intégrité, les bases de la liberté, l'anéantissement de l'aristocratie et l'émancipation générale d'un peuple hospitalier, généreux et brave.

« Arrêté par nous, Wighs constitutionnels, enfants de la liberté, que si un ou plusieurs pouvoirs despotiques, quels qu'ils soient, faisaient quelques tentatives pour enchaîner le peuple français, même pour altérer la liberté dont il jouit, notre vie et notre fortune seront employés à repousser leurs efforts jusqu'à la destruction entiére de l'esclavage, de l'usurpation et de la tyrannie.

«Arrêté que copie de cette délibération sera faite par le secrétaire de la société, et envoyée par lui à l'Assemblée nationale de France..

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, L• 34, no 8.

ANNEXE

A LA SÉANCE De L'Assemblée NATIONALE LÉGISLATIVE DU MARDI 6 DÉCEMBRE 1791.

A L'ASSEMBLÉE NATIONALE contre la motion faite par M. Guadet, relative à l'état politique des gens de couleur (1), et contre toute autre motion tendant à faire révoquer ou altérer le décret du 24 septembre 1791 (2).

Messieurs, avant de considérer ce qu'on vous propose de décréter, il est de la plus haute importance de fixer votre attention sur ce que vous ètes. La mission de l'Assemblée constituante a été de déterminer vos pouvoirs; la vôtre est de vous y conformer. Vouloir faire un seul pas hors du cercle dans lequel le corps constituant vous a circonscrits, c'est tenter une seconde révolution, c'est la commencer effectivement; et attaquer un seul des décrets constitutionnels dont le dépôt sacré fut mis sous votre garde, c'est donner tout à craindre pour tous les autres décrets constitutionnels; ce serait faire désirer peut-être à des esprits fatigués de changements, fe calme du despotisme à la place d'une révolution éternelle.

Députés par vos commettants pour exercer le pouvoir législatif sous la sanction du roi, vous ne pouvez faire aucune loi seuls, et vous n'en devez proposer aucune qui soit contraire aux lois constitutionnelles de l'Assemblée constituante.

Quel est le projet de décret qu'on vous propose? C'est, j'en atteste ceux mêmes qui vous le présentent, une révocation véritable du décret du 24 septembre dernier, dont l'article 3 vous interdit de faire aucune loi sur l'état des personnes dans les colonies.

Or, qu'était le décret du 24 septembre dernier? un décret constitutionnel rendu par l'Assemblée constituante, accepté et non sanctionné par le roi. La lettre du décret y est formelle; et sí quelqu'un me répondait ce qui a déjà été dit devant moi, que la lettre tue et l'esprit vivifie, si l'Assemblée nationale pouvait régler sa conduite et prendre ses aisances suivant cet axiome, je dirais qu'il n'existe plus de Constitution.

Par quels moyens espère-t-on donc vous faire révoquer le décret du 24 septembre? Je n'en vois que deux; ou il faut prétendre que vous avez le droit de révoquer un décret rendu constitutionnellement par l'Assemblée constituante, ou il faut soutenir que vous avez le droit de décider que l'Assemblée constituante n'a pu rendre constitutionnellement le décret du 24 septembre, qu'elle n'était plus constituante lorsqu'elle a déclaré qu'elle l'était encore. Or, qui pourrait, Messieurs, dans cette Assemblée purement législative, se permettre de soutenir qu'elle peut révoquer des décrets constitutionnels, lorsqu'elle n'a pas même le droit d'en proposer la revision? Qui pourrait même prétendre que cette Assemblée législative peut s'établir juge du corps constituant dont elle tient son institution? Si une seule fois le pouvoir constitué se permettait de

(1) Voir ci-dessus, séance du 3 décembre 1791, au matin, page 543.

(2) Le projet de décret proposé ce matin par M. Brissot, porte, mais plus indirectement que la motion de M. Guadet, la même atteinte au décret du 24 septembre. (Note de l'auteur.) (Voir ci-dessus, séance du 6 décembre 1791, page 613.)

décider que le pouvoir constituant n'a pu rendre constitutionnellement tel décret, quelle garantie la nation aurait-elle que les autres décrets constitutionnels seraient respectés ?

Je me résume, Messieurs. Le décret du 24 septembre est rendu constitutionnellement par l'Assemblée constituante; il a reçu l'acceptation du roi ; il ne lui manque rien pour être un décret constitutionnel; et, puisqu'il l'est textuellement, vous ne pouvez ni le révoquer, ni prononcer que le pouvoir qui vous a institués n'a pu le décréter constitutionnellement.

Je pourrais borner là ma discussion, mais il faut consoler ceux qui regrettent que la révocation qui vous est proposée ne puisse être adoptée. Je vais prouver: 1° que l'Assemblée nationale a dû rendre constitutionnellement le décret du 24 septembre; 2° que la révocation qu'on vous propose ne peut être utile même à ceux de l'intérêt desquels on prétexte; que, loin de là, elle leur serait préjudiciable; 3° que, dans tous les cas, cette révocation, si vous vous permettiez de la prononcer, resterait absolument sans effet.

Deux choses sont à considérer, Messieurs, dans le décret du 24 septembre, le fond et la forme. Au fond, ce décret a eu deux objets : le premier, d'assurer, d'une manière invariable, la tranquillité des colonies; le second, d'assurer, d'une manière invariable aussi, les avantages que la France retire de ses colonies.

Ici, Messieurs, j'ai besoin que vous vous transportiez à l'époque où le précédent comité a eu à proposer à l'Assemblée constituante les mesures tranquillisantes qu'exigeaient, et les nouvelles officielles de Saint-Domingue sur l'effet qu'y produisit la nouvelle du décret du 15 mai, et une multitude infinie de pétitions des principales villes maritimes, de commerce et de manufactures du royaume.

Suivant les lettres du gouvernement, au moment de la nouvelle reçue du décret du 15 mai, ce décret avait paru une violation manifeste de la promesse faite par le décret du 12 octobre.

La première partie, ajoutait-il, du décret sur les esclaves, ne rassure même pas à l'égard des propriétés on n'y voit qu'une disposition, qu'un décret subséquent abrogera, comme celui-ci anéantit la promesse du 12 octobre. Ainsi (Messieurs, remarquez ces expressions), (ce qui est le plus grand des malheurs, disait ce gouverneur) la confiance des colons en l'Assemblée se détruit. »

Le procureur général du conseil supérieur du Cap marquait que trois jours s'étaient passés dans des commotions qui ne diminuaient pas; que la garantie accordée à la colonie par le décret du 13 (mais relatif aux hommes non libres), n'était regardé que comme un nouveau pacte aussi vain que celui du 12 octobre, et aussi facile à violer ».

qu'on

D'autres nouvelles officielles portaient avait pris la délibération de ne point recevoir le décret (comme contraire à celui du 12 octobre), que l'on avait exigé la parole du gouverneur qu'il ne le ferait point proclamer, qu'on s'était mis sur la défensive, et que l'on avait fait prêter le serment aux troupes de servir pour la colonie ».

Je dois vous faire remarquer en passant, Messieurs, non que cela soit nécessaire pour l'objet que je me propose aujourd'hui, mais pour répondre à ce qui a été dit si souvent à votre tribune, que c'est par le retard du départ des commis

saires, et parce que l'on n'a pas pressé l'exécution du décret du 15 mai, que les malheurs dont nous gémissons sont arrivés; je crois vous faire remarquer, dis-je, que c'est au reçu de la nouvelle non officielle du décret, et longtemps avant que les dépêches officielles, les commissaires et les moyens coactifs eussent pu arriver dans la colonie, qu'on s'y est mis sur la défensive, ainsi que je viens de vous l'exposer; je dois vous dire que le gouverneur annonçait l'impossibilité de faire exécuter ce décret, et même ses craintes pour les commissaires qui en seraient chargés. Ainsi, il est de toute vraisemblance que, si les commissaires et les moyens coactifs fussent arrivés dans la colonie à l'époque possible, loin qu'ils eussent pu prévenir les désastres du mois d'août, ils les eussent au contraire hâtés, et peut-être ces désastres eussent-ils parcouru toute la colonie.

Enfin, Messieurs, l'assemblée provinciale du Nord, cette assemblée dont le dévouement, dont le zèle pour l'exécution des décrets avaient antérieurement obtenu les éloges du Corps législatif; cette assemblée écrivait, au reçu des mêmes nouvelles : « De quel étonnement n'avons-nous pas été frappés, lorsque la lecture de ce décret nous a présenté la violation la plus manifeste de la garantie nationale que vous avez donnée par vos précédents décrets!... La première exécution de ce décret, si elle avait lieu, serait désastreuse pour la colonie. Tous les cœurs sont ulcérés; les agitations dont nous sommes témoins peuvent amener une explosion générale, affreuse dans ses effets. »

Vous voyez, Messieurs, que ces nouvelles officielles annonçaient le plus grand désespoir, et toute confiance en l'Assemblée nationale absolument détruite.

D'un autre côté, le commerce transmettait à l'Assemblée les résolutions les plus fâcheuses, prises dans la colonie, contre ses intérêts et ses droits qui sont en même temps ceux de la métropole. Une multitude de pétitions, signées de plusieurs milliers de négociants, étaient remplies de doléances sur le décret du 15 mai, et des pronostics les plus alarmants.

Dans cette conjoncture tout à fait délicate, où le comité devait concilier les mesures qui pouvaient tranquilliser à jamais les colons, et celles qui pouvaient tranquilliser à jamais le commerce, ce fut de sa part, peut-être, une conception de la plus haute sagesse que celle du décret du 24 septembre, par lequel, attribuant aux colonies les lois à faire sur l'état des affranchis et des esclaves, et au Corps législatif celles du surplus du régimé intérieur et de tous les rapports commerciaux, il donna à celles-là l'assurance de ne jamais être inquiétées par des tentatives contraires à leur système colonial; et au commerce de la métropole, la certitude que les colonies ne pourraient jamais s'affranchir d'une juste dépendance pour les lois d'intérêts communs, pour les lois com

merciales.

Remarquez, Messieurs, que pour que cette assurance réciproque fùt réelle et stable, ce décret devait être constitutionnel; et c'est ce que j'ai à établir quant à sa forme.

Une raison d'un ordre supérieur, Messieurs, et indépendante des circonstances, exigeait aussi que ce décret fùt constitutionnel; tellement que si l'Assemblée constituante se fût séparée sans le rendre constitutionnellement, elle n'eût rempli qu'une partie de sa mission, elle eût laissé son œuvre íncomplète.

En effet, quel est le devoir d'une Assemblée

constituante? c'est d'établir les rapports politiques par lesquels toutes les parties d'un Empire doivent coexister, c'est d'assigner à chaque partie la place qu'elle occupera dans l'ordre social.

L'Assemblée constituante, Messieurs, avait rempli ce devoir pour les 83 départements européens par l'Acte constitutionnel; mais elle avait déclaré aux colonies qu'elles n'étaient point comprises dans cette Constitution.

Cependant elle avait déclaré aussi qu'elles faisaient partie de l'Empire français; et elle avait admis dans son sein leurs députés qui avaient concouru à la confection de l'Acte constitutionnel. Pouvait-elle donc se séparer, pouvait-elle renvoyer ces députés sans assigner aux colonies qu'ils avaient représentées, leur rang dans l'Empire dont elles étaient déclarées faire partie, sans établir invariablement les rapports constitutionnels qui les uniraient au surplus de l'Empire? C'est ce qu'elle a fait et dû faire par le décret du 24 septembre, qu'on vous propose indirectement de révoquer.

Je sais qu'on a prétendu que la législature actuelle devait être constituante pour les colonies, et cela, disait-on, parce que la constitution des colonies reste à faire; de là on concluait que cette législature constituante pour les colonies aurait le droit de révoquer le décret constitutionnel du 24 septembre. C'est ainsi qu'une proposition vague ou une fausse expression conduisent souvent à de fausses conséquences.

En effet, j'observerai que c'est très improprement qu'on a souvent désigné par le mot de Constitution l'organisation particulière de chaque colonie. Ce mot Constitution ne peut signifier que le pacte social par lequel une nation, ayant en elle la plénitude de sa souveraineté, établit, sans le concours, sans la dépendance d'aucune autre nation, le gouvernement qui lui convient; or, ce n'est pas certainement le cas où se trouvent nos colonies on ne peut donc supposer qu'il y ait pour elles une constitution à faire, et que l'Assemblée nationale puisse avoir relativement à elles un pouvoir constituant.

Ce que l'Assemblée aura à décréter pour les colonies, quand elles auront usé de leur initiative, c'est, non pas leur constitution, j'ai fait voir que cette expression était inconvenable, mais leur organisation intérieure, sauf le point de l'état des personnes et les lois de leur régime extérieur, c'est-à-dire de leurs rapports communs avec la métropole.

Au surplus, si l'on veut persister dans l'abus des expressions, appeler constitution des colonies, ce qui n'est que leur organisation, et appeler pouvoir constituant de la part de la légíslature actuelle, ce qui n'est que le pouvoir de faire des lois réglementaires pour le régime des colonies, je dirai qu'il existe au moins entre ce pouvoir prétendu constituant et le pouvoir véritablement constituant qui a produit le décret du 24 septembre, une différence essentielle et que je vous prie de ne pas perdre de vue, parce que j'aurai bientôt lieu d'y revenir: c'est que ce décret-ci n'a dû être et n'a été présenté qu'à l'acceptation du roi, tandis que tout ce que vous décréterez pour l'organisation ou pour la constitution prétendue des colonies, sera sujet à la sanction du roi.

J'ai annoncé pour seconde proposition, que la révocation du décret du 24 septembre, supposé que l'Assemblée s'attribuât le droit de la décréter, et que le roi la sanctionnât, ne pourrait

être utile aux gens de couleur; qu'au contraire, elle leur serait préjudiciable.

En effet, c'est s'égarer étrangement que de ne considérer une loi qu'en elle-même, et de ne pas tenir compte des difficultés d'exécution. Les colonies ont le droit de compter sur la jouissance invariable du décret constitutionnel du 24 septembre. Quand j'emploie ici le mot invariable, c'est l'expression du décret. On ne peut douter que toute atteinte portée à ce décret les indignerait à l'égal de tout ce qu'elles ont manifesté contre le décret du 15 mai, quelle que soit d'ailleurs leur disposition en faveur des gens de couleur, parce qu'il ne leur est point indifférent que ce soit d'elles ou de l'Assemblée que ceux-ci tiênnent leur état politique. Si l'Assemblée nationale rendait sur ce point une loi qu'à elles seules il appartient de faire, ce vice d'incompétence ferait certainement rejeter cette loi par les assemblées coloniales, quand même elle leur conviendrait au fond; et alors pour peu que les gens de couleur prissent le change sur le motif du refus de cette loi, on peut prévoir quelles mésintelligences fâcheuses pour les deux parties il pourrait résulter de cette méprise, et du décret qui l'aurait occasionnée.

De deux choses l'une; ou les colonies voudront accorder aux gens de couleur les droits qu'ils réclament, ou ils sont obstinés à les leur refuser. Dans le premier cas, le décret du 24 septembre doit d'autant plus subsister, qu'il leur attribue ce point de législation, et il convient pour l'harmonie générale que les gens de couleur tiennent leurs droits politiques des assemblées coloniales plutôt que de les tenir de vous. Dans le second cas, si vous décrétiez ces droits en faveur des gens de couleur, votre décret serait d'autant plus repoussé par les colons, que, leur déplaisant quant au fond, ils y verraient en outre, par cela que vous vous seriez attribué ce point de législation qui leur appartient suivant le décret du 24 septembre, l'infraction d'une assurance qui leur fut donnée comme invariable.

Mais nous sommes heureusement dispensés de toute hypothèse. Des nouvelles sur lesquelles on paut compter, nous donnent copie d'un arrêté de

ment favorable aux gens de couleur, que nonseulement les dispositions du décret du 15 mai y sont adaptées, mais qu'il y est même promis une amélioration d'état à ceux qui, n'étant pas nés de père et mère libres, n'ont pas été compris par ce décret.

Ainsi, la révocation du décret du 24 septembre, si elle était possible, serait, comme je l'ai annoncé, absolument inutile aux gens de couleur. J'ai dit qu'elle leur serait préjudiciable, et en voici la raison : du moment que les gens de couleur vont avoir obtenu les droits politiques qu'ils désiraient, et vous venez de voir que c'est une chose déjà décidée par l'assemblée coloniale de Saint-Domingue, de ce moment l'article 3 du décret constitutionnel du 24 septembre n'a plus d'effet que pour les lois et la police relatives aux hommes non libres; il ne restera plus à faire, en vertu de cet article, que des lois d'esclavage.

Or, pensez-vous, Messieurs, qu'il n'importe pas aux gens de couleur autant qu'aux blancs, que ces lois se fassent dans les assemblées coloniales où ils siégeront eux-mêmes, où toutes les convenances locales seront connues plutôt qu'en France, dans le sein de cette Assemblée où l'ignorance des localités pourra sans cesse égarer les

meilleures intentions, et où les sensations heureuses de la liberté pourront ramener sans cesse le projet de rendre libres aussi des hommes dont le plus grand malheur serait de le devenir, n'y étant aucunement préparés? La seule discussion de cette matière, dans le sein de cette Assemblée, serait du plus grand danger pour tous les habitants des colonies qui ont des esclaves, et vous savez que les gens de couleur en possèdent comme les blancs. Ainsi, j'ai eu raison de dire que la revocation du décret du 24 septembre serait, sous ce rapport, préjudiciable aux gens de couleur eux-mêmes, pour l'intérêt desquels on semble vouloir faire rendre un décret qui comprendrait implicitement cette révocation.

Mais vous, Messieurs, ne devez-vous pas quelque reconnaissance à l'Assemblée constituante, de cet article 3 du décret du 24 septembre ? Législateurs dans des contrées où vous ne devez plus voir qu'égalité et liberté, trouvez-vous heureux de ne plus avoir à faire des lois pour le maintien de l'esclavage, et d'être dispensés de ce qui eût été le plus pénible de vos fonctions?

Plus je réfléchis, Messieurs, à ce décret du 24 septembre que l'on attaque aujourd'hui, plus je reconnais combien il était sage sous tous les rapports, et je gémis de toutes les imputations. que, relativement à ce décret, je vois imprimées de toutes parts contre l'ancien comité colonial, et surtout contre son rapporteur. J'aime à croire qu'ils ont le bon esprit de s'en affecter peu; ils savent que le fanal de la liberté de la presse est une institution qui vaut bien quelque tribut, et que l'on endure pour elle les bouffées de la calomnie.

Enfin, Messieurs, cette révocation du décret du 24 septembre, renfermée implicitement dans le décret qu'on vous propose; cette révocation que vous n'avez pas le droit de prononcer, parce que ce décret est constitutionnel, parce que vous n'avez pas le droit de décider qu'il n'a pas dû être constitutionnel; cette révocation qui serait inutile, et même nuisible à ceux pour l'intérêt de qui l'on semble vous la proposer; cette révocation qui vous deviendrait odieuse à vous-mêmes, parce qu'elle vous ramènerait des discussions infiniment répugnantes aux législateurs d'une nation libre; cette révocation, Messieurs, si vous vous promettiez de la prononcer, resterait sans effet, parce que la sanction nécessaire à vos actes de législation vous serait refusée. Le roi, Messieurs, est de son côté, comme vous l'êtes du vôtre, le gardien des décrets constitutionnels rendus par l'Assemblée constituante; il est le représentant de la nation pour veiller sur vos infractions, comme vous représentez la nation pour veiller sur les siennes. Le roi a donné son acceptation constitutionnelle au décret du 24 septembre, lorsqu'il lui fut présenté par l'Assemblée constituante; vous ne pouvez douter qu'il ne refusât, comme il le doit, sa sanction à la révocation d'un décret qu'il a si formellement reconnu constitutionnel.

Enfin, Messieurs, après vous avoir ouvert si franchement mon opinion sur le décret du 24 septembre, je veux vous la montrer tout entière. Ce qui me reste à vous dire sera hardi peut-être ; mais puisque je suis citoyen français, il m'est permís de manifester ma pensée. Ne pensez-vous pas comme moi, Messieurs, que les 83 départements européens qui ont contracté ensemble la Constitution française, ce pacte social réciproquement obligatoire, sont maintenant tellement liés entre eux par cet acte, et tellement engagés à l'observer, qu'aucun d'eux, tant que le

pacte social s'exécutera, ne peut se détacher du | promises, il n'a pas le temps d'acquérir le domi

corps politique pour s'en rendre indépendant ou s'unir ailleurs ? Mais n'est-il pas vrai aussi que, si la nation avait un jour l'insigne mauvaise foi de rompre ce pacte social vis-à-vis d'un ou de plusieurs départements, de briser les rapports politiques de l'union commune; ces départements, gémissant de ce qu'une nation, la plus sage dans le travail de sa Constitution, serait devenue la plus pertide à une autre époque, ces départements auraient acquis, par le pacte social enfreint, le droit d'une existence indépendante, ou de leur réunion à tout autre peuple de l'univers?

Eh bien! Messieurs, ce qu'est la Constitution française entre les 83 départements d'Europe, l'Acte constitutionnel du 24 septembre l'est entre la France européenne et les colonies françaises d'Asie, d'Afrique et d'Amérique. Observez avec elles ce pacte social; et si elles veulent se désunir, contenez-les, développez votre puissance, vengez la foi trahie, tous les peuples du monde, toutes les générations des siècles vous approuveront. Mais, si c'est vous qui commettez l'infraction, qui rejetez l'acte d'union, j'y verrai de votre part plus que la foi trahie, parce que vous êtes les plus forts, parce que vous l'aurez trahie au moment où la plus grande de vos colonies est accablée de désastres. Si c'est vous qui commettez l'infraction, je vous dirai que vous n'avez plus de colonies que par le fait; de droit, elles seront indépendantes. Je vous dirai que vous aurez plus faít en un jour pour les perdre, que l'Angleterre ne fit, durant un siècle de domination, pour aliéner les colonies qu'elle perdues; vous aurez donné à toutes les puissances de la terre plus de sujets de venger vos colonies de vous, que la France, l'Espagne et la Hollande n'en ont jamais eu pour seconder la scission des Anglo-Américains.

Telles sont, Messieurs, les raisons d'observer envers les colonies, l'Acte constitutionnel du 24 septembre. Telles seraient les conséquences de son infraction. J'ose espérer que les législateurs d'une nation libre ont vu, sans peine, le ton de franchise avec lequel je les ai exposées, et qu'ils en croiront davantage à l'assurance de mon profond respect.

Du 6 décembre, 1791.

Signé DU MORIER.

ASSEMBLÉE NATIONALE LÉGISLATIVE.

Séance du mercredi 7 décembre 1791. PRÉSIDENCE DE M. LEMONTEY, vice-président.

La séance est ouverte à neuf heures du matin.

Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance du mardi 6 décembre qui est adopté sans réclamation.

Un de MM. les secrétaires donne lecture des lettres, adresses et pétitions suivantes :

1° Pétition du sieur Olivier Chauffé. Il a quitté Saint-Domingue au mois d'août dernier pressé d'y retourner pour protéger ses propriétés com

cile exigé par la loi pour contracter mariage: demande en conséquence que l'Assemblée natio nale rende un décret qui, dans toutes les circonstances semblables à celle où il se trouve dispense du domicile requis, attendu que l'ancien conseil du roi, qui donnait, dans ces cas des lettres de dispense, n'existe plus.

(L'Assemblée renvoie cette demande au comite de législation).

20 Lettre du sieur Ferlus, principal de l'Ecole militaire de Sorèze, qui renouvelle l'hommage deja fait à l'Assemblée nationale constituante, d'un ouvrage intitulé: Projet d'Education nationale (L'Assemblée renvoie la lettre et l'ouvrage au comité des pétitions.)

3° Adresse des citoyens de Lavaur. Ils présentent à l'Assemblée nationale leurs félicitations sur ce qu'elle a déjà fait contre le fanatisme; ils lui demandent d'achever son ouvrage.

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable de cette adresse au procès-verbal.)

4° Adresse des citoyens libres de Saintes, assemblés sous l'autorisation de la municipalité, qui engagent l'Assemblée à dénoncer au roi que M. Duportail a perdu la confiance de la nation; cette adresse est ainsi conçue :

U

« Les citoyens libres de la ville de Saintes, assemblés sous l'autorisation de la municipalité, à l'Assemblée nationale.

« L'intérêt de la chose publique nous force à dénoncer un ministre. If y a longtemps que la conduite du sieur Duportail est suspecte; il y a longtemps que l'opinion publique l'assiège; mais il vient de se démasquer lui-même aux yeux de la nation, par l'indécence de sa conduite avec le Corps législatif. La France a vu avec indignation un fonctionnaire public, appelé pour rendre compte de sa conduite, se présenter pour braver l'Assemblée, substituer des insultes aux justifications, et l'audace effrontée d'un coupable à la contenance ferme et modeste qui caractérise l'innocence.

Il a voulu avilir l'Assemblée nationale et le peuple qu'elle représente. Il a osé la taxer de malveillance et de mauvaise foi; et, pour se laver des délits qu'on lui imputait, il s'est rendu coupable d'un délit plus punissable encore; et Vous, sur qui la nation entière a les regards fixés, de qui elle attendait un grand exemple: vous qui devez faire valoir sa souveraineté, vous n'avez répondu aux provocations du ministre que par des murmures. Comme si c'était par des murmures, et non par un coup d'autorité qu'il fallait réprimer cette audace.

"Ainsi vous avez pu oublier le grand caractère dont vous êtes revêtus. Vous avez peut-être manqué à la dignité de la nation que vous représentez. L'audace du ministre a moins affligé les citoyens, que la faiblesse avec laquelle vous l'avez soufferte.

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