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laisser subsister pour eux dans nos îles ordres de chevalerie, ces livrées, ces cordons, ces armoiries, si douloureusement regrettés; dé les étendre aux propriétaires qui n'y sont pas domiciliés? C'est ainsi qu'il resterait aux ci-devant nobles un moyen sûr d'échapper à vos réformes, d'être au milieu de la nation même une nation privilégiée qui flatterait le roi pour en obtenir toutes les faveurs, qui les obtiendrait toutes effectivement par ce mélange d'élévation et de bassesse, et qui rendrait bientôt aux yeux de la cour, le titre de « sujet préférable à celui de " citoyen ». (Applaudissements.)

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Ce ne sont pas là des terreurs paniques. Messieurs. Les députés des colonies, ceux-mêmes qui avaient eu l'honneur inappréciable de concourir à la Constitution française, n'ont pas eu honte de se qualifier de « sujets dans l'adresse qu'ils ont présentée au roi; vous avez vu comment cette adresse a été accueillie. Et pensez-vous que les coupables projets des colons se bornassent à ces dignités d'outre-mer? La rivalité s'établirait bientôt entre les sujets » d'Amérique et les «< citoyens de nos départements, et dans cette association contre nature d'une Constitution libre et d'un établissement féodal, il faudrait que l'un engloutit l'autre. Les citoyens français dédaigneraient avec raison ces sujets orgueilleux, qui, comme les Cappadociens d'infâme mémoire, auraient refusé la liberté qu'on leur aurait offerte; et les aristocrates américains mépriseraient des hommes qui ne seraient que des citoyens; ils les corrompraient par leur mauvais exemple; ils prodigueraient leurs trésors pour ruiner cette liberté qui leur serait odieuse. Qui peut vous garantir qu'ils n'y réussiraient pas?

C'est l'effet des révolutions d'élever les sentiments, de les diriger vers la grandeur et la vertu, d'exalter le patriotisme au delà des bornes ordinaires, et d'étouffer toutes les petites passions qui conduisent le commun des hommes. Voilà pourquoi les peuples ne se montrent jamais plus grands, plus forts, plus invincibles que dans ces moments terribles qui semblent, au premier coup d'œil, menacer l'Etat d'une entière subversion. Les citoyens ne croient pas alors qu'il soit possible de détruire l'édifice qu'ils élèvent à la liberté; et ils auraient raison, si l'on pouvait compter, pour la maintenir, sur les vertus qui ont présidé à son établissement. Mais les grands efforts amènent un long repos, et le sommeil profond succède aux veilles les plus assidues. La liberté se perd plus facilement qu'elle n'a été conquise.

Si la Constitution, qui rend la couronne héréditaire, pour prévenir les orages des élections, l'intrigue des ambittieux, et cette espèce d'anarchie que des nouveautés inopinées amènent presque toujours avec elle; si cette Constitution rend la personne du roi inviolable, elle ne nous défend pas de prévoir les dangers inhérents à la constitution monarchique; ou plutôt elle nous avertit elle-même, en cherchant à nous en garantir par les barrières sans nombre dont elle entoure le pouvoir exécutif. Après avoir séparé le trésor du prince des revenus nationaux; après avoir, pour ainsi dire, mis les troupes à la disposition du Corps législatif, après avoir ôté au roi la nomination des ministres du culte, des administrateurs et des juges, elle a soumis ses agents mêmes à la responsabilité la plus sévère, tant elle a senti combien les usurpations du pouvoir exécutif étaient redoutables. Elles doivent l'être dans un Etat où la maison régnante joint aux

droits que la Constitution lui assure des prétentions plus anciennes qu'elle lui a enlevées, puisque dans les pays mêmes où la liberté n'a pu s'établir qu'en expulsant la maison régnante, celle qui lui a succédé, n'a cessé d'élever son pouvoir sur les débris des droits du peuple qui l'avait appelé. L'histoire du stathoudérat offre une suite trop continue de ces effrayants exemples, pour qu'il soit nécessaire de les rappeler. Mais on ne sait peut-être pas assez que la maison royale d'Angleterre est absolument dans le même cas. Ce roi Guillaume qui liguait toute l'Europe contre les usurpations de Louis XIV, qui avait chassé des îles Britanniques son propre beau-père, parce qu'il n'avait pas respecté les droits de ses peuples, n'a cessé de les livrer sourdement, et même de les attaquer ouvertement, lorsqu'il a pu le faire avec quelque espérance de succès. Les princes de la maison de Hanovre ont constamment suivi ses traces et ravi les droits du peuple, tantôt par la ruse et la corruption, tantôt à force ouverte. Telle a été leur conduite jusqu'à la fameuse révolution américaine, et l'émancipation de l'Irlande, contre lesquelles une administration coupable avait dirigé l'essai des batteries qu'elle voulait employer ensuite à l'asservissement de la métropole.

En laissant nos colonies indépendantes de l'Assemblée nationale sous les rapports de l'intérieur, et sujettes du roi des Français, il n'est pas un des principes de la Constitution que vous n'enfreigniez, pas un des abus proscrits par elle que vous ne ressuscitiez. Ce n'est pas seulement la déclaration des droits qui est violée, l'unité de l'Etat qui est divisée, la souveraineté nationale qui est ébranlée dans ses fondements; mais les bornes que l'on a mises à la liste civile, ces bornes déjà si reculées disparaissent entièrement: le pouvoir exécutif aura des armées qui ne seront plus dans votre dépendance, des flottes dont vous ne pourrez plus disposer, des agents qui ne seront plus comptables envers vous. Il tiendra dans sa main tous nos ports de mer à cause de leurs liaisons avec les colonies; juge suprême des besoins et des rapports de ses « états »> divers, il aura sans doute le droit d'y envoyer à son gré nos vaisseaux, nos troupes de ligne, et ces gardes nationales qui n'avaient pas conquis leurs armes pour aller défendre les droits du roi, mais ceux de la nation. C'est ainsi qu'il sera facile de rendre ce service redoutable aux meilleurs patriotes, en les y envoyant comme dans un exil, en leur y préparant les dégoûts, les persécutions et tous les abus du pouvoir arbitraire, sans en excepter les fers que l'on vient de donner à StDomingue aux passagers d'un vaisseau français. C'est ainsi qu'on parviendra sans peine à tourner vers le pouvoir exécutif, comme vers la source du bien et du mal, les regards que la Constitution n'avait voulu diriger que vers la patrie; c'est ainsi enfin qu'on pourra rassembler dans l'archipel du nouveau monde, ces orages inattendus qui viendront porter la désolation et la mort de l'esclavage dans la métropole. Qui ne sait que c'est dans les montagnes stériles de l'Ecosse que s'est formée la conjuration qui a détruit la république d'Angleterre, et que Charles Il avait été proclamé roi à la Virginie avant de l'être en Europe?

Il suffit, Messieurs, de vous avoir offert ces considérations pour vous en faire sentir la justice et l'importance. Il n'est pas un d'entre vous qui ne doive les accueillir, si vous en avez le pouvoir. Mais on vous oppose des lois constitu

tionnelles, et l'on prétend que la loi du 24 septembre, présentée à l'acceptation du roi, ne peut pas être révoquée par vous. Eh! qui ne voit que ce décret, qui contraste d'une manière si étrange avec la Déclaration des droits, avec la Constitution française que vous avez juré de maintenir, avec la souveraineté nationale qui est essentiellement inaliénable, n'est pas une loi pour nous, et n'a pu le devenir. Bien moins encore peut-on vous l'opposer comme une loi constitutionnelle.

La véritable Constitution, celle que nous avons jurée, y est absolument contraire. L'article 1er du titre III des pouvoirs publics, dit littéralement « La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible; elle appartient à la nation; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut s'en attribuer l'exercice. »> L'article III délègue le pouvoir législatif à une Assemblée nationale composée de représentants temporaires, pour être exercé par elle avec la sanction du roi; et cependant les décrets contradictoires sur les colonies déléguent une autre partie de ce pouvoir législatif à une assemblée coloniale absolument étrangère à la nation française. Sans parler des décrets des 13 et 15 mai, l'article 3 de celui du 24 septembre déclare comme article constitutionnel que « les lois concernant l'état des personnes non libres et l'état politique des hommes de couleur et nègres libres, ainsi que les règlements relatifs à l'exécution de ces mêmes lois, seront faites par les assemblées coloniales, s'exécuteront provisoirement avec l'assemblée des gouverneurs des colonies, et seront portés directement à la sanction du roi, sans qu'aucun décret antérieur puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales. "

Observez que tous ces décrets étant étrangers à la Constitution française le mode de revision déterminé par le titre VII de cette constitution ne peut pas s'y appliquer, et qu'il n'y a aucun mode de revision déterminé par les décrets sur les colonies. Il suit de là que ces prétendues lois constitutionnelles devront être éternellement observées, quels que soient les inconvénients qu'elles entraînent, à moins que l'on ne compte comme un moyen les réformer celui de l'insurrection, cette terrible ressource des peuples opprimés. Pouvait-on porter atteinte d'une manière plus décidée à l'unité, à l'indivisibilité, à l'imprescriptibilité de la souveraineté nationale? Et peut-il y avoir un Français en deçà ou au delà des mers, qui puisse reconnaître comme constitutionnels de pareils décrets?

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Observez encore que ces lois ont été faites sans que les gens de couleur y aient concouru, soit par eux, soit par leurs représentants; et cependant l'article 57 de l'édit de 1685, qui n'a point été révoqué, déclare les affranchissements faits dans les iles, tenir lieu de naissance dans les îles, et les esclaves affranchis n'avoir besoin des lettres de naturalité pour jouir « des avantages des sujets naturels dans le royaume, terres et pays de notre obéissance, encore qu'ils soient nés dans les pays étrangers ». L'article 59, encore plus précis, octroie aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres, veut qu'ils méritent une liberté acquise, et qu'elle produise en eux tant pour leurs personnes que pour leurs biens », les mêmes effets que la liberté naturelle cause à nos sujets ».

Ainsi, des citoyens libres, car ils étaient devenus citoyens en 1789, des citoyens égaux en droit à tous les autres, avaient perdu leur liberté, sans espérance de la recouvrer, ni pour eux, ni pour leur postérité, par cette même Revolution qui assure l'égalité des droits à tous les autres Français ! Ils l'auraient perdue, par la décision d'une Assemblée où ils n'avaient pas de représentants, quoiqu'ils eussent dû y en avoir, et où leurs adversaires avaient été admis, malgré l'irrégularité de leur élection.

Observez enfin que si la position des colonies exigeait que la mère patrie ne pût pas statuer sur leur régime intérieur, sans l'initiative des colons, l'Assemblée nationale constituante n'aurait pas eu le droit de régler, sans le concours des gens de couleur, l'organisation des assemblées coloniales et de leurs éléments.

Certes, s'il y a des lois frappées d'une nullité radicale, ce sont sans doute celles qui statuent sur les droits d'une classe d'hommes, qui les privent même de ceux dont ils jouissaient, et des droits communs à tous les hommes, sans qu'ils aient pu se faire entendre et concourir à la formation de ces lois; ce sont sans doute celles qui leur interdisent à jamais toute réclamation auprès de l'Assemblée qui a proposé cette interdiction, et ne leur laisse de recours qu'à ceux mêmes qui sont intéressés à rejeter leurs demandes. Ce sont celles enfin qui établissent une Constitution, rejetée tout à la fois par les hommes en faveur de qui elle est faite. La Constitution française reconnaît dans les peuples le droit incontestable et imprescriptible de changer leur Constitution. La colonie de Saint-Domingue a changé la sienne. Les blancs et les gens de couleur se sont réunis dans le même vou. Je demande que nos troupes soient chargées de protéger l'exécution de ce vœu fraternel.

M. Chabot. Pour l'honneur de l'Assemblée je demande l'impression et la distribution du discours vraiment philosophique qui vient d'être prononcé.

Plusieurs membres: Appuyé! appuyé! D'autres membres: La question préalable! (L'Assemblée, consultée, rejette la question préalable et décrète l'impression du discours de M. Garran-de-Coulon.)

Il s'élève une discussion sur l'ordre de la parole et un colloque assez vif a lieu autour du bureau.)

M. Bergeras se plaint très énergiquement de ce que son nom a été rayé sur la liste de la parole.

M. Guadet, secrétaire. Je demande à l'Assemblée la permission de lui donner quelques explications à ce sujet. Deux listes pour la parole ont été faites: l'une, des membres qui veulent parler sur le maintien du concordat; l'autre, des membres qui veulent parler sur le projet de M. Brissot. M. Bergeras est sur cette dernière liste. M. Garran-de-Coulon qui vient de parler était sur la première. Je prie l'Assemblée de décider quelle liste je dois suivre.

(Après quelques débats, l'Assemblée décide qu'elle suivra la liste des membres qui veulent parler sur le projet de décret de M. Brissot.)

MM. Duport, ministre de la justice; de Narbonne, ministre de la guerre et Tarbé, ministre des contributions publiques, entrent dans la salle.

M. le Président. M. le ministre de la guerre demande la parole, je la lui accorde.

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Messieurs, le roi m'a confié le ministère de la guerre, vacant par la démission de M. Duportail. J'ai crú voir du dévouement dans l'acceptation de cette place; et cette pensée ne m'a plus permis d'hésiter. J'ai cru, d'ailleurs, que refuser le ministère de la guerre dans les circonstances où nous nous trouvons, pouvait paraître ne pas se fier aux forces de la France; et montrer un tel doute en présence de l'Europe, ne m'a pas paru possible. L'attachement que je dois et que j'ai voué personnellement au roi depuis que j'existe, n'a pu, dans d'autres temps, m'empêcher de témoigner hautement mon amour pour la Révolution. Maintenant que ces sentiments sont réunis, et qu'il n'est plus permis à un Français de les séparer, je viens vous promettre, Messieurs, de consacrer tous mes efforts à rendre à l'armée tout l'éclat que lui assure sa force et son courage, que lui assure ce sentiment d'honneur, caractère distinctif des Français, et qui ne leur rappelant plus des idées féodales, doit devenir l'impulsion de tous, en cessant d'être le privilège de quelques-uns. Mais la considération politique d'une nation dépend encore plus de l'exécution de ses lois dans l'intérieur, que de la force publique armée sur ses frontières. C'est donc de vous, Messieurs, que la France a le droit d'attendre un bien que l'Àssemblée constituante n'a pas eu le temps d'opérer, l'établissement de l'ordre et le maintien de la justice. C'est vous qui hâteṛez cette époque, si redoutable pour nos ennemis; car ils dateront de ce jour votre triomphe et la perte de leurs espérances. Pour moi, Messieurs, je ne peux vous offrir qu'un profond respect pour le pouvoir dont vous êtes revêtus par le peuple que vous représentez, un ferme attachement pour la Constitution que vous avez jurée, un amour courageux pour la liberté et pour l'égalité, sceau de la Constitution française, pour l'égalité qui trouve beaucoup d'adversaires, mais qui ne doit pas avoir de moins ardents défenseurs. (Applaudissements.)

(L'Assemblée décrète l'impression et la distribution du discours du ministre de la guerre, ainsi que l'insertion au procès-verbal.)

La discussion du projet de décret de M. Brissot de Warville relatif aux colonies est reprise.

M. Bergeras. Je plains le sort des gens de couleur et des nègres libres de nos colonies; jouets de l'orgueil et du despotisme des blancs, leur état politique, toujours flottant et incertain, a passé successivement par diverses épreuves, dont la dernière a été la plus étrange et la plus cruelle.

Avant que la loi politique eût prononcé sur l'état des esclaves devenus libres, la raison, qui est la loi de tous les temps et de toutes les nations, disait que l'affranchissement n'était que la réparation d'un grand attentat commis contre la liberté, et que l'homme, rentré par cette voie dans son état naturel, devait jouir de tous les droits civils garantis par la société dont il était membre. Mais les blancs de nos colonies, abusés par l'habitude de dominer, voyaient toujours hommes qui

opprimés, et essaya de les rétablir dans leur état naturel.

Louis XIV, ce fier despote, qui voulut commander à l'opinion et à la conscience, sut respecter les droits civils des nègres et des gens de couleur sortis de l'esclavage; il ne distingua point la liberté naturelle de la liberté acquise, qui n'est que le retour de la première par l'édit de 1685, il plaça sur la même ligne, dans l'ordre politique, le maître qui n'avait jamais porté des chaînes, et l'esclave qui avait brisé les siennes. Tel était l'état des gens de couleur libres dans les colonies françaises, à l'époque de la Révolution.

A cette époque, les blancs ont avancé à grands pas dans la carrière de la liberté, et les gens de couleur n'ont fait que rétrograder vers l'esclavage.

Dès le mois de mars 1790, l'Assemblée nationale avait annoncé aux colonies la ferme volonté qu'elle avait d'établir comme article constitutionnel dans leur organisation, qu'aucunes lois sur l'état des personnes ne seraient décrétées que sur la demande précise et formelle des assemblées coloniales, et le décret du 12 cotobre de la même année avait expressément confirmé cette intention.

Cette disposition générale, relative à l'état des personnes, sans aucune distinction, embrassait les gens de couleur libres, comme les esclaves, et faisant dépendre leur état politique, consacré depuis longtemps par la loi, de la volonté intéressée de l'assemblée coloniale. Leur condition devait être la même que celle des blancs; mais qu'elle a été différente! Dans la régénération de l'Empire, les blancs ont conservé leurs anciens droits, et en ont acquis de nouveaux; les gens de couleur n'en ont acquis aucun, et ont couru le risque de perdre ceux qu'ils avaient. Le premier acte de l'Assemblée nationale à leur égard, a été un décret de proscription; elle a rendu incertain l'état politique que Louis XIV leur avait assuré. Quel a été l'excès de leur infortune? Ils n'ont pu que gémir sur leur sort, au milieu de la prospérité publique, et, à la naissance de la liberté, ils ont eu à regretter la loi du despotisme.

Cependant, le décret du 15 mai dernier, rendu sans avoir consulté les colonies, a paru améliorer leur sort, et rendre à la plupart d'entre eux l'exercice de leurs droits politiques.

Le décret du 24 septembre dernier a enlevé aux gens de couleur, nés de père et mère libres, l'état politique, aux affranchis la certitude dé l'obtenir; et à vous, du moins en apparence, le pouvoir de rendre cet état aux uns, et de l'accorder aux autres. Il a transporté à l'assemblée coloniale le pouvoir de faire les lois concernant l'état des personnes non libres, et l'état politique des hommes de couleur et nègres libres; et, pour surcroît de malheur, ce décret a été déclaré constitutionnel.

Ce n'est pas le moment d'examiner s'il est vraiment constitutionnel ou simplement législatif; cette question ne devrait être agitée que dans le cas où l'on proposerait un projet de décret tendant à le révoquer ou à le suspendre; mais la discussion ne roule que sur le projet de décret de M. Brissot. Et, à cet égard, je dirai qu'il n'est

dans la classe de ces affranchis, des voient pas y pas besoin de prier le roi de diriger les forces

avaient été leurs esclaves, et ne savaient voir des citoyens devenus leurs égaux. Ils les excluaient de leurs cercles, de leurs assemblées, des fonctions municipales, et les tenaient sans cesse dans une sorte de proscription.

La loi vint enfin au secours de ces hommes

qu'il envoie en Amérique contre les auteurs des troubles qui sont survenus; ce devoir sacré lui est imposé par la Constitution, et les agents du pouvoir exécutif ne peuvent pas s'en écarter impunément.

634 [Assemblée nationale législative.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 décembre 1791.]

Mais doit-on prier le roi d'employer les forces à maintenir provisoirement dans les colonies l'état politique des gens de couleur libres tel qu'il était à l'époque du 24 septembre? Veut-on donc qu'il suspende, par sa seule autorité, le décret du 24 septembre qui a changé l'état de ces hommes? Veut-on qu'il tourne contre la loi des forces qui ne lui ont été confiées que pour la maintenir? Veut-on qu'il fasse introduire, à main armée, dans les assemblées des paroisses et dans l'assemblée coloniale, des gens à qui la loi en interdit l'entrée, jusqu'à ce qu'ils y soient appelés par le vœu libre et spontané des colons? Observez que le décret du 24 septembre a le caractère et la force de la loi; observez que l'invitation qu'on vous propose de faire au roi n'est pas une loi qui révoque ou qui suspende ce décret: la révocation ou la suspension d'une loi doit être formelle, et elle ne peut être prononcée que par le Corps législatif. Vous ne voulez ni révoquer ni suspendre, par un décret, celui du 24 septembre dernier ? Eh bien! le roi ne peut point maintenir l'état des gens de couleur, tel qu'il était avant ce décret, qui a essentiellement changé leur état et l'invitation qu'on lui ferait de contrarier ainsi une loi subsistante, serait une vraie dérision.

De deux choses l'une: ou le décret du 24 septembre est constitutionnel ou il est purement législatif. Au premier cas, vous ne pouvez pas y porter la plus légère atteinte; au second cas, il doit être exécuté, jusqu'à ce qu'il y ait été abrogé par une loi contraire.

La provision du moins appartient à la loi, et l'on veut qu'elle lui soit enlevée par la force. Le pouvoir exécutif est tenu de faire exécuter la loi, et l'on veut qu'il en empêche l'exécution! L'assemblée coloniale est légalement revêtue du pouvoir de faire les lois concernant l'état politique des gens de couleur libres, et l'on veut qu'ils aient un état politique indépendant de ce pou

voir!

Et pourquoi n'aurions-nous pas enfin quelque confiance à cet égard dans l'assemblée coloniale? (Rires.) Elle a le pouvoir exécutif. Pourquoi ne nous reposerions-nous pas un instant sur l'intérêt que les blancs ont à s'attacher les gens de couleur libres par des liens intimes ? Des paroles de paix, des assurances d'amitié ont été portées entre eux: si toutes les apparences ne sont point trompeuses, la loi sainte de l'égalité, offerte par les blancs, ne tardera pas à consacrer leur union laissons aux uns le mérite de l'offre, aux autres le sentiment de la reconnaissance : cette marche ne sera pas inutile pour leur bonheur; ils se sont unis d'eux-mêmes comme soldats; ils s'uniront d'eux-mêmes comme citoyens; et après avoir partagé tous les périls de la guerre, ils sauront partager aussi tous les bienfaits de la paix.

Si quelque mesure provisoire pouvait être adoptée dans ce moment, ce ne serait point celle d'inviter le roi à rétablir les gens de couleur libres dans un état politique que la loi leur a enlevé; ce ne serait point celle d'inviter le roi à suspendre, par la force des armes, l'exécution d'une loi subsistante; ce ne serait point celle de faire naître, par ce moyen, un choc de pouvoirs qui entrainerait la destruction de l'ordre et la subversion de l'Empire. Je propose la question préalable contre le projet de décret de M. Brissot.

M. Merlet. D'après le décret d'hier, qui a rejeté par la question préalable la proposition de suspendre l'envoi des troupes, les mesures provi

soires que l'on vous a proposées deviennent très instantes. Je ne répondrai pas aux différentes questions qui se sont élevées soit sur l'exécution du concordat, soit sur l'exécution de la loi du 24 sep tembre, parce que je crois que ce n'est pas ici le moment de s'occuper d'objets aussi importants et que vous avez seulement à délibérer sur des me sures provisoires pour empêcher que les troupes qui vont aller à Saint-Domingue puissent être dirigées par des vues contraires à celles que se propose l'Assemblée nationale. J'approuvé une partie des mesures qui vous sont proposées par M. Brissot; mais je crois qu'elles demandent a être modifiées et qu'il faudrait que le décret für ainsi rédigé :

« L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète que le roi sera prié de donner des ordres pour que les forces navales destinées pour Saint-Domingue ne puissent-être employees que pour maintenir l'ordre dans les colonies et pour maintenir les droits des citoyens, tels qu'ils ont été déterminés par les arrêtés de l'assemblee coloniale, séant au Cap, les 20 et 25 septembre, sans entendre rien statuer sur l'état des person

nes. »

Je pense que pour ne pas donner lieu de croire que vous attaquez le décret du 24 septembre, vous ne devez en aucune manière parler de l'état des personnes. Vous devez maintenir les citoyens de couleur dans les droits qui leur ont été attribués par l'assemblée coloniale, laquelle, jusqu'à présent, nous doit paraître en avoir le pouvoir. Vous devez d'autant plus ne rien préjuger sur l'état des personnes, que vous n'avez pas encore entamé la discussion au fond. C'est pourquoi je me résume en proposant à l'Assemblée d'adopter la rédaction que j'ai eu l'honneur

de lui lire.

M. Ducastel (1). Messieurs, la colonie française de Saint-Domingue a besoin de secours : c'est un point reconnu et décrété.

L'envoi de ces secours ne doit pas être suspendu vous le décidâtes hier.

Mais dans quelle occasion ces forces doiventelles être employées! Telle est la question actuelle.

S'il ne s'agissait que de soumettre ou de contenir des esclaves révoltés et cruels, nous serions tous d'accord.

La question, malheureusement, n'est pas aussi simple.

Des colons blancs voient leurs semblables dans des colons noirs ; ils y voient des hommes libres, des Français, et ils refusent d'y voir leurs égaux. Ce plan étonne d'abord, mais, bien ou mal fondé, il est devenu la cause d'une discussion très affligeante.

Si des troupes passent à Saint-Domingue dans une mission précisément déterminée, elles pourront favoriser ou les blancs, ou les hommes de couleur. Il est même présumable que les agents du pouvoir exécutif protègeront plutôt les colons blancs que les autres. Voilà ce que redoutent les amis des hommes de couleur.

Quelle mission doit-on donner soit aux conducteurs des troupes, soit à ceux qui seront chargés d'en requérir l'emploi ?

Pour bien déterminer cette mesure, il faudrait connaitre la position relative des colons en droit et en fait.

(1) Bibliothèque de la Chambre des Députés Collec tion des affaires du temps, Bf in-8° 165, t. 155, a' 10.

La situation légale des hommes de couleur est certaine. Elle réside dans les lois antérieures aux décrets de l'Assemblée nationale constituante, et dans ses décrets des 8 et 28 mars 1790, 13, 15 et 28 mai 1791 et 24 septembre suivant,

Vous connaissiez, Messieurs, la différence qui existe entre ces décisions versatiles. Le décret du 15 mai réglait équitablement l'état civil des hommes de couleur; mais le décret du mois de septembre soumet politiquement ce même état à la décision des colons blancs.

La position de fait n'est pas connue de même. On doit la considérer sous quatre aspects.

D'abord, nous savons imparfaitement en quel état se trouvait la colonie, au moment où les nouvelles que nous en avons reçues sont parties de Saint-Domingue.

Secondement, quel est, à l'instant où je parle, l'état de cette colonie. Nous l'ignorons.

En troisième lieu, quelle sera la situation de cette colonie lorsque les secours déjà embarqués y arriveront? C'est ce que nous ne pouvons ni connaître, ni prévoir.

Enfin, quel emploi fera-t-on des secours déjà embarqués? Il est possible qu'au moyen de ces forces on ait déjà tout changé dans la colonie, avant que, sur l'invitation de l'Assemblée nationale, le roi y fasse parvenir de nouveaux ordres. Ces diverses considérations doivent être examinées profondément.

D'autre part, voici une réflexion très importante. Des troupes sont déjà embarquées. Le roi a dù fixer leur destination par des ordres positifs. Les ordres arriveront avec ces troupes.

Or, quels sont ces ordres? Il me semble que nous aurions dû, d'abord, nous en informer; mais, à l'avance, je crois que le roi a donné des ordres conformes aux lois.

Quelles lois le pouvoir exécutif a-t-il donc dù suivre? Le dernier décret sur la colonie, le décret du mois de septembre 1791.

Tant que ce décret n'était pas révoqué ou modifié par un autre également obligatoire, il était la seule règle du pouvoir exécutif. La conséquence est donc que le roi a donné des ordres conformes au décret ainsi c'est ce décret que les agents du pouvoir exécutif à Saint-Domingue feront exécuter par les troupes déjà embarquées. Les agents du pouvoir exécutif seront exempts de reproches, puisqu'ils auront observé les lois régnantes, puisque vous n'avez pas décrété le contraire, en invitant le roi à secourir la colonie, puisqu'à l'instant même, le roi ne doit connaître encore pour règle que le décret du mois de septembre.

Ceci posé, je viens au projet de M. Brissot. Ce projet tend « à prier le roi de donner des ordres afin que les troupes de la nation, qui sont destinées pour Saint-Domingue, ne puissent être employées que pour rétablir l'ordre dans les colonies, et maintenir l'état des gens de couleur, tel qu'il était à l'époque du mois de septembre dernier, sans entendre rien préjuger sur l'état de ces hommes de couleur ».

Tels sont les termes de M. Brissot.

La première partie du projet est incontestable. Les troupes ne peuvent être employées que pour rétablir l'ordre dans les colonies. Mais que signifie ce mot « ordre » ? L'ordre est le juste résultat des lois Il n'y a pas d'ordre quand les lois sont méprisées ou sans exécution.

Si donc le roi enjoignait seulement à ses agents dans les colonies d'y rétablir l'ordre, ils devront y faire exécuter le décret du mois de

septembre qui est la dernière loi et qui n'est ni révoqué, ni suspendu.

M. Brissot explique sa pensée par la seconde partie du projet.

Il veut que les troupes « maintiennent l'état des gens de couleur, tel qu'il était à l'époque du mois de septembre dernier ».

Je vois parfaitement le but de M. Brissot.

Cet état des gens de couleur est celui qui résulte du concordat dont vous avez ordonné l'impression.

Ce concordat est fait entre les commissaires de la garde nationale des citoyens blancs du Port-au-Prince, et les commissaires de la garde nationale des citoyens de couleur du même lieu.

Je n'examinerai point si les commissaires respectifs avaient de légitimes pouvoirs, s'ils représentaient légalement le peuple, s'ils en ont obtenu l'aveu suffisant, si le concordat est dans une forme régulière, s'il nous est officiellement parvenu. Je suppose l'affirmative, et je raisonne dans ce rapport.

Voilà donc un concordat fait dans une portion de la colonie. S'il y est valable, s'il oblige cette portion, il est sans force ailleurs. Les autres portions de la colonie sont donc dans l'état où elles seraient, si le concordat n'existait point. Cette conséquence est inattaquable.

Or, d'après cela, que signifie le décret proposé par M. Brissot ?

Ce dernier veut que l'on maintienne provisoirement l'état des gens de couleur, tel qu'il était à l'époque du mois de septembre dernier.

Il prétend donc qu'une partie de la colonie aura pour règle le concordat, et que les autres portions seront régies pour les lois générales.

Cette disparate offre d'abord un plan étrange. Je dis plus, M. Brissot suppose que les positions n'ont pas changé depuis le mois de septembre jusqu'à présent; quelles seront les mêmes quand nos troupes déjà embarquées paraîtront à SaintDomingue, et que ces troupes ne produiront nulle innovation.

Mais M. Brissot ignore, comme nous, tout ce qui s'est passé depuis le mois de septembre, tout ce qui pourra être fait avant l'arrivée de nos troupes, et tout ce qu'elles opéreront.

S'il est possible que les positions n'aient pas changé depuis le concordat, le contraire est possible également.

Je dis même que, suivant toutes les apparences, nos troupes déjà embarquées produiront des changements avant que des ordres contraires à leur première mission parviennent dans la colonie.

Elles sont envoyées pour soumettre les esclaves, et faire exécuter le décret du mois de septembre; elles seront soutenues par les portions de la colonie qui n'ont pas admis le concordat par les blancs de la portion qui l'a fait, et par tous les agents du pouvoir exécutif. Elles seront dans la colonie peut-être un mois avant que les nouveaux ordres y soient connus. Or, dans un mois, on peut faire bien des changements.

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Si donc le concordat était anéanti, soit à présent, soit à l'arrivée de nos premières troupes, soit par elles et si l'ordre de maintenir l'état des gens de couleur tel qu'il était à l'époque du mois de septembre dernier », paraissait dans la colonie, il faudrait, pour exécuter cet ordre, renverser ce qui existerait, vaincre toutes les résistances, et peut-être renouveler les plus affreuses dissensions.

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