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M. Delacroix. S'il n'est pas nécessaire, il ne nuira pas. Dans le doute, il faut décréter l'urgence.

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il y a urgence.)

M. Forfait, rapporteur, donne lecture de l'article 1er du projet de décret, il est ainsi conçu

Il sera fait, sur la proposition du pouvoir exécutif et conformément à la demande du ministre de la marine, en date du 8 novembre 1791, un fonds extraordinaire de 10,370,912 livres, pour les dépenses extraordinaires qu'exige l'expédition du secours à envoyer à Saint-Domingue; « Savoir :

« Pour les frais à faire annuellement dans les colonies......

« Pour transport de troupes et achats de meubles.....

«Munitions de guerre et vi

vres.....

Fonds pour remplacer les frais de perception des droits natio

naux..

« Entretien de 2 vaisseaux de 74 canons, 3 frégates et 5 flûtes par an.

3,640,740 liv.

891,100 800,000

3,000,000

2,039,072 Total..... 10,370,912

M. Goujon. Je demande qu'au lieu de mettre : « Sur la proposition du pouvoir exécutif, on mette: « Sur la proposition du roi, contresignée par le ministre de la marine. »

M. Merlin (de sa place). Je demande, par amendement à l'article 1er, que les secours qui seront accordés spécialement pour les colonies, soient, dans un temps plus heureux, réimposés sur les colonies. Il est indécent que le laboureur et le cultivateur, que le peuple, en un mot, souffre des dépenses excessives dont il ne profite en rien... (Murmures.)

Plusieurs membres : La question préalable!

M. Merlin, monte à la tribune et continue. Sans entrer dans les motifs qui me font refuser ou accorder le silence, j'observe que les richesses qui vous sont demandées par le ministre sont spécialement accordées pour les colonies, que personne autre que les colons n'en ressentent les avantages, et que c'est sur les colonies que cette somme doit être imposée. (Murmures prolongés.)

Plusieurs membres: Allez à l'école !

M. Merlin. Sans doute, si quelqu'un jouit des avantages prétendus que l'on tire des colonies, ce sont les classes privilégiées, c'est le commerce, ce sont les hommes riches... (Murmures dans l'Assemblée. — Vifs applaudissements dans les tribunes).

Un membre: Il faut être bien ignorant pour tenir de pareils propos dans l'Assemblée.

M. Merlin. Je demande que vous rappeliez à l'ordre, Monsieur, qui se permet des particularités.

Je dis que l'esprit commercial, si on l'écoutait, perdrait la patrie. Pour être libre, il ne faut point être riche... (Murmures.)

Un membre: Le préopinant sort de la question, M. Merlin. Je suis dans la question. Je dis, Messieurs, que ces dépenses doivent être supportées par les colonies dont on a fait un royaume à part et l'on sait pourquoi.

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L'on cite la métropole en faveur des colonies; mais, Messieurs, les colonies n'y tiennent pas du tout; elles ont un régime différent; elles proposent leurs lois, elles ne tiennent nullement aux nôtres, elles peuvent les refuser. En conséquence, Messieurs, nous mangerons la substance du peuple, du laboureur, du pauvre, qui ne prennent ni café ni sucre. (Vifs applaudissements dans les tribunes. -Murmures prolongés dans l'Assemblée.)

Je demande que l'Assemblée ajoute au projet de décret que les 10 millions et tant de 100,000 livres, dont on gratifie les ministres, soient réimposés sur les colonies.

MM. Gossuin, Delacroix et plusieurs autres membres se lèvent et proposent la question préalable.

Un membre: Il ne faut mettre ni la question préalable ni l'ordre du jour sur cette motion. Il faut laisser à M. Merlin seul la honte de l'avoir faite.

M. Tarbé est à la tribune.

Un grand nombre de membres : La question préalable!

D'autres membres s'adressant à M. Tarbé: Ne lui faites pas l'honneur de lui répondre.

Plusieurs membres : La discussion fermée!

M. Tarbé. Je demande sur quel amendement on veut que la discussion soit fermée. Il a été proposé d'autres amendements que le dernier : c'est sur ceux-là que je veux parler. Quant à l'amendement de M. Merlin, je croirais faire injure à l'Assemblée... (Applaudissements.) de penser qu'une opinion aussi extravagante put obtenir le moindre crédit dans une assemblée des représentants de la nation. (Vifs applaudissements.)

M. le Président. Je rappelle aux membres de l'Assemblée que les applaudissements leur sont interdits.

M. Chabot. Je demande que M. Tarbé soit rappelé à l'ordre.

M. Tarbé. Je n'examinerai pas cet amendement que je ne me donnerai pas la peine de combattre, parce que je suis persuadé d'avance que la question préalable en fera justice. (Applaudissements.)

C'est sur la proposition de M. Delacroix, qui me paraît susceptible d'examen, que je demande la parole. Il propose à l'Assemblée de décréter purement et simplement le premier article du projet du comité, sans entrer dans le détail de l'emploi des fonds extraordinaires accordés aux colonies. Je ne doute pas que M. Delacroix ne Vous ait fait son observation dans des vues de bien public; mais, je crois en même temps, Messieurs, que si on adoptait sa proposition, il en résulterait que de cette somme de 10,370,000 livres, le ministre pourrait faire un usage quelconque, autre que celui désigné dans sa lettre, et que celui que l'Assemblée nationale croit convenable pour opérer le salut des colonies. Je pense donc que, puisque les 10 millions sont destinés à subvenir à telle ou telle dépense, il est nécessaire que votre décret en fasse mention, afin que dans le cas où le ministre n'aurait pas fait de ces fonds l'usage déterminé, vous ayez des bases réelles de responsabilité. J'ajoute que vos comités ont suivi, en cela, la même marche que l'Assemblée constituante dans des occasions

semblables. Je conclus à l'adoption des projets | je rappelle que la responsabilité des ministres, des comités.

Plusieurs membres : La discussion fermée! (L'Assemblée ferme la discussion.)

M. Delacroix. Je demande que le décret ne contienne qu'un seul article, et voici la rédaction que je propose :

« L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des colonies et de marine, et délibérant sur la proposition du roi, portée en sa lettre du 14 novembre 1791, contresignée par le ministre de la marine, et après avoir rendu le décret d'urgence, décrète ce qui suit:

« L'Assemblée nationale accorde la somme de 10,370,912 livres demandée par le roi pour les secours à porter à Saint-Domingue, pour l'expédition qu'il a ordonnée afin d'y rétablir l'ordre, sur laquelle somme, qui sera supportée par les fonds destinés aux dépenses extraordinaires, il sera mis sans délai à la disposition du ministre de la marine, celle de 3,456,970 1. 13 s. 4 d., et le surplus au commencement de chaque mois, à raison d'un douzième, à partir du 1er décembre prochain, de l'emploi de laquelle somme le ministre rendra compte sous sa responsabilité à l'Assemblée nationale. »

Plusieurs membres : La priorité pour le projet

du comité!

(L'Assemblée, consultée, rejette la priorité pour le projet du comité, et l'accorde à celui de M. Delacroix.)

Un membre veut lire une autre rédaction. M. Delacroix. Ma proposition a la priorité, on ne peut pas en proposer une autre.

:

Un membre Je demande que l'amendement de M. Merlin soit mis aux voix.

M. le Président. Je vais d'abord mettre aux voix la proposition de M. Delacroix.

(L'Assemblée décrète la proposition de M. Delacroix sauf rédaction.)

M. le Président. Je mets maintenant aux voix l'amendement de M. Merlin, qui tend à réimposer sur les colonies la somme qui vient d'être décrétée.

Un grand nombre de membres: La question préalable!

Un membre: Je demande à combattre la question préalable!

Un grand nombre de membres: Non! non! Fermez la discussion!

(L'Assemblée ferme la discussion et décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement de M. Merlin.)

(M. Merlin est le seul des membres de l'Assemblée qui se soit levé contre.)

M. le Président. Il y a un autre amendement. I tend à faire composer les troupes que l'on enverra dans les colonies, d'une moitié de soldats de l'armée de ligne et d'une autre moitié de gardes nationaux.

Un membre: Je voudrais que ce ne fût là que l'objet d'une invitation au pouvoir exécutif.

Plusieurs membres: La question préalable! (L'Assemblé décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'amendement.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture de la rédaction de M. Delacroix.

M. Ducos. Je propose de supprimer les mots: "sous sa responsabilité ». Mettre ces mots dans un décret c'est s'engager à le faire dans tous; rɔ

d'après l'acte constitutionnel, est un fait préalable. Je demande donc le retranchement des mots: "sous sa responsabilité. »

(L'Assemblée adopte la motion de M. Ducos.) Suit la rédaction de ce décret telle qu'elle a éte adoptée lors de la lecture du procès-verbal :

L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité colonial, et délibérant sur la proposition du roi portée en sa lettre du 14 novembre 1791, et contresignée par le ministre de la marine, et après avoir rendu le décret d'urgence, décrète ce qui suit:

་་

L'Assemblée nationale accorde la somme de 10,370,912 livres, demandée par le roi, pour les secours à porter à Saint-Domingue, pour l'expédition qu'il a ordonnée afin d'y rétablir l'ordre; sur laquelle somme, qui sera supportée par les fonds destinés aux dépenses extraordinaires, il sera mis, sans délai, à la disposition du ministre de la marine, celle de 3,456,970 1. 13 s. 4 d. et le surplus, au commencement de chaque mois, à raison d'un douzième, à partir du 1er décembre prochain, de l'emploi de laquelle somme le ministre rendra compte à l'Assemblée nationale. »

d'ordre; elle porte sur l'exécution d'une loi qui autorise le Corps législatif à appeler auprès de lui ceux de ses membres qui ne se seraient pas encore rendus à leurs devoirs. L'Assemblée nationale n'a pas constaté au commencement de ce mois le nombre de ses membres. Un article de la Constitution me semble l'inviter à cette mesure... Flusieurs membres : L'ordre du jour ! (L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Gossuin. Je demande à faire une motion

M. le Président. L'ordre du jour est un rapport du comité de législation sur les mesures à prendre pour réprimer les troubles occasionnés par les prètres non assermentés.

Un membre, au nom du comité de législation (1). Une indisposition survenue à M. Veirieu, rapporteur du comité de législation, l'empêche de continuer aujourd'hui son rapport. Je suis chargé de vous présenter le projet de décret suivant, sur les troubles qui ont lieu dans quelques départements sous prétexte de religion. Je m'acquitterai de cette mission en qualité de son suppléant. Je n'entrerai pas, de nouveau, dans les détails des motifs qui ont déterminé votre comité à vous présenter son projet de décret, motifs qui sont expliqués dans le rapport qui vous a été distribué.

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me bornerai donc, Messieurs, à vous faire la lecture du projet de décret de votre comité : L'Assemblée nationale, instruite que dans plusieurs départements du royaume, les ennemis du bien public, sous prétexte de religion, excitent des troubles et fomentent des séditions, décrète ce qui suit :

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Art. 1. A compter du 1 janvier prochain, tout Français, résidant dans le royaume, qui jouit de traitement ou pension sur le Trésor public, ne pourra en être payé, sous aucun prétexte, s'il ne justifie, par un certificat de la municipalité de son domicile, et visé par le directoire du district, qu'il a prêté le serment civique porté en l'article 5 du titre II de la Constitution du royaume. Les trésoriers-receveurs ou gageurs seront personnellement garants et responsables des payements faits contre la teneur du présent décret.

(1) Voy. ci-dessus le rapport, séance du 12 novembro 1791, page 42.

Plusieurs membres: Aux voix ! aux voix ! (Murmures prolongés.)

D'autres membres: Attendez que la lecture soit achevée!

M. le rapporteur continuant la lecture:

« Art. 2. Afin de concilier avec la liberté des opinions religieuses les précautions nécessaires pour empêcher que leur manifestation ne serve de prétexte à des troubles contre l'ordre public, aucun ministre d'un culte ne pourra s'immiscer dans l'exercice public ou prédication de ce culte, s'il n'a prêté le serment civique, porté en l'article 3 du titre 2 de la Constitution du royaume.

« Art. 3. Les officiers municipaux veilleront à ce qu'il ne se passe, dans les assemblées qui auront lieu pour la célébration d'un culte, rien de contraire au bon ordre ou à la loi. En cas de trouble, les coupables seront, par eux, punis ou dénoncés aux tribunaux, suivant l'exigence des

cas.

«Art. 4. Il est expressément défendu aux citoyens ainsi rassemblés de s'occuper de toute autre chose que de l'exercice de leur culte, et dans le cas où ils prendraient des délibérations sur des objets civils et politiques, tous ceux qui y auraient concouru seront condamnés, par forme de police, à une amende du double de leur contribution foncière et mobilière, laquelle amende sera doublée en cas de récidive. (Murmures.)

Art. 5. Toute personne qui, sous prétexte de religion, distribuera ou publiera des écrits qui provoqueront à la révolte contre les lois, sera punie d'un an de détention. (Murmures prolongés.)

« Art. 6. Si, par suite desdites provocations, il est survenu des séditions, meurtres et pillages, les coupables seront, en outre, punis des peines prononcées par le Code pénal, ou par celui de la police correctionnelle. (Murmures prolongés.)

Art. 7. Le ministre de la justice se fera rendre compte tous les mois, par les accusateurs publics auprès des tribunaux, des dénonciations qui leur auront été faites, des poursuites auxquelles ces dénonciations auront donné lieu, et des jugements intervenus; il en rendra compte à l'Assemblée nationale tous les 3 mois, et plus tôt si le cas y échet. (Murmures.)

"Art. 8. Il sera incessamment fait une loi pour régler la manière de constater les actes de naissance, mariage et sépulture.

«Art. 9. Le ministre de la guerre rendra compte, dans le délai de 15 jours, des démarches qu'il a faites pour hâter l'organisation de la gendarmerie nationale dans tous les départements; et il proposera au Corps législatif, s'il y a lieu, d'après l'avis des corps administratifs, une augmentation dans le nombre des brigades, partout où il en sera besoin.

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Plusieurs membres La question préalable sur le projet du comité! (Bruit.)

M. le Président. On demande la question préalable sur le projet du comité.

Plusieurs membres : Oui! oui! La question préalable!

M. Thuriot. Je demande la parole pour une motion d'ordre qui s'explique en deux mots. Un projet de décret avait été arrêté dans le comité de légistation, et ce n'est pas sans étonnement qu'en lisant le projet imprimé, je n'ai retrouvé de celui arrêté que le premier article. Je demande à l'Assemblée qu'elle fixe une base invariable: c'est de savoir si, lorsqu'un comité a pris une déter1r SERIE. T. XXXV.

mination, si lorsque le lendemain matin, en relisant le travail de la veille, il l'aconfirmé, on peut ensuite changer le projet du comité. Non, ce projet ne contient rien des idées qui avaient été fixées par le comité, et j'ose dire qu'il contrarie tous les principes qui avaient fixé principalement l'attention du comité de législation. (Ah! ah! - Applaudissements.). Je connais la cause de la maladie du rapporteur; il était impossible qu'il parût à l'Assemblée pour présenter un projet absolument contraire aux principes qui avaient été les bases de son rapport. Je demande la question préalable sur le projet du comité. (Applaudissements.)

Un membre: Pour qu'on ne puisse inculper le patriotisme de l'Assemblée, je demande, Monsieur le Président, que vous mettiez sur-le-champ aux voix la question préalable qui est appuyée.

M. le rapporteur. Il est très vrai que le comité de législation avait arrêté un autre projet, qui était différent de celui que je viens de vous lire; M. le préopinant y était présent; mais il n'était pas là hier, lorsque de nouvelles raisons ont engagé le comité à le revoir et le retoucher. (Murmures prolongés.)

Si M. Thuriot avait été présent à la séance d'hier au soir, qui dura depuis 6 heures jusqu'à 11, il aurait été témoin des modifications faites au décret, qui, au reste, a passé contre mon opinion. Plusieurs membres : La question préalable!

M. le Président. M. Bigot de Préameneu, membre du comité de législation, demande la parole. Je consulte l'Assemblée pour savoir si elle veut l'entendre.

(L'Assemblée décide que M. Bigot de Préameneu sera entendu.)

M. Bigot de Préamenen. Permettez-moi d'exposer à l'Assemblée les faits tels qu'ils se sont passés...

Plusieurs membres : Le projet ne vaut rien!

M. le Président. Je dois obéir à l'Assemblée ; elle a décidé que M. l'opinant serait entendu et je lui conserverai la parole.

M. Bigot de Préameneu. Vous aviez ordonné à votre comité de législation de vous faire un rapport, samedi, sur les prêtres séditieux. Nous avons travaillé tous les jours jusqu'à dix heures du soir. Vendredi, à une heure après minuit, examinant de nouveau le projet qui était alors rédigé et qui vous a été lu, il ne parut pas remplir entièrement les vues du comité, et nous le rejetâmes. Ainsi nous n'avions, vendredi soir, à une heure après minuit, aucune base de travail. Il est vrai que le préopinant se retira avec trois autres personnes dans une chambre à côté. A deux heures après-midi, alors qu'il restait peut-être cinq membres dans le comité, ou au plus six, M. le rapporteur nous lut le projet de décret qu'il vient de vous présenter. Ne sachant quel partií prendre, on adopta ce projet-là, que je trouve très mauvais aussi. (Rires et applaudissements.)

Hier au soir votre comité de législation s'assembla de nouveau. Nous étions trente, et une délibération de trente membres a évidemment plus de poids qu'une délibération de cinq membres. On a cherché s'il était possible enfin de vous présenter un travail digne de l'Assemblée et qui fut capable de réprimer les désordres. On discuta. Vous pouvez penser ce que c'est qu'une discussion entre trente personnes. Nous posâmes quelques bases, mais nous n'étions pas d'accord. Je vous déclare, en mon nom particulier, que je

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rejette entièrement le projet qui vous est présenté. Mais puisqu'il faut le dire pour notre justification, vous devez, Messieurs, en partie, vous imputer cet inconvénient-là : je vais vous l'expliquer. Il ne faudrait jamais demander à un comité, un rapport à jour fixe. (Murmures.) 11 faudrait lui ordonner de s'occuper sur-le-champ d'un objet jusqu'à ce qu'il fût prêt. Vous voyez combien il est malheureux de fixer un jour. Le comité vient de vous présenter un travail qui n'était point encore assez mùr ni assez réfléchi. Plusieurs membres : La question préalable sur le projet du comité!

M. Ducos. On ne peut pas demander la question préalable sur le projet de décret puisqu'il n'est pas appuyé. Je demande le renvoi pur et simple au comité.

M. Gérardin. Je demande la division de la question préalable.

(La motion de M. Gérardin n'est pas appuyée.) M. le Président. Je mets aux voix la question préalable sur le projet du comité.

(L'Assemblée décide à une très grande majorité qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur le projet du comité. (Vifs applaudissements.)

M. le Président. Le comité de législation reste toujours chargé de vous présenter un projet.

M. Isnard. Puisque cette matière est encore neuve après quinze jours de discussion, je demande à proposer des mesures nouvelles. (Quelques murmures.)

Plusieurs membres demandent le renvoi immédiat de la question au comité de législation.

D'autres membres : La question préalable sur la demande de renvoi !

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la demande de renvoi et que M. Isnard sera entendu.)

M. Isnard (1). Messieurs, les ministres de Dieu troublent le repos de la patrie; pouvonsnous, devons-nous faire une loi particulière pour remédier à ces maux? Et quelle doit être cette loi? Voilà les données de la question.

Beaucoup de bons esprits pensent que nous ne devons pas faire des lois sur cet objet, et voici leur argument présenté dans toute sa force.

De deux choses l'une, disent-ils: ou le prêtre est hérésiarque, ou il est perturbateur; s'il n'est qu'hérésiarque, vous ne devez point faire des lois contre lui, puisque la liberté des cultes et des opinions est décrétée; s'il est perturbateur, il existe déjà sur cet objet des lois communes à tous les citoyens; vous n'avez donc rien à décréter; il ne vous reste qu'à faire exécuter les lois.

Ce dilemme, je l'avoue, est très pressant; et c'est parce qu'on n'y a pas encore répondu, que je vais tâcher d'en démontrer le vice.

Je pose, en principe fondamental, que tout ministre d'un culte qui trouble l'ordre public, ne doit pas être classé parmi les perturbateurs ordinaires, et que les lois, pour être justes et sages, doivent le punir d'autant plus sévèrement que son ministère lui fournit de plus nombreux et de plus puissants moyens de séduire et d'égarer les peuples. (Applaudissements.) La religion est un instrument avec lequel on remue à son gré les hommes; celui qui s'en sert pour semer

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la discorde, doit recevoir une punition proportionnée au danger de l'instrument qu'il emploie: si ces principes sont vrais il en résulte que nous pouvons, que nous devons faire une loi répressive et particulière contre tous les ministres de Dieu qui troublent le repos des hommes.

Quelle doit être cette loi? C'est le dernier point de la question.

Je soutiens, Messieurs, qu'il n'en est qu'une vraiment appropriée à ce genre de délit et propre à le prévenir; c'est celle d'exiler hors du royaume le prêtre perturbateur (Applaudissements dans les tribunes.), c'est là le moyen qui fut employé contre les jésuites, et les jésuites furent oubliés; ce n'est que par l'exil que vous pourrez faire cesser l'influence contagieuse du coupable; il faut le séparer de ses prosélytes; car si, en le punissant de toute autre manière, vous lui laissez la faculté de prêcher, de messer (Rires.), et de confesser (et vous ne pourriez pas la lui ôter, s'il reste dans le royaume), il vous fera plus de mal puni qu'absous. Je regarde les prêtres perturbateurs comme des pestiférés qu'il faut renvoyer dans les Lazarets d'Espagne et d'ltalie. (Applaudissements, murmures et interruptions.) Monsieur le Président, je vous prie de maintenir la liberté d'opinion.

Plusieurs membres : Oui! oui!

M. le Président. Je prie les membres de l'Assemblée de s'en rapporter à moi pour maintenir la parole à Monsieur.

M. Isnard. Me direz-vous que cette mesure est trop sévère? Mais oubliez-vous que tous les coins de la France sont souillés par les crimes de cette caste? Seriez-vous sourds aux cris douloureux de la patrie? ne voyez-vous pas que ces prêtres soufflent partout la guerre civile; que s'ils n'ont pas déjà incendié tout le royaume avec la torche du fanatisme, c'est que presque en tous lieux le souffle de la philosophie l'éteint dans leurs mains? Ne voyez-vous pas qu'ils peuvent vous faire cent fois plus de mal que tous vos ennemis ensemble? et cela doit être, parce que le prêtre n'est jamais pervers à demi; lorsqu'il cesse d'être vertueux, il devient le plus inique des hommes. (Applaudissements.)

Mais me dira-t-on, il ne faut pas persécuter le prêtre; je réponds que punir n'est pas persécuter; je conviens, comme le disait l'abbé Maury, que rien n'est plus dangereux que de faire des martyrs; mais ce danger n'existe que lorsqu'on envoie au supplice des hommes vraiment saints, ou des fanatiques égarés de bonne foi, qui croient voir dans les marches de l'échafaud les portes éternelles du paradis; ici la circonstance est différente, s'il existe des prêtres qui désapprouvent notre Constitution par de vrais motifs de religion, ce ne sont pas ceux-là qui troublent le repos public; ceux qui cabalent contre la patrie sont des intrigants avides et hypocrites, qui ne prêchent que la religion est perdue que parce qu'ils perdent leurs richesses, ou l'espérance d'en acquérir; et des hommes pareils craignent les châtiments: si l'amour de l'or fait beaucoup de scélérats, il ne fait point de martyrs. (Applaudissements.) Au reste, vous ne craindrez pas, Messieurs, en exilant tous ces prêtres perturbateurs, d'augmenter la force armée des émigrants, chacun sait que les mauvais prêtres sont, en gé néral, aussi lâches que vindicatifs (Applaudissements), qu'ils ne connaissent d'autre arme que celle de la superstition, et qu'accoutumés à nous combattre dans l'arène mytérieuse de la con

fession, ils sont nuls sur le champ de bataille.

Il faut punir le prêtre coupable. Toute voie de pacification est désormais inutile; je demande, en effet, ce qu'ont produit jusqu'ici tant de pardons réitérés. Notre indulgence a augmenté l'audace de nos ennemis; il faut donc changer de système et employer enfin des moyens de rigueur. Eh! qu'on ne me dise pas, qu'en voulant réduire le fanatisme on redoublera sa force; ce monstre n'est plus ce qu'il était; il ne peut vivre longtemps dans l'atmosphère de la liberté; déjà blessé par la philosophie, il n'opposera qu'une faible résistance; abrégeons sa dangereuse et convulsive agonie, en l'immolant avec le glaive de la loi. L'univers applaudira à cette grande exécution; car de tous les temps et chez tous les peuples les prêtres fanatiques ont été les fléaux des sociétés, les assassins de l'espèce humaine; toutes les pages de l'histoire sont tachées de leurs crimes; partout ils aveuglent un peuple crédule, ils tourmentent l'innocence par la crainte, et trop souvent ils vendent au crime ce ciel que Dieu n'accorde qu'à la vertu. (Applaudissements répétés.)

Chatier une pareille classe d'hommes, c'est à la fois exercer un grand acte de justice, et venger l'humanité outragée.

Je dis que c'est encore agir en bonne politique, et je le prouve. (J'avoue d'abord que la première politique d'un peuple libre, c'est d'être juste, aussi ce n'est que parce que j'ai déjà prouvé la justice de mon système, que je me permets de l'envisager sous ces rapports politiques.) Une grande révolution s'est opérée en France; mais elle n'est pas encore terminée. La crise créatrice a fini; la crise conservatrice va commencer. L'horizon est encore bien nébuleux; on croit que les défaites qu'ont éprouvées nos ennemis les ont découragés, mais les méchants ulcérés et impunis ne se lassent pas du crime, ce serait peu connaître le cœur de l'homme, que de penser que ceux qui se disent les grands de la terre oublient si facilement ce qu'ils appellent des outrages et qu'ils sacrifient ainsi leurs plus chères idoles, l'intérêt et l'orgueil. Ces hommes ne cesseront de vous tourmenter que lorsqu'ils n'en auront plus les moyens. Il faut qu'ils soient vainqueurs ou vaincus; ceux qui ne voient pas ces vérités, sont des aveugles en politique.

Demandez à l'histoire ce qu'il en coûte aux peuples pour devenir libres. Voyez l'Angleterre, luttant si longtemps pour acquérir ce fantôme de liberté dont elle se glorifie; voyez la Hollande combattant pour secouer le joug de Philippe II. Quand de nos jours, le courageux Philadelphien a voulu déclarer son indépendance, n'avez-vous pas vu le feu de la guerre s'allumer dans les deux mondes? Jetez les yeux sur les provinces de Belgique; que de peines, que d'efforts pour secouer vainement la tyrannie.

Et vous croiriez que la Révolution française, la plus étonnante qu'ait éclairé le soleil; révolution qui tout à coup arrache au despotisme son sceptre de fer, à l'aristocratie ses verges, à la théocratie, ses mines d'or; qui déracine le chêne féodal, foudroie le cyprès parlementaire, désarme l'intolérance, déchire le froc, renverse le piédestal de la noblesse, brise le talisman de la superstition, étouffe la chicane, détruit la fiscalité; révolution qui sans doute va émouvoir tous les peuples, forcer les couronnes à fléchir devant les lois, placer les ministres entre le devoir et le supplice, et verser le bonheur dans

le monde entier, s'opérera paisiblement, sans que l'on tente de nouveau de la faire avorter! Non, il faut un dénouement à la Révolution française (Applaudissements); et je soutiens qu'il est de la vraie politique, c'est-à-dire de l'intérêt de la patrie, de hâter ce dénouement par le châtiment légal et prompt de tous les rebelles, parce que plus nous temporiserons, plus le triomphe sera, je ne dis pas douteux, le triomphe de la liberté ne saurait jamais l'être, mais pénible et laborieux. (Applaudissements.)

Ne voyez-vous pas en effet que, puisque les contre-révolutionnaires veulent nous forcer à les vaincre, il vaut beaucoup mieux avoir à les combattre dans ce moment, où le peuple éprouve cette énergie, cette union fraternelle qui accompagnent les premiers instants de la conquête de la liberté; que si vous laissez le temps à l'enthousiasme de se refroidir, aux liens civiques de se relâcher, et à nos adversaires de semer de nouvelles discordes. L'expérience prouve ce que j'avance. N'est-il pas vrai que nous ne sommes déjà plus ce que nous étions la première année de notre liberté? que déjà le patriotisme s'est attiédi dans le royaume? (Applaudissements, murmures et interruptions.)

M. Delacroix. Cela est vrai! (Oui! oui!) (Applaudissements dans les tribunes.)

M. Jaucourt. Je demande que l'opinant soit rappelé à l'ordre, pour avoir insulté au patrio tisme de l'Assemblée nationale et à la nation elle-même.

Un membre: Je demande que ce discours soit envoyé à Marat.

M. Rouyer. Monsieur le Président, obtenez du silence à l'orateur.

Un membre: Je demande que l'opinant soit conduit à l'Abbaye.

M. Delacroix.Je demande que M. Jaucourt soit rappelé à l'ordre pour avoir troublé l'orateur. (Murmures prolongés et applaudissements.)

M. Jaucourt. Je demande la parole.

Plusieurs membres: La motion est appuyée : rappelez M. Jaucourt à l'ordre !

M. le Président. Il est impossible au président de faire son devoir, quand toute l'Assemblée veut remplir ses fonctions. M. Isnard est le seul qui ait la parole: je la lui maintiendrai : silence!

M. Isnard. S'il est dans notre Assemblée des personnes que l'austérité de mes principes et la vérité de mes opinions importunent, qu'elles sachent que ce n'est pas avec du bruit que l'on m'en impose, et que, plus elles en feront, plus je ferai retentir à leurs oreilles la voix de la liberté dans toute sa force. (Vifs applaudissements.) Si à cette époque le fanatisme avait osé lever la tête, la loi l'aurait tout de suite immolé.

Tout ce que je dis, je l'ai mis par écrit, afin qu'on ne puisse pas tronquer mes expressions.

N'est-il pas vrai que déjà le patriotisme s'est attiédi dans le royaume; que l'aristocratie semble s'enorgueillir de sa force, qui en effet s'est augmentée, ce qui n'est pas étonnant, parce qu'au moral comme au physique, la réaction suit toujours l'action; que d'ailleurs les aristocrates machinent sans cesse, et font leur unique affaire de la contre-révolution, tandis que les patriotes ne s'abaissent pas à cabaler, et ramenés naturellement vers leurs affaires particulières, ils laissent refroidir leur zèle pour la chose pu

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