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sées à la Constitution qu'ils ont fait serment de défendre. Souvent M. de Toulongeon les envoyait dans les campagnes, sur la réquisition du corps administratif, et toujours ils s'y montraient protecteurs des fanatiques. Enfin le 4 de ce mois, plusieurs de ces cavaliers, instruits qu'un bataillon des volontaires du département du Jura devait passer en cette ville, ont exécuté le projet qu'ils avaient formé depuis plusieurs jours. Un caporal du 6 régiment de chasseurs à pied fut, le premier, objet de leur agression. Trompés par la ressemblance de son uniforme avec celui des volontaires, plusieurs cavaliers le provoquèrent dans une auberge, où ils se trouvaient au nombre de 6. Ensuite, ayant découvert qu'il servait dans les troupes de ligne, ils l'accablèrent de caresses et l'invítèrent à dîner pour le lendemain.

« Quelques instants après, 2 volontaires du département du Jura furent insultés par des cavaliers, qui buvaient dans la même auberge. Un de leurs camarades, appelé Boussoir, reçut 3 coups de sabre sur la joue, sans avoir eu le temps de se mettre en défense; les volontaires ayant voulu soutenir leur camarade et désarmer son assassin, furent attaqués par 5 cavaliers, qui mirent le sabre à la main; au même instant, plusieurs cavaliers du même régiment parurent devant l'auberge, en menaçant de fendre la tête à tous les démocrates. Les gardes nationales se réunirent sur la place, située au centre de la ville; les officiers municipaux et les notables s'assemblèrent à la maison commune, pour veiller à la tranquillité publique.

« Le calme n'est pas encore rétabli. M. Toulongeon n'a pris, jusqu'à ce jour, aucune mesure efficace pour arrêter les provocations indécentes et les violences que se permettent journellement ces cavaliers. Mille personnes attesteraient, s'il était nécessaire, qu'ils se font un jeu d'avilir la majesté nationale. Enfin nous ne répondons pas des suites que produirait leur séjour dans cette ville, s'ils restaient exposés plus longtemps à l'indignation générale. Nous enverrons, par le premier courrier, le procès-verbal détaillé des événements de cette malheureuse journée. « Nous sommes avec respect, etc. »

(Suivent les signatures.)

Plusieurs membres : Le renvoi au comité militaire !

M. Delacroix. Je demande qu'à tout événement les ministres de la guerre et de l'intérieur soient tenus de fournir, dans le plus bref délai, les éclaircissements qu'ils ont sur cette affaire, et le détail des mesures qu'ils ont pris ou dù prendre pour l'arrêter, afin que sur le tout un comité vienne vous présenter des vues sages et vigoureuses.

(L'Assemblée renvoie la lettre du conseil général du département du Doubs au comité militaire et adopte la motion de M. Delacroix.)

M. Chabot. Je demande que l'on renvoie M. Toulongeon et son régiment dans l'intérieur du royaume, parce qu'ils y seront moins dangereux que sur les frontières.

(Cette motion n'a pas de suite.)

M. le Président rappelle à l'Assemblée les divers objets qui ont été mis à l'ordre du jour.

Plusieurs membres demandent la priorité pour le rapport des commissaires-inspecteurs de la salle. L'Assemblée accorde la priorité au rapport des commissaires-inspecteurs de la salle )

M. Calon, au nom des commissaires-inspecteurs de la salle, fait un rapport et présente trois plans proposés au comité pour modifier la salle actuelle.

Plusieurs membres proposent diverses dispositions, parce que les trois projets paraissent demander de trop grandes dispenses.

M. Dumas. Je voudrais que la disposition du local soit telle qu'on n'y vit plus cette malheureuse division en côté droit et côté gauche.

Plusieurs membres : Elle existera toujours. M. Quatremère-Quincy demande que les commissaires-inspecteurs rendent compte à l'Assemblée, tous les mois, des dépenses de la salle.

Plusieurs membres demandent le renvoi des nouvelles propositions aux commissaires-inspecteurs, pour en faire le rapport dans le plus bref délai.

Les diverses propositions sont successivement mises aux voix.

(L'Assemblée décrète que les commissairesinspecteurs de la salle lui présenteront, tous les mois, le compte des dépenses de la salle et des bureaux et renvoie tous les plans aux commissaires-inspecteurs qui s'adjoindront M. Dumas pour les examiner et en feront incessamment le rapport.)

M. Vincens-Plauchut, au nom du comité des domaines, soumet à nouveau à l'Assemblée un projet de décret tendant à proroger, jusqu'au 1er mai 1792, le terme fixé par l'Assemblée constituante au 1er janvier de la même année, pour le payement des biens nationaux, et dont la discussion avait été ajournée à la séance de mardi soir 6 décembre; ce projet est ainsi conçu (1):

« L'Assemblée nationale, ouï son comité des domaines, et vu le décret d'urgence de ce jour, décrète que le terme du 1er janvier 1892 fixé, par le décret du 27 avril 1791, aux acquéreurs des domaines nationaux, pour jouir des facultés accordées pour leurs payements par l'article 5 du titre III du décret du 14 mai 1790, sera prorogé jusqu'au 1er mai 1792, mais seulement pour les biens ruraux, bâtiments et emplacements vacants dans les villes, maisons d'habitation et bâtiments en dépendant, quelque part qu'ils soient situés ; les bois et usines demeurant formellement exceptés de cette faveur.

Passé le 1er mai 1792, les payements seront faits dans les termes et de la manière prescrite par l'article 9 du décret du 31 décembre 1790. »

Ce projet de décret ayant été discuté et amendé, la rédaction suivante a été définitivement adoptée comme suit :

« L'Assemblée nationale, ouï son comité des domaines, et vu le décret d'urgence du 3 de ce mois, décrète que le terme du premier janvier 1792, fixé par le décret du 27 avril 1791, aux acquéreurs des domaines nationaux, pour jouir des facultés accordées pour leurs payements par l'article 5 du titre III dù décret du 14 mai 1790, sera prorogé jusqu'au premier mai 1792, mais seulement pour les biens ruraux, bâtiments et emplacements vacants dans les villes, maisons d'habitation et bâtiments en dépendant, quelque part qu'ils soient situés; les bois et usines demeurant formellement exceptés de cette fa

veur. "

(1) Voy. ci-dessus, séance du 3 décembre 1791, au soir, p. 553.

M. Fauchet, secrétaire, donne lecture des lettres, adresses et pétitions suivantes :

1° Pétition du sieur Jean Marquis-Cheminon, qui réclame une pension pour des services rendus à la nation.

2o Pétition d'Ambroise Pouxlandry, ancien soldat aux gardes-françaises, blessé à la prise de la Bastille, qui réclame une pension.

30 Pétition du sieur Halbecq, qui, ayant perdu un bras par les suites d'une blessure qu'il a reçue au siège de la Bastille, réclame une pension. (L'Assemblée renvoie ces trois pétitions au Comité de liquidation.)

4° Adresse du sieur Hubert Soulès, membre du collège de chirurgie de Marseille, qui offre à l'Assemblée l'hommage de plusieurs dissertations qu'il a composées, et d'un modèle de machine de son invention."

(L'Assemblée décrète qu'il sera fait mention honorable de cet hommage au procès-verbal.)

M. Fauchet, secrétaire. Je demande à lire une pièce qui est intitulée : « Règlement de la formation en différentes compagnies des membres du tiers état rassemblés auprès de Monsieur et de Monseigneur le comte d'Artois. » (Rires). La

Voici :

« Un grand nombre de bourgeois, de propriétaires, de gros fermiers et d'autres personnes aisées du tiers état qui sont toujours restés fidèles à leur devoir et qui ont été forcés, par les mauvais traitements qu'ils ont éprouvés, de sortir du royaume, ayant fait connaître à leurs Altesses Royales (Rires.) leur désir de se joindre à la noblesse pour venir défendre la religion, la monarchie et les propriétés, intérêts sacrés qui leur sont communs avec les gentilshommes, ce vœu a été accueilli d'autant plus favorablement par les princes, qu'ils y ont reconnu les sentiments nobles et vertueux qui ont toujours caractérisé les véritables Français. En conséquence, Monsieur et Monseigneur le comte d'Artois désirant leur marquer la satisfaction qu'ils en ont ressentie, ont décidé et décident ce qui suit:

« ART. 1er. Tous les gros bourgeois, les gros fermiers, les propriétaires et les autres personnes aisées de divers états, qui, par les raisons énoncées ci-dessus, sont sortis et sortiront du royaume, pourront se rendre au chef-lieu le plus prochain de l'arrondissement, et se faire inscrire chez l'officier général qui y commandera. »

M. Huet-Froberville, ironiquement. Aux voix l'article! (Rire général dans l'Assemblée et dans les tribunes.)

M. Fauchet, secrétaire, continuant la lecture: « Art. 2. Il sera fait mention dans cette inscription, de leurs noms, âge et qualités, ainsi que de leurs... (Rires.)

Plusieurs membres : L'ordre du jour!

D'autres membres : Le renvoi aux boulevards ! M. Dubois-de-Bellegarde. J'observe que l'Assemblée n'a pas en ce moment la gravité qui lui convient; je demande qu'on passe à l'ordre du jour.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Cavellier, au nom du comité de marine, fait un rapport sur la nécessité de mettre à exécution la loi du 15 mars 1791, concernant l'organisation de la marine; de remplacer les officiers émigrés ou qui ont déserté leur poste; et de ré

former quelques abus relatifs aux congés. Il s'exprime ainsi (1):

Messieurs,

Vous avez, par un décret du 31 octobre dernier, chargé votre comité de marine d'examiner une pétition des citoyens actifs de la ville de Brest, ayant pour objet la prompte exécution de la loi du 15 mai 1791, concernant l'organisation de la marine, et la radiation sur les états de tous les officiers qui ne se rendraient pas à leur département à une époque déterminée (2).

Le comité des pétitions a aussi renvoyé au comité de la marine une seconde pétition des citoyens actifs de la même ville, dénonçant des traitements payés à des officiers absents sans congé, et dont plusieurs sont sortis du royaume (3).

Ces deux objets paraissant au comité devoir être traités ensemble, j'ai été chargé de les faire entrer dans le même rapport.

En lisant attentivement ces deux pétitions, votre comité a vu: 1° que de 804 officiers affectés au département de Brest, le nombre de ceux présents au corps ou embarqués ne s'élevait, à l'époque du 1er octobre, qu'à 426; que des 378 absents, 107 l'étaient par congé, et 271 sans congé; et que la seule raison qui a retardé jusqu'à présent l'organisation de la marine, est l'absence d'un grand nombre d'officiers, nonobstant l'ordre formel donné à tous de se rendre pour le 15 septembre à leurs départements respectifs.

2° Que M. du Bouexic, lieutenant de vaisseau, absent du département depuis 19 mois 16 jours, avait obtenu un rappel d'appointement de 2,604 liv. 8 s. 11 d., quoiqu'il ne lui eût été accordé, à son départ, qu'un congé de trois mois sans appointement.

3° Qu'on vient de compter également une somme de 1,500 livres au sieur Eschallard, major de division, absent depuis le 1er avril 1788.

4° Enfin, qu'on continue de payer régulièrement des officiers dont la sortie du royaume est constatée et notoire.

Votre comité ne pouvant révoquer en doute ni l'exactitude d'un état de situation fait sur les lieux, d'après l'extrait même de la revue, ni des pièces signées par un grand nombre de citoyens dont quelques-uns sont employés dans les bureaux de la marine, a pensé qu'il était instant de faire cesser des abus aussi contraires à la discipline militaire, que préjudiciables aux inté rêts de l'Etat. Il s'occupait done sérieusement des moyens de prévenir, pour la suite, l'expédition illégale de congés illimités ou qu'on prolongeait à son gré, et le payement plus illégal encore d'appointements d'officiers absents sans congé.

Persuadé d'ailleurs que les 271 officiers qui ne se sont pas présentés à la revue du 1er octobre avaient quitté le royaume, ou projetaient d'en sortir, et qu'en conséquence il était inutile de s'appesantir sur la nécessité de leur remplacement, votre comité se disposait à vous en proposer le mode, lorsqu'il a vu avec la plus grande surprise la lettre du ministre de la marine, insérée dans le n° 321 du Moniteur (4) cette

(1) Bibliothèque de la Chambre des députés Collections des affaires du temps, Bf in-8° 165, t. 446, n° 29.

(2) Voir ci-après aux annexes de la séance, page 666, le texte de cette pétition.

(3) Voir ci-après aux annexes de la séance, page 667, le texte de cette pétition.

(4) Voir ci-après aux annexes de la séance, page 667 la teneur de cette lettre.

lettre à paru à votre comité susceptible de quel- | ques ques observations importantes qu'il s'empresse de mettre sous vos yeux.

Le ministre avance d'abord, avec l'assurance d'un homme qui peut administrer sur-le-champ les preuves de son assertion, qu'il n'y a pas un seul officier de marine qui ait quitté son poste.

Sur ce premier point, votre comité pense qu'on est en droit de demander au ministre depuis quand et d'après quelle loi on constate la présence des officiers à leur poste, autrement qu'en en faisant la revue; pourquoi les officiers de la marine affectés au port de Brest n'ont pas répondu à l'appel du 1er octobre, si à cette époque ils étaient réellement à leur département? de quelle autorité enfin, et par quel motif on a pu les dispenser de cette obligation, dans un temps où il est essentiel que chaque fonctionnaire public se tienne constamment au poste qui lui est confié; dans un temps où il est de la dernière importance pour la nation, de connaître parfaitement les chefs militaires sur les sentiments desquels elle peut compter; dans un temps enfin où l'on doit, moins que jamais, déroger aux lois et se relâcher sur leurs dispositions. Indépendamment de ces raisons, qui paraissent sans réplique, on peut encore observer au ministre de la marine que son assertion ne saurait détruire des faits qui sont de notoriété publique : or, il est notoire que le sieur Hector, commandant ci-devant la marine à Brest, et dont le sieur Marigny ne remplit les fonctions que par intérim, a passé par Paris dans les premiers jours d'octobre, pour se rendre à Coblentz, accompagné du sieur Soulanges, son beau-frère; il est notoire que le sieur Vaudreuil a eu l'impudence de dire au roi, en prenant congé de lui, qu'il allait à Coblentz; il est notoire qu'un grand nombre d'officiers du même corps se sont empressés d'aller grossir cette ridicule et criminelle croisade.

Le ministre dit ensuite que dans le nombre des officiers qui sont absents, plusieurs ont été forcés, par des attentats plus ou moins graves contre leurs personnes ou contre leurs propriétés, à quitter le lieu de leur résidence ordinaire, et y reviendront sans doute aussitôt que l'ordre, la tranquillité et la soumission aux lois seront rétablis dans le royaume.

Il a paru à votre comité, Messieurs, que si de semblables réflexions étaient déplacées dans la bouche de tout bon Français, elles étaient bien plus inconvenantes dans celle d'un des premiers agents du pouvoir exécutif. En effet, si c'est une lâcheté dans un simple citoyen de s'éloigner de sa patrie, parce qu'il croit y courir quelque danger, c'est une trahison dans un militaire de fuir honteusement, sur la moindre apparence de prétendus troubles. Est-il d'ailleurs vraisemblable que 271 officiers, habitant différents lieux du royaume, se trouvent en même temps, et sans les avoir provoqués, exposés à des actes de violence de la part du peuple? Et, quand cela serait vrai, est-ce une raison d'abandonner leur patrie qu'ils ont juré de défendre au péril de jours? Et ne doivent-ils pas plutôt se tenir à leur département, qui est leur véritable, leur seul et constant domicile?

N'est-il pas révoltant que des officiers payés par la nation attendent, pour rentrer dans leur poste, le retour de l'ordre et de la tranquillité, au maintien desquels ils étaient appelés à concourir, et le rétablissement de la soumission aux lois, dont ils devaient les premiers donner l'exem

ple? le ministre de la marine peut-il autoriser une conduite aussi coupable? peut-il admettre d'aussi mauvaises excuses? peut-il les faire valoir lui-même? et vouloir pallier le crime, n'est-ce pas en quelque sorte le partager? (Applaudissements.)

Le ministre ajoute que d'autres officiers ont, en partant, eu l'attention de lui indiquer la voie par laquelle il pourra leur faire parvenir les ordres du roi et leur empressement à se rendre partout où sa majesté jugerait à propos de les employer pour le service de la patrie.

Ici paraît au grand jour la partialité du ministre de la marine; et l'on ne peut plus douter du désir qu'il manifeste de conserver aux officiers absents leurs places et leurs traitements, et de concilier leur existence fictive dans les ports avec leur existence réelle hors du royaume autrement se donnerait-il tant de peine pour justifier leur éloignement, en leur prêtant des motifs prétendus légitimes et qui ne vous paraîtront sans doute, ainsi qu'à votre comité, que des prétextes mal déguisés. Il semblerait même, en pesant les expressions du ministre, qu'il est reconnaissant de l'attention qu'ont eue quelques officiers de lui donner les moyens de correspondre avec eux et de leur empressement à remplir leurs devoirs; et cependant le peu de cas qu'ils ont fait de la proclamation du roi concernant les militaires émigrés prouve combien était sincère leur promesse de se rendre à leur poste au premier ordre, et à quel point la nation peut compter sur de pareils défenseurs.

Votre comité, après vous avoir soumis les réflexions qu'il a faites sur la lettre du ministre de la marine, pense que ce dernier a été induit en erreur par des comptes infidèles, ou qu'il cherche à ménager aux officiers absents la facilité de se soustraire aux lois; il pense qu'on ne peut sans danger se reposer sur les assurances qu'il donne relativement à son département, assurances démenties par des preuves irrécusables confirmées par la notoriété publique. Il croit en conséquence devoir vous proposer les moyens les plus prompts et les plus sùrs de remplacer convenablement les officiers de la marine, émigrés ou déserteurs de leur poste, et de rétablir l'ordre dans un corps qui, depuis longtemps, ne connaît point de disciplíne et dont le service porte entièrement sur des formes arbitraires.

Votre comité ne s'est point dissimulé les difficultés qu'il aurait à surmonter pour atteindre le premier de ces deux buts; il a senti que le remplacement des officiers de la marine ne pouvait être fait de la même manière que celui des souslieutenants de l'armée de ligne; qu'on trouvait beaucoup d'hommes, en France, exercés au maniement des armes et aux évolutions militaires, et peu de marins qui réunissent les connaissances théoriques et pratiques de la navigation en général, et de la marine militaire en particulier. Mais il a pensé qu'entre le défaut d'instruction suffisante et la mauvaise volonté caractérisée, il n'y avait pas à balancer, et il s'est sérieusement occupé de trouver un mode de remplacement qui fût à la fois juste et exempt d'inconvénients.

Ses recherches ont confirmé ses espérances. Il a été rassuré par la certitude que les souslieutenants de vaisseau brevetés, les sous-lieutenants auxiliaires, les maîtres entretenus, les capitaines du commerce, dont plusieurs ont servi avec distinction pendant la dernière guerre, les anciens volontaires et élèves de la marine offrent des ressources certaines et permettent même la

liberté du choix. Votre comité a surtout été persuadé que l'expérience, le zèle et le patriotisme de ces candidats étaient bien propres à compenser avantageusement ce qui pourrait leur manquer du côté de la théorie et de la tactique.

Votre comité a jugé que, pour compléter son rapport, il devait encore vous exposer combien il est nécessaire de limiter, par une loi positive, la faculté que se sont arrogée jusqu'à ce jour les ministres et les commandants de la marine, d'accorder aux officiers des congés et des permissions de s'absenter, en leur conservant leurs traitements. D'après les informations qu'il a prises, et les renseignements qui lui ont été fournis à cet égard, votre comité s'est assuré qu'on expédiait des congés avec appointements à la plupart des officiers qui en sollicitaient, et que ceux qui en obtenaient sans appointements, trouvaient tôt ou tard le moyen de se faire rappeler sur les états de payement; il s'est assuré que le commandant de la marine prenait sur lui de donner des permissions avec lesquelles on pouvait parcourir tout le royaume, pourvu qu'on s'abstint de se montrer à Paris, et surtout à Versailles; que ce même commandant répondait à la revue pour ceux qui ne s'y trouvaient pas, et que les officiers non embarqués, qu'on traitait avec le plus de rigueur, n'étaient tenus, pour toucher leurs appointements, que de paraitre 4 jours de l'année à leur département. Votre comité s'est enfin assuré que, sur la demande faite dernièrement par les citoyens de Brest aux commandants de terre et de mer, d'une revue générale des officiers servant sous leurs ordres, le ministre est taxé par la correspondance de la municipalité de faire expédier 10 à 12 congés chaque courrier, pour mettre à l'abri du blâme et de la retenue de leur traitement ceux qui avaient omis de se mettre en règle avant leur départ, ou qui ne s'étaient absentés que sur des permissions verbales. (Rires.)

Vous sentez, Messieurs, que si de tels abus n'ont dù être tolérés dans aucun temps, ils doivent l'être encore moins dans les circonstances présentes, où l'intérêt et la sûreté de l'Etat exigent impérieusement qu'on soumette à un examen sévère, à une inspection active, à une surveillance continue, toutes les parties de l'administration du royaume.

Pour arrêter ces prévarications, et pourvoir au remplacement des officiers émigrés ou absents sans congé, votre comité vous propose, le décret d'urgence préalablement rendů, de décréter ce qui suit :

PROJETS DE DÉCRETS.

«L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de marine, considérant qu'il est urgent de mettre à exécution la loi du 15 mai dernier, concernant l'organisation de la marine;

« Considérant que les mêmes motifs qui ont déterminé le remplacement des officiers de l'armée de ligne qui ont déserté leurs drapeaux, exigent aussi qu'on remplace ceux de la marine qui ont abandonné leur poste;

«Que s'il a paru nécessaire de ne conserver à la tête des régiments d'infanterie que des chefs attachés à leur patrie et disposés à mourir pour elle, il n'est pas moins essentiel de ne nonimer au commandement des bâtiments de l'Etat, et surtout de n'envoyer aux colonies que des officiers dont les sentiments et le civisme ne lais

sent aucune crainte, aucune incertitude sur h conduite qu'ils tiendront dans ces possessions éloignées de la surveillance du gouvernement.

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Considérant que la nation ne doit de traite ment qu'à ceux qui la servent et se dévouet pour elle, et que les appointements payés à des hommes inutiles ou à des transfuges mal intertionnés, sont des vols manifestes dont doive.d être punis et ceux qui en profitent, et ceux qui souffrent et favorisent de semblables abus;

« Considérant que nul n'a le droit de modifier ou de restreindre la loi; qu'en conséquence e ministre de la marine ne peut ni ne doit accorder ou prolonger des congés à son gré, et qu'i convient de limiter, par une disposition précise. son autorité à cet égard;

"Par toutes ces considérations, l'Assemblée nationale décrète :

Premier décret dans le cas de l'urgence.

«Art. 1er. La loi du 15 mai dernier, concernant l'organisation de la marine, sera mise à exécution dans le courant du présent mois de décembre.

« Art. 2. Tous les officiers de marine absents sans congé, ou par congé, avec ou sans appointements, en activité de service ou sans activite, qui ne seront pas rendus à leurs départements respectifs le 15 janvier prochain, seront censes avoir déserté leur poste.

«Art. 3. Ils seront, à compter de ladite époque. destitués de leur emploi, privés de tout traitement et déclarés incapables de remplir à l'avenir aucune fonction militaire.

« Art. 4. Le ministre remettra sous les yeux de l'Assemblée la liste nominative des officiers tant absents que présents à la revue, le 1er fevrier prochain, au plus tard.

« Art. 5. Les officiers qui ne se seront pas présentés à la revue, seront remplacés sur-lechamp de la manière indiquée ci-après.

"Art. 6. Seront exceptés des dispositions énoncées ci-dessus les officiers qui, pour raison de santé, se seront trouvés dans l'impossibilité de se rendre à leur département à l'èpoque indiquée.

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Ar. 7. Ils seront tenus de produire à cet effet une attestation signée par deux officiers de santé, et certifiée par la municipalité du lieu de leur résidence.

«Art. 8. Ceux de ces derniers qui sont absents sans congé, seront, de la même époque, privés de tout traitement, jusqu'à leur retour à leur département.

Art. 9. Les contre-amiraux, lieutenantsgénéraux, capitaines et lieutenants de vaisseaux, seront remplacés par les officiers du grade immédiatement au-dessous, de la maniere prescrite par l'article 2 du chapitre IV de la quatrième section de la Constitution.

a Art. 10. Les places vacantes d'enseignes entretenus seront complétées comme il suit :

La moitié par les sous-lieutenants brevetés restant sans emploi;

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Et de l'autre moitié, un tiers par les enseignes non entretenus;

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embarquant sur les bâtiments de l'Etat, soit par leur résidence dans les grands ports.

«Art. 11. Les remplacements énoncés au précédent article auront lieu, le tiers au choix du roi, et le surplus d'après l'ancienneté de service.

Art. 12. Les dispositions ci-dessus concernant le mode de remplacement seront adoptées pour cette fois seulement, et sans préjudice pour la loi du 15 mai 1791, qui sera invariablement suivie à l'avenir.

« Art. 13. La revue du 15 janvier prochain sera passée en présence de deux officiers municipaux qui la signeront avec tous les officiers présents. « Art. 14. Le présent décret sera porté dans le jour à la sanction du roi. »

Second décret, soumis aux délais prescrits par la Constitution.

« Art. 1or. Il ne sera à l'avenir délivré de congé avec appointements qu'aux officiers, qui, d'après l'ordonnance de 1786, seront dans le cas d'en obtenir.

«Art. 2. Le ministre ne pourra accorder une prolongation avec appointements que pour raison de santé duement constatée.

« Art. 3. Les officiers qui auraient obtenu une prolongation de congé pour des raisons autres que celles de santé, seront privés de leur traitement à compter du jour de l'expiration de leur congé.

Art. 4. Tout officier qui, pour raison de santé, obtiendra un congé, jouira de son traitement jusqu'à son entière guérison.

« Art. 5. Ceux, au contraire, qui demanderont à s'absenter pour affaires de famille ou autres, seront privés de leurs appointements, à compter du jour de leur départ jusqu'à celui de leur retour à leur poste.

« Art. 6. Le commandement des armes ne pourra, sans en rendre compte au ministre, permettre à aucun officier de s'absenter pendant plus de 15 jours, ni de s'éloigner de plus de 20 lieues de son département.

« Art. 7. Il y aura au moins un mois d'intervalle entre chaque permission accordée au même officier.

« Art. 8. Ces permissions ne pourront, dans aucun cas, dispenser de paraître aux revues." Je demande l'impression de ces deux projets de décrets et l'ajournement.

Un membre: Je demande que copie du rapport soit envoyée au ministre de la marine et qu'il soit tenu d'y répondre dans trois jours.

M. Gérardin. J'applaudis avec tous les membres de cette Assemblée au rapport qui vient d'être lu, mais je blâme la faiblesse de ses conclusions. Je demande comment l'on peut établir qu'un ministre a trompé l'Assemblée et comment l'on ne parle pas de ce ministre dans le projet de décret. Je demande comment on prouve que des officiers sont à Coblentz et comment on propose de leur laisser la faculté de rentrer dans leurs places en leur laissant la possibilité de revenir le 15 janvier. D'après ces différentes considérations, je demande de renvoyer au comité pour nous présenter un rapport et plus digne de lui et plus digne de nous.

M. Cambon. Le comité de marine a pu, sans doute, être incompétent pour les objets de surveillance. Il y a un comité de surveillance pour vérifier ces faits; je demande qu'on renvoie les pièces au comité de surveillance pour qu'il nous propose un décret d'accusation. (Murmures.)

M. Reboul. J'appuie l'ajournement et l'impression du rapport et des projets de décrets, précisément par les motifs qui ont été donnés par le préopinant. Certainement, il est bien extraordinaire qu'il faille une loi, pour que le ministre de la marine ne continue pas de payer les officiers transfuges; mais, enfin, il faut que l'Assemblée prenne en considération tous les faits énoncés dans le rapport, qu'elle le murisse par la réflexion. Je demande donc l'impression du rapport et des projets de décrets et l'ajournement à huit ou à quatre jours.

M. Rouyer. Je demande que l'Assemblée ordonne la lecture de deux pétitions faites et signées, l'une par 150 citoyens actifs, la municipalité de Brest et les administrateurs de la marine de Brest, et l'autre par 198 personnes. Je suis en effet persuadé qu'après la lecture de ces deux pétitions, elle pourra se décider contre le ministre qui n'a pas honte de venir ici nous traiter de calomniateurs, d'insolents et certains autres termes qu'il s'est permis et dont il n'aurait jamais du faire usage. Je demande que la lecture de ces deux pétitions soit faite. (Applaudissements.)

M. Delacroix. Je crois que l'Assemblée nationale, avant de prendre un parti contre le ministre, doit s'assurer de la vérité des faits consignés dans les différentes pétitions envoyées à l'Assemblée nationale, et qui ont donné lieu au rapport qu'on vient de lire. Pour cela, Messieurs, je demande qu'il soit envoyé au ministre de la marine une copie de ce rapport, pour y répondre, et j'ajoute qu'on doit lui demander la preuve des faits qu'il a articulés là (Montrant la place des ministres.) avec un air que je ne veux pas qualifier, mais que tout le monde a aperçu. Il faut qu'il vous donne une liste des officiers qui sont absents avec congé, de ceux qui sont absents sans congé, et de ceux qui ont laissé au ministre leur adresse, parce qu'alors il sera facile de vous assurer si ces officiers ont résidé dans le lieu qu'ils ont indiqué, sans quoi vous en induirez qu'ils sont établis à Coblentz ou ailleurs. Il faut d'abord établir ces faits. Je crois que, dans la copie qui doit être remise au ministre, on doit en distraire le projet de décret qui a été présenté; il faut lui envoyer seulement le rapport et la copie des pétitions, afin qu'il réponde et qu'il articule la preuve des faits par lui avancés dans son discours. (Applaudissements.)

M. Cavellier, rapporteur. Le rapport n'avait pour objet principal que le remplacement des officiers de marine. Si on a rapporté quelques faits qui ont rapport aux malversations du ministre de la marine, c'est indirectement. Mais, comme vous avez renvoyé à votre comité de marine le mémoire que le ministre a prononcé ici, le comité vous fera incessamment son rapport, et c'est dans ce rapport qu'il conclura sur la peine à prononcer contre le ministre. (Vifs applaudissements.).

M. Grangeneuve. Je m'oppose à ce que l'on communique le rapport au ministre, car le ministre sera obligé de répondre au rapport, et cette espèce de lutte entre le comité et le ministre est hors des principes. L'Assemblée doit demander des éclaircissements au ministre, voilà la marche à tenir. Il serait très possible que le ministre retardât votre délibération en alléguant que c'est la grande multitude d'affaires qui l'a empêché de répondre. Je demande l'impression et l'ajournement du projet de décret.

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