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face aux diverses dépenses de la caisse de l'extraordinaire et de la Trésorerie nationale.

« Je ne répondrais pas à la confiance de la nation et du roi, si je ne prévenais l'Assemblée nationale qu'aucun des services de la Trésorerie nationale et de la caisse de l'extraordinaire ne pourrait être continué sans les mesures les plus promptes.

« Je vous prie, Monsieur le Président, de fixer l'attention de l'Assemblée sur cet important objet. Signé: AMELOT. »

(L'Assemblée renvoie la lettre au comité de la Trésorerie nationale.)

M. Dorizy. Je prends occasion de cette demande pour observer à l'Assemblée la nécessité d'ordonner promptement une nouvelle fabrication d'assignats. La grande question de la nouvelle émission étant subordonnée à celle de la suspension des remboursements des liquidations, il faut s'occuper sans délai de cette dernière question. Je demande qu'on la mette à l'ordre du jour et que l'on ne s'occupe en finances d'aucun plan, d'aucune émission, qu'elle n'ait été décidée.

M. Isnard et plusieurs autres membres demandent qu'on traite auparavant la question sur l'émission des petits assignats au-dessous de 5 livres. (Après quelques débats, l'Assemblée accorde la priorité à la question proposée par M. Dorizy.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture d'une lettre écrite au nom de l'assemblée électorale de Valenciennes et d'une adresse au roi par les électeurs du district de Valenciennes, pour le prier d'apposer sa sanction au décret sur les troubles religieux; la lettre est ainsi conçue :

"Messieurs,

L'assemblée électorale de Valenciennes m'a chargé de vous faire parvenir la copie d'une adresse au roi, que nous venons d'envoyer à M. Cahier de Gerville, ministre de l'intérieur, en le priant de la mettre sous les yeux de Sa Majesté. Vous y verrez quels sont les sentiments et les principes qui animent les électeurs de Valenciennes sur les derniers décrets de l'Asssemblée relatifs aux troubles religieux et aux machinations des prêtres séditieux et perturbateurs. Le corps électoral du district de Valenciennes espère, Monsieur le Président, que vous voudrez bien faire agréer de l'Assemblée nationale cette démarche de sa part, comme un hommage rendu à la confiance que nous inspire....

Plusieurs membres: L'ordre du jour!

M. Roux-Fasillac. Ce n'est pas une pétition, c'est une adresse; je demande qu'elle soit lue. (L'Assemblée décide que l'adresse sera lue.) M. le secrétaire : Voici l'adresse au roi :

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du culte catholique dans toute sa pureté, le rappel aux préceptes du divin législateur, la réforme des abus et l'anéantissement des entreprises de la puissance sacerdotale sur les droits des peuples et sur l'autorité des rois.

« Il était plus que temps, Sire, de rappeler aux ministres de la religion cette vérité consacrée par l'Evangile, qu'en rendant à Dieu ce qui appartient à Dieu, il faut aussi rendre à César ce qui appartient à César.

"

Votre Majesté a témoigné le désir de connaître la disposition des esprits sur une matière aussi importante; nous venons, Sire, de renouveler, à l'unanimité, le serment que nous avions déjà prêté de fidélité à la nation, à la loi et à Votre Majesté, de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution du royaume, décrétée par l'Assemblée nationale constituante, aux années 1789, 1790 et 1791, et nous avons aussi juré spécialement de maintenir la constitution civile du clergé.

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Permettez-nous de présenter à Votre Majesté, que pleins de confiance dans son amour pour le bonheur et la prospérité de la nation française, dans son attachement à la Constitution et dans son vif désir de maintenir la paix, la tranquillité intérieure et l'observation des lois qui sont l'unique source du bonheur public, nous mettons tout notre espoir dans l'exécution du décret que l'Assemblée nationale vient de porter pour réprimer les troubles occasionnés par les prêtres séditieux. Nous vous supplions, Sire, de vouloir bien le revêtir de votre sanction, et de lui donner le caractère et la force de loi de l'Etat.

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Jamais, Sire, il n'y eut de loi si nécessaire et si instante.

་་

Il n'est pas de moyens que n'aient employés les prêtres non assermentés pour allumer partout les torches du fanatisme. Nous voyons employer la flamme, le fer et le poison. Ils agitent les esprits faibles et les dévôts superstitieux; ils leur montrent l'enfer prêt à s'entr'ouvrir pour engloutir et faire tomber dans l'abîme ceux qui ne suivent pas leurs projets de révolte. Déjà plusieurs citoyens, ainsi égarés par ces manoeuvres, se sont livrés au désespoir, et ont tranché euxmêmes le fil de leurs jours. On emploie tantôt les caresses les plus perfides, tantôt les menaces, et jusqu'à des voies de fait pour surprendre des signatures par lesquelles on engage les personnes faibles à une ligue avec les factieux.

« Nous n'affligerons pas le cœur paternel de Votre Majesté par un récit détaillé des meurtres, des incendies et des autres attentats qui sont les suites déplorables de la conduite pernicieuse et perverse des prêtres non assermentés. Ils sont d'autant plus répréhensibles, que leurs démarches sont occultes et imperceptibles: ils ne tyrannisent que les consciences, toutes leurs menées sont nocturnes, et souvent c'est dans leur domicile et même dans l'asile des campagnards, et même au fond des cabanes qu'ils dressent des autels à la haine et à la méchanceté.

་་

Daignez, Sire, exaucer les vœux d'un peuple fidèle, ami de l'ordre, du bien public et de la paix intérieure. Les électeurs de l'un des districts le plus peuplé du royaume, vous en supplient au nom de la patrie en danger, et leur espoir est fondé sur l'amour que Votre Majesté porte à tous les Français.

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Signé: Les Électeurs de Valenciennes. »

Plusieurs membres : Mention honorable au procès-verbal !

D'autres membres : L'ordre du jour!

Un membre: Je demande l'envoi de l'adresse au directoire du département de Paris. (Rires et applaudissements.)

Un membre: L'adresse est faite au roi et non à l'Assemblée, je demande que l'on passe à l'ordre du jour.

(L'Assemblée, consultée, décrète qu'il sera fait mention honorable de l'adresse au procès-verbal.)

Un de MM. les secrétaires donne lecture:

1° D'une lettre de M. Cahier de Gerville, ministre de l'intérieur, qui transmet à l'Assemblée deux lettres du procureur général syndic du département de la Meurthe annonçant qu'on n'a pu encore opérer l'arrestation des trois personnes mises en état d'accusation par le décret du dimanche 4 de ce mois, qu'à l'égard du sieur Marc fils; ces lettres sont ainsi conçues :

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Le courrier, porteur du décret du 4 de ce mois, portant accusation contre les sieurs Malvoisin et autres, vient d'arriver.

"Le directoire du département, qui se trouvait assemblé alors a fait partir un ordre de la gendarmerie nationale pour Toul, avec une copie certifiée de ce même décret, et une lettre à la municipalité de Toul, pour lui recommander les mesures les plus promptes et les plus sûres pour son exécution. Il en attend impatiemment le succès; il ne manquera pas, Messieurs, de vous en rendre compte par le courrier prochain.

Deuxième lettre du procureur général syndic du département de la Meurthe.

Monsieur,

«Je reçois à l'instant, de la municipalité de Toul la nouvelle que le sieur Marc fils a été arrêté; mais que les sieurs Malvoisin et Gauthier ne se sont pas trouvés en cette ville. Le premier parce qu'il est à Joinville où il commande son corps; le deuxième, parce que sur le bruit des soupçons qui existaient contre lui il avait quitté Toul deux jours auparavant.

«La municipalité mande qu'elle a à l'instant dépêché un courrier à Joinville, avec une copie certifiée de ce décret et un autre dans le lieu qu'elle a pensé que le sieur Gauthier avait choisi pour se retirer. Je ne sais pas encore d'autres détails. "

2o D'une lettre du procureur général syndic du département de Saône-et-Loire qui annonce que le directoire de ce département, sensible à la mention défavorable qui a été faite de lui par l'Assemblée nationale, au sujet du retard qui a

été apporté dans ce département au répartement de l'impôt, a pris des mesures actives pour s'acquitter de ce devoir sacré. Il rend compte des causes qui ont retardé l'achèvement de ce travail.

M. Pierret fait lecture d'un extrait des registres de la municipalité de Saint-Cyr qui atteste que le curé de cette paroisse, M. Mailli, a demandé et reçu la bénédiction nuptiale; que ses paroissiens ont assisté à cette cérémonie et ont reconduit leur curé et sa femme en criant: Vive la Constitution! vive l'Assemblée nationale! (Applaudissements.)

Plusieurs membres : Mention honorable au procès-verbal !

M. Fauchet. Comme la loi n'a encore rien prononcé sur cet objet, je demande que l'on passe à l'ordre du jour.

(L'Assemblée passe à l'ordre du jour.)

M. Barris, au nom du comité de division, demande que l'Assemblée ajourne à la séance de demain soir, le rapport de l'affaire relative à la suspension de la municipalité de Toulon, prononcée par le directoire du département du Var.

(L'Assemblée décrète la motion de M. Barris.) Une députation de propriétaires de Saint-Domingue, résidant à Paris, est introduite à la barre.

L'orateur de la députation s'exprime ainsi (1): Messieurs, nos fortunes sont détruites, nos frères égorgés, le fer et la flamme ravagent nos établissements; le commerce national, la fortune publique périssent avec nous.

Depuis un mois, ce tableau déchirant est sous vos yeux; depuis un mois, cette enceinte retentit des cris funèbres des colons, des alarmes de toutes les villes maritimes, et c'est devant vous qu'on nous outrage, qu'on insulte à notre infortune, qu'on calomnie nos représentants, qui sont venus invoquer vos secours et vous demander justice de nos ennemis. Ces secours ont été suspendus pour entendre leurs récriminations et leurs plans désastreux; ces secours sont arrêtés par des manoeuvres dont le scandale vient d'éclater à Brest: ces secours se combinent enfin, pour achever la subversion de la colonie de Saint-Domingue.

Vous n'accorderez pas, Messieurs, aux calomniateurs, aux véritables criminels de lèse-patrie, ces heures précieuses que la pitié, comme l'intérêt public, sollicitent pour des Français expirant sous le fer des nègres révoltés.

M. Brissot vous a dénoncé, qui?... La colonie tout entière, ses propriétaires, ses représentants, ses administrateurs. Il vous a dit que nos députés trahissaient, qui ?... leurs commettants... Leurs commettants sont ici et à Saint-Domingue, et tous sont réunis pour ajouter à leur pouvoir, pour concourir à leur défense, pour poursuivre, avec eux, les ennemis de la nation et leurs complices. Qu'ils consomment notre ruine, ce dernier succès manquait à leur audace! Mais vous, Messieurs, vous, les représentants du peuple, qui devez protéger son industrie, son travail, sa subsistance, vous ne voudrez pas le réduire, comme nous, au désespoir. Vous ne vous laisserez pas tromper, jusqu'au dernier moment, par des impostures dont l'absurdité égale la perfidie.

(1) Bibliothèque nationale: Assemblée législative, pétitions, n° 7.

Il serait absurde de croire que ceux qui ont tout tenté pour faire abolir l'esclavage et ensuite la traite des noirs, aient à proposer une seule mesure conservatrice des colonies, lesquelles ne peuvent subsister sans l'esclavage et la traite des noirs.

Il est absurde de croire que ceux qui se déclarent les ennemis des colons blancs, parce qu'ils ont des esclaves noirs, aient épousé la cause des gens de couleur qui ont aussi des esclaves, par d'autres raisons que celle de mettre aux prises les blancs et les gens de couleur, de les faire égorger les uns par les autres, pour assurer ensuite la liberté des noirs, qui resteraient seuls maîtres du territoire: voilà les projets bienfaisants de ces amis de l'humanité.

Il serait donc injuste et cruel d'accorder à de tels hommes quelque influence sur le sort des colonies, et de recevoir d'eux, comme moyen de régime et de conservation, les expédients qui les conduisent le plus promptement à leur but de destruction.

Mais ils sont aussi barbares qu'absurdes, lorsqu'ils veulent vous persuader que les colons blancs, qui ont tout à perdre par la ruine des colonies, se sont fait incendier, égorger, pour avoir le plaisir de se livrer aux Anglais.

Messieurs, ils étaient Français et ne pouvaient cesser de l'être; mais la Constitution du royaume n'est pas celle des colonies; l'Assemblée constituante n'a pas voulu nous y soumettre, elle a reconnu qu'elle ne le pouvait pas, et cet acte solennel est à jamais la garantie de nos droits.

Que nos ennemis choisissent donc du rôle d'accusateurs, ou d'accusés; mais qu'ils ne violent pas notre Constitution, en discutant nos intérêts et les lois qui nous conviennent, eux qui ne nous ont encore présenté que des torches et des poignards.

Messieurs, nous vous demandons donc justice et secours nous nous référons aux demandes motivées de nos députés, et aux pétitions des différentes villes de commerce. Nous n'opposons à nos ennemis que l'indignation et le mépris : ils veulent immoler avec nous la moitié des Français; mais qu'ils apprennent qu'en dépit des complots, les colons conserveront à la France les colonies, ou périront avec elles. (Applaudissements.)

M. Je Président, répondant à la députation. Messieurs, l'Assemblée nationale prendra vos demandes en considération. Croyez qu'elle protégera les droits et les propriétés de tous les Français: elle vous invite à assister à sa séance. (L'Assemblée renvoie la pétition au comité colonial.)

M. Garderot, journaliste dans les colonies, est introduit à la barre et s'exprime ainsi (1):

Messieurs, arrêté au cap Français le 15 juillet dernier, par ordre du comité secret de l'assemblée provinciale du Nord, jeté dans les cachots, dépouillé de mon état et de ma fortune, embarqué pour la France au milieu des ténèbres de la nuit, je suis arrivé à Marseille après une très longue traversée. C'est au moment où je m'approchais du sanctuaire de la liberté, pour y dénoncer tous ces actes de tyrannie, que les commissaires de Saint-Domingue ont osé désigner en moi l'un des principaux auteurs des troubles qui désolent cette riche et malheureuse colonie.

(1) Bibliothèque de la Chambre des députés: Collection des affaires du temps, Bf, in-8° 165, tome 153, no12. 1. SÉRIE. T. XXXV.

Il faut donc arracher le masque à ces vils imposteurs qui, frappés eux-mêmes de la foudre qu'ils allumaient contre leur patrie, peuvent encore mentir à leur conscience (Applaudissements dans les tribunes), en imputant à la philosophie les crimes de leur orgueil et de leur mauvaise foi. Sans doute, ils me croyaient mort, lorsqu'ils ne craignirent pas de m'accuser devant vous; ils croyaient ensevelies avec moi les vérités que je vais mettre sous vos yeux.

Ces vérités vous conduiront à la véritable source des troubles, et vous indiqueront les moyens de la tarir.

Il existe à Saint-Domingue une coalition qui veut, ou la contre-révolution, ou l'indépendance sous l'égide d'une puissance étrangère. Par la contre-révolution, elle échapperait à la saisie réelle; par la protection d'une puissance étrangère, elle n'échapperait pas à la saisie réelle, mais elle se dispenserait de payer les dettes énormes qu'elle a contractées envers la France.

Cette coalition est soutenue par les ouvriers blancs, qui détestent les hommes de couleur, et par les gens sans aveu qui vivent de sa honteuse magnificence. Elle a fait éloigner des assemblées primaires les honnêtes colons et les hommes de couleur libres. Elle a fait promener sur l'âne, et pendre dans l'occasion, ceux qui s'avisaient ou de désapprouver ses violences, ou de présenter de simples pétitions pour réclamer l'exercice de leurs droits. Elle s'est emparée de toutes les places dans les assemblées coloniales, administratives et municipales, elle a renversé le gouvernement et les tribunaux, licencié les troupes, décrété l'indépendance, emprisonné, jugé, embarqué pour la France, foulé aux pieds le signe sacré de la Révolution, arboré la cocarde noire, menacé de pendre les commissaires du roi aux vergues des navires qui les porteraient, ouvert, intercepté les lettres des honnêtes gens qu'elle opprimait, et jeté la terreur dans toutes les ames par l'appareil formidable de ses satellites.

Moi seul, Messieurs, fait pour annoncer la vérité, moi seul j'ai osé la dire au milieu des poisons et sous le couteau des assassins. J'ai tonné contre les infracteurs des lois, de la morale et de l'honneur; j'ai soulevé le voile impur de l'hypocrisie nuancé des couleurs du patriotisme; j'ai montré à découvert et dans toute leur horreur ces crimes qui, pour être d'une espèce différente, n'en découlaient pas moins de la même source, j'ai fait trembler les méchants, et les méchants n'ont pu ébranler ma fermeté, ma constance intrépide à les faire connaître.

C'est moi qui, par un journal très répandu, arrêtais les complots de ces hommes perdus de dettes, qui ont ouvert dans la colonie l'abime affreux que vous cherchez à combler. C'est moi qui avais prédit le décret d'indépendance de la première assemblée coloniale, deux mois avant qu'il fût rendu, et qui ai publié ses plus secrètes manœuvres. C'est moi qui, par de sages conseils, ai longtemps préservé les troupes de ligne de l'ouest et du sud, des insinuations perfides des municipalités qui, dans ces deux provinces, sont enfin parvenues à détourner la force publique de la véritable destination pour la faire servir aux sinistres projets de la coalition dont elles font partie.

C'est moi qui aurais conservé à l'Amérique septentrionale un des héros de son indépendance, à l'armée française un de ses officiers les plus braves et les plus distingués, à l'Assemblée nationale un homme d'honneur qui, lié par ses ser

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ments, était le plus sûr garant de l'exécution de ses décrets, si celui de mes journaux qui dénonçaient aux troupes les faux décrets en date du 17 décembre et l'horrible dessein de faire assassiner le colonel Mauduit au nom de l'assemblée constituante, n'eût été retenu à la poste du Port-au-Prince. C'est moi qui ai prouvé que les membres de la municipalité du Port-au-Prince étaient complices du meurtre. C'est moi qui ai fait aux bataillons d'Artois et de Normandie des adresses qui les auraient fait rentrer dans le devoir, sans la moindre secousse, sans le moindre danger pour les traîtres qui les avaient égarés, s'il n'eût été de leur intérêt de perpétuer l'erreur de ces soldats patriotes

C'est moi qui, tantôt par de sages conseils, tantôt par des éloges mérités, ai maintenu le régiment du Cap dans la subordination.

C'est moi qui, soutenant les débris de l'organisation sociale dans la province du Nord, ranimais dans toute la colonie l'espoir des propriétaires de toutes les couleurs que les brigandages et les violences de 15,000 gens sans aveu envoyés de France par les 85, et autorisés par le silence des assemblées et des municipalités, jetaient dans l'alternative cruelle ou de se voir ruinés ou de se joindre aux factieux qui faisaient agir cette horde aveugle et barbare.

C'est moi qui ai conservé à la mère-patrie les colons honnêtes et tranquilles, les seuls dont l'attachement soit sincère, et dont le silence forcé ne saurait être coupable. Ils ne vous ont point envoyé des députés pour vous demander des troupes; ils n'ont à grossir ni moyens d'oppression, ni moyens de résistance à vos décrets. Les malheureux! ils n'ont point d'armée; ils ne sont forts que de leurs vertus; ils attendent, dans les angoisses de la crainte et de la douleur, qu'une voix secourable dirige votre main bienfaisante vers la caverne affreuse où les rugissements de la trahison étouffent la voix plaintive de l'innocence et de la fidélité!

Je n'affligerai pas vos regards du tableau déchirant des cruautés dont j'ai été le témoin. C'est à vous, Messieurs, qu'il appartient d'envoyer sur cette terre de désolation, des hommes justes, humains, éclairés; qu'ils aillent y sonder les plaies des honnêtes colons blancs, des hommes de cou leur libres persécutés, tantôt au nom de la nation et de la loi, tantôt au nom de la sûreté des propriétés mobilières, toujours par la mauvaise foi des débiteurs insolvables: qu'ils aillent sonder les plaies de ces dignes colons! ils y trouveront les dards envenimes d'une coalition scélérate, qui s'offre à toutes les nations, et que toutes les nations rebutent avec mépris. A chaque pas, ils rencontreront des preuves de perfidie. Ils verront un gouverneur qui n'ose seulement pas écrire la vérité, qui est obligé de communiquer aux assemblées ses lettres et le livre où il les consigne; ils trouveront des comités secrets, des commissaires préposés pour intercepter les lettres, des caisses publiques vides, des registres de geôle qui les feront frémir; ils trouveront des commissaires de rade qui, depuis les premiers jours de la Révolution, visitent tous les navires, toutes les poches et saisissent des écrits qui n'apprendraient rien aux nègres esclaves, parce qu'ils ne savent pas lire; qui n'apprendraient rien aux hommes de couleur, parce qu'ils ont toujours connu leurs droits. Ils découvriront bientôt que la seule verité contenue dans le rapport de la députation de Saint-Domingue, est le désordre affreux dont elle vous a fait le tableau. Elle n'a

pas parlé de ces cris imprudents que j'ai moimême entendus, et dont bien d'autres que moi furent indignés; elle n'a pas dit qu'à l'arrivée du décret du 15 mai, on faisait crier dans les villes et par les campagnes, que l'Assemblée nationale allait bientôt rendre aux nègres leur liberté, que tout retentissait de ce mensonge meurtrier, tandis que le décret du 15 mai ne regardait que les hommes de couleur libres. Mais il fallait rallier, en les alarmant sur leurs propriétés, tous ceux dont le cœur brûlait encore de l'amour de la patrie; et les factieux, entièrement livrés à ce coupable calcul, ne songeaient pas qu'ils étaient parmi les esclaves.

Ceux à qui vous accorderez votre confiance, après avoir acquis les plus simples connaissances locales, seront bien assurés non seulement que la publication du décret du 15 mai n'a pu causer aucun trouble, mais encore que la justice et la saine politique ont dicté les dispositions de ce décret.

La première assemblée coloniale aurait, l'année dernière, accordé aux hommes de couleur l'exercice de tous leurs droits, s'ils eussent pris les armes en sa faveur, lorsqu'elle leur fit écrire par MM. Guérin et Saintard. Il dépendait d'eux aussi d'accepter l'offre qu'on leur faisait des habitations des proscrits; mais ils refusèrent avec indignation et ne voulurent pas acheter par des bassesses des avantages qu'ils tenaient de la nature.

Pourquoi n'aurait-on pas craint alors de détruire la subordination dans les ateliers, en effaçant la ligne de démarcation qui sépare les blancs des hommes de couleur ? C'est qu'à cette époque, on était, comme aujourd'hui, pénétré de cette grande vérité, que les propriétaires de couleur, avilis de tous les temps et cependant toujours obéis de leurs esclaves, exerceraient sur eux une puissance morale bien plus active s'ils cessaient d'être avilis, assassinés impunément sous leurs yeux, s'ils avaient enfin l'existence civile et politique des blancs.

Il est donc évident que le décret du 15 mai n'est que le prétexte des clameurs de la coalition qui règne à Saint-Domingue et que la saisie réelle est l'objet réel de ses craintes. Entourée de forces considérables, elle vous a demande des secours pour repousser les nègres rebelles que les seuls hommes de couleur pouvaient réduire. Puisse-t-elle n'avoir pas égaré votre sensibilité paternelle! Mais tout m'annonce que ceux qui osèrent lutter d'autorité avec l'Assemblée constituante, pourront bien oser lutter de force avec

Vous.

Cette prédiction paraîtra, sans doute, exagérée à ceux qui ne connaissent pas le cœur des méchants, à ceux qui n'ont jamais parcouru les détours de ce labyrinthe effrayant où la vertu timide n'oserait pénétrer; maís d'après ce que j'ai vu, je dois vous préparer à de nouveaux événements.

Au nom de la patrie, Messieurs, au nom de l'humanité, hâtez-vous d'envoyer à Saint-Domingue des hommes incorruptibles et fermes, avec des troupes sûres, et bien informés de leur destination, qu'ils y parlent au nom de la seconde législature française, qu'ils disent aux honnêtes colons blancs, et aux hommes de couleur libres : « Jusqu'à présent, vous avez été trompés, vos droits ont été méprisés, vos espé rances déçues ; nous venons vous arracher à l'oppression, terrasser le mensonge et faire régner la loi. Aussitôt, ils les verront voler sur leurs traces; aussitôt, le rétablissement de l'or

dre et le triomphe de la Constitution seront assurés à Saint-Domingue. Ces hautes montagnes, qui ne répètent que des gémissements, retentiront du cri de la reconnaissance; vous serez bénis dans le nouveau monde et vous pourrez vous dire à vous-mêmes : c'est à nous qu'il appartenait de montrer le courage de la vertu.

Quant à moi, Messieurs je laisse à votre justice le soin de fixer les indemnités qui me sont dues, et d'indiquer les hommes qui les doivent supporter. (Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.)

M. le Président. L'Assemblée nationale applaudit à vos sentiments patriotiques. Elle approfondira les faits que vous venez de lui révéler et vous rendra la justice que vous avez droit d'en attendre avec confiance. Elles vous invite d'assister à sa séance. (Applaudissements.)

M. Ta llefer. Je demande le renvoi de la péti tion de M. Garderot au comité colonial. Je puis assurer, parce que je connais les mœurs et le talent de M. Garderot, que c'est un homme de bien et un bon citoyen, et qu'il peut répandre un vrai jour sur l'affaire que vous avez à discuter demain.

(L'Assemblée renvoie la pétition de M. Garderot au comité colonial.)

M. Albitte. Je demande l'impression du discours de M. Garderot.

Un membre: Des deux.

M. Delacroix. Je demande l'impression du second discours, parce qu'il contient des éclaircissements et que l'autre n'est qu'un tissu de déclamations et d'injures pour l'Assemblée.

Plusieurs membres : La question préalable sur l'impression!

(L'Assemblée rejette la question préalable et décrète l'impression du discours de M. Garderot.) Un membre: Je demande l'impression du discours des colons blancs.

Plusieurs membres : La question préalable!

M. Gilbert. C'est d'une partialité indécente. Quand deux plaideurs vous présentent chacun des pièces, si vous n'acceptiez que celles d'une partie, vous auriez l'air de favoriser l'autre. Je demande l'impression du discours des colons. (L'Assemblée décrète l'impression du discours des colons.)

M. Brès, député suppléant du Puy-de-Dôme, est admis à prêter son serment en remplacement de M. Téalier, décédé.

M. Albitte. Je demande la parole pour une motion d'ordre. L'imprimeur ne nous a pas fait encore distribuer le discours de M. Brissot, quoique l'impression en ait été ordonnée depuis plus de huit jours (1). Je demande que les commissaires-inspecteurs surveillent sa conduite.

M. Dorizy. Je propose qu'il soit procédé à la nomination de la commission chargée de l'inspection de la fabrique des assignals.

(L'Assemblée, consultée, décrète cette motion.)

Un membre: Les commissaires que vous avez nommés pour les lettres de cachet se sont présentés aux Archives pour retirer les papiers de l'ancien comité des lettres de cachet. M. Camus les leur a refusés. Il a observé qu'il les lui fallait et a demandé à être entendu à la barre.

(1) Voir ci-après, p. 675, 2. col., les causes du retard de cette distribution.

(L'Assemblée décide que M. Camus sera admis demain matin à la barre.)

M. le Président accorde la parole à un membre qui, dans la séance d'hier, avait demandé à donner des éclaircissements à l'Assemblée sur l'affaire des 61 laboureurs détenus dans les prisons de Périgueux.

Un membre, député du département de la Dordogne: J'ai demandé hier à l'Assemblée de m'accorder quelques moments dont je n'abuserai point au sujet des 61 laboureurs détenus à Périgueux. Il s'agit de mettre en activité la surveillance d'un ministre que vous regardez tous comme un bon citoyen, qui, dans cette affaire, j'aime à le croire, n'a eu aucun tort personnel, et sous l'administration duquel, cependant, je vois l'exécution d'une loi sacrée complètement éludée. Jugez, Messieurs, si nous voulons faire notre devoir, jugez avec quelle attention nous devons surveiller les agents du pouvoir exécutif.

Voici une lettre que je lui ai écrite :

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J'apprends, dans ce moment, que les 61 laboureurs détenus dans les prisons de Périgueux ne jouissent point encore de la liberté. La France entière sera étonnée que, sous le ministère d'un ami de la Constitution, il se trouve de malheureuses victimes de l'inexécution de la loi. Vos agents vous ont dit que ces prisonniers étaient de mauvais sujets; peut-être ont-ils ajouté des brigands. Rien n'est plus faux. Les 61 laboureurs, en refusant de payer une dette onéreuse et conventionnelle, ont été trompés sans doute; mais ils ne sont point de mauvais sujets. Ce sont pour la plupart de bons citoyens qui valent mille fois mieux que ceux qui les accusent. Leur emprisonnement a été fait presque arbitrairement: ce n'est que six semaines après que leur affaire a été portée au tribunal de district, qui a ordonné l'élargissement provisoire, à la charge de se représenter en état d'arrestation; et sous quel prétexte ont-ils ordonné cet élargissement provisoire? c'est parce que ces 61 laboureurs avaient contracté, dans leur horrible prison, des maladies contagieuses. Je vois avec douleur que le mal qui est fait est difficile à réparer; c'est cependant en le réparant que vous pourrez, dans une place délicate, braver la calomnie, et vous maintenir dans l'estime publique. »

A ce sujet, M. le ministre de la justice vous a écrit une lettre (1), datée du 5 décembre, contenant deux faits principaux :

Le premier, qu'il y a eu, dans le département de la Dordogne, des attroupements armés, des proclamations menaçantes contre le payement de la dime, des fermages et des rentes ci-devant seigneuriales.

Ce premier fait, Messieurs, est relatif au fond de la question qu'il ne s'agit pas de discuter ici. J'observerai seulement que le ministre de la justice a été induit en erreur par les mémoires qui lui ont été envoyés sans doute, et qu'il est de toute fausseté que le refus du payement eût pour objet les rentes ci-devant seigneuriales, il était question seulement d'un prélèvement conventionnel entre le propriétaire et le colon; prélèvement très onéreux qui est toujours le même dans les années de calamité comme dans les années d'abondance, et que le pauvre laboureur, qui en connait l'injustice et qui imagine que la Révolution a tout réparé, croyait ne plus devoir subsister; sans

(1) Voyez ci-dessus la lettre de M. le ministre de la justice, séance du 5 décembre 1791 au matin.

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