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Ce qui acheva d'effrayer les colons sur les dispositions de la métropole, fut la lettre fameuse d'un membre de l'Assemblée constituante, qui écrivait que bientôt le soleil n'éclairerait plus en Amérique que des hommes libres. Les colons sentaient que de pareilles espérances données aux colons pouvaient avoir les suites les plus fâcheuses; et l'expérience prouve aujourd'hui que leurs inquiétudes n'étaient pas sans fondement.

Cependant quelques-uns de ceux qui avaient le plus appuyé le décret du 15 mai, commençaient à sentir la difficulté de son exécution; le gouverneur écrivait que si la loi parvenait officiellement, il ne prendrait pas sur lui d'en ordonner la promulgation; toutes les places maritimes, toutes les villes de commerce, toutes les manufactures du royaume faisaient des réclamations: l'Assemblée constituante, éclairée par ce cri général, convaincue que l'incertitude des esprits sur les principes de la métropole avait été la première cause des troubles des colonies, reconnaissant enfin la nécessité de donner une constitution à cette partie intégrante et précieuse de l'Empire français, décréta constitutionnellement pour les colonies, les quatre articles ciaprès :

Art. 1o. L'Assemblée nationale législative statuera exclusivement avec la sanction du roi, sur le régime extérieur des colonies; en conséquence, elle fera: 1° les lois qui règlent les relations commerciales des colonies, celles qui en assurent le maintien par l'établissement des moyens de surveillance, la poursuite, le jugement, et la punition des contraventions, et celles qui garantissent l'exécution des engagements entre le commerce et les habitants des colonies; 2° les lois qui concernent la défense des colonies, les parties militaires et administratives de la guerre et de la marine.

«Art. 2. Les assemblées coloniales pourront faire, sur les mêmes objets, toutes demandes et représentations; mais elles ne seront considérées que comme de simples pétitions, et ne pourront être converties dans les colonies en règlements provisoires sauf néanmoins les exceptions extraordinaires et momentanées, relatives à l'introduction des subsistances, lesquelles pourront avoir lieu à raison d'un besoin pressant, légalement constaté, et d'après un arrêté des assemblées coloniales, approuvé par les gouverneurs.

«Art. 3. Les lois concernant l'état des personnes non libres, et l'état politique des hommes de couleur, nègres libres, ainsi que les règlements relatifs à l'exécution de ces mêmes lois, seront faites par les assemblées coloniales, s'exécuteront provisoirement avec l'approbation des gouverneurs des colonies, pendant un an pour les colonies américaines, et pendant deux ans pour les colonies asiatiques, et seront portées directement à la sanction du roi, sans qu'aucun décret antérieur puisse porter obs

tacle au plein exercice du droit conféré par le présent article aux assemblées coloniales.

« Art. 4. Quant aux formes à suivre pour la confection des lois du régime intérieur, qui ne concernent pas l'état des personnes désignées dans l'article ci-dessus, elles seront déterminées par le pouvoir législatif, ainsi que le surplus de l'organisation des colonies, après avoir reçu le vœu que les assemblées coloniales ont été autorisées à exprimer sur leur constitution. »

Cette loi, qui devait assurer invariablement la tranquillité des colonies, n'a pu malheureusement y arriver assez tôt pour prévenir les événements affreux qu'embrasse la quatrième époque, dont il me reste à vous rendre compte."

Ici, Messieurs, commence un nouvel ordre de choses. La révolte des noirs éclate; les événements, les délibérations, les dispositions militaires se succèdent avec rapidité; et l'homme sage, qui ne veut pas juger légèrement, est obligé de se recueillir pour suivre le fil des faits, et pour apprécier les mesures qui furent adoptées dans ces circonstances critiques.

J'épargnerai à votre sensibilité un nouveau récit des faits particuliers dont l'atrocité vous a déjà fait frémir plusieurs fois; je me bornerai à vous indiquer la marche générale des révoltés, et les moyens que leur ont opposés le gouverneur et l'assemblée coloniale.

La formation de la nouvelle assemblée colomiale, que diverses circonstances avaient retardée jusqu'à ce moment, s'était enfin opérée à Léogane, le 10 août dernier, et cette assemblée s'était constituée de suite sous le nom d'assemblée générale de la partie française de SaintDomingue.

Le même jour, on avait agité la question de Léogane ou si, conformément à la faculté que savoir si l'assemblée continuerait ses travaux à

lui en accordait l'instruction du 28 mars, elle choisirait une autre ville pour lieu de ses séances. Les opinions s'étaient trouvées partagées : les uns préféraient Léogane, comme point central de la colonie; les autres insistaient pour le Cap, par la raison que cette ville avait de plus grandes liaisons avec la metropole, et parce que, disaient-ils encore, c'était le moyen de détruire entièrement les anciens germes de division; on fut au scrutin au troisième tour, le Cap obtint la majorité, et la réunion générale dans cette ville fut ajournée au 25. L'assemblée se sépara ensuite.

Il n'est pas inutile, Messieurs, de vous rappeler quelques deliberations que l'assemblee generale avait prises au moment de sa formation et de sa réunion provisoire.

A l'ouverture de ses séances, le 3 août, elle avait exigé que tous ses membres prêtassent serment, et jurassent sur l'honneur et au nom du salut de la colonie en danger, de se réunir d'esprit, de cœur et d'intention avec leurs collègues, et d'ensevelir dans une nuit éternelle les discussions qui avaient précédé leur rassemble

ment.

Le 9, elle déclara ne vouloir laisser aucun doute sur la pureté de ses intentions et de ses principes, jusqu'à ce qu'elle eùt pu les manifester plus formellement en s'occupant de la constitution de Saint-Domingue et elle arrêta, en conséquence, que Saint-Domingue étant portion de l'Empire français, elle reconnaissait qu'a l'Assemblee nationale seule appartenait irrévocablement le droit de prononcer sur les rapports politiques et commerciaux qui unissent Saint

Domingue à la France, d'après les plans qui seraient présentés par l'assemblée générale. Elle déclara, en outre, qu'elle mettait sous sa sauvegarde, et sous celle de la loyauté des citoyens, les créances, tant des négociants de France que de Saint-Domingue, qu'elle maintiendrait l'observation des lois qui en assurent les payements dans toute leur vigueur, et qu'elle provoquerait à cet effet toute l'influence des opinions et de la force publique.

Ces arrêtés, et celui par lequel elle avait déterminé de se fixer au Cap, furent adressés et soumis au représentant du roi par des commissaires nommés à cet effet, et cette formalité fut étendue aux diverses délibérations prises postérieurement par l'assemblée générale.

Conformément à celui du 10 août, les membres de l'assemblée générale s'étaient séparés, résolus de se rendre au Cap le jour indiqué.

Dans leur route, quelques-uns d'entre eux furent témoins, le 16 août, de l'incendie d'une case à bagasse, sur l'habitation Chabeau, au quartier du Limbé; plusieurs, dont deux sont présentement en France, traversèrent des sucreries incendiées et eurent beaucoup de peine à échapper aux révoltés; quatre autres, enfin, ont été impitoyablement massacrés en se rendant paisiblement à leur poste.

Avant que l'assemblée générale fût réunie, le 22 août, l'assemblée provinciale du Nord fit prier M. Blanchelande d'être présent à la déclaration des diverses personnes blanches et de couleur arrêtées la veille par des patrouilles.

Ces personnes déposèrent qu'il existait un projet de conspiration dirigé particulièrement contre la ville du Cap. Ce projet devait s'effectuer la nuit. On devait mettre le feu à des habitations voisines du Cap et, à ce signal, un massacre général devait avoir lieu dans toutes les parties de la ville.

M. Blanchelande prit aussitôt des mesures pour prévenir ce désastre; mais elles ne purent s'étendre à toute la partie du Nord qui se trouvait menacée.

Pendant la nuit, des nègres révoltés sur l'habitation Noé, à l'Acul, y assassinent les blancs, passent sur l'habitation Clément, y signalent également leur rage, penètrent aux trois habitations Galifet et y commettent les mêmes hor

reurs.

Le 23 au matin, on vit arriver de divers quartiers, des blancs fuyant leurs habitations. Les uns annonçaient la révolte de plusieurs ateliers, les autres racontaient les massacres qui se commettaient dans la plaine; tous demandaient l'asile ou des secours.

Le commandant général envoya aussitôt une compagnie du régiment du Cap sur l'habitation Noé, et il invita les dragons patriotes à les y accompagner.

L'assemblée provinciale, de son côté, envoya des troupes à cheval et des volontaires au haut du Cap, où M. Blanchelande établit ensuite un fort détachement de troupes de ligne.

Les membres de l'assemblée générale arrivaient successivement au Cap, à travers les plus grands dangers. Ils se formèrent d'abord en comité, et arrêtèrent que sur-le-champ on donnerait avis aux provinces de l'Ouest et du Sud des malheureux événements qui affligeaient les environs du Cap; le président fut spécialement chargé de cette commission.

Les premières dispositions faites par le gouverneur et l'assemblée provinciale du Nord,

avaient un peu dissipé la terreur qui s'était répandue dans la ville; mais cette situation ne fut pas de longue durée.

A chaque instant, on apprenait des nouvelles plus fâcheuses les unes que les autres; tous ceux qui arrivaient de la plaine rapportaient que les violences des révoltés augmentaient avec leur nombre, et que le mal s'étendait progressivement à toute la partie du Nord.

La position particulière du Cap n'était pas tout à fait tranquillisante. Cette place, qui contient 8 à 10,000 nègres mâles, fourmille, comme toutes les grandes villes, d'une foule d'aventuriers, rebut de l'Europe entière. Comme on découvrait à tout moment des complots qui prouvaient que la révolte était concertée entre la ville et la plaine, l'assemblée générale et l'assemblée provinciale du Nord craignirent que, dans le cas d'une attaque extérieure, il ne se manifestât une révolte au dedans, et elles firent part de leurs inquiétudes au général, qui se détermina à rappeler le poste de la baie de l'Acul pour couvrir le Cap. If y eut, dans cette marche, une escarmouche entre ce détachement et les révoltés : 50 nègres restèrent sur le champ de bataille.

Cependant, il s'opérait successivement des jonctions d'ateliers nouvellement révoltés; la province du Nord était en proie aux plus grands désordres, et les divers corps de troupes patriotiques de cette province, agissant sans concert, ne produisaient presque aucun effet.

Le 24 août, l'assemblée générale pria M. Blanchelande d'en prendre le commandement, et de pourvoir par lui seul à tout ce qu'exigeait la sûreté publique. Il accepta, et s'occupa de suite de former un plan général de défense.

Il établit au haut du Cap un poste d'environ 250 hommes, tant d'infanterie que de cavalerie, dont il confia le commandement à M. Touzard; il envoya à la petite Anse un autre détachement d'environ 200 hommes, avec l'artillerie convenable; il forma divers corps de garde, fit embosser la corvette la Fauvette et la frégate la Prudente pour battre sur les chemins et intercepter les passages, et prit toutes les précautions nécessaires pour mettre le Cap en sûreté.

Comme l'assemblée générale observait que l'attroupement des nègres augmentait chaque jour, et que bientôt les villes mêmes seraient dans l'impossibilité de se défendre, si la colonie ne recevait des renforts du dehors, elle arrêta d'expédier promptement plusieurs petits bâtiments, pour demander aux puissances voisines des secours d'hommes et des munitions de guerre et de bouche. Il est essentiel de rappeler ici les expressions mêmes de cet arrêté, pris le 24 août :

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Arrêté que M. le général seul traitera cette « affaire importante avec les commandants des possessions espagnoles; mais que, pour traiter « avec les autres puissances, M. le général et l'assemblée feront les réquisitions en commun.

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« Arrêté, en outre, que ces réquisitions seront " précédées d'une proclamation de l'assemblée générale, qui constate l'urgente nécessité de « recourir à cette ressource extraordinaire. » Le même jour et les quatre suivants, l'assemblée générale prit divers autres arrêtés relatifs aux circonstances.

Elle déclara qu'elle tiendrait ses séances jour et nuit; elle chargea l'assemblée provinciale de nommer une commission prévôtale dont les fonctions seraient de juger les hommes pris les armes à la main ou en état de révolte; elle accepta l'offre faite par les hommes de couleur de

s'armer pour la défense commune; elle empêcha l'embarcation de l'argent sur les bâtiments qui étaient en rade, dans la vue d'arrêter la disparition du numéraire et le refroidissement du zèle de plusieurs citoyens propres à la défense publique; elle mit un embargo sur tous les navires de long cours qui existaient dans les ports de la colonie, et laissa aux assemblées provinciales, corps administratifs et municipalités, la liberté de lever cet embargo sur les bâtiments de cabotage seulement, si le cas le requérait : elle forma, sous l'approbation du gouverneur, deux régiments, sous le titre de gardes de SaintDomingue, soldés, et les soumit à toutes les ordonnances relatives à la discipline et police militaire, en vigueur dans la colonie.

Le général, de son côté, acceptait les offres de la marine nationale, qui demandait à occuper le Morne de Saint-Michel; il nommait des chefs dans les divers points; il fortifiait l'ile de la Tortue; il établissait des petits bateaux d'observation, pour croiser depuis Caracole jusqu'au port Margot, et de ce dernier lieu dans le canal de la Tortue, avec ordre de couler bas toutes les petites embarcations suspectes, et surtout celles qui auraient à leur bord des nègres révoltés; il s'emparait des gorges et des passages depuis la Marmelade jusqu'à la mer.

Peu de jours après, le général proposa de faire une proclamation pour inviter les nègres à rentrer dans le devoir, et il offrit de se mettre en campagne pour réduire et écraser les révoltés qui continuaient de saccager la plaine. On crut que son projet de proclamation ne produirait pas l'effet qu'il en attendait, ce qui empêcha de l'adopter; et la crainte, encore subsistante, d'un soulèvement intérieur, fit rejeter également sa proposition de se mettre en campagne avec la plus grande partie de la force armée.

On se borna à régler la marche des troupes destinées à protéger la province de l'Ouest, afin d'empêcher les progrès de l'incendie, et d'intercepter toute communication des ateliers de la province du Nord avec ceux de la province de l'Ouest et du Sud, qui n'étaient pas encore infectés de l'esprit de sédition.

Les circonstances devenant plus critiques de jour en jour, l'assemblée générale et l'assemblée provinciale arrêtèrent qu'en cas d'attaque, leurs membres prendraient eux-mêmes les armes, tant pour partager les périls des citoyens que pour ranimer leur zèle et conserver l'ordre; et, pour servir de signe de reconnaissance et dé ralliement, il fut arrêté, le 28 août, que les membres de l'assemblée générale porteraient en séance et sous les armes une écharpe de crêpe noir, et les membres de l'assemblée provinciale une écharpe rouge, image du sang dont leur territoire était arrosé; il fut arrêté, en outre, que le président porterait, pour être reconnu et pour qu'on obeit à sa voix, une écharpe rouge et noire il fut arrêté enfin que ces écharpes ne seraient portées que durant l'état de guerre où se trouvait la colonie.

Le 29, l'assemblée générale arrêta que l'officier d'administration faisant les fonctions d'intendant se transporterait au Cap avec ses bureaux et les titres relatifs aux finances de SaintDomingue, vu qu'il était plus important que jamais de connaitre l'état de ses finances, et que les retards occasionnés par l'éloignement du trésorier pourraient produire des effets funestes.

Le 2 septembre, l'assemblée générale prit un nouvel arrêté relativement aux cargaisons desti

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Le présent arrêté aura son exécution à la simple notification qui en aura été faite auxdits capitaines.

Sera bien et valablement déchargé le capi«taine des marchandises contenues au connais«sement, par la déclaration que mettra le proprié«taire ou chargeur au dos dudit connaissement,

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que les marchandises lui ont été remises. »

Cet arrêté qui, comme tous les autres, fut soumis à l'approbation du gouverneur, donna naissance à une décision rendue le 5 septembre, qui renvoie aux juges de l'amirauté les contestations qui pourraient s'élever en conséquence, parce que (porte cette décision) l'assemblée ne pouvait en même temps dicter les lois et les faire exécuter.

L'assemblée générale prit depuis, et suivant les circonstances, divers arrêtés, dont voici les plus importants:

Elle accorda la liberté à un nègre commandeur, qui avait préservé un atelier de la révolte, et avait dénoncé divers instigateurs de troubles.

Elle restreignit provisoirement la liberté de la presse, et la vente et la distribution d'aucuns écrits relatifs aux affaires politiques et à la Révolution française.

Un sieur Fournier, commandant le Triton de Bordeaux, refusait de fournir de la farine aux habitants du Bongre, parce que ceux-ci, épuisés en ce moment, ne pouvaient le payer comptant; l'assemblée arrêta qu'eu égard à la circonstance, ce capitaine serait tenu de fournir des vivres au commissaire du Bongre, jusqu'à la concurrence de 6,600 livres payables en 3 mois, sous la solidité de tous les gens de la paroissé.

Elle augmenta le droit de sortie sur les sucres et cafés, dans la vue, porte l'arrêté, d'établir la balance entre les recettes et les dépenses.

Elle permit aux habitants des Etats-Unis d'Amérique de s'expédier deux à la fois, dans la crainte qu'il ne vint pas du secours de ce pays; si on y apprenait l'embargo général.

Elle suspendit provisoirement le droit d'aubain à l'égard des étrangers établis dans la colonie qui, dans ces circonstances difficiles, auraient pr

les armes, comme les autres citoyens, pour la défense de la colonie.

Sur la lecture d'une lettre venue de France, qui annonçait qu'une foule d'émigrants passaient journellement à Saint-Domingue, avec des principes contraires à son état politique, l'assemblée arrêta que tout particulier arrivant dans la partie française de Saint-Domingue qui n'aurait pas de propriété dans le pays, ou qui ne serait pas adressé, et qui ne pourrait pas se faire réclamer de parents, tels que père, fils, frère, oncle et neveu, propriétaires ou citoyens domiciliés ou connus, ne pourrait être débarqué, et resterait consigné, soit à bord du navire qui l'aurait amené, soit à bord du navire de la nation qui se trouverait dans la rade où le navire aurait mouillé.

Les 5, 6 et 14 septembre, sur la proposition spontanée de quelques-uns de ses membres, elle délibéra sur les moyens d'améliorer l'état des hommes de couleur libres. Le 5, on arrêta qu'il serait formé une commission chargée spécialement de ce travail, et à laquelle les hommes de couleur libres pourraient adresser leurs pétitions, et que cette commission serait tenue de présenter son travail à l'assemblée dans le plus bref délai. Le 6, sur le rapport de cette commission, elle autorisa les hommes de couleur libres, sans exception, à se réunir paisiblement dans leurs paroisses et à rédiger des pétitions tendant à fixer leur état ; et elle enjoignit aux municipalités, corps populaires et commandants, de protéger ces assemblées d'hommes de couleur libres, afin que l'émission de leur vou parvint le plus librement et le plus promptement possible. Le 14, elle autorisa les hommes de couleur libres, alors sous les armes, à former des assemblées, dans leurs camps mêmes, pour la rédaction de leurs pétitions.

Pendant que l'assemblée générale s'occupait, dans la partie du Nord, des moyens d'améliorer l'état des hommes de couleur libres, ceux de la partie de l'Ouest s'étaient armés auprès du Portau-Prince, et avaient réuni sous leurs ordres un assez grand nombre de nègres. Un détachement de troupes de ligne et de gardes patriotiques, envoyé pour les réduire, fut repoussé avec perte. Les hommes de couleur, et les troupes patriotiques nommèrent respectivement des commissaires pour proposer des articles de paix, et cette conférence se termina par le concordat dont vous avez connaissance.

Cependant les noirs révoltés continuaient leurs forfaits dans la partie du Nord: leurs échecs semblaient ajouter à leur audace, et l'on assurait qu'ils avaient grande provision d'armes et de munitions de bouche et de guerre.

M. Blanchelande, après avoir mis le Cap à couvert, disposa les forces qu'il avait à ses ordres, de manière à faire une attaque vigoureuse, et annonça l'intention de se mettre en campagne. Un grand nombre d'aventuriers du Cap se présentèrent pour marcher avec lui, s'il voulait leur accorder les deux tiers du pillage qui serait fait sur les habitations incendiées; mais M. Blanchelande rejeta leur offre avec indignation. Il marcha ensuite sur les révoltés, les battit, les mit en fuite sur les habitations d'Agoult et Galifet et leur enleva huit pièces de canon et beaucoup d'effets.

Ces avantages cependant ne tranquillisaient point parfaitement le général; ses forces ne lui paraissaient pas assez considérables pour combattre longtemps une armée de cent mille nègres bien armés, dans un pays où nos troupes s'épuisent promptement, par la chaleur et la fatigue.

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Il écrivit au chef espagnol et lui demanda des secours, en exécution de l'article 9 du traité du 3 juin 1777; mais ce dernier lui répondit froidement « Ce n'est pas le cas prévu par le traité. « Ce sont, ajoutait-il, des dissensions intestines qui se sont élevées dans l'intérieur de votre << gouvernement, et qui font le sujet d'une rixe << entre des sujets d'un même prince sur la réciprocité des droits.

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Tandis que les Espagnols refusaient ainsi de secourir leurs alliés, ils garnissaient leurs frontières de troupes et repoussaient avec cruauté les Français qui cherchaient un asile contre la barbarie des nègres, fournissaient des munitions de guerre aux rebelles, et leur livraient, à 130 livres par tête, nos malheureux frères, qui bientôt périssaient sous le fer des révoltés.

Ce n'est pas ici le moment de prononcer sur ces procédés ennemis et barbares; vous avez renvoyé déjà l'examen de cette affaire à vos comités diplomatique et colonial, qui s'empresseront sans doute de vous en faire le rapport.

L'assemblée coloniale avait arrêté, le 9 septembre, que, dans le plus bref délai, il serait expédié deux avisos en France; mais l'incertitude de l'état dans lequel se trouvait la province de l'Ouest, fit suspendre le départ d'un de ces avisos.

Le 18, elle suspendit l'effet de la prescription des créances pour les objets qui auraient pu échoir depuis le 23, époque où avaient commencé les malheurs de la colonie.

Les secours de la Jamaïque arrivèrent le 21. Le commodore Affleck, commandant la frégate qui avait apporté ces secours, mit pied à terre, et se présenta avec le général dans la salle de l'assemblée, où il fut remercié par le président.

L'assemblée générale avait besoin de fonds et sentait l'impossibilité de s'en procurer de France avant 5 ou 6 mois : enhardie par la générosité des Anglais, elle arrêta qu'il serait fait à la Jamaïque un emprunt de 180,000 livres sterling, et elle nomma des députés pour traiter cette importante affaire.

Le 20 septembre, l'assemblée générale, craignant que les gens de couleur ne fussent pas encore parfaitement satisfaits des arrêtés qu'elle avait pris les 5, 6 et 14 du même mois, crut devoir en prendre un nouveau, dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture.

L'assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue, après avoir délibéré pendant quatre séances, a arrêté et arrête :

«Art. 1er. Qu'elle ne s'opposera point à l'exécution de la loi du 15 mai, concernant les hommes de couleur libres, lorsqu'elle sera connue officiellement. >>

«Art. 2. Déclare que voulant donner aux hommes de couleur libres, même de père et mère non libres, et qui ne participent pas au bénéfice de ladite loi du 15 mai, une preuve non équivoque de la bienveillance qu'il ont méritée par leur empressement à défendre la cause publique, elle se propose provisoirement, avec l'approbation de M. le lieutenant ou gouverneur général, et définitivement avec l'approbation de l'Assemblée nationale et la sanction du roi, d'améliorer leur état aussitôt après la promulgation de ladite loi; intention qu'elle a déjà manifestée par ses arrêtés des 5, 6 et 14 de ce mois.

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la défense de Saint-Domingue en danger, et qui, tranquilles spectateurs de l'incendie et des assassinats, voudraient justifier leur inaction par le doute sur les intentions de l'assemblée générale.

« L'assemblée générale charge son président de se retirer par devers M. le lieutenant ou gouverneur général, pour lui communiquer le présent arrêté, avoir son approbation, l'inviter de le faire notifier de suite aux assemblées administratives, qui demeureront chargées de le notifier aux municipalités, corps populaires et civils, etc. »>

Tel était l'état des choses, lorsque les députés de Saint-Domingue sont partis pour se rendre auprès de vous, Messieurs, et c'est à cette époque aussi que cessent les avis officiels qui nous sont parvenus.

Cependant la révolte continue à Saint-Domingue les bruits particuliers reçus de cette cofonie annoncent que les noirs dans la partie du Nord, et les mulâtres dans la partie de l'Ouest, exercent encore les actes de violences les plus inquiétants. Les principaux auteurs de ces révol tes sont arrêtés; on instruit leurs procès ; il en résultera nécessairement de grandes lumières ; et, appelés à vous indiquer les causes de ces derniers événements, nous regrettons, Messieurs, que votre empressement à vous éclairer pour tout ce qui peut contribuer à rétablir le calme dans les colonies, ne vous ait pas permis de nous accorder un délai plus considérable : il se réserve de vous présenter ses réflexions avec l'indication des moyens propres à rétablir l'ordre dans les colonies. Il m'a chargé de vous proposer d'ajour ner ce second rapport à mercredi prochain." (L'Assemblée ajourne la suite du rapport à mercredi prochain.)

Plusieurs membres L'impression et la distribution !

(L'Assemblée décrète l'impression et la distribution du rapport de M. Tarbé.)

M. le Président. La parole est à M. le ministre de la guerre qui l'a demandée.

M. de Narbonne, ministre de la guerre. Messieurs, je voulais ne m'adresser à vous qu'après avoir pris une connaissance assez précise du département de la guerre, pour pouvoir demander au roi de vous proposer les mesures décisives dignes des circonstances qui nous environnent, de la cause que nous servons, et de l'énergie de la volonté nationale. Je voulais commencer par vous demander la parole sur la loi de la responsabilité, lorsqu'elle sera mise à l'ordre de vos travaux; et adoptant avec plaisir la définition qui vous en a été donnée par un de vos membres, lorsqu'il a dit que la responsabilité c'est la mort, je vous aurais proposé de ne nous épargner aucun peril, mais de nous donner tous les moyens de faire marcher la Constitution, d'augmenter nos dangers, mais de diminuer nos entraves. (Applaudissements.)

J'apprends dans l'instant, par les journaux, que l'Assemblée a décrété que je lui rendrai compte de ce qui s'est passé à Besançon. Je n'ai eu que le temps d'écrire à M. de Toulongeon, pour savoir la cause d'un silence gardé également par tous les corps administratifs qui correspondent avec le ministre de l'intérieur. Nous n'avons eu ni l'un ni l'autre de nouvelles. Le patriotisme des habitants de Besançon, dont j'ai eu l'honneur de commander la garde nationale à l'époque de la Révolution, m'est si connu, que j'aurais besoin de me défendre de la prévention qu'il m'inspire. Je

saisis cette occasion pour conjurer les membres de cette Assemblée de m'instruire de ce qu'ils croiront utile au bien public dans mon département. Nos intérêts, nos ennemis sont communs. Ce n'est pas seulement la lettre de la Constitution qu'on doit exécuter; ce n'est pas s'acquitter qu'il faut, c'est réussir. (Applaudissements.

Vous verrez, Messieurs, que le ministère est convaincu qu'il n'y a point de salut pour la liberté, et par conséquent pour la France, si le bien ne s'opère pas avec vous et par vous. Vous ferez donc cesser, je l'espère, ces méfiances sans objet, ces précautions pour avoir des rapports avec nous, qui ne conviennent, j'ose le dire, ni à la loyauté de votre caractère, ni à la grandeur de votre mission. Vous nous condamnerez, si nous l'avons mérité; mais avant, vous ne nous refuserez aucun moyen de vous servir. (On applaudit à plusieurs reprises.)

Je profite de la bienveillance de l'Assemblée pour la prier de vouloir bien faire connaître l'ordre du jour aux ministres. Il est mille affaires sur lesquelles il est nécessaire, pour le bien puplic, que les ministres soient entendus; il serait bien à désirer aussi que pour les choses dont nous avons à rendre compte à l'Assemblée, nous puissions en avoir connaissance autrement que par les journaux, et que les relations des ministres avec l'Assemblee soient plus intimes et plus promptes. (Applaudissements.)

Un membre: Je convertis en motion la demande du ministre de la guerre, afin que l'on délibère sur les objets qu'elle contient.

M. Lequinio. Je demande l'impression du discours du ministre de la guerre.

Plusieurs membres : L'insertion au procès-ver bal.

Un membre: J'observe que le comité de législation s'occupe actuellement de la question soumise à l'Assemblée par le ministre de la guerre.

Plusieurs membres demandent l'ordre du jour sur la motion d'insérer au procès-verbal le discours du ministre de la guerre.

M. Vergniaud. Le discours qui vient d'être prononcé contient certainement des vues très patriotiques, mais je ne crois pas que cela suffise pour en motiver l'insertion au procès-verbal. (Murmures.) Vous ne pouvez accorder aux uns ce que vous refusez aux autres. Pourquoi en effet ne décrétez-vous pas l'insertion au procès-verbal de tous les discours patriotiques qui se prononcent ici? C'est parce que ceux qui les pronon

cent.....

Plusieurs membres : La discussion fermée!

M. Vergniaud... ne font que leur devoir. Or, Messieurs, dès qu'un ministre vient nous tenir un tel langage, il ne remplit que son devoir, et dans son intérêt même, je dirai que décréter l'insertion au procès-verbal, c'est regarder ce langage comme une chose très extraordinaire. (Quelques applaudissements.) Je demande donc qu'on passé à l'ordre du jour.

Voix diverses: L'impression! l'insertion au procès-verbal !

Plusieurs membres: La question préalable sur l'impression!

(L'Assemblée décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'impression.)

Plusieurs membres : L'insertion au procèsverbal !

D'autres membres : L'ordre du jour !

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