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suffisant; que d'ailleurs c'était une question de savoir si la disposition de l'art. 15 qui impose l'addition de la mention « importé au nom du pays d'origine, quand il s'agit de produits étrangers obtenus dans une localité de même nom qu'une localité française, permettait légalement et en principe de considérer cette même mention comme un correctif suffisant dans tout autre cas où la confusion est à craindre.

La jurisprudence a encore très nettement décidé que la marque d'un industriel français, fabriquant en France, apposée sur des produits fabriqués par lui à l'étranger, est par elle-même de nature à introduire le consommateur en erreur sur l'origine du produit.

Mais le principe une fois admis, des discussions peuvent s'élever à l'infini sur les multiples applications auxquelles la pratique pourra donner lieu, s'il faut en croire les hésitations de la Douane qui, malgré la direction que lui fournissent les décisions judiciaires, reste encore si souvent incertaine dans les instructions à donner à ses préposés. Ainsi elle se demande si la désinence française de la marque doit suffire à entraîner sa prohibition; si par exemple un commerçant français pourra mettre en vente des appareils photographiques marqués « l'Idéal », ou si des crayons marqués simplement « Faber », du nom d'un fabricant étranger qui n'a en France qu'une maison de vente, pourront être importés !

Autres difficultés en ce qui concerne les noms de localité, pour lesquels la douane est tentée d'appliquer servilement l'art. 15 et de s'en tenir au seul correctif prévu pour ce cas et que nous rappelions tout à l'heure. Ainsi l'Administration estime que la mention pourtant très claire « Vienne Autriche » ne suffit pas, étant donnée la similitude avec un nom de localité française, si l'on n'y ajoute expressément le mot » importé ». Pour reprendre un exemple cité plus haut, la mention « Hannover Allemagne » accompagnant la marque prohibée « Continental » n'éveillerait pas suffisamment l'idée d'importation. Bien plus, le mot sacramentel «< importé » peut lui-même ne pas suffire. Ainsi la douane a été d'avis que des vins portant la marque d'un crû français ne pouvaient entrer en France même avec la mention « importé de Suisse », parce que l'on pourrait croire que le vin avait été seulement mis en bouteilles dans ce dernier pays et que dans ce cas il faudrait mettre a fabriqué en Suisse ». Au surplus la mention << Importé CLUNET.

T. 40. N VII-X, 1913.

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de... » n'indiquera pas l'origine véritable de la marchandise, toutes les fois qu'elle arrivera en France indirectement du pays de production à travers un pays de transit,

Ce n'est pas tout encore la douane se demande si l'on ne prohibera pas des « dentelles genre Valenciennes », des « fromages genre Camembert », des objets quelconques << système X... », X. étant le nom d'un inventeur français.

...Aussi certains de ceux qui trouvent insuffisante la protection accordée aux marchandises françaises contre les marchandises étrangères dont la provenance est plus ou moins dissimulée ont-ils cherché quelque chose de plus simple et de plus radical. Les lois spéciales de 1889 et de 1906 sont déjà conçues dans cet ordre d'idées : l'affirmation obligatoire pour toutes les marchandises passant la frontière de leur origine étrangère. Mais les propositions faites en ce sens ont eu très peu de succès; et cela encore nous permet de dire que c'est bien un souci de loyauté commerciale et nullement une pensée de protectionnisme mal déguisée qui guide industriels et commerçants français en toute cette affaire. Précisément, cette obligation eût paru contraire au libre jeu des échanges commerciaux; il eût semblé qu'on voulait marquer d'une tare tout ce qui n'était pas marchandise nationale. Si certains effets d'une pareille mesure eussent pu être favorables, ne fallait-il pas craindre que nos concurrents étrangers ne prissent, par retorsion, la même mesure à l'importation de nos produits dans leur pays? Et qui répondrait que nous n'édifierions pas ainsi, de nos propres mains, une propagande énorme en faveur de certains Etats industriels? On ne saurait donc obliger un industriel à indiquer l'origine de ses produits; mais dès le moment où il impose une mention quelle qu'elle soit sur sa marchandise, cette mention doit être exacte et sincère.

Aussi bien aucun des Syndicats, aucun des Congrès qui ont délibéré sur la question n'a demandé une semblable mesure. Le Conseil général de la Fédération des industriels et commerçants français, dans sa séance du 16 novembre 1912, a décidé qu'il n'y avait pas lieu d'établir en principe que toutes les marchandises étrangères importées en France devront porter l'indication de leur pays d'origine; qu'il y aurait même dan ger à le faire, parce que toute diminution de la vente des marchandises étrangères pourrait être interprétée par le pays

intéressé comme le résultat d'un boycottage et entraîner des représailles; que si cependant, pour quelques marchandises, cette mesure pouvait paraître nécessaire, comme la législation en fournit déjà le cas, il conviendrait que ce ne fût qu'après une étude attentive du marché, de telle sorte que la mesure ne se retournât pas contre ceux que l'on voudrait défendre.

On a cherché le remède d'un autre côté. S'il n'est pas juste, s'il est dangereux d'imposer par la loi l'indication de l'origine des produits, la libre affirmation de l'origine nationale de nos produits reste possible. La Fédération des industriels et commerçants français a, dans cette même séance dont il était question tout à l'heure, déclaré que l'utilité de cette affirmation était très variable selon la nature des marchandises. Cependant elle s'est réservé de connaître et de discuter l'avis éclairé des syndicats compétents. Plusieurs syndicats ont étudié la question et se sont montrés favorables à l'affirmation de l'origine française de toutes marchandises fabriquées en France.

Les tenants de la marque collective sont entrés en scène, préconisant l'emploi de la marque syndicale pour tous les articles de fabrication irréprochable, à la fois dans l'intérêt général et dans l'intérêt particulier du fabricant. M. Rebattet, président de la Chambre syndicale de la quincaillerie, y voit le remède à bien des maux.

« Il faut, dit-il, qu'avant peu il soit de notoriété publique que tout article de quincaillerie française supérieure porte la marque syndicale. Et bientôt il deviendra patent que tout article revêtu de cette marque est de la bonne fabrication française... Cette marque donnera au fabricant une sauvegarde, au commerçant une aide, au consommateur une garantie... Elle rendra de notables services aux fabricants de nombreux produits sans marque et même aux fabricants ayant une marque personnelle n'authentifiant qu'imparfaitement l'origine des produits. Elle servira autant dans le commerce d'exportation que sur le marché intérieur.

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Cette réglementation indispensable des marques collectives n'existent pas. Il n'est pas même certain à l'heure actuelle que les marques collectives, qui sont ou qui doivent être, il ne faut pas l'oublier, des marques de commerce ou de fabrique et non pas seulement des marques syndicales, soient valables, et puissent juridiquement reposer sur la tête des syndicats

régulièrement constitués pour être ensuite employées par chacun de leurs membres individuellement.

Un arrêt célèbre a refusé de reconnaître leur validité. Il n'a peut-être pas cependant la portée absolue qu'on aurait pu croire, car il s'agissait en l'espèce d'une Union de Syndicats. Quoi qu'il en soit, il faut que le statut des marques collectives soit bien réglementé, que l'on ne puisse pas batailler autour de ces marques; que leur naissance, leur disparition leur déchéance soient soumises à des règles fixes. Des questions intéressantes et difficiles, et qu'il faudra expressément trancher, naîtront de ce fait que la propriété de ces marques appartiendra à une corporation, et qu'en fait la jouissance en sera exercée par les membres de cette corporation individuellement, car il n'est pas possible d'admettre cette fiction que l'apposition d'une marque collective par un membre du syndicat soit considérée comme étant en fait du syndicat lui-même. Cela se peut d'autant moins qu'il y aura parfois des abus dans l'emploi de la marque, et que quasi-délits ou abus de droit (pour prendre ici l'expression dans un sens autre que celui où elle est ordinairement employée) seront forcément le fait d'individus déterminés. Quelle sera la sanction de ces abus individuels ? Sera-ce une exclusion du syndicat? Et quant au dommage causé, de quelles réparations ne pourra pas être tenu celui qui par un mauvais usage d'une marque collective aura pu causer préjudice à tous ceux qui en jouissent en commun avec lui ? Nous signalons seulement ici cet ordre d'idées : les marques collectives créeront une communauté, un enchevêtrement de droits et d'intérêts qu'il faudra régler dans le détail avec le plus grand soin, car les luttes qui en naîtraient pourraient avoir une répercussion immédiate et très sensible sur la vie même des syndicats.

Dans tous les cas, pour que la future législation ait un effet utile au point de vue qui nous préoccupe, il faudrait édicter que les marques collectives ne pourront être apposées que sur des objets de fabrication française, ce qui entraînera d'ailleurs la nécessité d'un contrôle au sein du syndicat avec les difficultés sinon les dangers que nous avons signalés.

Si les marques collectives ne sont pas encore réglementées dans notre pays, elles le seront bientôt, car la France a pris un engagement formel dans la Conférence signée à Washington le 2 juin 1911 [V. texte, Clunet 1913, p. 1002] pour modifier le traité d'Union de Paris pour la protection de la pro

priété industrielle du 23 mars 1883. L'art. 7 porte en effet que les pays contractants s'engagent à admettre les dépôts et à protéger les marques appartenant à des collectivités dont l'existence n'est pas contraire à la loi du pays d'origine, même si ces collectivités ne possèdent pas un établissement industriel ou commercial. En s'y conformant, la législation à venir restera bien dans le cadre de la loi de 1857, en ce sens que cette loi exigeait la réciprocité diplomatique comme condition de la protection des marques déposées par les étrangers dont les établissements sont hors de France; mais elle devra la modifier en ce sens que les art. 5 et 6 de la loi de 1857 semblaient bien lier la possibilité pour les étrangers de jouir d'une marque déposée en France au fait de la possession d'un établissement industriel....

Une précédente convention modificative du traité d'Union de 1883 s'était, au contraire, saisie de la question. Etendant la protection que le traité d'Union avait organisée seulement dans le cas où, à la fausse indication de provenance, était joint uu nom commercial fictif ou emprunté dans une intention frauduleuse, la Conférence de Madrid du 14 avril 1891 [V. texte revisé à Washington le 2 juin 1911, Clunet 1913, p. 1019 a organisé la saisie à l'importation pour tout produit portant une fausse indication de provenance dans laquelle un des Etats contractants ou un lieu situé dans l'un d'entre eux serait directement ou indirectement indiqué comme pays ou comme lieu d'origine.

En ajoutant à ce texte l'obligation de la mention « Importé toutes les fois qu'il y aura similitude dans le nom de la localité d'origine et d'une localité du pays d'importation, et en prescrivant aux fabricants étrangers l'emploi de leur langue nationale pour toutes les mentions apposées sur leurs produits, on créerait une législation internationale efficace pour la protection des indications de provenance et de l'origine véritable des marchandises.

Rien de définitif, en effet, en cette matière comme en toutes celles qui touchent aujourd'hui à l'industrie et du commerce ne sera fait que par une entente entre les divers Etats...

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