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DE LA NATURE JURIDIQUE DU DROIT DES GENS DANS SES RAPPORTS AVEC LE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ.

Source. Das Völkerrecht systematisch dargestellt [Le droit des gens exposé d'une façon systématique], par le Dr. Franz von LISZT, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Berlin, 9e édition revue et corrigée, Berlin, O. Häring, 1913, 565 pages.

Le succès du livre de l'éminent Professeur de Berlin, l'avait obligé à donner successivement deux nouvelles réimpressions non modifiées de la sixième édition (1910). L'édition nouvelle (1913) a été mise au courant des événements survenus et des travaux publiés dans le domaine du droit international jusqu'au milieu de 1912. Les faits nouveaux et importants tels la guerre italo-turque, l'affaire d'Agadir et les traités qui l'ont suivie, survenus depuis cette époque, invitaient l'auteur à une révision. Sous chaque section, les notes témoignent de la profonde érudition de l'auteur et du soin avec lequel il choisit ses références et ses exemples.

M. von Liszt destinait son ouvrage aux étudiants, ainsi qu'il l'explique dans sa préface. Et de fait, il rappelle beaucoup les méthodes d'enseignement. Toujours lumineusement clair, tout en restant très concis, il présente la doctrine de l'auteur sous forme de propositions suivies d'un bref commentaire. Original par sa méthode, le livre l'est aussi par son plan, grâce auquel M. von Liszt semble avoir voulu surtout mettre en relief les faits sociaux qui donnent naissance à la branche du droit étudiée par lui. Mais les étudiants n'ont pas seuls à tirer profit de l'ouvrage. Tous ceux qui s'attachen au droit international y trouveront beaucoup d'idées intéressantes et une inspiration toujours puisée aux sources de la réalité concrète.

Cette analyse étant plus spécialement destinée aux juristes s'intéressant au droit international privé, nous voudrions dégager la conception de l'auteur sur la nature du droit des gens dans ses rapports avec le droit international privé, conception qui semble lui tenir fort à cœur, car il l'expose dès la première page de son livre et y revient à de nombreuses reprises. Il prend nettement parti contre la conception

:

<< internationaliste » du droit international privé ', défendue 1. Deux conceptions se partagent la science du droit international privé : la conception nationaliste et la conception internationaliste. La conception nationaliste, bien qu'antérieure à cet auteur, a été défendue avec vigueur par Væchter, tandis que la conception internationaliste trouvait un appui en Savigny. Parmi les nationalistes, on peut citer Bartin, Clunet 1898, p. 236 et suiv., 732 et suiv.; Beling, dans Kritische Vierteljahresschrift für Rechtswissenschaft und Gesetzgebung, 1899, p. 276 et suiv.; Bonfils et Fauchille, Manuel de droit international public, no 4, 5o éd., 1908, p. 3; Böhlau, Mecklemburgisches Landrecht, t. I, p. 120; Buzzati, Il rinvio nel diritto internazionale privato, 1898, p. 94 et suiv.; Dicey, Conflict of laws, 2° éd., 1908, p. 15 et suiv.; Endemann, Lehrbuch des bürgerlichen Gesetzbuchs, 5 éd., 1899, p 73, 75, § 18: Fabrès, Clunet, 1887, p. 132 et suiv.; Gabba, Introduzione al diritto civile internazionale italiano, 1906-1911;, Gareis, Völkerrecht, § 67, p. 169 et suiv.; Gierke, Deutsches Privatrecht, t. I. § 25, p. 213; Habicht, Das internationales Privatrecht des bürgerlichen Gesetzbuchs, publié par Max Greiff, 1907, p. 7; Harrison, Clunet 1880, p. 417 et suiv., 433 et suiv.: Holland, Elements of jurisprudence, p. 360 et suiv.; d'Holtzendorff, Eléments de droit international public, § 16; Hurd, The law of freedom and bondage in the United-States, t. I §§ 11-12, 38 et 103; Jitta, La méthode du droit international privé, 1890, p. 34 et suiv., 176 et suiv., 259 et suiv., et dans l'Archiv. für öffentliches Recht, t. XIV, 1899, p. 301-324 (en se plaçant au point de vue de la méthode individuelle »;; Kahn, dans les Jehring's Jahrbücher für die Dogmatik, t. XXX, 1891, p. 4 et suiv., t. XL, 1899, p. 18 et suiv.; Kranspolski, dans la Zeitschrift de Grunhüt, t. XVI, p. 51 et suiv.; von Liszt, supra; Meili, articles dans la Zeilschrift für internat. Privat- und Strafrecht, 1891, p. 159 et suiv., 1895, p. 368, Das internationale Civil- und Handelsrecht, 1904, I, p. 3 et suiv., 140 et suiv., Das internationale Civilprozessrecht. 1904-1906, p. 6 et suiv.; F. Mommsen, dans l'Archiv für die civilistische Praxis, 1878, t. LXI. p. 150 et suiv.; Nelson, Selected cases, p. 73 et suiv.; Neumann, Internationales Privatrecht im Form eines Gesetzesentwurfes, 1896, p. 19 et suiv. et 23, et Handansgabe des BGB, t. III, 4o éd., p. 6, rem. I. 1, 6; Niemeyer, Vorschläge und Materialien zur Kodifikation des internationalen Privatrechts, 1895, p. 27 et suiv., et Das internationale Privatrecht des BGB, 1901, p. 179; Regelsberger, Pandekten, t. 1, § 16, p. 164 et suiv. ; Schmid, Herrschaft der Gesetze, p. 10 et p. 21 et suiv.; Stabel, Vorträge über französisches Civilrecht, p. 65 et suiv.; Stobbe, Deutsches Privatrecht, t. I, § 29; Storg, Commentaries on the conflict of laws, $$ 7 et suiv., 18 et suiv., et 23; Ullmann, Völkerrecht, § 9 et suiv., Kritische Vierteljahresschrift, t. XXXVIII, 1896, p. 15 i et suiv.; Wach, Civilprozessrecht, t. I, p. 219; Westlake, Treatise on the conflict of laws, 5e éd., 1912, par Topham, p. 1, 5 et suiv.; Windscheid, Pandekten, éd. Kipp., t. I, § 34, spécialement note í, etc.

Parmi les internationalistes, on peut citer: Anzilotti, Studi critici di diritto internazionale privato, 1898, p. 103-193 et p. 295 et suiv. ; von Bar, Theorie und Praxis des internationalen Privatrechts, 2o éd., 1889, t. I. p. i et suiv., 105 et suiv., Neue Prinzipien und Methoden des in

avec tant d'autorité en France par M. le Professeur Pilletet

ternationalen Privatrechts, dans l'Archiv für öffentliches Recht, t. XV, 1900, p. 1-50; Die Rückverweisung im internationalen Privatrecht, dans la Zeitschrift für internationales Privat- und Strafrecht, t. VIII. 1898, p. 177-189 (en réalité M. le professeur de Bar prend une position intermédiaire, mais favorable à la conception internationaliste); Bekker, Ueber die Koupons-prozesse der österreichischen Eisenbahngesellschaft und über die internationalen Schuldverschreibungen (Weimar, 1881), § 8, p. 56 et suiv.; Brinz, Pandekten, 3° éd., t. I, p. 23 et 243 et suiv.; Brocher, Clunet 1878, p. 225 et suiv., Cours de droit internat. privé, t. I, p. 2 et suiv., et Nouveau Traité, p. 6 et suiv., 19 et suiv.; Bulmerincq, Das Völkerrecht oder das internationale Recht, §§ 27 et suiv.; Cimbali, Di una nuova denominazione del cosidetto diritto internazionale privato, etc. (2o éd., Rome, 1893), p. 17 et suiv., 83 et suiv.; Contuzzi, Diritto internazionale privato, 2o éd., 1911, p. 3 et suiv., p. 86 et suiv.; Demangeat, Clunet 1874, p. 7 et suiv.; Despagnet et de Boeck, Précis de droit internat. pr., no 3 et suiv., et Clunet 1898, p. 14 et suiv.; Diena, notamment : Principi di diritto internazionale, t. I, Diritto internaz. pubblico, no 8, t. II, Dir. internaz. privato, no 95, p. 4 et suiv., et dans la Rivista di diritto civile, 1912, p. 325 et suiv.; Fiore, Le droit international privé (éd. ital, et éd. franç.), no* 4 et 439 ; Göppert, dans les Jhering's Jarhbücher, t. XXII, p. 38 et suiv.; Hamaker, Das internationale Privatrecht, seine Ursachen und Ziele, 1878, p. 17 et suiv., 27 et suiv.; Klein, Die Bedeutung des Völkerrechts für das internationale Privatrecht, dans l'Archiv für bürgerliches Recht, t. XXIX, 1906, p. 92-117; Kohler, Lehrbuch des bürgerlichen Rechts, t. I, 1904-1906, §§ 9 et suiv., p. 30 et suiv.: Lainé, Introduction au droit international privé, t. I, 1888, p. 1 et suiv., 17, 21 suiv., 44, 368; et article sur le renvoi dans la Revue de droit international privé, 19061909; Laurent, Droit civil international privé, t. I. p. 10 et suiv.; Niedner, Das Einführungsgesetz zum BGB (dans le Kommentar zum BGB de J. Biermann), p. 13 et suiv.; Ottolenghi, op. infra cit.; PfaffHofmann, Exkurse über österreichischer Recht, t. I, p. 123; Picard, Clunet, of infra cit., et 1881, p. 467; Pillet, dans la Revue pratique de droit internat. privé, t. I, 1891-1892, p. 104 et suiv., Clunet 1891, p. 5 et suiv., 1893, p. 18 et suiv., 318 et suiv., 1894. p. 720 et suiv.; Rolin, Principes de droit internat. privé, 1897, t. I, p. 9 et suiv., 132 et suiv.; Weiss, Traité de droit internat. privé, t. I, et traité élémentaire, introd. et passim ; Zitelmann, op. infra cit., etc.

Certains auteurs pensent que l'opposition établie entre ces deux conceptions est exagérée, les partisans de la conception nationaliste étant souvent obligés de faire appel aux principes de la conception internationaliste et d'en admettre les solutions. V. par exemple : Eck, Vorträge, t. III, p. 234, note 4; Enneccerus, Lehrbuch des bürgerlichen Rechts, 3 éd., t. I, p. 170, rem. 5; Levis, Das internationale Entmündigungsrecht des Deutschen Reichs, 1906, p. 6 et suiv. D'autres auteurs considèrent les règles de droit international privé comme des normes ayant une nature particulière, comme un droit sui generis; comp Affolter, Intertemporales Recht, t. I, p. 1 et suiv. ; etc., etc.

1. Pillet. Le droit international privé considéré dans ses rapports

en Allemagne par M. Zitelmann', en repoussant dès les premières lignes la dénomination de «< droit international >> employée par la science française tantôt pour embrasser sous cette désignation le droit des gens, et le droit international privé, tantôt pour désigner uniquement le droit international public, le droit des gens, comme branche spéciale de la science du droit. Cette dénomination présente, d'après M. von Liszt, les plus graves inconvénients. Le droit privé international, comme l'ensemble des règles juridiques nationales sur le domaine d'application des règles nationales de droit privé n'a en soi rien de commun avec le droit des gens (page 1), dont la nature juridique peut être précisée de la façon suivante :

La communauté de droit des gens repose sur le principe de l'association et non sur celui de la souveraineté. Il n'existe aucun Etat d'Etats », mais une union d'Etats, une association des Etats constituée dans un but utilitaire. L'Etat suppose essentiellement une autorité placée au-dessus des particuliers, une volonté souveraine, qui soit quelque chose d'autre que la somme des volontés particulières, une autorité souveraine qui saisisse celle de l'individu et la maintienne même contre la volonté de celui-ci. De même, « l'Etat d'Etats » ne peut être imaginė sans une autorité centrale placée au-dessus de chacun des Etats composant l'Etat et le dominant. Mais la communauté de droit des gens est constituée par des Etats indépendants qui refusent énergiquement de reconnaître une autorité souveraine placée au-dessus d'eux. Dans la communauté de droit des gens la volonté de la masse, qu'elle soit expressément établie par des Conférences des Etats ou qu'elle résulte seulement de la pratique concordante des Etats, n'est pas autre chose que la volonté des Etats particuliers dans leur ensemble. Cette proposition fondamentale trouve son expres

avec le droit international public, dans le Revue pratique de droit international privé, t. II, 1892-1893, p. 105-152, et dans les Annales de l'en seignement supérieur de Grenoble, 1892, p. 309 et suiv. Principes de droit international privé, spécialement p. 53-75 et passim. De la nature des règles d'origine législative relative à la solution des conflits de lois, dans la Revue de droit international privé, 1909, p. 790-800.

1. Zitelmann, Internationales Privatrecht, spécialement, t. I, 1897, p 66 et suiv. Cf. Ottolenghi, Dei rapporti di pertinenza fra il diritto internazionale privato e il diritto delle genti, dans les Atti della R. Academia delle Scienze di Torino, classe di scienze morale, vol. XLII, Disp. I, 1906-1907, p. 332-319 (689-715). [Notes du traducteur.]

sion dans ce fait que les conventions de droit des gens n'obligent que les Etats qui veulent s'obliger, que, à bien considérer, la voix du plus petit Etat possède exactement autant de poids que celle de son voisin extrêmement puissant, que la majorité ne peut dicter la loi à la minorité.

C'est parce que la communauté de droit des gens est exclusivement organisée » sur la base de l'association, qu'elle n'a pas eu jusqu'ici le pouvoir de tirer de son propre fond, des organes particuliers pour la formation du droit, son interprétation et son application. Seule la masse des compagnons dans le domaine du droit, c'est-à-dire des Etats de droit des gens eux-mêmes, peut créer du droit, trancher des litiges, empêcher par l'intervention diplomatique ou armée une violation imminente du droit ou rétablir la possession troublée. Assurément nous trouvons çà et là dans le droit des gens contemporain surtout dans les Unions constituées en vue d'un but particulier, les premières pièces d'une organisation; on doit les considérer eomme les indices d'une transformation qui se prépare pour l'avenir, mais elles ne peuvent détruire l'exactitude de la conception fondamentale, car elles sont demeurées des exceptions isolées. Au contraire, l'organisation projetée d'une Cour internationale des prises indique un pas sensible vers une organisation se rapprochant de celle qui serait fondée sur la notion de souveraineté.

Cependant les normes du droit des gens constituent de véritables règles de droit; elles lient les Etats composant la communauté de droit des gens; elles forment du droit positif. Si des théoriciens isolés (par exemple A. Lasson, E. 1. Bekker discutent encore aujourd'hui la nature juridique du droit des gens, cela tient à une conception inexacte de la notion de droit. Il est admis sans discussion qu'on ne peut objecter contre la nature juridique du droit des gens l'imperfection de sa forme extérieure. On peut ajouter qu'une partie des règles du droit des gens se présente à nous sous la forme indubitablement imparfaite du droit coutumier, et que, avec l'attitude hésitante des Etats, le contenu de ce droit coutumieril suffit de songer aux matières du droit de la guerre maritime ne peut pas en général être établi avec certitude. Mais il existe aussi dans d'autres domaines un droit coutumier incertain; cette incertitude a suscité les plus grandes difficultés pour l'application du droit commun en vigueur dans

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