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allaient passer quelque temps dans l'une des Républiques de l'Amérique latine, où ils se réclamaient de la protection des légations d'Espagne. Celles-ci leur délivraient des passeports constatant leur qualité de ressortissants espagnols, et, à leur retour au Maroc, forts de ces passeports, ils se faisaient immatriculer aux consulats d'Espagne.

D'autres allaient passer quelque temps en Espagne ou aux Canaries, où grâce à la complaisance de certains fonctionnaires subalternes, ils obtenaient, sans grande difficulté, d'abord un certificat attestant qu'ils y avaient séjourné le temps nécessaire, puis les papiers établissant leur nationalité espagnole. Souvent même le séjour n'était que fictif, et il y a aux Canaries un israélite bien connu qui remplace les postulants absents.

Enfin, en ces dernières années, il s'est formé deux sociétés qui poursuivent le but de faciliter la naturalisation des sujets. marocains qui n'ont jamais quitté le Maroc. L'une, le a Centre juridique », est dirigée par un député et a son siège à Madrid; l'autre, l' Association hispano-hébraïque », fait une propagande des plus actives parmi les juifs du Maroc.

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Ces deux sociétés, dont j'ai déjà signalé l'activité dans une lettre au Temps datée de Fez, fin décembre 1910, ont réussi à faire naturaliser, sur simple demande des intéressés, plusieurs centaines de familles israélites et quelques familles musulmanes parmi les plus riches et les plus influentes des villes de la côte et même de l'intérieur. Ces familles constituent pour l'Espagne une clientèle des plus importantes, d'autant qu'elles ont, elles aussi, de nombreux censaux et associés agricoles.

Dans la demande de naturalisation qui leur est dictée, les israélites marocains, qui se sont toujours considérés comme des sujets du sultan, font état de leur qualité de descendants des juifs expulsés d'Espagne au xve siècle. C'est là évidemment un argument sans aucune valeur. Le décret d'expulsion de 1492 a été confirmé à plusieurs reprises en dernier lieu en 1827 - et a rompu tous les liens de souveraineté qui unissaient à l'Espagne ceux qui en avaient été l'objet, et qui n'ont du reste jamais été revendiqués comme ses nationaux par le Gouvernement espagnol.

Si la thèse du Centro juridico était admissible, l'Espagne pourrait naturaliser en bloc tous les juifs dits sefardine et

tous les Maures du Maroc, et il ne resterait au sultan qu'à s'incliner devant la perte de la partie la plus riche et la plus intelligente de ses sujets.

Au surplus, la naturalisation espagnole a été offerte et accordée à des israélites d'origine berbère, dont les ancêtres n'ont jamais franchi le détroit, et à des musulmans qui seraient, eux aussi, fort embarrassés pour fournir la preuve de leur descendance des Maures d'Espagne.

Toutes ces naturalisations sont illégales et constituent une violation flagrante de l'art. 15 de la Convention de Madrid, aux termes duquel le Gouvernement marocain a le droit absolu de mettre leurs bénéficiaires en demeure de se soumettre ou de quitter le Maroc.

Aujourd'hui que les difficultés sont aplanies et que l'on commence à se rendre compte, des deux côtés des Pyrénées, que l'intérêt de l'Espagne et de la France est de marcher la main dans la main, il est permis d'espérer que le Gouvernement espagnol aura à cœur de mettre un terme à l'activité mal inspirée de certains de ses nationaux (Docteur F. WEISGERBER).

II

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Tanger, 27 décembre 1912. Le Gouvernement chérifien vient d'inviter les diverses Puissances représentées à Tanger à se conformer dorénavant, pour l'établissement de leurs listes de protégés, aux dispositions de la Convention de Madrid. C'est en effet en janvier 1913 que doivent avoir lieu, conformément à cette Convention, le renouvellement annuel de ces listes et leur communication au Gouvernement marocain. L'occasion s'offre ainsi de mettre un terme aux abus de la protection et de revenir à la lettre des traités internatio

naux.

En conséquence, les diverses Puissances devront désormais réduire leurs protégés au nombre prévu par la Convention de 1880. Chacune d'entre elles devra en particulier se borner à n'accorder la grande protection qu'à douze protégés (art. 16). Les négociants en gros seront seuls autorisés à employer des Marocains comme censaux, et le nombre de ces censaux ne devra pas dépasser deux par maison de commerce ou par comptoir. Les associés agricoles ne seront plus assimilés aux censaux.

En second lieu, les protégés ne jouiront plus de privilèges que ne leur confère aucun traité. Ils seront astreints notamment au payement de l'impôt agricole et du «< droit des portes ».

En troisième lieu, la protection ne sera accordée qu'après enquête faite sur les garanties offertes par chaque individu. Aucun fonctionnaire marocain ne pourra dorénavant se glisser, au mépris des traités, parmi les protégés des Puis

sances.

Enfin le Gouvernement marocain veillera à l'avenir à ce que les cartes de protection soient contresignées par les autorités chérifiennes aussi bien que par les représentants de la nation protectrice. Cette disposition, prévue par la Convention de Madrid, avait été ignorée comme beaucoup d'autres, et la protection était devenue unilatérale.

L'initiative prise par le protectorat est donc entièrement conforme à la lettre de la Convention de Madrid. Le Gouvernement espagnol, dont les intérêts coincident avec ceux de la France, lui a donné sa pleine approbation.

Il est bon de faire observer que ce retour à la légalité n'a rien de commun avec la future revision de la Convention de Madrid que prévoient le traité franco-allemand du 4 novembre 1911 et le traité franco-espagnol du 27 novembre 1912.

Le régime français ne pouvait s'établir au Maroc sans chercher bientôt à guérir ou tout au moins à diminuer la plaie que la multiplication des protégés a creusée au flanc de l'Etat chérifien; aussi le gouvernement du sultan vient-il d'inviter les Puissances (V. infra, Faits et informations: Maroc) à ramener leurs listes de protégés dans les limites prévues par les traités et notamment par la Convention de Madrid du 3 juillet 1880.

La raison d'être de la protection au Maroc est facile à trouver. Les ministres et consuls étrangers devaient désirer, pour leur dignité et aussi pour la bonne marche de leur légation ou consulat, que leurs interprètes et serviteurs indigènes fussent à l'abri des arrestations et autres manifestations de l'arbitraire régnant dans le pays. Un milieu analogue devait déterminer un régime semblable à celui dont les capitulations ont fait jouir les représentants des Etats de la chrétienté dans les pays d'Orient. En outre, sous un gouvernement comme

celui des sultans du Maroc, les négociants étrangers ne pouvaient poursuivre leurs affaires d'une manière régulière et sûre si leurs courtiers et commissionnaires indigènes restaient livrés à toutes les exactions du Makhzen qui a toujours été ce que nous l'avons trouvé une machine, d'ailleurs rudimentaire et brutale, à « faire suer le burnous ». De là deux catégories de protégés, l'une faite directement par les ministres et consuls et l'autre sur la demande des négociants étrangers établis dans les ports. Mais l'usage de la protection dépassa bientôt ce qui était légitime, parce que nécessaire, pour devenir abusif. La supériorité de force des Etats européens sur le Maroc s'affirmant de plus en plus, la protection s'est comportée dans le vieux Mohgreb comme un virus dans un organe affaibli. Elle servit à soustraire un nombre grandissant et excessif d'indigènes à l'autorité chérifienne pour les livrer d'ailleurs à l'exploitation des petites colonies d'Européens. A plusieurs reprises le Makhzen essaya de réagir, demanda aux Puissances de fixer des bornes précises à la protection de là le règlement franco-marocain du 19 août 1863, auquel adhérèrent la Belgique, la Sardaigne, les Etats-Unis, la GrandeBretagne et la Suède, et qu'accompagna un règlement presque identique convenu entre l'Espagne et le Maroc; de là, en dernier lieu, la Convention de Madrid du 3 juillet 1880. Ce sont ces deux textes, laissés intacts par l'Acte d'Algésiras, qui régissent encore aujourd'hui la matière et auxquels le gouvernement chérifien demande aux Puissances de se conformer lors du prochain renouvellement annuel 1913 de leurs listes de protégés.

Le règlement de 1863 et la Convention de Madrid qui le précise, limitaient le nombre des protégés. Chaque poste diplomatique ou consulaire aura droit à cinq protégés au plus. Chaque Puissance ne pourra accorder ce que l'on a appelé la grande protection, celle qui est donnée pour services rendus à elle par un Marocain, qu'à douze sujets du sultan au plus. Quant aux maisons de commerce en gros, elles avaient droit, parini leurs facteurs et courtiers indigènes, à deux protégés par port ouvert où elles possédaient un comptoir. La protection n'est pas héréditaire et s'étend à la famille étant entendu que celle-ci ne se compose que de la femme, des enfants et des parents mineurs qui habitent sous le même toit que le protégé. Les patentes de protection ne doivent être délivrées à

des fonctionnaires du Makhzen ni à des indigènes sous le coup de poursuites. Les paysans employés par des étrangers à des exploitations rurales, les « associés agricoles », comme on les appelle d'ordinaire, parce qu'en général ils ont reçu d'un étranger des prêts et lui doivent en rémunération une partie des fruits de la terre, ne sont pas protégés. Si l'autorité locale veut les arrêter elle est seulement tenue d'avertir le consul de l'étranger intéressé dans l'exploitation pour qu'il puisse sauvegarder les intérêts de ses nationaux. La terre entre les mains de ces associés, des protégés comme d'ailleurs des étrangers eux-mêmes, doit l'impôt agricole.

Tel est, en résumé, le statut légal de la protection. Quant à la pratique de celle-ci, on peut dire qu'elle comporte tous les abus que les actes de 1863 et de 1880 avaient précisément pour but d'empêcher par les stipulations dont nous venons de donner l'essentiel. Tout d'abord, le nombre des protégés. est exorbitant je l'entendais récemment au Maroc même estimer à quelque 6.000 personnes. Non seulement l'usage s'est établi, exaspéré par la concurrence entre les consuls, d'accorder beaucoup plus de deux protégés par comptoir de maison de commerce en gros, mais encore des étrangers, détaillants infimes ou même n'exerçant aucun commerce, font délivrer des patentes de protection. C'est une indication pour les gens qui n'apportent pas dans le pays des capitaux leur permettant d'exercer une influence. Et, de leur côté, les détenteurs de patentes en grossissent autant qu'ils le peuvent l'effet. Ils les brandissent devant le caid pour soustraire non seulement leur famille, limitée à ce que veulent les traités, mais encore leurs gens et tout leur douar, aux exigences fiscales du Makhzen. Le grand bénéfice qu'on demande à la protection et que la Convention de Madrid lui refuse d'ailleurs expressément, est l'exemption d'impôts. Ce n'est plus le bien de l'étranger entre les mains de l'associé agricole qui est protégé, c'est cet indigène lui-même, dans ses biens généralement quelconques et souvent même ceux de ses parents et voisins, avec lesquels il invoque des contrats fictifs. Tout Marocain qui habite des pays accessibles et qui en vaut la peine trouve aisément un protecteur. Les exactions des caïds sont obligées par là de se concentrer sur les pauvres hères de plus en plus accablés Le Makhzen voit, lui, échapper lat meilleure partie de la matière contribuable. L'hypertrophie

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