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de la protection a créé dans le Maroc un corps étranger de plus en plus gros. L'Etat chérifien en a été non seulement appauvri mais encore moralement affaibli. Ceci est une des causes de l'effondrement auquel nous avons assisté ces dernières années et qui a rendu inévitable l'intervention française.

:

Cet abus a non seulement des résultats politiques intolérables, mais encore il entretient l'immoralité qui éclate partout au Maroc. L'indigène de ce pays ne conçoit guère qu'il puisse y avoir un régime de justice et de légalité. L'expérience séculaire de sa race lui fait croire que l'on doit toujours être volé ou voleur et que tout l'art de la vie consiste à passer du premier état au second. C'est cette philosophie qu'exprimait ingénument cette réponse faite par un meskine, un pauvre Marocain, à un Français qui lui vantait l'ère de justice qui s'ouvre pour le Mohgreb : « Alors, ce ne sera jamais mon tour!» De telles gens ne s'ingénient qu'à une chose se mettre du côté du manche, de l'Européen soutenu par son consul qu'appuyait au besoin l'apparition d'une « frégate ». Et le manche lui-même se salit à un tel usage. Les vieux Européens de la côte se sont trop habitués à vivre moins d'affaires normales que de combinaisons rendues possibles par la peur que l'autorité locale avait d'eux. On en entend dire que, dans ce pays, la meilleure affaire était d'être pillé, et la façon dont se sont réglées certaines indemnités de Casablanca n'est pas pour infirmer cette opinion. Rien n'est plus avantageux que l'exploitation de cette manière de droit féodal qu'est la protection. Elle assure au patron européen des redevances variées on m'a dit que, parfois, il en tirait le maximum en vendant quelque protégé engraissé aux exactions du caid. Et ce n'est pas seulement la concurrence politique, le morbus consularis, qui amenait certains représentants étrangers à en faire abus. Il ne faut pas oublier que nombre d'entre eux sont des agents consulaires qui peuvent délivrer des patentes à leurs propres protégés : on m'en a cité un qui en avait beaucoup et qui les défendait énergiquement dans l'acquisition de richesses dont une partie lui restait dans les mains lorsqu'il avait à liquider leur succession. Il est évident qu'un régime nouveau ne doit pas permettre à des affaires de continuer à se faire sur cette base malsaine qui rendrait la vie impossible au Maroc maintenant que le

nombre des Européens y grandit si vite. Non seulement il faut que le protectorat fasse rentrer la protection dans ses bornes légales, mais encore qu'il en montre à l'occasion tous les abus pour rendre plus difficiles les résistances auxquelles les gouvernements seront certainement poussés par une partie au moins de leurs colonies. Que l'on ne se fasse pas, en effet, l'illusion de penser que l'ère nouvelle ne trouve que des enthousiastes parmi les étrangers établis au Mohgreb : on en rencontre un certain nombre, et de toutes les nationalités qui soupirent, et pour cause, à l'idée de voir la fin du ‹ Vieux Maroc ». La réduction de la protection à ce qu'elle a le droit d'être d'après les textes de 1863 et 1880 qui limitent son extension et lui refusent l'exemption d'impôts ferait disparaître presque tous ses avantages. Mais le statut juridique sur lequel le protectorat s'appuie est formel et le renouvellement annuel des listes de protégés, prévu par l'art. 8 de la Convention de Madrid, donne l'occasion de l'appliquer. C'est avec raison qu'on ne la laisse pas échapper. Sans doute, nos accords avec l'Allemagne, l'Espagne, l'Angleterre et l'Italie nous donneraient une base solide pour négocier la suppression de la protection. Mieux vaut d'abord circonscrire le mal, le réduire, le rendre moins nourricier pour les parasites qui en vivent en le ramenant au droit strict, traiter ainsi l'abcès par l'antiseptie, le dessécher peu à peu, rendre l'opération finale beaucoup plus limitée et moins coûteuse. Nous ne devons laisser échapper aucun moyen de ne pas continuer indéfiniment à payer le Maroc. R. DE CAIX.

TRIBUNAUX JURISPRUDENCE

L'EXÉCUTION DES SENTENCES RENDUES PAR
ÉTRANGERS D'APRÈS LA LÉGISLATION ET LA

ESPAGNOLE ET HISPANO-AMÉRICAINE.

LES

Fin

Chili.

Le Chili est un des pays vers lequel se dirige depuis déjà plusieurs années le courant de l'émigration espagnole, et peut-être celui qui occupe la quatrième place, à ce point

1. V. le commencement de cette analyse, Clunet 1912, p. 1059.

de vue, par le nombre et par l'importance, en sorte qu'on peut établir la classification suivante en se plaçant au regard des intérêts de l'Espagne : l'Argentine, Cuba, le Mexique et ensuite le Chili.

Comment se fait-il donc que l'on ne trouve point dans les Archives du Tribunal Suprême de décisions rendues relativement à l'exécution de sentences émanées des tribunaux de ce pays-là? La raison en est sans doute que notre colonie est là-bas un modèle d'application au travail et de probité, qu'elle exécute ses engagements avec exactitude, et que les questions judiciaires auxquelles elle peut être mêlée ne se rapportent jamais à la saisie des biens qu'à leur retour, et avec le capital qu'ils ont gagné nos compatriotes acquièrent dans la Péninsule.

Aussi D. Alejo Garcia Moreno avait-il raison, en 1898, de mettre en relief les textes légaux et la jurisprudence sur la question, qui permettraient de classer ce pays-là dans l'un des systèmes énumérés, bien qu'il penchât vers la réciprocité de fait.

Cependant, cela ne pouvait pas être plus manifeste qu'au moment où furent établies les dispositions du Code de procédure civile, en 1902. Il fut déclaré à cette époque que pour donner satisfaction aux exigences, que les mutuelles relations commerciales entre les peuples civilisés rendent chaque jour plus étroites, il était nécessaire d'accorder force obligatoire aux décisions rendues dans les autres pays. Et les règles contenues dans ces dispositions démontreront que l'on opta pour notre système.

1o Les décisions prononcées en pays étranger auront au Chili la force que leur accorde les traités respectifs. La procédure établie pour leur exécution par la loi chilienne devra être observée tant qu'elle n'apparaîtra pas modifiée par lesdits traités.

2o En l'absence de traités avec la nation dont émanent les décisions, on observera le principe de la réciprocité. Les décisions auront la même force dans le cas de réciprocité que celle qui est accordée aux décisions rendues au Chili.

3o Dans le cas où le pays dont il s'agira n'accorderait pas l'exequatur aux jugements des tribunaux chiliens, l'exécution serait refusée conformément au principe même de la réciprocité.

4o Quand aucun des articles précédents ne pourra s'appliquer, les décisions des tribunaux étrangers auront au Chili la même force que s'ils avaient été rendus par les tribunaux chiliens pourvu que les conditions suivantes se trouvent réunies, c'est-à-dire :

a) Que ces jugements ne contiennent rien de contraire aux lois de la République, ce qui ne saurait s'appliquer à la procédure suivie pour l'instruction de l'affaire, car il est bien clair que c'est celle du pays dont émane le jugement qui doit être observée;

b) Qu'il n'existe point d'opposition contre la juridiction du Chili;

c) Que les jugements n'aient pas été rendus par défaut,

etc.;

d) Que les jugements soient exécutoires ou définitifs, conformément aux lois du pays où ils ont été rendus.

3o Le Code de procédure contient une addition importante par rapport à notre loi. Les règles précédentes s'appliquent aux décisions rendues par des juges agissant comme arbitres toutes les fois que l'authenticité et l'efficacité est manifeste, du fait du visa ou du fait de quelque autre signe d'approbation émané d'un tribunal supérieur du pays où les jugements. ont été prononcés.

Le Chili a donc accepté le système de la réciprocité législative, et c'est pourquoi, bien qu'il n'existe point de traité avec l'Espagne, nous ne pouvons nous refuser à faire exécuter les décisions exécutoires émanées des tribunaux de ce pays toutes les fois que se trouvent réunies les conditions exigées par l'art. 954 de notre Code et par l'art. 242 du Code du Chili, car si l'une de ces conditions venait à manquer, nos décisions n'obtiendraient pas davantage l'exequatur au Chili.

Equateur.

Si nous ne possédons point de précédents relativement au Chili, comment pourrions-nous en avoir en ce qui concerne une République où nos émigrants se rendent en si petit nombre. Quelque aventurier seulement, arrivant peut-être d'autres pays où il n'a pu parvenir à faire fortune, se trouvera dans la contrée dont nous nous occupons, sans que ce fait veuille signifier que ses conditions climatologiques et topographiques ne présentent point des ressources supérieures

à certains départements du Chili, du Pérou, etc., et que cependant nous peuplons insensiblement.

La disposition vague de l'art. 1208 du Code de procédure civile de l'Equateur, qui constitue l'unique texte se rapportant à la matière, permet de concevoir des doutes sur le point de savoir si les auteurs spécialistes étaient oui ou non dans le vrai en plaçant cette république au nombre des pays qui suivent le système de la réciprocité de fait.

Ce texte s'exprime ainsi : « Les Commissions rogatoires délivrées par les juges des nations étrangères seront exécutées par les juges de l'Equateur, quand elles seront conformes aux principes du droit international ou aux traités préexis

tants. >>

L'Equateur s'est d'ailleurs peu prêté à conclure des traités : il s'abstint en effet de se faire représenter aux Congrès de Lima et de Montévideo sur le droit international privé, tenus par les Républiques hispano-américaines du Sud en 1888 et en 1889, qui amenèrent tant de progrès dans la voie de la science et par conséquent de la paix.

Guatemala.

Il existe au sujet de ce pays un seul précédent connu. Le 1er février 1882 on demanda au tribunal suprême l'exécution d'une Commission rogatoire d'un juge de première instance de cette République, aux termes de laquelle on réclamait d'un dépositaire la délivrance de certaines valeurs en sa possession, valeurs qui appartenaient à une personne qui avait obtenu gain de cause dans un procès. On ne demandait point l'exécution de cette décision, mais l'accomplissement d'une formalité judiciaire comprise dans la procédure d'exécution, et dès lors la Chambre du tribunal suprême n'a pas eu à se prononcer. Ceci ne saurait permettre aucune conclusion. Mais comme ce pays accepte la réciprocité, art. 1564 du Code de Procedimientos, en termes à peu près identiques à ceux de notre loi de procédure civile, il est manifeste que les jugements émanés de ses tribunaux s'exécuteront chez nous exactement de la même manière que ceux rendus à Cuba dans des -conditions identiques.

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