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actions de l'homme que dans la nature du désordre de l'entendement.

L'aliénation mentale présente des états si différens de l'entendement, qu'il est à peu près impossible de la faire connaître par une définition claire et précise. Le malade qui est privé complétement d'idées et de sentimens, dont les sensations et les besoins sont presque nuls, ne ressemble guère à celui dont l'esprit, devenu plus actif, enfante continuellement des idées, et ressemble encore moins à cet autre dont l'entendement est sain, excepté dans un point très-limité. L'un n'a point de jugement ni de connaissances, l'autre a la tête remplie d'idées fausses, et le troisième conserve en grande partie l'intégrité de sa raison. Nous étudierons d'abord les genres et les espèces de l'aliénation mentale, et ensuite nous pourrons mieux déterminer les caractères généraux de cette maladie. Nous insisterons particulièrement sur les circonstances qui ont le plus de rapport avec les lois.

Dans le droit romain et dans l'ancien droit français, les aliénés, dementes, sont partagés en deux classes ; dans l'une sont ceux dont l'intelligence est faible ou nulle, mente capti; dans l'autre sont les malades agités et furieux, furiosi. On trouve dans nos codes, répétées dans différens endroits, les expressions de démence d'imbécillité et de fureur, sans aucune définition de ces termes. Un jurisconsulte dit que l'imbécillité est un af. faiblissement de toutes les facultés morales, que la démence est un dérangement de ces mêmes facultés, et que la fureur est une démence portée à l'excès; ordi

nairement, ajoute-t-il, l'imbécillité est perpétuelle (1). Le Code prussien présente cette même division de la folie (2).

Les lois de l'Angleterre reconnaissent trois espèces d'aliénation mentale : l'idiotisme, la folie et le lunatisme. La première est définie aliénation mentale naturelle ou venant de naissance, causée par un vice primitif d'organisation; les deux dernières sont causées par accident; l'une dure continuellement, l'autre revient par accès. Le testament d'un lunatique est valable, s'il est prouvé qu'il a été fait dans un intervalle lucide. Les idiots et les fous ne peuvent jamais tester (3).

Nous suivrons la division de M. Pinel, heureusement modifiée par M. Esquirol.

Sous les noms d'idiots et d'imbécilles, nous comprendrons les individus dont l'intelligence ne s'est jamais développée, ou ne s'est développée que d'une manière incomplète.

Sous les noms de fous et d'aliénés, seront compris les individus dont l'intelligence s'est troublée, affaiblie ou éteinte accidentellement, et après avoir acquis son développement. La folie ou aliénation mentale sera divisée en monomanie, manie et démence, suivant que le

(1) Delvincourt, Cours de Code civil, tome 1, p. 76. 1819.

(2) Hoffbauer.

(3) Medical jurisprudence, by Paris et Foublanque; London. 1823.

délire sera partiel, général avec excitation, général avec affaiblissement des facultés.

Idiotie et imbécillité. Depuis l'absence complète de l'intelligence et des sensations, jusqu'au degré qui représente l'état ordinaire de ces fonctions, on observe un grand nombre de degrés et de variétés.

Parmi les idiots, les uns sont presque réduits à l'existence des végétaux; les mieux partagés éprouvent des sensations, ont un petit nombre d'idées relatives aux objets qui les entourent, conservent quelques souvenirs, témoignent du plaisir ou de la douleur, montrent de la reconnaissance pour les personnes qui les servent; mais ils ne savent point s'habiller; ils n'ont pour langage que quelques sons mal articulés, des cris ou des gestes peu nombreux. Généralement ces êtres sont difformes, petits, leur tête est mal conformée, leur physionomie est sans expression ou n'exprime que la stupidité; ils sont presque tous très-malpropres.

Nous conservons le nom d'imbécilles à ceux chez qui on observe un certain nombre d'idées simples, un usage borné de la 'parole, un peu de mémoire, qui peuvent comprendre des intérêts peu élevés et commettre quelques actes motivés. Ces imbécilles sont employés dans les hospices à divers travaux grossiers, moyennant une faible rétribution. Les notions complexes de société, morale, religion, justice, leur sont a peu près étrangères; quelques-uns sont très-rusés et clins au vol, ce qui fait qu'on leur suppose souvent beaucoup plus d'intelligence qu'ils n'en ont réellement.

Les idiots et les imbécilles sont quelquefois trèsdangereux ; il en est qui ont commis sans motif ou par

plaisir, ou sous le plus léger prétexte, des incendies et des homicides. On cite plusieurs exemples d'actes semblables, commis par ces êtres disgraciés de la nature; beaucoup d'idiots particulièrement sont sujets à des accès passagers d'agitation et de fureur.

On trouve dans la société des êtres qui se rapprochent des imbécilles par un développement médiocre de l'entendement, des demi-imbécilles dont les connaissances sont très-bornées, et qui n'ont que des notions fort imparfaites des grandes vérités sur lesquelles repose l'ordre social. Dans les classes inférieures ces individus peuvent se livrer à beaucoup d'occupations qui n'exigent pas de grandes combinaisons d'idées; quelques-uns apprennent même des arts mécaniques faciles. S'ils ne passent point tout-à-fait pour des imbécilles parmi leurs égaux, ils sont regardés comme des êtres singuliers, comme ayant l'esprit faible, on les tourmente de mille façons, et l'on se moque d'eux. Beaucoup de ces demi-imbécilles n'étant retenus par aucun motif puissant, s'adonnent au vin, deviennent paresseux, ivrognes, débauchés; enfin il en est plus qu'on ne pense qui finissent par tomber entre les mains de la justice. Ils commettent des vols avec adresse, et on les suppose très-intelligens; ils recommencent dès qu'ils sont sortis de prison, et on leur croit une perversité opiniâtre; ils sont violens, emportés, et pour le plus léger motif ils commettent des meurtres et des incendies; ceux qui ont un penchant prononcé pour l'union sexuelle se rendent facilement coupables d'outrages à la pudeur. J'ai eu l'occasion de voir plusieurs individus de cette espèce dans les prisons, qui avaient été jugés raison

nables, et dont la demi-imbécillité m'a paru manifeste (1).

Dans les classes aisées, ces demi-imbécilles ayant reçu de l'éducation, ayant eu continuellement sous les yeux de bons exemples, étant constamment l'objet d'une grande surveillance, peuvent mieux éviter de tomber dans de pareils excès; seulement ils deviennent souvent la dupe des fripons qui les entourent, si on leur laisse la libre disposition de leur fortune.

Nous ferons remarquer qu'il est impossible de tracer la limite qui sépare les imbécilles des hommes doués de facultés suffisantes pour comprendre toute l'étendue des devoirs sociaux. C'est par des degrés insensibles et infinis que l'on s'élève de l'idiotie la plus complète jusqu'au plus parfait développement de l'in-. telligence.

Monomanie. Idée déraisonnable, passion ou affection morale maladive, exclusive ou dominante.

Le désordre de l'entendement est parfois si bien limité, et l'intelligence tellement libre sous tout autre rapport, que le malade pense et agit raisonnablement toutes les fois qu'il ne dirige point son attention vers le point malade. Plusieurs de ces aliénés peuvent même se livrer à des occupations sérieuses. Tel était Pascal, qui s'imaginait voir toujours un précipice à côté de lui. Le plus souvent, le délire exclusif s'accompagne de divers autres désordres dans les idées, les sentimens et les actions; les malades sont préoccupés, peu capables de se livrer à des occupations suivies ; ils

(1) Voyez les écrits cités.

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