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tion de leur retraite et l'état de leurs commensaux, quoiqu'ils les voient faire des extravagances et débiter des propos ridicules.

Les questions doivent être à la portée du malade, doivent rouler sur les choses ordinaires de la vie; sans cela l'ignorance pourrait être prise pour de l'imbécillité.

Observation suivie. Lorsque l'état mental d'un individu est douteux, le médecin qui est appelé à l'examiner peut demander qu'il soit placé dans un lieu convenable, et faire plusieurs visites, attendre plusieurs semaines ou quelques mois avant de faire son rapport; il vient le voir sans être attendu, il le fait observer sans qu'il s'en doute, il interroge les personnes qui vivent avec lui, il cause avec lui et le questionne sur les motifs qu'on allègue pour le traiter comme un fou; il lui fait écrire des lettres ou des mémoires pour de défense et se plaindre aux auexposer ses moyens torités. Si toutes ces épreuves ne suffisent pas pour éclairer le jugement du médecin, il peut demander des renseignemens sur l'état antérieur de l'individu, désirer de consulter les pièces de la procédure s'il y en a. Mais ceci a plus de rapport avec l'enquête, dont il nous reste à parler.

Enquête. Dans beaucoup de cas on aurait de la peine à découvrir le genre de folie d'un malade conduit dans une maison de santé, si l'on n'avait été prévenu par ses parens ou ses amis. La surprise, la vue d'étrangers lui donnent de la retenue; il cause peu, il ne se livre point; ce n'est souvent qu'après quelques jours que cette première impression étant passée, il ne craint plus de manifester ses folles idées; et dans certains cas de

folie raisonnante, l'observation suivie pourrait bien · ne pas fournir des données suffisantes pour prononcer avec certitude; il faut que les malades soient libres pour marquer plus facilement leur conduite par des actes d'extravagance; des mémoires et des lettres écrits pour se défendre, peuvent être faits avec beaucoup de suite et de raison, ou ne contenir que des inconvenances peu remarquables.

L'enquête consiste à recueillir des renseignemens sur l'état de l'aliéné antérieur à la maladie présumée, sur les causes qu'on soupçonne d'avoir troublé sa raison, sur son état depuis l'invasion de la maladie ; on a recours au témoignage des personnes qui l'ont approché dans ces circonstances, qui ont causé avec lui, qui ont pu l'observer de près, qui ont connaissance de ses actions insensées, de ses propos déraisonnables; on consulte les écrits qu'il a faits. On a surtout bien soin de demander aux témoins des faits plutôt que leur opinion. On s'informe si l'individu a des fous dans sa famille, s'il a de tout temps présenté de l'originalité dans le caractère et dans l'esprit, de l'exaltation sous certains rapports; s'il a été soumis à l'influence de causes puissantes, telles que des chagrins, des contrariétés vives et répétées, des revers de fortune, etc.; s'il a, sans motif réel, changé dans ses goûts, ses habitudes, ses affections; toutes circonstances qui précèdent si souvent le développement de la folie. Enfin, on fait raconter les propos entendus, les gestes, les actes faits, et les écrits composés uniquement sous l'influence des idées qui préoccupent le malade. On est quelquefois tout surpris de lire des lettres d'une dé

raison complète, écrites par des aliénés qui causent assez bien et qu'on ne croirait pas aussi malades. Les fous dont l'intelligence est affaiblie, mais qui conservent encore beaucoup de connaissance et de raison, oublient très-souvent, en écrivant, des lettres et des mots, font des fautes d'orthographe qui ne leur seraient point échappees en bonne santé.

Ce n'est donc qu'en connaissant pour ainsi dire toute la vie d'un individu, c'est en pesant et comparant tous les faits, que dans quelques cas on peut parvenir à prononcer avec certitude sur son état moral actuel; c'est en interrogeant le passé qu'on acquiert la connaissance du présent.

Dans plusieurs procès criminels récens, notamment dans celui d'Henriette Cornier (1), les magistrats ont ⚫ commis des médecins pour déterminer l'état moral ac

tuel des accusés, uniquement pour savoir si ceux-ci pouvaient supporter les débats. Les magistrats ont prétendu que les médecins ne devaient point prononcer sur le caractère moral des actes imputés aux accusés; que ce droit n'appartenait qu'aux jurés ; qu'en agissant autrement les médecins rempliraient les fonctions de juges et de jurés, qui ne leur sont point attribuées par la loi.

Les médecins n'auraient point dû se charger d'une pareille mission; ils devaient déclarer de suite, comme ils l'ont fait dans leur rapport, « que pour juger de l'état actuel d'un individu, il faut nécessairement le compa.

(1) Voyez notre travail sur ce sujet.

rer avec sa manière d'être antérieure (1). » Pourquoi s'engager à resoudre des questions scindées et qui à cause de cela peuvent être insolubles? D'ailleurs cette jurisprudence n'est pas générale; lorsque le juge civil demande au médecin un rapport sur l'état mental d'un individu dont on provoque l'interdiction, et qu'il base son jugement sur l'opinion de l'expert, ce qui se fait tous les jours, peut-on dire qu'il y ait infraction aux lois, usurpation de fonctions? Tous les jours, au criminel, les jugemens ne sont-ils pas rendus d'après les éclaircissemens donnés par les médecins, par exemple dans les cas d'infanticide, d'empoisonnement ? En démontrant aux magistrats ou aux jurés que tel acte imputé à un accusé offre tous les caractères de la folie, le médecin ne juge point, mais il éclaire la conscience de ceux qui doivent prononcer le jugement. Comment peut-on prétendre que des hommes étrangers à la médecine, qui n'ont peut-être jamais vu d'aliénés, restent sans guide dans des cas difficiles, même pour les gens de l'art! Cela n'est pas soutenable, et cependant on voit chaque jour des procès jugés sans que des médecins soient consultés, quoique la folie soit alléguée dans la défense, et appuyée de preuves qui doivent au moins commander le doute.

Ainsi, lorsqu'on demande aux médecins un rapport

(1) Malgré cette déclaration, MM. les experts n'osèrent pas s'expliquer sur la nature de l'acte imputé à la fille Cornier; et cependant c'était précisément cet acte qui fournissait le caractère le moins équivoque de la folie de cette femme.

sur l'état actuel d'un accusé, ils doivent, dans l'examen de sa conduite antérieure, comprendre l'acte qui lui est imputé, si cela est nécessaire pour motiver leur opinion.

Dans un rapport on ne doit pas se borner à émettre une opinion sur l'état de la personne qui en fait le sujet; il faut entrer dans des détails sur les faits observés, pour qu'une pareille pièce puisse être soumise à l'examen de nouveaux experts, s'il y a lieu.

L'emploi des moyens d'investigation indiqués ne conduit pas toujours à un résultat positif, on est quelquefois forcé de rester dans le doute. Nous avons indiqué les cas où les caractères de la folie n'étant pas très-saillans, ne sont pas toujours faciles à saisir; d'autres difficultés naissent de certains rapports qui existent entre cette maladie et quelques états de l'entendement que nous allons signaler.

Folie simulée. Je ne crois pas qu'un individu, qui n'aurait point étudié les fous, pût simuler la folie: au point de tromper un médecin qui connaîtrait bien cette maladie. Comme on se fait, dans le monde, une idée très fausse des aliénés, celui qui fera le fou d'après cette idée, fera à chaque instant des actes contrą, dictoires et nullemment vrais; ainsi, il prétendra ne point se rappeler sa conduite passée, méconnaîtra les personnes qu'il connaît beaucoup, ne fera pas une seule réponse juste aux questions qui lui seront adressées, dira des injures; ses traits n'auront point l'expression d'un état si violent, il ne pourra pas long-temps s'empêcher de dormir; il fera le fou particulièrement lorsqu'il se croira observé; enfin, sa maladie prétendue ne se sera probablement développée que depuis qu'il

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