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pays, et attacher du prix à son éclat et à son influence extérieure. Ainsi, quand, le 25 avril, Monsieur, d'un trait de plume, par un traité monstrueux, céda, contre rien, cinquante-quatre places garnies de dix mille pièces de canon, que nous possédions encore en Allemagne, en Pologne, en Italie, en Belgique, il a heurté l'opinion en ce qu'elle a de plus honorable et de plus légitime. Une nation n'a pas combattu pendant vingt ans pour être insensible à la gloire acquise. Elle peut être blasée sur ses succès et n'en pas désirer d'autres, mais elle ne souffre pas que, traitant sans considération ce qu'elle a fait, on montre du mépris ou du dédain pour des actions payées au prix du plus pur de son sang.

La réduction du royaume au territoire de l'ancienne France devait être pénible pour tout le monde. Il eût été habile de garder comme gage, pendant la négociation, ce qu'on tenait à l'étranger. C'était un moyen d'obtenir peut-être de meilleures conditions. Les Bourbons, n'étant pas la cause de nos désastres, ne pouvaient pas être responsables de leurs conséquences; mais il eût été politique de ne rien négliger pour en diminuer la gravité et pour restreindre l'étendue des sacrifices. Leurs efforts à cet égard auraient dû être ostensibles et patents. Au lieu de cela, ils ont paru aller

au-devant des désirs des souverains de l'Europe. Il semblait que le surplus de ce qu'ils regardaient comme leur patrimoine leur était à charge. On aurait dit qu'ils considéraient comme au-dessous d'eux d'être les successeurs de Napoléon, au lieu d'être les héritiers de Louis XVI. Et cependant ce patrimoine, qui le leur a rendu?

Napoléon, par ses grandes qualités, pouvait seul maîtriser la Révolution et relever le trône. Il est vrai sans doute que son intention n'était pas de le leur transmettre, et qu'il n'en fùt jamais descendu s'il eût su résister aux entraînements de son ambition.

Les Bourbons n'ont donc rien senti de ce que leur propre intérêt, de ce que l'intérêt de leur conservation, leur prescrivait, ni relativement à l'État en masse, ni à l'égard du sentiment de dignité du pays, ni par rapport à l'existence propre des familles nouvelles que l'Empire avait élevées et dont il avait fondé l'avenir. Ils furent les dupes de leur entourage. Ils entrèrent, sans s'en douter, dans des voies impraticables et sans issue possible. Leurs passions personnelles, il est vrai, n'étaient que trop d'accord avec cette marche, et leurs souvenirs que trop en harmonie avec l'esprit, les calculs et les vues de ceux qui, sans le vouloir, les conduisaient à leur perte.

L'époque de l'arrivée du roi était heureusement prochaine. Sa présence devenait nécessaire, car les fautes s'accumulaient. Après avoir traversé une partie de l'Angleterre en triomphe, il débarqua à Calais le 24 avril. Là, il apprit la signature de cet étrange traité qui remettait au pouvoir des étrangers les seuls gages encore entre nos mains. La précipitation avec laquelle il a été fait et le nom de ses auteurs autorisent à penser que la corruption n'y a pas été étrangère.

Le maréchal Moncey, doyen des maréchaux et premier inspecteur général de la gendarmerie, fut envoyé à Calais pour y recevoir le roi, l'accompagner et veiller à la sûreté de sa marche. Le général Maison, qui commandait dans le Nord, s'y rendit aussi. Le roi et madame la duchesse d'Angoulême prirent la route de Compiègne. Partout ils furent reçus avec des transports de joie. Tous les maréchaux se réunirent à Compiègne, et deux d'entre eux, le maréchal Ney et moi, furent désignés pour aller au-devant du roi et le complimenter. Nous rencontrâmes le roi en deçà de la dernière poste. Sa voiture s'arrêta; nous mîmes pied à terre; le maréchal Ney comme le plus ancien, porta la parole. Le roi répondit d'une manière gracieuse et bienveillante, mais termina sa réponse par une phrase qui me parut une espèce de niaiserie. Il parla avec raison

de son aïeul Henri IV. C'était le cas sans doute; mais voici ce qu'il dit en montrant son chapeau, auquel était attaché un petit plumet blanc de héron « Voilà le panache de Henri IV! Il sera toujours à mon chapeau. »

Je me demandai le sens de ces paroles et s'il y avait quelque relique de ce genre gardée par la famille royale.

Je dois dire ici l'impression personnelle que la vue des Bourbons, à leur retour, me fit éprouver.

Les sentiments de mon enfance et de ma première jeunesse se réveillèrent dans toute leur force et parlèrent puissamment à mon imagination. Une sorte de prestige accompagnait cette race illustre. De l'antiquité la plus reculée, l'origine de sa grandeur est inconnue. La transmission de son sang marque de génération en génération les époques de notre histoire et sert à les reconnaître. Son nom est lié à tout ce qui s'est fait de grand dans notre pays. Cette descendance d'un saint, déjà il y a six cents ans homme supérieur et grand roi, lui donne une auréole particulière. Toutes ces considérations agirent puissamment sur mon esprit.

J'avais approché et vécu dans la familiarité d'un souverain puissant; mais son élévation était notre ouvrage. Il avait été notre égal à tous; c'était un chef. Je lui portais les sentiments que comporte ce titre,

ceux dérivant de la nature de mes relations anciennes et en rapport avec l'admiration que j'avais éprouvée pour ses hautes qualités; mais ce chef était un homme comme moi avant qu'il fût devenu mon supérieur, tandis que celui qui apparaissait en ce moment devant moi semblait appartenir aux temps et à la destinée. Ces deux sentiments, qui tiennent à une sorte d'instinct, se devinent plus facilement qu'ils ne s'expriment. En outre, cette race si infortunée revenait, comme le dit si bien Bossuet «< avec cet éclat, ce quelque chose de fini et d'achevé que donne une grande adversité soutenue avec dignité et courage. » Et cet éclat était encore rehaussé par le retour de la prospérité et de la puissance. Enfin, à tous ces moyens d'action, ces princes ajoutaient, pour les deux principaux au moins, la séduction d'une politesse exquise et d'une bienveillance de tous les moments. Il résulta de tout cet ensemble une action sur moi dont je n'ai pu me défendre et que je ne saurais oublier.

Je parlerai souvent de Louis XVIII et avec détail; j'aurai l'occasion de le faire connaître et de faire son portrait. Je dirai seulement en ce moment que sa belle figure, son air imposant, son regard d'autorité, la facilité de son élocution, répondaient aux idées les plus favorables établies d'avance sur sa personne. L'attitude digne, noble et grave de ma

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