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exemples. En peu d'années tout serait changé autour de moi. J'ai voulu joindre l'industrie manufacturière et l'industrie agricole, et montrer qu'en coordonnant les deux branches elles se servent merveilleusement d'appui, se portent réciproquement du secours et doublent les bénéfices. Avec ces idées premières et les ressources d'un esprit vif, d'une instruction suffisante, d'une grande activité et d'une grande force de volonté, on embrasse beaucoup et souvent trop pour bien faire. Cependant tout ce que j'ai fait dans ce système m'a réussi. Ce qui a été la cause de ma ruine, c'est l'industrie des fers, dans laquelle je me suis laissé entraîner et que j'ai créée au profit du pays, mais à mes dépens.

Comme création d'habitation et embellissement, voici ce que j'ai fait. Le château était assez beau, mais cependant incomplet et mal distribué. Je l'ai augmenté de deux pavillons, et il est en rapport aujourd'hui avec toutes les positions sociales. Placé sur un rocher escarpé, au-dessus de la Seine, son accès était difficile. J'ai fait tailler dans le roc une avenue qui aboutit à la grande route, auprès de la porte de la ville. Cette avenue de trois cent douze mètres de longueur en pente douce, de quarante pieds de largeur, plantée de quatre rangées d'arbres, serait dignes de mener à une habitation

royale. Un jardin de seize arpents a disparu; il a été remplacé par un parc de cinq cents arpents, clos de murs et où passe la Seine. Ce parc, composé de la vallée de la Seine, comprend les deux coteaux opposés et présente une admirable variété de sites. La rivière dont les eaux, vives et abondantes, sont toujours à plein bord, à cause des usines qui se succèdent dans son cours, coule au milieu du parc pendant près d'une lieue, et dans les propriétés de cette terre pendant une autre lieue encore. Un million deux cent mille pieds d'arbres, plantés avec intelligence, furent ajoutés à ce qui existait déjà, et au nombre se trouvaient quatre-vingt mille arbres de haute tige, dont dix-sept mille arbres exotiques; cent vingt arpents de prés arrosés, restant toujours verts, ornés de bouquets de bois, forment le fond de ce tableau, et une culture variée embellit les coteaux. Voilà ce qu'est devenue entre mes mains cette habitation, embellie encore par d'autres choses utiles, entre autres par des usines productives, dont je vais faire l'énumération et présenter le tableau.

Hors du parc, en amont, est un superbe moulin, le meilleur de la contrée, et formant un beau point de vue. Vient ensuite, également en vue du château, comme toutes les autres usines, une brasserie, dont les résidus servaient à mon bétail. Près

d'elle une vinaigrerie qui avait le même emploi et fournissait par an deux mille pièces de vinaigre; près de là une tuilerie et une poterie servant à satisfaire aux besoins d'une sucrerie ayant entrée dans le parc d'un côté, et sur la grande route de l'autre; puis une superbe ferme renfermant des établissements complets, et entre autres une bergerie à deux étages pour deux mille bêtes à laine; enfin, sur le bord de la Seine, une magnifique sucrerie.

Cette sucrerie, qui avait un double moteur, l'eau et une machine à vapeur, a fabriqué jusqu'à trois cent cinquante mille livres de sucre de betterave dans une seule année. Les bénéfices de cette industrie sont grands quand elle est bien conduite. Aussi chaque jour elle se naturalise davantage en France. On ne saurait trop l'encourager, non-seulement parce que ses produits dispensent d'exporter beaucoup d'argent à l'étranger, mais encore parce que sa prospérité se lie à la perfection de l'agriculture. Les champs, après avoir été cultivés en betteraves, rapportent un cinquième de blé de plus que ceux qui n'en ont pas produit l'année précédente. Cette culture, loin de fatiguer la terre, lui profite pour l'avenir de tous les soins qui lui sont donnés. La première et la plus grande partie du travail de toutes les plantes se fait d'abord aux dépens de l'at

mosphère. Ce n'est qu'au moment où la semence se forme que la terre est mise puissamment à contribution, et, comme la betterave ne rapporte sa graine que la deuxième année et qu'on récolte la betterave pour faire le sucre vers le cinquième mois de sa culture, la terre n'en est nullement fatiguée. Quand une manufacture de sucre est bien conduite et alimentée avec des betteraves de sa propre culture et au prix de la main-d'œuvre et du combustible de la Bourgogne,, on a le résultat suivant En représentant le bénéfice cumulé de la culture et de la fabrication par la surface des terres cultivées, un arpent de treize cent quarantequatre toises rend mille francs de bénéfice. Ainsi notre terre avec notre climat est si favorable à la production du sucre, qu'une même quantité de terre de première qualité rend en France, en cinq mois, plus de sucre que la même surface aux colonies en seize mois.

A côté de la sucrerie se trouve une autre usine mue aussi par l'eau, et servant à battre le blé, machine suédoise, jointe à un tarare et placée sur deux étages. Le blé est battu et vanné en même temps. Deux hommes seulement suffisent pour la conduire; ils font ainsi l'ouvrage de vingt-deux ouvriers ordinaires. Plus bas est un autre moulin et une fabrique de pâte d'Italie, ce qui m'a donné l'oc

casion de cultiver des blés d'une nature particulière et préférables aux nôtres. Ce sont ceux connus sous le nom de blé de Taganrog. Une scierie était jointe à ce groupe de bâtiments; elle servait à débiter les planches et les bois de construction. Plus bas étaient deux forges anciennes et trois hauts fourneaux, puis enfin l'immense forge anglaise que j'ai construite et qui m'a ruiné, mais qui aujourd'hui est une source de richesses pour le pays. Je reviendrai sur ce dernier établissement quand j'arriverai à l'époque où il fut construit.

Le parc, indépendamment de ses immenses plantations, représentant une superficie de cent cinquante arpents et de cent vingt arpents de prés arrosés, offre une culture riche et variée. Le plateau sur lequel le château est bâti finit à la ville. D'abord fort étroit, il va en s'élargissant. Dans la partie du midi, opposée au château, il commande de vastes prairies, traversées par la Seine avant son entrée dans la ville. La plus grande partie de cet amphithéâtre est plantée en vignes d'une qualité supérieure, et la dernière forme un magnifique potager en terrasse. Telle est la description de l'habitation que j'avais pris plaisir à embellir, dans laquelle je croyais devoir finir mes jours, et que probablement je suis destiné à ne revoir jamais. Des bois et des fermes, à plus ou moins grande

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