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dame la duchesse d'Angoulême, son grand air et sa tristesse touchaient tous les cœurs. Ses yeux rouges semblaient fatigués par les larmes, et on ne pouvait regarder cette princesse sans penser qu'elle était l'être du monde sur lequel les plus grandes infortunes s'étaient accumulées. Ces observations étaient les mêmes chez tout le monde. Combien il lui eût été facile de féconder les sentiments qu'elle inspirait alors et de se les assurer pour toujours!

Cette cour, au milieu de laquelle je me trouvai tout à coup placé, renfermait un monde entièrement nouveau pour moi. Une foule d'anciens émigrés, rentrés depuis un grand nombre d'années, se pressa autour des Bourbons. Ceux qui avaient possédé des charges autrefois en virent le rétablissement par le retour de la famille royale, et les choses se passèrent à cet égard sans discussions, sans commentaires et comme étant la conséquence d'un principe ressuscité. La maison civile du roi se reconstitua donc d'elle-même; chacun vint y remplir ses fonctions et se mettre en quête de nouveaux moyens de fortune pour réparer le temps perdu et satisfaire un appétit que vingt ans avaient laissé en souffrance.

Je parlerai brièvement des personnes qui entouraient le roi. Que dire de tant de physionomies ef

facées, jetées dans le même moule, de gens habitués aux usages du monde, polis dans leurs manières, bienveillants dans leurs discours; mais avides, égoïstes, souvent dépourvus d'esprit et d'élévation, d'une ignorance complète des affaires, des choses et des hommes, meubles de toutes les cours, entièrement inhabiles aux moindres fonctions, mais non pas dépourvus d'une sorte d'importance par leur présence continuelle et leur habileté à découvrir les passions du maître qu'ils s'occupent à flatter.

Cet entourage a servi puissamment à égarer les Bourbons et à les maintenir dans la fausse route qu'ils ont prise. Si Louis XVIII et Charles. X l'eussent écarté et se fussent préservés de son influence, il est probable qu'ils n'auraient pas succombé. L'esprit d'émigration et les intrigues politiques du clergé ont été les premières causes de leur malheur. Un seul homme parmi les courtisans revenant d'Angleterre, M. de Blacas, mérite d'être nommé ici et d'être dépeint à cause du rôle important qu'il a joué, et plus encore de celui qu'on lui a attribué. Je vais essayer de faire son portrait.

M. de Blacas est né en 1772, d'une très-ancienne maison de Provence, mais sans aucune espèce de fortune. Grand et bien fait, pourvu des avantages extérieurs, bien venu des femmes âgées, de mœurs

légères, il débuta dans la vie par exercer la profession d'homme aimable: ses succès le dispensèrent de chercher une carrière. La Révolution l'ayant fait émigrer très-jeune, il a vécu d'abord d'industrie. Son goût décidé pour les beaux-arts l'avait fixé en Italie. Il était à Florence, quand M. d'Avaray, tout-puissant sur l'esprit de Louis XVIII,

fit un voyage. Celui-ci avait besoin d'un cicerone, et M. de Blacas s'offrit à lui. Satisfait de son intelligence et touché de sa position, M. d'Avaray l'emmena avec lui comme secrétaire. Dès ce moment il vécut près du roi, qu'il ne quitta pendant l'émigration que momentanément et pour des missions déterminées. M. d'Avaray étant parti pour Madère dans l'espérance d'y retrouver la santé, M. de Blacas le remplaça provisoirement auprès de Louis XVIII, et ensuite définitivement après la mort de M. d'Avaray. Il se trouva ainsi chargé de l'administration de la modeste fortune de Louis XVIII et de la direction du peu d'affaires politiques que sa position d'alors comportait. Jamais le roi n'éprouva d'attrait pour lui. Sa pédanterie dans les petites choses le lui rendait désagréable, et l'infériorité de son esprit ainsi que de son instruction nuisait singulièrement à sa considération.

Voilà ce qu'était M. de Blacas en 1814, à l'époque de la rentrée du roi. Cette position d'habitude lui

donna cependant de l'importance, et l'esprit de courtisanerie, malheureusement si commun et si actif en France, y ajouta beaucoup. M. de Blacas, d'un esprit fort borné, mais assez juste en tout ce qui ne touche pas à ses préjugés, d'un orgueil extrême, était le type des émigrés de Coblentz. Il avait leur suffisance et leur mépris pour tout ce qui n'était pas eux. L'Empire et son éclat avaient passé sans avoir frappé ses yeux. Il n'en tenait pas compte. La France, pour lui, n'avait pas cessé d'être à Hartwel. Cette suffisance naturelle s'augmenta beaucoup par l'action des flatteurs. Il eut entrée au conseil comme ministre de la maison du roi. Ses collègues firent de lui une espèce de premier ministre et s'assemblèrent souvent chez lui; mais il n'y eut dans ce ministère ni union, ni talent, ni vues, ni connaissance du pays et des af faires, et sa marche fausse, erronée et incertaine amena rapidement le changement de l'opinion et la catastrophe du 20 mars.

Après avoir esquissé les torts et les défauts de M. de Blacas, j'ajouterai que le fond de son caractère ne manque pas de vérité ni d'une certaine dignité sa parole mérite de la confiance. M. de Blacas, souvent accusé à tort des fautes du gouvernement, torts appartenant, aux yeux de tout homme bien instruit, à Louis XVIII, n'a jamais

cherché à s'en justifier. Constamment il a accepté pour lui-même tout ce qui pouvait nuire au roi. Mais son orgueil et son insolence sans exemple gâtent les qualités qu'il peut avoir. C'est à son occasion qu'un homme d'esprit a dit qu'il ne connaissait rien de pire que les parvenus à par

chemins.

Il trouva bientôt le moyen d'accumuler une immense fortune. En 1814, un fort pot-de-vin sur la ferme des jeux en fut le principe, et, en 1815, au moment du retour de Gand, le roi, obligé de se séparer de lui à Mons, laissa entre ses mains sept ou huit millions qu'il rapportait, et dont il n'avait plus besoin. M. de Blacas les a fait valoir, prospérer et augmenter d'autant plus facilement, que de grands traitements étaient attachés à l'ambassade de Rome qu'il occupait, et aux dignités dont il était revêtu. Lors de la puissance de M. Decazes, en 1819, étant arrivé inopinément à Paris, sous prétexte des affaires du concordat, il se fit donner, à ce qu'on assure, par un acte régulier, la propriété des fonds qu'il avait en dépôt. Ce ne fut qu'à ce prix qu'il consentit à retourner sans retard à son poste. Cette version est la seule qui puisse expliquer la fortune qu'il a laissée, et qui, entièrement nulle à son arrivée en France, s'est trouvée, à sa mort, s'élever à plus de quinze mil

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