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peut-être, d'un côté, frappé de l'idée qu'il était audessous de la dignité d'un Bourbon d'hériter de l'établissement politique fondé par Napoléon, et, de l'autre, séduit par celle d'être un législateur. Cependant l'esprit d'ordre, d'obéissance, les sentiments monarchiques qu'avait ressuscités et mis en honneur Napoléon, faisaient sa force et sa puissance. Il pouvait se servir également des lois qui avaient contribué à l'établissement des nouvelles mœurs. Quant à l'idée d'être législateur, chez un homme incapable de rien créer, mais dont le rôle était d'accepter de confiance ce qui lui serait donné, c'était une vanité puérile; et un esprit circonspect, comme le sien, devait trembler à l'idée d'un remaniement complet de la société. Combien d'épreuves à faire et d'obstacles à surmonter, pour un homme nouveau dans le gouvernement! car, jusqu'alors, Louis XVIII n'avait rien fait, et il en était aux simples théories. Ajoutez que ses infirmités devaient paralyser en partie ses actions. Ce prince a été entraîné, sans s'en douter, dans d'immenses difficultés. Il les aurait évitées s'il se fût contenté de l'ordre établi en le modifiant.

Il était donc infiniment préférable de s'en tenir à ce dernier parti. Louis XVIII, voulant absolument faire du nouveau et devenir roi législateur, s'y est pris étrangement. Il aurait dû se borner, pour le moment, à pourvoir aux nécessités de l'époque, re

connaître le principe qui règle la matière, et, après s'être rendu compte de ce qui constitue une charte, en jeter seulement les bases.

Une charte est tout entière dans la division des pouvoirs et dans la fixation de leurs attributions. Quand ces dispositions sont clairement établies, la charte est faite. La plus courte est la meilleure; car ce qui est inutile devient nuisible. L'introduction de dispositions réglementaires est funeste, en mettant obstacle aux changements rendus nécessaires par les nouvelles circonstances. Les lois ne peuvent être éternelles. Destinées à exprimer les besoins de la société, elles doivent changer avec eux et se modifier lorsque le temps en développe de nouveaux. On pourrait les comparer aux vêtements dont ni les dimensions ni même la forme ne peuvent également convenir à l'enfance, à l'âge mûr et à la vieillesse. Mais le mode de faire les lois doit être fixé, et c'est là ce qui constitue la charte d'un peuple.

il

Quand le législateur a dit : Le trône sera occupé par telle famille et on y succédera de telle manière, y a une Chambre de pairs héréditaires à laquelle le roi nomme; il y a une Chambre de députés qui a telles attributions et où on est admis par telle élection; quand enfin on a déterminé ce qui est du ressort de la loi et ce qui est du domaine des ordonnances, dès ce moment une constitution est faite.

Il fallait en outre concilier les anciens intérêts avec les nouveaux, en faisant un traité de paix entre eux, et consacrer tout à la fois la vente des biens des émigrés et une indemnité pour les anciens propriétaires. Cet ouvrage ainsi terminé, toutes les questions importantes étaient résolues et le nouvel ordre politique fondé.

La chose la plus grave était sans doute le mode de nomination à la Chambre des députés; et c'est précisément celle qu'on a évité de décider. Au lieu de prononcer d'une manière définitive sur cette importante question, on s'est jeté dans une multitude de dispositions réglementaires, on a créé à plaisir des difficultés superflues. En Angleterre, un axiome dit : Le Parlement peut tout faire, excepté de changer un homme en femme, et cela est raisonnable. Les pouvoirs qui représentent la société ne peuvent avoir de limites dans leur action. La société ne peut pas périr par respect pour une phrase écrite. Ce qui est contraire au bien de l'État doit pouvoir être changé, mais, bien entendu, par ceux qui, appelés à être juges de ses besoins, sont investis par loi du droit et du devoir d'intervenir suivant les formes consacrées. Ces vérités n'ont pas été senties à cette époque mémorable, et aussi on a fait une œuvre mauvaise. Au surplus, on avait choisi un étrange rédacteur. Beugnot, homme d'esprit, mais

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sans opinion, sans aucun principe, prétendant se concilier tout le monde et se plaisant dans une sorte de courtisanerie, fut chargé de ce travail important. Tel est l'homme dont M. de Talleyrand fit choix pour être notre Solon et notre Lycurgue.

Malgré cela, la Charte, toute vicieuse qu'elle était, donnait au roi un immense pouvoir et des moyens de gouvernement si étendus, qu'avec le moindre talent il était facile de fonder son autorité d'une manière durable; mais les divers ministères se sont plu, par amour d'une fausse popularité, à l'amoindrir. Ils sont arrivés ainsi jusqu'au moment où le dernier de tous a fait crouler le trône par une ineptie sans exemple. Chose étrange à dire, mais d'une exacte vérité, c'est le ministère le plus royaliste, celui de M. de Villèle, c'est celui-là même qui a le plus dépouillé le roi de ses prérogatives, tant le besoin de popularité était la maladie universelle alors!

Le roi fit son entrée le 3 mai. Un temps magnifique, la présence d'une population immense et la plus vive allégresse donnèrent à cette solennité le plus grand éclat. Il y avait dans les esprits une joie impossible à exprimer, la même que le 12 avril, mais avec plus de calme. Ce n'était plus l'agitation que donne l'espérance, c'était la satisfaction que donne la possession.

Le roi se rendit d'abord à Notre-Dame, où un Te Deum fut chanté. Il alla ensuite s'établir au palais des Tuileries.

Une circonstance inaperçue montra, dès les premiers jours, la maladresse et l'ignorance des choses et des hommes dont les Bourbons, dans leurs différents actes, devaient sans cesse offrir la preuve. Une partie de la vieille garde était casernée à Paris; d'elle-même elle alla se placer aux postes qu'elle était dans l'usage d'occuper au château; mais on la fit évacuer pour l'y faire remplacer par un détachement de la garde nationale à cheval, composé de jeunes gentilshommes qui venaient offrir leurs services et demander des emplois.

Pour des gens du moindre jugement, il était de bon augure et d'une importance capitale de voir ces vieux soldats, ces vétérans, s'empresser de venir d'eux-mêmes se rallier autour du nouveau souverain. Cette troupe, l'élite de l'armée, non-seulement par sa bravoure, mais encore par sa bonne conduite, était composée des meilleurs sujets des régiments qui les avaient fournis. Leur prétention et leur ambition étaient d'environner le trône. Les priver d'un droit dont ils étaient en possession et acquis au prix de leur sang était une injustice, et les mécontenter, une grande faute. En les comblant et en les traitant avec considération et confiance,

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