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eux tous les effets d'un privilége. Mais pour l'autorité qui fait la concession, l'autorisation est autre chose que le privilége. L'autorisation n'est que le consentement de l'autorité à l'ouverture du théâtre. Le droit de l'entrepreneur se trouve dans la loi, l'autorisation lui en concède l'exercice. Le privilége au contraire semblerait une faveur, une concession de bienveillance et presque un don. Or, tel n'est point le caractère de l'acte qui autorise; il ne donne rien, il ne fait qu'accomplir une formalité que la loi exigeait pour l'ouverture du théâtre. L'autorisation donnée, l'entrepreneur est soumis aux dispositions de la loi et non aux caprices de l'autorité.

15. Les concessions faites par l'autorité n'étant point des priviléges, les théâtres établis ne seraient pas recevables à se plaindre des autorisations données à de nouveaux théâtres. Cette question s'était engagée devant le conseil d'état sur la plainte formée par les théâtres de Paris à l'occasion de l'ouverture du théâtre de Madame; elle ne fut pas jugée, le pourvoi ayant été écarté par un moyen de forme. Mais il semble évident que cette réclamation ne pouvait être admise. En donnant une autorisation, le gouvernement ne s'interdit point la faculté d'en concéder d'autres ; il serait déraisonnable de soutenir que son droit s'épuise par les concessions qu'il fait, et que les entrepreneurs qu'il admet se trouvent investis de l'exercice exclusif de l'industrie dramatique. Le seul engagement qu'il contracte est, comme on le verra, de maintenir l'au

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torisation; mais de la nécessité même où il se trouve de respecter les droits qu'il a concédés peut résulter celle d'établir des entreprises nouvelles qui viennent au besoin exciter, par l'aiguillon salutaire de la concurrence, les entrepreneurs autorisés. A la vérité le décret de 1806 et celui de 1807 avaient limité le nombre des théâtres de Paris et des grandes villes des départements, mais cette limitation était seulement réglémentaire et toujours sujette à révocation. Elle n'a donc en rien altéré le principe qui vient d'être exposé..

16. L'administration publique est investie du droit absolu d'accorder ou de refuser l'autorisation, et son refus d'accéder à la demande qui lui est adressée ne peut jamais être l'objet d'aucun recours. Elle ne doit compte de ses motifs ni de ses mesures à personne, et aucun pouvoir n'aurait le droit de la contraindre à donner l'autorisation. Dans toutes les matières qui sont abandonnées sans limites à l'administration, l'usage qu'elle fait de son autorité ne peut jamais donner lieu à une action de la part des particuliers. Sans doute de graves abus peuvent être commis, mais ils ne trouveront leur punition que dans le blâme de l'opinion publique ou dans le contrôle des chambres, averties par la voie de la presse ou par celle des pétitions. D'ailleurs, le refus d'autorisation ne cause jamais un préjudice réel et matériel, il n'est point une atteinte à des droits acquis, à une propriété établie, et sous ce rapport on ne voit point quel', recours réel il pourrait motiver.

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17. De la nécessité d'obtenir l'autorisation pour l'ouverture d'un théâtre il résulte qu'aucun théâtre ne saurait être élevé sans cette autorisation. En cas d'infraction, quelle est la peine prononcée contre les entrepreneurs? Cette peine se trouve indiquée, comme par hasard, dans un décret du 13 août 1811, tout-à-fait étranger à cet objet, puisqu'il ne concerne que la redevance établie au profit de l'Opéra. A la suite de plusieurs dispositions toutes spéciales à cette redevance, se trouve un article ainsi conçu : « Toute contravention au présent décret, en ce qui touchera l'ouverture << d'un théâtre ou spectacle sans déclaration ou permission, sera poursuivie devant nos cours «<et tribunaux par voie de police correctionnelle, «<et punie des peines portées à l'art. 410 du Code «< pénal § 1o (un emprisonnement de deux à six «mois et une amende de 100 fr. à 6000 fr.) » La rédaction de cet article annonce une grande légèreté. On y considère l'ouverture d'un théâtre sans autorisation comme une contravention à un décret tout-à-fait étranger à cet objet : mais, tout irrégulière qu'elle est, la disposition existe. Peut-elle être appliquée? Nous penchons pour la négative. Quelque force que la jurisprudence ait attachée aux décrets de Napoléon, elle n'a jamais été jusqu'à décider qu'ils aient pu régulièrement créer des peines. Plusieurs arrêts ont même refusé d'appliquer des dispositions de telle nature. On peut citer pour exemple le décret du 15 décembre 1813, que la cour de Paris a déclaré inapplicable dans

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ses pénalités. Or, nul autre acte législatif ne punit les entrepreneurs de spectacles non autorisés: ils ne peuvent donc être soumis à aucune peiné, mais le théâtre non autorisé peut être fermé par l'autorité comme ouvert en contravention aux lois.

18. En admettant que ce décret pût être considéré comme légal en ce point, sa disposition peut-elle concerner la réunion que formeraient des amateurs, certains jours de la semaine, dans une maison particulière, pour jouer la comédie? Cette question s'est présentée au mois de juin 1828 devant le tribunal de police correctionnelle de Paris, et elle a été résolue négativement en faveur d'un sieur Beunier qui, avec quelques amis, avait donné chez lui des soirées où l'on représentait des comédies et des ballets. Un arrêt de la cour de Paris du 22 octobre 1829 a également déclaré que le sieur Doyen, si connu par ses théâtres de société, avait pu jouer la comédie en famille, sans contrevenir aux lois, parce qu'il n'était point établi «< que le public fût admis au spectacle qu'il don<< nait dans sa propre maison pour son amusement << particulier et pour celui de sa famille et sa so«< ciété; que ce spectacle n'était jamais annoncé «‹ au public par les journaux, ni par des affiches, << et qu'il n'était point établi que des billets fussent distribués au public pour entrer dans le specta<<<cle du sieur Doyen. »

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CHAPITRE II.

Conditions accessoires de l'autorisation.

19. Le droit conféré à l'autorité par le décret de 1806 est une exception au principe général de liberté industrielle reconnu par la loi de 1791. Sous ce rapport, ce droit ne peut être étendu. Toute extension qui lui serait donnée constituerait un excès de pouvoir. Le gouvernement ne peut donc apposer aucune condition à son autorisation. Il lui appartient d'examiner s'il doit ou non autoriser l'ouverture du théâtre : quand il juge qu'il peut donner l'autorisation, et qu'il la concède, il déclare seulement par cette concession que rien ne s'oppose à l'entreprise projetée, et son droit ne s'étend pas au-delà. Ainsi, il ne pourrait imposer à l'entrepreneur l'obligation dé payer certainės redevances, de remplir certaines formalités, de se soumettre à des obligations particulières qui ne lui sont point prescrites par la loi, en tant toutefois que ces obligations n'auraient pas trait à l'intérêt public; car, si cet intérêt commandait certaines mesures, soit pour prévenir des accidents, soit pour assurer la liberté de la circulation, ou tout autre objet analogue, il serait incontestablement du droit et du devoir de l'autorité de les prescrire à l'entrepreneur.

20. Cependant, le gouvernement s'est mépris sur le caractère de son droit, et l'on a vu des autorisations accordées sous des conditions évidem

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