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été réglées par correspondance, et l'ouvrage était déjà en répétition, lorsque l'auteur voulut le retirer, avec l'intention, annoncée d'avance, de le porter à la Comédie-Française. Il forma demande à cet effet devant le tribunal, et allégua que le directeur de l'Odéon avait manqué à quelques unes des conditions du traité intervenu entre eux.

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Cette demande a été repoussée par un jugement fondé sur ce que « les engagements tiennent <<< lieu de loi à ceux qui les ont contractés; que «M. Alexandre Dumas, par convention interve-. <<< nue entre lui et le directeur de l'Odéon, s'était << engagé à laisser jouer son drame de Christine, et « qu'il n'était pas justifié que le directeur eût donné << lieu à M. Dumas de retirer sa pièce en n'exécu<< tant pas lui-même ses engagements ».

401. Mais les obligations de l'auteur cessent, quand le théâtre n'accomplit point ses propres engagements. Ainsi, s'il faisait passer avant leur tour des ouvrages qui ne devraient être joués que plus tard, l'auteur serait fondé à demander la résiliation du contrat et la restitution de son manuscrit. Dans le procès de M. Dumas, le tribunal a implicitement reconnu ces principes, en se fondant sur ce que si une tragédie avait été jouée avant Christine, quoique reçue plus tard, c'était de l'autorisation expresse de M. Dumas: d'où l'on peut induire que le tribunal aurait prononcé autrement, si ce passedroit avait eu lieu contre le gré de l'auteur.

402. La simple reprise d'un ouvrage déjà joué ne peut pas être considérée comme une infraction

à la règle qui fixe le rang où chaque ouvrage doit être représenté. Quoique la reprise donne à la pièce quelques uns des avantages attachés à une première représentation, et qu'elle occupe les acteurs par des études qui retardent le travail nécessaire aux ouvrages nouveaux, on ne peut l'assimiler à une première représentation, proprement dite. Le théâtre, en s'obligeant à jouer les ouvrages qu'il a reçus, conserve la disposition entière de son répertoire, il peut jouer toutes les pièces qui en font partie, l'enrichir même par d'anciens ouvrages qu'il n'aurait pas encore représentés, et ne contracte, à l'égard des pièces nouvelles, d'autre obligation que de maintenir entre elles leurs rangs respectifs, abstraction faite des anciens ouvrages. Telle paraît être encore l'opinion adoptée par le tribunal de Paris dans le procès de M. Alexandre Dumas, qui se plaignait qu'on eût joué avant son drame la tragédie de Marino Faliero. L'avocat du directeur de l'Odéon opposait que cette tragédie avait déjà paru sur une autre scène, et le tribunal, en décidant que les griefs de M. Dumas n'étaient pas justifiés, a accueilli cette justification.

403. L'admission d'une pièce à correction n'engageant point le théâtre qui l'a prononcée, ne peut pas non plus engager l'auteur, il est donc toujours le maître de reprendre son ouvrage et de le porter à un autre théâtre.

404. pourrait arriver qu'un auteur fit recevoir une pièce à deux théâtres à la fois, soit qu'il eût gardé le manuscrit en ses mains, soit qu'il en

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possédât plusieurs exemplaires. Le théâtre qui l'aurait acceptée le second aurait-il le droit de la représenter, ou devrait-il être contraint à laisser l'ouvrage à celui qui l'aurait obtenu avant lui. Cette difficulté est fort sérieuse. Nos lois ne contiennent aucune disposition qui puisse la résoudre. En fait de mobilier, la possession vaut titre, selon l'art. 2279. L'art. 1141 décide aussi qu'en cas de vente à deux personnes successivement d'une chose purement mobilière, celle des deux qui en a été mise en possession réelle est préférée et en demeure propriétaire, encore que son titre soit postérieur en date, pourvu toutefois que la possession soit de bonne foi. La jurisprudence a appliqué cette disposition aux droits incorporels, c'est-à-dire aux créances, effets de commerce, etc. Si elle pouvait être suivie en matière d'ouvrages dramatiques, c'est-à-dire si le manuscrit était le titre de la propriété littéraire et qu'il n'en existât jamais q'un seul pour chaque composition, comme pour la constitution d'une créance, il faudrait décider que celui des deux théâtres qui en aurait été mis en possession, eût-il été été le dernier à ассерter l'ouvrage, devrait être autorisé à le représenter. Mais le manuscrit d'un ouvrage n'est point le titre de la propriété, il n'est que l'expression matérielle de la pensée, et sa possession ne désigne ni l'auteur, ni son cessionnaire. D'autre part, il arrivera très souvent, dans le cas d'une fraude semblable à celle dont nous nous occupons, que l'auteur aura fait faire deux manuscrits, et que les deux

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théâtres posséderont chacun le leur. Les art. 2279 et 1141 seraient donc sans application possible. Nous pensons que dans l'incertitude d'une pareille position, les règles de l'équité et les principes généraux du droit devraient être suivis. L'auteur qui a vendu ou fait accepter son ouvrage a cessé d'en avoir la libre disposition: il n'a donc pas pu le céder utilement une seconde fois, et dans le choix à faire entre les deux théâtres qui l'ont accepté, nous pensons que la préférence appartient à celui qui, le premier, est devenu cessionnaire, à la charge par lui de prouver sa bonne foi et de justifier légalement de la date du traité fait avec

l'auteur.

405. L'auteur dont l'ouvrage est reçu peut encore, après la réception, y faire les corrections qu'il juge convenables, mais il faut qu'elles aient lieu de bonne foi et ne soient pas de nature à changer la pièce ou à en dénaturer le caractère et l'esprit; et, pour sa sécurité, la direction du théâtre ces corrections soient approupeut demander que par le comité de lecture.

vées

406. Il peut exiger que sa pièce ne soit point communiquée à des personnes étrangères au théâtre. En cas d'inobservation de cette précaution, il pourrait réclamer des dommages-intérêts, si l'indiscrétion lui avait causé quelque préjudice. L'auteur peut aussi demander que le secret soit gardé sur son nom, mais il serait sans droit pour cer aucune action dans le cas où ce secret n'aurait

exer

point été observé. Comment trouver celui qui a

commis cette indiscrétion? quel tort cause-t-elle à l'auteur? Enfin, s'il tenait tant à se couvrir de l'incognito, il lui était libre de l'observer dans ses rapports avec le théâtre. On peut dire que l'indiscrétion vient d'abord de lui, et que par conséquent il n'est pas recevable à s'en plaindre.

407. L'administration qui a reçu une pièce de théâtre et qui veut la faire jouer, n'est tenue d'y employer que les costumes et les décorations qu'elle possède, sans être assujettie à faire les frais soit de costumes neufs, soit de décorations nouvelles, à moins qu'il n'existe des conventions contraires. Les droits de l'auteur, à cet égard, ne seraient pas plus étendus, quand même il aurait indiqué sur son manuscrit la nature des costumes et des décors. La réception de la pièce en elle-même n'entraine point nécessairement l'obligation de suivre toutes les indications de ce genre qui s'y trouvent : il suffit que les costumes et les décorations ne contrarient point l'action ou ses incidents.

408. Après la représentation, les droits et les obligations de l'auteur subissent quelques modifications qui seront indiquées ci-après.

CHAPITRE III.

Exécution du contrat produit par la réception d'un ouvrage dramatique.

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409. Lorsqu'il s'agit de mettre l'ouvrage à l'étude, à qui appartient le droit de choisir les acteurs qui seront chargés de chaque rôle ? sera-t-il attribué à

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