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plusieurs théâtres, c'est qu'il y a concession ou tolérance de la part du théâtre possesseur du droit; car le contrat passé avec l'auteur est de sa nature exclusif et n'admet point de partage.

424. Non seulement l'auteur ne peut point accorder à un second théâtre la jouissance de la pièce dont il a déjà disposé, mais il ne pourrait pas même lui donner une imitation faite sur le même plan. Le tribunal de police correctionnelle de Paris l'a ainsi jugé dans l'espèce suivante, pour le droit concédé au libraire. Après avoir fait jouer au théâtre de la Porte-Saint-Martin un vaudeville intitulé la Servante justifiée, M. Carmouche vendit au libraire Quoy le droit exclusif de publier son ouvrage; plus tard, l'actrice qui jouait le principal rôle de ce vaudeville ayant quitté la Porte-SaintMartin pour les Variétés, l'auteur voulut faire faire le même voyage à sa pièce; mais le théâtre qui en était possesseur refusa de la céder; M. Carmouche refit alors la Servante justifiée, avec un nouveau collaborateur : quelques changements, eurent lieu, de nouveaux couplets furent substitués aux anciens; mais la donnée de l'ouvrage, sa marche, son dénoûment restèrent identiques. La nouvelle Servante fut jouée aux Variétés, et le libraire Pollet l'imprima. Le libraire Quoy réclama. On soutint, dans l'intérêt de l'auteur ; que la donnée de la Servante justifiée, prise dans un conte de La Fontaine, appartenait à tout le monde ; que divers changements dans l'ordre des scènes et dans leur arrangement intérieur, que trente couplets nou

veaux détruisaient toute identité entre les deux pièces; mais le tribunal reconnut l'existence de la contrefaçon, et prononça contre les auteurs amende et dommages-intérêts. L'action, qui dans cette circonstance fut exercée par le libraire, aurait pu, à notre avis, l'être également par le théâtre : une décision semblable eût nécessairement été prononcée, car le droit concédé au théâtre est de la même nature que celui qui est transmis au libraire, et doit par conséquent jouir des mêmes garanties.

425. Dans plusieurs théâtres, il est passé en usage que les auteurs peuvent retirer leurs pièces lorsque la direction laisse écouler un an et un jour sans les représenter. Cet usage doit être suivi dans les entreprises où il existe; dans celles où rien ne détermine dans quel cas l'auteur peut retirer sa pièce, les tribunaux, en cas de plainte, devront juger, d'après les circonstances, si l'entreprise, en ne jouant plus la pièce pendant un temps déterminé, a rendu à l'auteur le droit d'en disposer.

426. Une discussion d'une nature toute nouvelle a été sur le point de s'engager entre M. Mazères et la Comédie-Française. Picard, dont tous les gens de lettres ont déploré sincèrement la perte, a laissé la comédie des Trois Quartiers, qu'il avait composée avec M. Mazères. Après sa mort, la Comédie-Française a acheté tout son répertoire, et s'est trouvée propriétaire de sa part d'auteur dans les Trois Quartiers. M. Mazères a cependant porté cet ouvrage à l'Odéon, qui s'est empressé de le monter et de le représenter. La Comédie

Française a prétendu s'opposer à cette émigration d'une pièce dont elle se trouvait propriétaire pour moitié. Question de savoir à qui appartient le droit de disposer d'une comédie composée par plusieurs auteurs. L'indivision de la propriété rendrait nécessaire une vente par licitation, s'il s'agissait d'une propriété ordinaire. Mais un ouvrage dramatique ne peut être vendu contre le gré de son auteur, puisqu'il n'est pas même susceptible de saisie. D'ailleurs, où trouver des acquéreurs, et combien d'autres difficultés attachées à une pareille mesure? Selon nous, la seule manière de vider ce conflit est de laisser à chacun des auteurs le droit de disposer de l'ouvrage à son propre gré : il pourra ainsi être joué à autant de théâtres différents qu'il aura de créateurs; aucun des théâtres qui n'auront traité qu'avec un seul des auteurs ne pourra se plaindre de voir l'ouvrage porté sur une autre scène par ceux qui ne se seront pas engagés envers lui; et chacun des auteurs, n'ayant traité que relativement à sa part de propriété, ne pourra être responsable de ce que ses collaborateurs auront fait en raison de la leur. Mais si, par suite de l'indivisibilité du droit qui appartient aux auteurs de permettre la représentation de leur ouvrage, chacun d'eux peut en disposer ainsi pour le tout sans le concours des autres, il n'en est pas de même des produits pécuniaires de la représentation. Ils sont essentiellement divisibles entre les auteurs, et leur appartiennent toujours au prorata de leurs droits. Aucun ne pourrait renoncer à la part d'au

teur, ou en réduire l'importance au préjudice de ses collaborateurs, qui doivent toujours être admis au partage de tout ce que l'ouvrage rapporte.

427. Les diverses règles qui viennent d'être tracées, sur la prohibition faite à l'auteur de porter son ouvrage à un autre théâtre, ne s'appliquent pas à ceux des départements, dont la concurrence n'est pas à craindre pour les entreprises de la capitale.

CHAPITRE V.

Droits acquis aux auteurs par la représentation de leurs ouvrages.

428. De la représentation des pièces naît pour les auteurs un triple droit, de distributions pécucuniaires, d'entrées personnelles et de billets. Des questions particulières se rattachant à chacun de ces avantages, il est nécessaire de les examiner. séparément.

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429. Les conventions relatives aux droits pécuniaires des auteurs doivent, comme toutes les autres, recevoir leur exécution. Nous avons déjà rapporté (no 362) les articles de lois qui consacrent à cet égard la liberté des parties contractantes. Le décret du 18 juin 1806 va plus loin; il place ces sortes de conventions sous la surveillance des autorités.

430. Si aucune convention n'a été faite relativement aux émoluments de l'auteur, ils devront être réglés conformément aux tarifs établis dans

chaque théâtre, l'auteur et l'entreprise étant présumés s'y être tacitement soumis.

431. Le droit des auteurs dramatiques est une propriété mobilière et qui ne diffère en rien des autres propriétés. On a élevé la question de savoir si des créanciers pouvaient s'en emparer et l'on a cité l'exemple de Crébillon, dont il avait été décidé que les droits d'auteur ne pouvaient être saisis. Mais il ne peut y avoir de difficulté réelle à ce sujet les lois soumettent à l'action du créancier tous les biens de son débiteur (Code civil, articles 2092 et 2093); ce principe ne peut cesser d'être appliqué que dans les cas d'exception formellement établis par la loi elle-même. Or, il n'en existe point relativement aux droits des auteurs. Ce serait sans doute un beau privilége que celui qui placerait ces valeurs, heureux produits du génie, hors des chances de la mauvaise fortune. Mais il y aurait quelque injustice à consacrer une pareille exception, et si le génie peut invoquer quelque faveur, ce n'est certainement point celle de vivre dans l'opulence au mépris de tous les engage

ments.

432. Une question plus sérieuse consiste à savoir si, dans le cas de faillite de la part de l'entreprise théâtrale, l'auteur aurait un privilége pour le paiement de ses droits. La loi du 19 juillet 1791, art. 2, contient à cet égard une disposition formelle: La rétribution des auteurs convenue entre eux ou leur ayants cause, porte-t-elle, et les entrepreneurs de spectacles, ne pourra être ni saisie, ni

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