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aux théâtres de départements, il dispose que l'autorisation d'exploiter un théâtre sera donnée par le ministre aux entrepreneurs de spectacles qui rempliront les conditions qu'il indique. Il a si peu pour objet d'imposer aux théâtres un directeur nommé par l'autorité, qu'il déclare que « les «spectacles sont des amusements préparés et « dirigés par des particuliers qui ont spéculé sur « le bénéfice qu'ils doivent en retirer. »

39. Pour la première fois le réglement ministériel du mois d'août 1814 a disposé que les directeurs des troupes de provinces seraient nommés par le ministre de l'intérieur, et que nul autre que ces directeurs ne pourrait entretenir de troupes de comédiens. Ce droit nouveau a été maintenu par l'ordonnance du roi du 8 décembre 1824.

40. De graves objections s'elèvent contre l'application du réglement de 1814 et de l'ordonnance de 1824. D'abord ces deux actes n'ont pas pu abroger le décret de 1806. La jurisprudence a donné force de loi aux décrets de Napoléon, mais depuis l'établissement de la charte, il n'appartient ni à un ministre, ni même au roi par une ordonnance, de modifier une loi. Le décret de 1806 est donc toujours la seule loi obligatoire pour les entreprises de théâtre, et certes il est assez rigoureux pour qu'on eût pu se dispenser d'aggraver ses dispositions.

41. En second lieu, le réglement de 1814 et l'ordonnance de 1824 ne s'appliquent qu'aux théàtres de province : ils n'ont point innové relative

ment à ceux de la capitale il n'existe donc pour ces derniers aucun décret, aucune ordonnance, aucun acte de l'autorité, même illégalement porté, qui les oblige à recevoir un directeur nommé par le ministre de l'intérieur, Quant aux théâtres de départements, nous croyons que la disposition qui veut que leur directeur soit nommé par le ministre doit être entendue seulement dans le sens du décret de 1806 et du réglement ministériel de 1807, qui voulaient que les entrepreneurs de spectacles fussent autorisés par le ministre à conduire une troupe de comédiens dans les départements; que par conséquent cette disposition ne doit pas recevoir l'application dont nous allons parler.

42. Depuis plusieurs années, on a interprété les actes de 1814 et de 1824 de la manière la plus despotique. Dans les départements, il a été admis en usage qu'aucun théâtre, même autorisé, ne pouvait continuer ses représentations quand le directeur avait disparu, donné sa démission ou abandonné l'entreprise. On a tellement séparé la nomination du directeur de l'autorisation d'ouverture du théâtre, qu'une société anonyme ayant été approuvée pour l'exploitation du théâtre de Perpignan, l'ordonnance d'approbation du 3 juillet 1822 a imposé aux sociétaires l'obligation de faire nommer leur directeur par l'autorité, Ainsi l'on a ajouté au décret de 1806 une formalité qu'il ne commandait point: il n'exigeait que l'autorisation d'ouverture, on a imposé en outre l'acceptation d'un directeur nommé par le ministre.

43. Un article du réglement de 1824 a déclaré que les directions ne pourraient être données à des femmes un autre a défendu aux directeurs d'avoir plus d'une seule troupe, et de vendre ou céder ce qu'il appelle leur brevet. Le terme de leurs fonctions est fixé à trois ans, et leur nomination réservée au ministre de l'intérieur, qui se trouve ainsi investi du droit d'autorisation que les lois antérieures plaçaient entre les mains des préfets. Toutes ces dispositions ajoutent au décret de 1806 des conditions qu'il n'établissait point, et qui ne pouvaient être créées ni par une ordonnance du roi, ni par un réglement ministériel.

44. A Paris, des excès de pouvoir encore plus graves ont été commis.

L'Académie royale de Musique est le seul théâtre royal qui soit légalement gouverné. Comme cette entreprise est soutenue par la liste civile, administrée en son nom, alimentée par ses capitaux, il est juste qu'elle soit placée dans sa dépendance absolue. Aucun reproche ne peut donc être élevé contre les réglements qui déterminent son mode d'administration, fixent le sort des artistes, et les soumettent à la surveillance et à l'autorité des fonctionnaires nommés par le roi.

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Des autres théâtres royaux, la Comédie française a seule conservé son ancienne forme de société, mais avec toutes les restrictions établies en 1812 par le décret impérial daté de Moscou, et reproduites dans les ordonnances du roi des 14 décembre 1816 et 18 mai 1822. Ce théâtre est soumis à

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l'autorité spéciale d'un des premiers gentilshommes de la chambre du roi et à la surveillance d'un commissaire de S. M. Le premier gentilhomme est juge en dernier ressort des débuts, des admissions et des retraites, dispensateur suprême des récompenses, des peines et des amendes. Le commissaire est chargé de transmettre ses ordres aux comédiens, et de surveiller toutes les parties de l'administration et de la comptabilité. Les statuts ne peuvent être changés sans l'autorisation du premier gentilhomme, investi de pouvoirs très étendus sur l'admission des sujets, l'allocation des pensions, la composition des répertoires, la comptabilité et la discipline. On ne peut expliquer ce régime exceptionnel imposé à des comédiens, que par la puissance des habitudes qui ont fait penser que ce qui existait sous l'empire pouvait être conservé sous le gouvernement constitutionnel, et par le droit de propriété que la maison du roi s'imagine avoir acquis au moyen des subventions annuelles qu'elle accorde à la Comédie française. Quelque irrégulier que soit ce système, nous pensons que les comédiens ne pourraient s'y soustraire après l'avoir accepté et exécuté, et qu'ils doivent se borner à réclamer, dans le nouveau réglement qui, dit-on, se prépare, des garanties plus étendues de leurs droits, et moins de restrictions à la liberté d'industrie qui leur appartient tout aussi bien qu'au reste des citoyens.

Des réglements semblables avaient été portés pour les sociétés qui exploitaient l'Odéon et le théâ–

tre de l'Opéra-Comique. Les discussions qui se sont élevées entre les sociétaires de ce dernier théâtre et M. Guilbert de Pixérécourt, directeur nommé par le premier gentilhomme de la chambre, ont divulgué tous les abus qui s'attachent à ce régime mixte où les comédiens ont des droits de propriété qu'ils ne peuvent faire valoir, et où la maison du roi achète au prix d'une subvention l'indépendance des sociétaires. Aujourd'hui l'Odéon, POpéra-Comique, le théâtre Italien, ainsi que les théâtres secondaires de Paris, sont entre les mains de directeurs nommés par l'autorité.

45. Pour ceux de ces théâtres qui reçoivent des subventions, la liste civile, qui en fait les fonds, peut sans doute préposer un commissaire à leur distribution, comme le pourrait tout particulier qui serait intéressé dans l'entreprise, mais ce n'est point dans ce but que le directeur est nommé.

46. La nomination du directeur est considérée dans les divers théâtres de la capitale et des départements, dans ceux qui reçoivent des subventious tout aussi bien que dans ceux qui n'en reçoivent point, comme un droit de l'administration, indé pendamment des intérêts pécuniaires. Dans ce système, le directeur est un fonctionnaire public, chargé de la suprême autorité dans le gouvernement du théâtre, révocable au gré du ministre, et seul représentant de l'entreprise dramatique. Nous avons déjà prouvé qu'aucune loi, aucune ordonnance, ne confère au pouvoir ministériel un droit aussi étendu.

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