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47. Mais en admettant ce droit, il a reçu un développement dont l'illégalité est flagrante.

Toute entreprise de théâtre a des intérêts de deux espèces différentes. Les uns concernent ses rapports avec l'administration et les obligations dont elle est tenue envers le public; les autres se rattachent à ses intérêts privés, à la spéculation qui a fait former l'entreprise. Ces deux classes d'intérêts sont entièrement distinctes. La surveillance des premiers appelle les regards de l'autorité spécialement chargée du maintien du bon ordre; les autres ne peuvent être soumis à son contrôle. Or, d'après les attributions dont se trouve investi le directeur, nommé par le ministre, cette distinction des intérêts de l'entreprise se trouve détruite. Le directeur ayant tout le pouvoir, se trouve appelé à tous les soins de l'administration, à la conclusion des engagements avec les comédiens, à l'ordonnancement des dépenses, à la gestion de tous les détails privés de l'entreprise ainsi le théâtre se trouve tout entier dans les mains du délégué du ministre, et, par le fait, son pouvoir dictatorial descend jusqu'aux droits privés sur lesquels il n'a point juridiction.

48. Cette confusion a été portée si loin, qu'on a vu les actionnaires d'un théâtre obligés, pendant plusieurs mois, de subir l'autorité d'un directeur qu'ils avaient révoqué, et que les tribunaux euxmêmes avaient déclaré indigne de continuer ses fonctions.

M. Bérard avait été appelé par les actionnaires aux fonctions de directeur du Vaudeville, en remplacement de Désaugiers, par des conventions du 26 novembre 1822. On avait donné avis de ce changement au ministre de l'intérieur qui, le 30 du même mois, avait pris un arrêté pour investir M. Bérard de la direction. Il paraît que cet arrêté, adressé à M. Bérard, n'avait pas été connu des actionnaires.

En 1824, de violentes discussions éclatèrent entre les actionnaires et le directeur. On reprochait à celui-ci une foule de contraventions à l'acte de société qui régissait le théâtre, et de nombreux attentats contre la propriété. Un jugement avait reconnu la réalité de ces griefs. Sur l'appel, un arrêt de la cour, du 14 mai 1825, fondé sur ce que Bérard était contrevenu à ses obligations par plusieurs actes arbitraires, déclara résiliées à son égard les conventions sous la foi desquelles il avait été appelé à la direction du Vaudeville, à la charge par les actionnaires de présenter un autre directeur à l'autorité administrative.

Cet arrêt ayant donné lieu à un conflit de la part de M. le préfet de police, un arrêt du conseil, du premier septembre 1825, reconnut que la cour avait pu annuler les conventions passées entre les actionnaires et M. Bérard, mais déclara non avenue la disposition de l'arrêt qui avait imposé aux actionnaires l'obligation de présenter un autre directeur à l'autorité administrative. Le motif de cette décision fut qu'en imposant aux actionnaires l'obligation de

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présenter à l'autorité administrative un autre directeur: que le directeur actuel, nommé et établi par le ministre de l'intérieur, la cour avait statué sur une matière qui n'était pas soumise à sa juridiction. Les actionnaires se trouvèrent alors dans la position la plus fàcheuse : les conventions qui avaient fait appeler M. Bérard à la direction demeuraient annulées, et cependant M. Bérard restait directeur sans un acte du roi qui entendit leurs plaintes et changea le directeur, ils auraient pu être contraints de conserver celui qu'une décision judiciaire déclarait coupable de violation de ses conventions.

49. Un autre abus a été la suite de cette usurpa

tion ministérielle : on s'est accoutumé à confondre l'autorisation d'ouvrir un théâtre avec la nomination du directeur, de telle façon qu'on a rendu le sort de l'entreprise dépendant de celui du direc

teur.

50. Le décret de 1806 portait que l'entrepreneur de spectacle qui avait fait faillite ne pourrait plus rouvrir de théâtres. On a appliqué cette disposition aux directeurs nommés par l'autorité, et sans égard pour les actionnaires, pour les co-intéressés, ou pour les créanciers qui, après la faillite du directeur, voulaient continuer l'entreprise, a déclaré l'autorisation révoquée. On peut citer pour exemple de cet abus de pouvoir la décision qui a retiré l'autorisation du Panorama dramatique, et celle qui a refusé aux créanciers de l'entrepreneur des théâtres de Bordeaux de continuer

on

l'exécution d'un bail qu'il avait fait pour leur exploitation.

51. Dans cet état de choses, un directeur qui donne sa démission expose le théâtre à un ordre de clôture: un directeur peut rester à la tête de l'entreprise contre le gré de toutes les parties intéressées; cette faculté lui appartient à tel point, qu'on a vu des actionnaires de théâtres acheter à très-haut prix le consentement de leur directeur à recevoir un remplaçant.

52. Il est évident que la propriété privée des entrepreneurs ne peut pas être ainsi livrée à l'arbitraire. Il n'est pas moins certain que l'autorité n'a point le droit d'agir comme elle le fait, qu'à Paris rien ne l'autorise à imposer des directeurs aux théâtres, et que l'ordonnance qui lui accorde ce droit en province est illégale.

53. Mais en admettant que les entrepreneurs de spectacle soient obligés de se soumettre à un directeur choisi par l'autorité, il est incontestable que ce préposé ne reçoit de pouvoirs que dans l'intérêt public. Dès-lors l'entreprise ne peut être liée à lui ; qu'il tombe en faillite, qu'il donne sa démission, les propriétaires du théâtre ne peuvent pas en souffrir. Il n'a point qualité pour s'occuper des intérêts privés; les entrepreneurs sont tout-à-fait indépendants de lui, ils peuvent diriger les détails intérieurs et particuliers de leur exploitation sans son concours et hors de son contrôle : ils demeurent maitres de leur propriété, et le directeur n'est qu'un surveillant qui pourra bien.

parfois être incommode et tracassier, mais qui du moins ne sera pas dans le cas de s'emparer de leur propriété et de compromettre leurs droits.

54. Ces questions n'ont point encore été jugées : car l'arrêt rendu dans l'affaire du Vaudeville a seulement décidé que la cour de Paris était incompétente pour annuler l'arrêté du ministre qui avait nommé le directeur, mais n'a point prononcé sur la validité de cet arrêté en lui-même.

55. Quel serait le moyen de faire reconnaître le droit des entrepreneurs, actionnaires ou autres qui auraient à se plaindre de la nomination ou de la révocation de leur directeur. Les tribunaux ordinaires seraient sans juridiction, comme on l'a jugé avec raison dans l'affaire du Vaudeville, parce qu'il s'agirait de prononcer sur un acte de l'autorité administrative; mais l'action pourrait être portée devant le conseil-d'état, et nous ne doutons pas que si, comme il est facile d'y parvenir, l'illégalité de la marche suivie par l'administration était démontrée, la réclamation ne fût accueillie...

CHAPITRE III.

Priviléges attribués aux théâtres autorisés ou à quelques uns d'entre eux.

§ I. Droit de location des salles de spectacle.

56. Il existe relativement aux salles de spectacles, deux dispositions conçues dans des vues directement opposées à Paris, on semble avoir craint qu'il ne s'élevât un trop grand nombre

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