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l'une de Français, l'autre d'Italiens, voulurent s'établir à Paris: de nouveaux arrêts du parlement leur défendirent de représenter, sous peine de punition corporelle. Mais, comme le dit un historien auquel nous empruntons ces détails, ces défenses ne rendaient point les pièces des confrères moins ennuyeuses, et tous les honnêtes gens, rebutés de leurs farces grossières, avaient abandonné leur spectacle. Ils se déterminèrent à céder leur privilége à une troupe qui s'établit à l'hôtel de Bourgogne.

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Les accroissements de Paris déterminèrent les nouveaux comédiens à jouer sur deux théâtres. Ce fut alors que Corneille et Molière donnèrent à notre scène un éclat qui lui était inconnu et qui devait assurer sa supériorité sur celle des autres nations.

En 1680, Louis XIV réunit en une seule les deux troupes qui existaient encore : cet ordre consolida leur existence : les comédiens prirent le titre de comédiens du roi, 12,000 fr. de pension leur furent attribués, et ainsi se forma la ComédieFrançaise, qui a porté si haut la gloire de notre théâtre, par le concours des acteurs célèbres qui s'y sont succédé jusqu'à nos jours.

Depuis cette époque, l'histoire des établissements dramatiques ne présente que le tableau des

entreprises de la libre concurrence contre le monopole placé sous la protection du roi, enrichi par le génie de Lully, heureux collaborateur de Quinault, l'Opéra n'éprouva aucun obstacle de la part des Comédiens Français, que sa concurrence ne pouvait inquiéter. Le privilége se trouva partagé entre ces deux grands théâtres.

Les augmentations de la population et l'empressement du public rendirent bientôt nécessaires de nouvelles entreprises. Elles ne purent se former qu'avec le consentement des privilégiés. Chacun des genres de spectacles que firent désirer les progrès de l'art ne s'établit d'abord qu'à prix d'argent : l'industrie théâtrale était devenue tributaire de l'Opéra et de la Comédie-Française. Le parlement, investi d'une juridiction administrative, se trouvait sans cesse appelé à réprimer les empiétements de chaque entreprise nouvelle sur les droits des deux seigneurs suzerains de l'art dramatique. Le théâtre réduit à la pantomime n'observait pas assez rigoureusement le silence prescrit à ses acteurs : les figures de bois des marionnettes jouaient des pièces trop régulières, la Comédie-Italienne ne chantait pas assez, une autre parlait trop; POpéra vendait le privilége de l'Opéra-Bouffon, prélevait un impôt sur tous les théâtres, et même sur tous les musiciens du royaume; un droit de cen

sure était accordé à la Comédie-Française sur les pièces jouées aux autres spectacles: la féodalité, morcelée par les progrès des lumières et des institutions, conservait sa tyrannie, ses exigeances et son insatiable avidité dans tout ce qui concernait tes théâtres, constitués d'un bout à l'autre de la France les vassaux de l'Académie royale de Musique.

La révolution détruisit ces abus : l'industrie dramatique, comme toutes les autres, reconquit la liberté dont elle avait joui d'abord et que lui avait enlevée le règne des priviléges, des corporations et des maîtrises. L'Assemblée nationale reconnut à tout citoyen le droit d'élever un théâtre : les entreprises dramatiques rentrèrent dans le droit commun et cessèrent d'être soumises à aucune entrave. Cette libertée illimitée ne fut pas de longue durée. Le principe seul avait été proclamé : il périt bientôt comme la plupart des droits publics reconnus par la Constituante, faute de lois destinées à en régler l'exercice. Les représentations de la scène ont trop d'influence sur le peuple, pour que tous les gouvernements n'en usurpent pas la direction : la ·Convention, qui prétendait consolider une extrême liberté par un despotisme extrême, laissa les municipalités s'emparer des représentations théâtrales, et exerça par la terreur un pouvoir mille fois

plus redoutable que les priviléges et la censure: le Directoire employa le même moyen d'influence pour une autorité faible et compromise; non seulement les théâtres furent frappés de prohibitions rigoureuses, mais encore leur répertoire fut réglé le par et leurs représentations dictées gouvernement lui-même : le Consulat, adroit prologue de l'Empire, rétablit la censure, confia aux préfets une autorité suprême sur les théâtres, et prépara la constitution que l'industrie dramatique devait recevoir dans les décrets impériaux des 8 juin 1806 et 29 juillet 1807, par lesquels le nombre des spectacles fut réduit et limité, et toute la direction de ces établissements abandonnée au gouvernement.

Ces décrets composent, avec quelques réglements qui les ont suivis sous le gouvernement, impérial et depuis la restauration, la législation actuelle des théâtres : le Traité que nous livrons aụ public a pour objet d'en développer toutes les dispositions et d'en déterminer l'esprit et les conséquences. Nous avons accepté les lois comme elles nous gouvernent et évité de mêler des discussions de théorie aux explications graves et doctrinales que nous avions à présenter; qu'il nous soit permis, dans cette Introduction, d'exposer quelques idées générales sur ce sujet inté

ressant.

Les théâtres doivent-ils être libres? telle est la première question que fait naître l'examen de la législation qui les concerne.

Les traditions du passé, l'habitude du régime actuel, l'exemple des législations étrangères qui consacrent aussi le privilége, préoccupent tous les esprits et les conduisent à penser que la liberté ne peut être accordée à ce genre d'industrie. Mais ce préjugé doit céder devant l'examen approfondi du droit en lui-même.

L'art dramatique, considéré soit comme l'exercice d'un talent, soit comme l'objet d'une spéculation, est le développement d'une faculté de l'homme. Or, l'homme ne reçoit point ses facultés de la loi la loi peut en régler l'exercice et les soumettre à des restrictions quand l'intérêt public l'exige, mais elle ne peut pas plus les détruire qu'elle ne les crée, et les limites qu'elle leur impose ne sont jamais que des exceptions, qu'un droit secondaire et restrictif, qui doit puiser sa justification dans quelque considération impérieuse et puissante. Cette justification ne doit pas se trouver dans les abus que peut entraîner l'exercice d'un art ou d'une industrie, car il n'y aurait pas une de nos facultés qui ne pût être enchaînée au même titre, et la liberté de l'homme tomberait tout entière dans le domaine des gouvernements.

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