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Elles ne peuvent donc être asservies que si cette mesure est commandée non pas par une simple convenance, mais par une nécessité absolue et inévitable: il faut qu'aucun autre moyen ne puisse garantir l'intérêt public contre les dangers dont il

est menacé.

Il est inutile de s'appesantir sur un principe déjà reconnu pour la plupart de nos libertés principe assez puissant pour avoir assuré l'affranchissement de la presse, cette industrie presque aussi féconde en périls qu'en bienfaits.

L'industrie théâtrale ne peut donc être enchaînée que si elle compromet l'ordre public, les moeurs ou les autres principes conservateurs de l'ordre social. Hors de là, elle est placée sous la protection de notre droit commun, et jouit des garanties qu'il a consacrées.

Les partisans des priviléges dramatiques allèguent les avantages attachés au patronage du gouvernement. On a dit que Louis XIV voyait créer à ses ordres Athalie et Versailles, et l'on s'est mis à penser que la littérature dramatique et les théâtres étaient un apanage de la couronne. Les comédiens du roi ont été dotés sur la cassette, investis du droit exclusif de jouer les ouvrages de nos grands maîtres, et le public ignorant a pensé que la gloire de notre scène se liait à da protection du

trône. Il est inutile de rechercher ce que cette opinion peut avoir de vrai, si le privilége n'a pas été plus nuisible que la concurrence, et si la et si la perspective des subventions royales n'a pas souvent ralenti l'activité industrielle. En supposant que la munificence publique pût produire d'heureux fruits, ce motif ne suffirait pas pour justifier la servitude des théâtres : l'état pourrait accorder les mêmes secours à toutes les industries; aurait-il donc le droit de s'en emparer et de vendre son patronage au prix de toutes les libertés? d'ailleurs sa protection est-elle inséparable de la servitude, et le théâtre affranchi ne pourrait-il pas continuer à profiter de ses dons?

Une autre objection plus sérieuse est dirigée contre la liberté des théâtres. On craint qu'avec elle il ne se forme un trop grand nombre d'entreprises, et que l'on ne voie ainsi des fortunes particulières compromises, et la dignité de la scène méconnue. Ces craintes ne sont pas fondées. Sans doute la concurrence sans restriction a ses inconvénients, mais le privilége en offre de plus nombreux encore. Quelle spéculation est à l'abri des revers attachés au défaut d'équilibre entre les besoins publics et les moyens de les satisfaire ? Voulez-vous donc rétablir ces corporations qui étouffaient le génie, paralysaient l'exercice de toutes

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les professions, et rendaient stationnaires les arts et l'industrie? Ne voyez-vous pas tous les vices du système établi sur les théâtres? Malgré vos entraves, de nombreuse faillites ont signalé la ruine de vos directeurs. Plusieurs ont attribué leurs pertes aux liens dont vous les aviez serrés. Tous les capitalistes dont la fortune avait été altérée par ces désastres vous ont accusé de leur ruine : le privilége, insuffisant pour assurer le succès des entreprises, avait suffi pour inspirer une confiance trompeuse; et sur la foi de cette protection si vantée, les capitaux se sont jetés dans des spéculations que vous aviez su permettre, mais que vous n'avez pas su soutenir. Laissez à l'industrie théâtrale la liberté qui lui appartient : les spéculateurs apprendront bien à se régler sur les besoins du public; du moins ceux qui hasarderont leur fortune sauront qu'ils doivent examiner eux-mêmes les garanties qu'ils peuvent espérer, et les chances de succès qui leur sont ouvertes.

Les théâtres ne nous paraissent différer des autres branches d'industrie que par les dangers attachés à une réunion considérable de citoyens, et à la représentation publique de compositions littéraires où pourraient se trouver quelque atteinte aux moeurs ou au bon ordre. Mais restreindre le nombre des théâtres, exiger un privilége pour leur

érection, ne détruit pas ces inconvénients; et les précautions prises pour en garantir les entreprises autorisées par le gouvernement, pourraient l'être aussi à l'égard de celles qui se formeraient librement. La police, proprement dite, est préposée au maintien de l'ordre partout où des rassemblements ont lieu; son intervention, dont on verra plus tard le caractère et les droits, suffit au maintien de la tranquillité publique. La censure, que nous croyons nécessaire (V. p. 88 et suiv.), prévient les abus de la représentation; ainsi l'intérêt général se trouve à l'abri de toute espèce de désordre.

Il n'y a donc aucun besoin public, nous dirons plus, aucune convenance qui exige le maintien des priviléges ou l'obtention d'une autorisation du gouvernement pour former un établissement de théâtre, et nous aimons à penser que quelque jour la France obtiendra l'affranchissement de cette industrie, restée presque seule dans la servitude.

Nous avons parlé de la censure dramatique, et nous déclarons franchement qu'elle nous paraît indispensable; que, par conséquent, d'après le principe même que nous avons posé, elle doit être maintenue. Mais cette institution ne doit pas dégénérer en un instrument d'oppression contre les

citoyens. Nos lois réclament impérieusement des garanties contre les abus d'une autorité qu'elles ont constituée sans la régler, et qui, rétablie par Napoléon, porte l'empreinte de son absolutisme administratif. Soit que l'on confie la censure à une juridiction mobile, à un jury littéraire, à une magistrature réelle, il importe qu'elle ne soit point exercée au nom et selon les caprices de l'autorité, qu'elle repose en des mains responsables, et ne conserve point le caractère et les formes d'un saintoffice littéraire.

Nos lois, loin d'attacher aucun caractère fâcheux à la profession du théâtre, ont cherché à la protéger contre la déconsidération. Une déclaration de Louis XIII, du 16 avril 1641, veut. que Lexercice des comédiens, qui peut innocemment divertir les peuples de diverses occupations mauvaises ne puisse leur étre imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public.

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L'art. 19 du réglement du mois d'août 1814, déclare susceptibles d'obtenir des marques de satisfaction de la part du ministre, les comédiens qui se conduisent bien et qui font preuve de talents distingués.

Une discussion solennelle de l'assemblée nationale, où Mirabeau se fit entendre, consacra le

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