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droit des comédiens à réclamer le titre de ci

toyens.

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Aucune exclusion comme on le verra plus tard, n'est prononcé par nos lois contre les acteurs; mais il faut reconnaître qu'en ce point la législation est plus libérale que les moeurs. Une profession qui exige des travaux assidus, des études continuelles, qui se lie intimément aux progrès de la littérature, qui peut exercer une influence utile sur les mœurs et les habitudes de la nation, une pareille profession doit être encouragée, et n'est pas indigne de la considération publique. Les Grecs estimaient leurs comédiens, et ne les flétrissaient point par un mépris immérité. L'Angleterre honore les organes de sa muse tragique ; mais la France a encore conservé le préjugé qui plaçait les acteurs dans un rang inférieur, et les frappait presque de déshonneur. Ce préjugé, injuste dans son principe, est encore dangereux dans ses conséquences. Les comédiens, exilés de nos sociétés, contraints à suivre des habitudes à part, ne peuvent adopter nos usages, observer nos convenances, et trouver parmi nous les modèles de cette délicatesse de moeurs et de conduite qu'on se plaint de ne point rencontrer en eux. Le théâtre n'étant point honoré, beaucoup d'hommes hésitent à en embrasser la profession.

Que les acteurs retrouvent la considération à laquelle ils ont droit, et bientôt on les verra aussi fidèles observateurs des vertus domestiques, des bonnes mœurs, et de toutes les convenances du monde, que tant d'hommes qui les poursuivent de leurs hypocrites censures; on verra la scène illustrée par tous ceux que leur génie y porterait, si une flétrissure odieuse ne les y attendait pas. Nous pouvons citer, à l'appui de cette opinion, les artistes des théâtres de la capitale. A Paris, une civilisation plus exercée a presque entièrement effacé le préjugé qui frappe les comédiens : ceux des grands théâtres surtout jouissent souvent d'une estime méritée. On les voit remplir avec honneur les devoirs de la famille, respecter les obligations les plus rigoureuses de nos habitudes sociales, et offrir de justes titres à la bienveillance publique.

Les comédiens sont, en quelque sorte, des hommes publics sur le théâtre ils se présentent aux regards de tous, et deviennent justiciables de la critique. On aurait dû espérer que les gens de lettres, constitués les organes de l'opinion des spectateurs, auraient traité avec égards, avec justice, une profession qui touche par tant de points à la littérature, et que les préjugés de l'ignorance ne trouveraient point place sous la plume d'hommes.

instruits, indépendants et éclairés. Cependant, nous le disons à regret, quelques journalistes se sont montrés durs et injustes à l'excès envers les acteurs. Nous ne parlons pas de ces vils écrivains qui ont fait un infâme trafic de la littérature, et honteusement vendu leurs éloges et même leur silence; trop de mépris devait s'attacher à un pareil commerce, pour que ces aristarques vénaux conservassent quelque autorité. Mais parmi les écrivains qui ont respecté la dignité des lettres, on en a vu quelques uns, on en voit encore qui oublient envers les acteurs les lois ordinaires de la bienséance. La critique doit être juste et bienveillante, et non brutale et amère; elle doit éclairer et non flétrir si l'on veut que les comédiens suivent ses leçons, il faut les leur donner avec modération et convenance: si l'on veut rendre à une profession injustement décriée la considération dont elle a besoin, on doit commencer par respecter dans ceux qui l'exercent les droits du citoyen et le caractère de l'homme. La critique doit surtout s'arrêter là où elle pénétrerait dans la vie privée : si l'acteur lui appartient sur le théâtre, il cesse d'être son justiciable à l'instant où il quitte la scène.

En parlant des préjugés qui restent attachés aux il est difficile de ne point dire un mot des

acteurs,

censures ecclésiastiques. L'église continue à poursuivre tous les comédiens d'une excommunication que l'on sait n'avoir été portée que contre les bateleurs et les baladins, dont les représentations immorales pouvaient justifier cette condamnation. Malgré les progrès des lumières et l'amélioration incontestable de la scène, le clergé français persiste à repousser du sanctuaire les hommes voués au théâtre. On a vu dans ces derniers temps plusieurs actes d'intolérance, restes douloureux de l'esprit de persécution des siècles précédents. Il ne nous appartient pas de combattre ces traditions aveugles; nous rappellerons seulement que la charité, cette première vertu du christianisme, a toujours été généreusement exercée au théâtre. Les pauvres ne se sont jamais adressés en vain aux comédiens, et, dans le dix-septième siècle, on voyait la Comédie-Française soutenir, par ses subventions annuelles, des corps religieux qui ne craignaient point d'invoquer les secours d'une compagnie qu'ils appelaient illustre, et dont quelques uns réclamaient l'honneur d'être les voisins (1).

Un jour les théâtres recouvreront leur liberté;

(1) DÉSESSART, les Trois Théâtres, Paris, 1777; p. 55 et 54. '

XXV

soumis aux lois générales, ils accepteront toutes les précautions que l'ordre public pourra commander, mais ils échapperont aux entraves qui les serrent aujourd'hui de tous côtés.

Les comédiens aussi reprendront parmi nous le rang qui appartient à une profession honorable et utile. La considération publique les entourera: la critique littéraire se montrera juste et modérée à leur égard, et l'église elle-même, éclairée par les avertissements de l'opinion publique et par l'exemple de nos mœurs, les relevera des peines qu'un autre âge a prononcées contre d'autres hommes.

Déjà quelques unes de ces améliorations se signalent. Les comédiens viennent de fonder à Paris un journal, organe de leurs voeux et soutien de leurs droits; le succès obtenu par cette utile entreprise atteste les progrès de l'opinion et justifie l'espoir d'une réforme complète.

Au moment où s'annoncent, dans un avenir plus ou moins éloigné, les réparations de nos lois et de nos mœurs, nous avons pensé qu'il convenait de retracer la législation relative aux entreprises de théâtre et à tous ceux qui y sont attachés, et de donner ainsi l'état exact des droits et des devoirs de chacun. Nous souhaitons que ce travail, imparfait mais consciencieux, contribue à prévenir quelques unes des contestations qui, dans ces derniers

C.

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