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erreurs fur la Grace. Ils croyent que l'homme a toujours un pouvoir d'équilibre, pour former en lui-même tout ce que Dieu lui commande. Ils fuppofent donc, qu'un pécheur à qui Dieu commande de fe réconcilier avec lui, & qui a grand intérêt de recevoir dignement le Sacrement de Pénitence, a acquis fur le champ les difpofitions néceffaires qu'il a toujours fous fa main. D'ailleurs ils font perfuadés que les difpofitions que Dieu exige pour recevoir dignement les Sacremeus, ne confiftent que dans certaines actions extérieures, ou tout au plus dans quelques pensées de l'efprit, & quelques actes fuperficiels de la volonté, qui peuvent fe trouver pour des inftans, dans ceux dont le cœur eft le plus livré à l'iniquité. Selon ces nouveaux maîtres, Dieu ne demande pas, que les fentimens intimes de notre coeur fe portent vers lui. Et comme un certain extérieur joint à la crainte de l'enfer, [ en quoi les Jéfuites font confifter toutes les difpofitions néceffaires, ] fe trouve prefque toujours dans les pécheurs, qui confervent encore quelque refpect pour la Religion; ils en concluent, que ces pécheurs font en état de recevoir dignement l'abfolution. C'est ainsi que leur Dogme & leur Morale s'accordent avec leurs maximes fur l'adminiftration des Sacremens.

III.

Autre caufe

Cette pratique d'ailleurs eft parfaitement affortie avec le deffein qu'ils ont de s'accommoder aux diverfes inclinations des hom- de ce relâchemes, & de s'acquerir l'eftime, la confiance ment, & la protection de tout le monde. Quelques fubtilités qu'ils ayent employées pour rendre leur Morale accommodante, il refte

encore des péchés qu'il leur a été impossible de juftifier; & comine ces péchés ne laillent pas de fe commettre, il faut trouver un moyen de faire espérer le Ciel à ceux qui ne peuvent le résoudre à s'en abftenir. Ce ne fera pas en excufant ces fortes de péchés; mais en faifant croire aux prétendus pénitens, qu'ils leur feront remis; pourvû qu'ils les confeffent, & qu'ils pratiquent quelques autres actes extérieurs, qui ne font gueres plus difficiles que l'accufation de ces péchés. Les Jéfuites regardent la pénitence, comme on regardoit dans l'ancienne Loi les ablutions qu'il falloit faire de fa perfonne & de fes habits. C'est une pure cérémonie ; on fait le tems qu'il y faut employer, & on eft affuré d'y réuffir. Les Jéfuites en font fi convaincus, qu'ils affurent dans l'Image de leur premier fiécle, que les crimes s'expient aujourd'hui plus aifément, qu'ils ne fe commettoient autrefois ; & que plufieurs les effacent auffi promptement, qu'ils les contractent. Ils éprouvent que ceux à qui on donne Idée que les l'abfolution fi aisément, retombent ordinairement bientôt dans les mêmes crimes: mais ils n'en font point furpris. Ils n'en font pas moins perfuadés que ces hommes ont été réconciliés avec Dieu, & ont reçu le précieux don de la juftice. Ils s'imaginent, que la en donne l'E- juftice fe perd & fe recouvre avec une extrê— criture, me facilité; & que la plupart des hommes. paffent leur vie dans une viciffitude perpétuelle de l'état de grace, à l'état du péché. Ils font juftes les grandes Fêtes, & quelques jours après. Ils péchent enfuite mortellement, & demeurent dans cet état jufqu'à la premiere confeffion. Cette idée eft très-confor→

IV.

Jéfuites le font formée de la

justice Chrétienne. Com

bien elle eft contraire à

celle que nous

me au fyftême général des Jefuites fur la Religion. Si la juftice vient en premier du libre arbitre, il eft naturel qu'elle foit aufli peu ftable que le libre arbitre lui-même. Si d'ailleurs elle ne confifte que dans des pratiques extérieures, il n'eft pas étonnant qu'on s'en revête, & qu'on s'en dépouille auffi fouvent que d'un habit. Mais en mêmetems rien n'eft plus contraire aux idées que l'Ecriture, & les Ouvrages des Peres nous donnent de la Juftice Chrétienne. Nous l'y voïons représentée comme l'œuvre du ToutPuiffant, qui par conféquent a de la confiftance & de la ftabilité; comme l'effet du Sang de Jefus Chrift, qui ne guérit pas pour quelques jours feulement. Elle nous y eft

montrée comme un amas d'inclinations nouvelles, qui ordinairement ne cedent pas la place en peu de tems à des inclinations contraires; comme une réfurrection pour ne plus mourir. On n'en doit pas conclure que la juftice ne fauroit fe perdre. Nous appre nons par d'autres paffages de l'Ecriture & des Peres, & par une trifte expérience, que la rechûte dans le péché mortel eft très-poffible. Mais il n'en eft pas moins vrai que la juftice que Jelus-Chrift eft venu apporter fur la terre, eft ordinairement ftable, qu'on ne la perd pas communément après l'avoir acquife, & que par les mêmes raisons il eft très-difficile de la recouvrer, fi on a eu le malheur de la perdre. Ceux par conféquent qui retombent fi-tôt dans les péchés dont ils ont reçu l'abfolution, ont toutes fortes de raifons de croire, qu'ils n'avoient pas reçû le fruit du Sacrement, parce qu'ils ne s'en étoient pas approchés avec les difpofitions néceflaires.

A iij

V.

cipline de la pénitence, conforme à l'idée que l'E

Comment

de l'édition de 3752.

I I.

La pratique des beaux fiécles de l'Eglife Ancienne dif- étoit entierement conforme à ces principes. Nous avons eu foin de rapporter * ce que l'on trouve de plus folide fur cette matiere dans les Difcours de M. Fleuri. On croioit criture nous que la converfion confiftoit dans le changedonne de la ment intérieur de toutes les inclinations de justice. l'homme; que ce changement étoit un des cette difcipline plus grands Ouvrages de la main du Touts'eft relâchée. Puiffant. On favoit que Dieu ne l'opere or*Tome 2 p. dinairement, que par degrés & peu à peu ;: 117, & fuiv. c'est pour cela qu'on faifoit paffer le pécheur par des épreuves reglées par les Canons, felon la qualité de leurs péchés. Le deffein de l'Eglife étoit, que les humiliations de la pénitence & la féparation des Sacremens fer-. villent à faire connoître au pécheur la grandeur de la plaie qu'il s'étoit faite. Elle vouloit qu'il fentit long-temps fa mifere & fon indignité; que fon cœur fût ainfi réformé peu à peu; & qu'enfin le pécheur pénitent fat digne d'être réconcilié, & de s'atleoir à la fainte Table, pour y manger le pain des enfans. Le pécheur ainfi conduit, & établi dans une piété folide, faifoit efpérer qu'il ferviroit Dieu tous les jours de fa vie dans la fainteté & dans la juftice. Ainfi quand des pénitens, après avoir été réconciliés, retomboient dans le crime, on étoit très-porté à croire qu'ils n'avoient jamais été de vrais pénitens, & qu'ils avoient trompé les hommes, ou s'étoient trompés eux-mêmes. Il y a des Auteurs qui foutiennent que pendant les quatre premiers fiécles on abandonnoit ces pécheurs à la miféricorde de Dieu, fans leur:

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accorder une feconde pénitence, même à la mort. Mais au moins il eft certain qu'on ne la leur accordoit que très-difficilement.

Cette difcipline a été en vigueur pendant plus de mille ans. Vers les onze & douzième fiécles, le relâchement s'introduifit par la facilité des Papes à accorder des Indulgences. C'est ce que nous avons eu foin de remarquer dans le cours de cette hiftoire. Ces modérations de la peine Canonique, qui ne s'accordoient autrefois qu'avec beaucoup de réferve, & feulement pour récompenfer la ferveur des pénitens, on quand ils étoient en danger de mort, furent prodiguées, furtout dans le temps des Croifades, afin d'engager les Chrétiens à faire la guerre aux Infidéles. Nous avons remarqué combien une telle conduite étoit contraire à l'efprit de P'Eglife, & nous avons vû combien les fuites en ont été pernicieuses. La difcipline extérieure de la pénitence ceffa donc d'être obfervée ; & comme elle étoit la gardienne de l'efprit intérieur de pénitence, cet efprit intérieur eft devenu de jour en jour plus rare. Cependant on n'a jamais dérogé par aucune Loi expreffe aux anciens Canons ; & ceux qui ont été animés de l'Efprit de Dieu, ont toujours.defiré qu'on s'en rapprochât, autant qu'il feroit poffible. Le Concile de Trente, quoique les malheurs des temps. l'aient empêché d'entreprendre tout ce qu'il auroit defiré, n'a pas laiffé néanmoins, de rétablir la pénitence publique pour les péchés publics; d'exhorter les Confeffeurs à impofer des pénitences proportionnées aux péchés, & de donner plufieurs ouvertures différentes pour remettre en ufage les an

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