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l'armée, leur solde devenait supérieure à celle des simples soldats. Pour réorganiser la garde mobile, il fallait toucher au corps d'officiers. On l'avait fait avec tous les ménagements que commandait la justice. Les uns étaient maintenus, les autres rentraient dans l'armée dont ils faisaient partie avant la formation de la garde mobile. Quelques-uns, sans doute, étaient rendus à la vie privée; mais ils ne pouvaient conserver une position qui, dans l'armée, ne s'acquiert qu'après quinze, vingt, trente années de service.

Les loyales explications du général en chef ne purent éclairer les mutins, qui se retirèrent en poussant des clameurs séditieuses. Quelques-uns allèrent recevoir les inspirations directes des chefs de la Montagne : les autres rentrèrent dans leur caserne de la rue Saint-Thomas du Louvre, en criant: Vive la République démocratique, et sociale!

Pendant la nuit du 28 au 29 janvier, une fermentation inquiétante se manifestait dans plusieurs casernes. Les sociétés secrètes s'étaient constituées en permanence.

Mais les dangers de la rue n'avaient rien qui pussent trouver l'autorité au dépourvu. Le nœud de la situation était dans l'Assemblée nationale. La Chambre adopterait-elle les conclusions du rapport de M. Grévy? Donnerait-elle suite à cet acte d'accusation destiné à exciter les factions du dehors? S'associerait-elle à la sédition de la place publique? Telle était la question terrible posée le lundi 29 janvier.

CHAPITRE VII.

LE CONFLIT DANS LA RUE ET DANS L'ASSEMBLÉE. L'ASSEMBLÉE

SE RETIRERA.

Séance du 29 janvier. mobile et la démagogie. provocation.

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Agi

Appareil militaire autour de l'Assemblée. — La garde M. Degousée et M. Jules Favre, accusations de Propositions Rateau. Discussion, MM. Jules Favre, Fresneau, Victor Hugo, Combarel de Leyval. Position de la question, le scrutin secret et la montagne.· Rejet des conclusions du rapport, tation au dehors, la garde nationale, la garde mobile et l'armée, stratégie préventive du général Changarnier. Proclamation aux habitants de Paris. Promenade du président de la République. - Réalité d'une conspiration, les sociétés secrètes en permanence, attitude de la démagogie dans les départements, insuccès du complot. InterArrestation de M. Forestier. pellations à ce sujet, M Sarrans,' lettre prétendue du général Changarnier au président de l'Assemblée. - Réponses de MM. Léon Faucher et Marrast. → Proposition d'enquête. La Solidarité républicaine, M. Martin-Bernard et M. Ledru-Rollin, réponse de M. Odilon Barrot. Ce que devient la mise en accusation du ministère. Le calme dans la rue, l'agitation dans l'Assemblée. Changarnier. cussion.

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Proposition de M. Boulie, les appointements du général

Rapport de la commission sur la proposition d'enquête, disIncident soulevé par M. L. Perrée, les journaux de province et les bulletins des préfets, ordre du jour motivé, violences anti-parlementaires. - Rejet de l'ordre du jour pur et simple, encore le scrutin secret, question constitutionnelle, l'Assemblée et le président. Déclaration officielle du président, ordre du jour conciliateur du général Oudinot, adoption. - Imperfections évidentes de la Constitution, renouvellement exclusif du bureau au profit de la majorité. - Propositions Rateau, amendement de M. Lanjuinais, retrait des autres amendements. - M. Félix Pyat, excentricités littéraires. - M. Sarrans et M. de Lamartine. Amendements de tactique, MM. Dupont (de Bussac), Jules Favre et Senard. M. Dufaure. - Adoption des articles de la proposition Lanjuinais, adoption du budget. Vote sur l'ensemble. L'Assemblée fixe un terme à ses travaux.

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La séance si vivement attendue du 29 janvier s'ouvrit sous de tristes auspices. Le matin, le rappel avait battu dans tout Paris. L'armée et la garde nationale occupaient les rues et les places

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publiques. L'appareil militaire qui, de toutes parts, entourait l'Assemblée annonçait une de ces journées où les agitations du dedans correspondent aux orages du dehors. Jamais l'Assemblée, depuis les premiers jours de son existence, n'avait été aussi nombreuse. Ces précautions stratégiques, qui indiquaient les dangers de la situation, furent d'abord l'objet d'explications de la part de M. le président du conseil. M. Odilon Barrot exposa les motifs de la récente décision à laquelle le Gouvernement s'était arrêté au sujet de la garde mobile il en fit connaître le véritable esprit, mais, en même temps, il ne dissimula pas les fâcheuses complications qui avaient failli en devenir la suite. Les éternels ennemis de l'ordre et de la société, ajouta-t-il, ne s'étaient que trop bien appliqués à exploiter en faveur de leurs passions et de leurs complots les mécontentements que produit toujours le froissement des intérêts individuels. Dans la nuit du dimanche au lundi, un rapport motivé par les informations les plus précises avait fait savoir au Gouvernement qu'il se tramait de coupables machinations. Le devoir de l'autorité publique avait été de prendre sans délai toutes les mesures indiquées par la prudence. Elle avait d'autant moins négligé ce devoir qu'elle aimait mieux avoir à prévenir qu'à réprimer. Des troupes avaient été immédiatement réparties sur tous. les points qui pouvaient paraitre menacés. En même temps, dès qu'il avait été possible de se concerter avec le président de l'Assemblée, le Gouvernement s'était empressé de lui remettre la direction des forces destinées à garantir la sécurité de l'enceinte législative. On n'avait pas cru devoir éveiller le président de l'Assemblée, au milieu de la nuit, pour le prévenir de ces mesures. De là un malentendu qui se dissipa promptement. C'est en vain que M. Degousée, emporté par une impétuosité qui lui fit dépasser les limites des convenances parlementaires, chercha à faire prendre à cet incident une tournure irritante; c'est en vain que M. Jules Favre, fidèle à sa tactique ordinaire, essaya d'envenimer ce débat les loyales déclarations de M. Odilon Barrot portèrent la conviction dans les esprits.

M. Jules Favre parla de pression exercée sur l'Assemblée. Assurément, si le Gouvernement avait laissé s'établir une lutte violente, on n'eût pas manqué de dire qu'il avait cherché une occa

sion de guerre et de victoire. On l'accusait de provocation pour avoir rendu toute collision impossible: ne l'en eût-on pas accusé également, s'il avait laissé l'émeute à elle-même? N'avait-on pas accusé aussi le général Cavaignac d'avoir permis à l'insurrection de juin de s'aggraver par un misérable calcul d'ambition personnelle ?

Ces explications fournies, le débat s'engagea sur la proposition. de M. Rateau, ou plutôt sur les trois propositions de MM. Rateau, Pagnerre, Bixio et Wolowski, indiquant des époques différentes pour la dissolution de l'Assemblée constituante..

M. Jules Favre, seul orateur entendu en faveur des conclusions du rapport de M. Grévy, ne s'occupa, à vrai dire, que de la question de Cabinet. Pour lui, il n'y avait, dans cette lutte, qui menaçait d'embraser Parîs et la France, qu'un changement de ministère, qu'une compétition de pouvoir. Son discours ne fut point une discussion, mais uné série de provocations adressées à l'Assemblée et à la place publique, en vue d'un incident possible.

M. Fresneau combattit avec talent les conclusions du rapport: M. Victor Hugo s'attira, par les mêmes arguments, les murmures de l'extrême gauche; il rappela que le jour du danger pour un Gouvernement est celui où il doute de son principe, et il demanda à l'Assemblée si ce n'était pas la défiance du suffrage universel, la mise en interdit de la France qui étaient au fond de la pensée des adversaires de la proposition. Il invita l'Assemblée à prendre conseil des fautes du Gouvernement provisoire, à ne pas ajourner la venue de la législative, comme sa propre réunion avait été ajournée, de crainte que la sympathie populaire ne se retirât d'elle, et ne lui enlevât sa force. M. Combarel de Leyval, animé par les interruptions qui venaient, à chaque instant, couvrir sa voix, mit, dans une discussion vigoureuse, l'Assemblée en présence du président et de la situation. Dans quelques mots vifs et piquants, l'orateur invita la Chambre à ne pas se donner, ne fût-ce qu'en apparence, le tort de vouloir se perpétuer dans son mandat. M. le général Cavaignac prononça aussi quelques paroles de conciliation et de désintéressement.

Le nombre des orateurs inscrits faisait présager une longue discussion; mais l'extrême gauche, bien qu'elle se plaignit haute

ment de la pression exercée sur l'Assemblée par les forces extérieures, crut utile de voter sous l'influence des émotions du dehors. Elle voulut faire clore la discussion. L'épreuve lui fut contraire. Alors, tous les orateurs de la Montagne renoncèrent à la parole, et le débat finit de lui-même.

Mais un débat nouveau s'engagea sur la position de la question. Adopter les conclusions du rapport, c'était rejeter du même coup les trois propositions, dont une seule, celle de M. Rateau, avait été sérieusement discutée, et dont la troisième, celle qui se bornait à demander la réduction du nombre des lois organiques, avait peut-être le plus de chances de réussite. M. de Lamartine fit ressortir l'embarras qui résultait de cette confusion de trois votes en un seul. Toutefois, la Chambre décida qu'elle voterait en bloc sur les conclusions du rapport. Soixante-huit membres avaient demandé le scrutin par division; quarante-un membres demandèrent le scrutin secret. Ceux-ci dûrent l'emporter, aux termes du règlement. On voulait, par là, assurer aux calculs de l'intérêt privé le voile du secret. On remarqua que ceux-là même qui réclamaient aujourd'hui les bénéfices du scrutin secret, appartenaient à ce parti qui, à toutes les époques, l'avait flétri, non-seulement comme une atteinte à la sincérité du Gouvernement représentatif, mais comme une violation flagrante de la souveraineté populaire. Selon ce parti, le mandataire n'a pas le droit de cacher au mandant l'usage qu'il fait du mandat qu'il a reçu, et les électeurs doivent connaître jour par jour le vote de ceux qui les représentent. Au début même de la session actuelle, n'avait-on pas vu le parti démocratique pur se lever tout entier pour l'abolition absolue du scrutin secret? Quoi qu'il en fût, cette manoeuvre n'eut pas le succès qu'on en espérait. Sur 821 votants, les conclusions du rapport, c'est-à-dire le rejet pur et simple des trois propositions, réunirent 405 voix; 416 rejetèrent les conclusions du rapport par une majorité de 11 voix. Sans doute, ce résultat n'impliquait pas l'adoption de la proposition de M. Rateau. Il signifiait seulement qu'une seconde délibération s'ouvrirait sur les trois propositions et sur les divers amendements auxquels les différentes propositions pourraient donner lieu. La Chambre n'avait rejeté que les conclusions absolues de M. Grévy: elle se réservait un nouvel exa

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