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son discours, il fit franchement et hardiment appel au suffrage universel. Peut-être même pouvait-on penser que la confiance de l'orateur dans les hasards du scrutin allait jusqu'à l'idolâtrie. Alea jacta est. Ce mot regrettable, dont M. de Lamartine lui-même avait fait la nouvelle devise de la France lancée à travers l'inconnu, il le prononçait encore aujourd'hui, le modifiant toutefois par cette protestation plus poétique que politique: « Je suis de ceux qui ne craignent jamais de jouer avec le sort quand c'est la France qui tient le dé, et quand c'est Dieu qui tient le sort. » Ce qu'il y eut de vraiment sérieux dans les paroles de M. de Lamartine, ce fut son énergique réprobation de ceux qui reculaient devant un jugement de la nation. Il leur adressa cette question brûlante: «S'il était vrai que la France ne fût pas républicaine, avec quoi la contraindriez-vous à l'être? Et si vous ne vous fiez pas au suffrage universel, c'est-à-dire à la conscience du pays, à quoi donc vous fierez-vous ?

L'opinion de la majorité paraissait désormais fixée, et le vote immédiat était désiré par le plus grand nombre. Mais l'opposition violente, tumultueuse d'une fraction de la Montagne, à laquelle M. Marrast céda trop facilement peut-être, fit renvoyer le vote au lendemain (6 février).

Il était permis de penser que la priorité accordée à l'amendement de M. Lanjuinais en entraînerait l'adoption complète. En vain, quelques membres cherchèrent-ils par tous les moyens possibles à prolonger la vie de l'Assemblée. On vit MM. Dupont (de Bussac), Jules Favre, Sénard, proposer des amendements ayant pour but d'ajourner une solution impatiemment attendue. On prétendait que l'Assemblée, en fixant le moment de sa dissolution, détruirait sa propre autorité morale; M. Dufaure fit justice de ce sophisme en rappelant que la durée des Assemblées législatives était elle-même rigoureusement limitée par la Constitution. Ce fut surtout dans l'intérêt de la République et de la Constitution que M. Dufaure demanda à l'Assemblée de se séparer. L'orateur distingua habilement ce qu'il y avait de révolutionnaire et ce qu'il y avait de légitime dans les manifestations demandant à l'Assemblée de se dissoudre. Il reconnut dans beau

coup de pétitions un vœu naturel, un désir logique de voir la Constitution, qui n'était mise en pratique qu'à moitié, fonctionner d'une manière complète et définitive. On craignait la réaction, dit-il en terminant; mais plus on attendrait, plus il y aurait à craindre que l'Assemblée à venir ne différât d'opinions et de sentiments avec l'Assemblée actuelle.

Il fallut écarter encore vingt propositions ou àmendements de pure tactique. Enfin, la proposition de M. Lanjuinais fut votée dans tous ses articles. Dans le dernier article seulement il fut introduit un amendement dont on ne pouvait se dissimuler la gravité; l'Assemblée décida qu'elle voterait le budget de 1849. Était-ce là, comme quelques-uns le pensèrent, une autre manière de se perpétuer? Non, sans doute; ce ne serait qu'un travail de plus compris dans un ordre du jour dont le cadre était fixé à l'avance. Seulement on pouvait se demander si ce travail serait sérieusement accompli. Outre trois lois organiques et le bagage courant d'interpellations et de propositions émanées de l'initiative parlementaire, il faudrait encore examiner, discuter, voter le budget. Il y avait tout lieu de craindre que ce ne fût là un budget provisoire. Et encòre, dans cet examen si hâté, on pouvait redouter que des représentants, dont les réélections se trouveraient compromises, ne cherchassent à se sauver du naufrage électoral par la fausse popularité qui suit trop souvent des économies imprudentes,

M. de Lamoricière appuyait en outre un amendement de M. de Ludre, proposant d'ajouter la loi sur la force publique; M. Jules Simon voulait qu'on fit la loi de l'enseignement; M. Senard, la loi d'organisation judiciaire; M. Ceyras, celle de l'assistance publique.

Heureusement pour l'autorité des travaux de la Chambre, tous ces amendements furent repoussés. L'Assemblée ne voulut pas se déjuger; elle résista sagement à tous les efforts faits pour lui surprendre un vote qui aurait implicitement annulé le vote sur les articles de la proposition Lanjuinais.

Restait à voter sur l'ensemble de la proposition. Dans les nouvelles habitudes parlementaires, ce vote décidait qu'il y avait lieu

à une troisième délibération. Le scrutin de division donna une majorité de 494 voix contre 307.

Ainsi, par la sagesse de l'Assemblée constituante, était enfin écartée la possibilité toujours imminente d'un dangereux conflit.

CHAPITRE VIII.

AGITATIONS SOURDES, UTOPIES, RÉPRESSION.

La Montagne dans l'Assemblée.

Audace

Sagesse de l'Assemblée, vote définitif Commission du projet de loi sur les clubs,

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Influence fâcheuse de l'agitation sur le crédit; fonds publics, banque, affaires industrielles et commerciales. croissante des journaux et des clubs. de la proposition Lanjuinais. projet nouveau de MM. Crémieux et Senard, révélations de M. Léon Faucher, apologie des clubs par M. Crémieux. M. Lagrange et les insurgés. Assassins du général de Bréa, jugement du conseil de guerre, le socialisme et l'assassinat. Désordres à Cette et à Niort, connivence des autorités, répression énergique; rixes à Lyon, la statue de l'Homme du Peuple, mort d'un anarchiste. - Croisade contre la révolte, dissolution de gardes nationales, révocation de sous-préfets et de maires, enlèvement d'emblèmes révolutionnaires. Le maréchal Bugeaud à Bourges et à Lyon, discours énergiques, interpellations de MM. Coralli, Arago et Saint-Gaudens, réponse de M. Odilon Barrot, ordre du jour. Utopies, M. Cabet et l'Icarie, déceptions et misères; M. Proudhon arrive à l'application, Banque du Peuple, déclaration solennelle, statuts de la Banque nouvelle; rivalités de boutique, M. Considérant et M. Proudhon, injures mutuelles; la Révolution démocratique et sociale ou les utopistes sans atopie. Anniversaire du 24 février, service funèbre, manifestation contremandée; banquets, fusion du socialisme et de la Montagne historique, conversion subite de M. Ledru-Rollin; désordres dans les départements, troubles à Clamecy, à Toulouse, à Auch, à Dijon, à la Guillotière, à Carcassonne, à Narbonne, complicité des autorités,

Au milieu de ces agitations parlementaires et de ces menées anarchiques le mouvement de reprise, qui s'était manifesté dans les affaires industrielles et commerciales à la suite de la nomination du président de la République, s'était presque complétement arrêté; la confiance, qui commençait à reparaître, s'était retirée de nouveau; les fonds publics avaient perdu une partie

du terrain qu'ils avaient regagné; la décroissance du portefeuille de le Banque montrait que le crédit privé n'était pas dans une situation meilleure que le crédit public; les boutiques se fermaient; le nombre des faillites augmentait; enfin, dans les grands centres manufacturiers, on ne recevait plus de commandes, on ne voyait plus d'acheteurs. C'étaient là les suites naturelles du conflit élevé entre les deux pouvoirs. A tort ou à raison, on croyait voir l'Assemblée se livrant tous les jours davantage à un parti qu'elle avait su jusque-là contenir. Dans les commissions, dans les bureaux, dans les votes de la Chambre, il semblait que la majorité fût déplacée.

Il fallait ajouter à ces causes d'anxiété l'audace croissante qu'on remarquait dans le langage des journaux révolutionnaires et des réunions démagogiques, des appels aux plus détestables passions, des apologies de la guerre civile, des justifications de l'assassinat. Si, en présence de pareils excès, on plaçait le vote par lequel l'Assemblée venait de repousser l'urgence de la loi contre les clubs, on ne pouvait s'étonner que la confiance et le travail fussent, une fois encore, paralysés.

A ces motifs d'inquiétude s'ajoutait encore le bon accueil fait par la Constituante à des projets qui devaient apporter une perturbation nouvelle dans les finances. On avait réduit l'impôt du sel des deux tiers; l'impôt des boissons était menacé à son tour, et la commission, appelée à prononcer sur son sort, nommait pour président celui-là même qui proposait de l'abolir.

Il faut pourtant se hâter de le dire, les menaces renouvelées contre la société à la faveur des discussions entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif semblaient enfin avoir éclairé la Chambre. Le 14 février, malgré les efforts de M. Émile Péan, malgré deux amendements contradictoires de M. Senard, l'Assemblée persista dans une sage résolution, en adoptant définitivement la proposition de M. Lanjuinais à la majorité de 37 voix ( 424 contre 387). Les votes antérieurs faisaient prévoir ce résultat on n'en devait pas moins savoir gré à l'Assemblée d'une persistance qui l'honorait et qui ramènerait le calme dans le pays.

La haute prudence qui caractérisait cette détermination ne

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