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glante; à côté, enfin, et plus coupables que tous les autres, des hommes de parti prompts à profiter de toutes les passions, à exploiter tous les prétextes au profit de leur ambition. Tel était le tableau que présentait la société française au moment où, sur un prétexte nouveau, la démagogie fit contre l'ordre une nouvelle tentative.

CHAPITRE XIV.

ROME A PARIS.

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La question d'Italie, proclamation de la République à Rome, fuite du pape, interpellations de M. Ledru-Rollin, M. Drouin de Lhuys repousse toute solidarité avec la République romaine, déclaration politique. — Interpellations nouvelles, MM. Buvignier et Ledru-Rollin; politique rétrospective, MM. de Lamartine, Cavaignac, Emmanuel Arago, ordre du jour pur et simple. Marche rapide des faits en Italie, chute de S. M. Charles-Albert, rôle de la France dans les négociations, résolution du comité des affaires étrangères, MM. Billault et Ledru-Rollin, M. Jules Favre demande un vote d'énergie, ordre du jour de M. Flocon, l'ordre du jour pur et simple repoussé; nouveaux débats rétrospectifs, MM. Ledru-Rollin, Cavaignac et Thiers, la guerre et la paix, amendement de M. Payer, adoption. Demande d'intervention, protestation de MM. Ledru-Rollin et Emmanuel Arago, l'intervention décidée, sa signification. — Départ des corps expéditionnaires, occupation de Civita Vecchia, échec sous Rome, interpellations de M Jules Favre, il blâme le ministère et demande un acte de vigueur, déclaration et explications ministérielles, ordre du jour de la commission, documents étranges communiqués par M. Flocon, adoption de l'ordre du jour motivé. — Sens de ce vote, qu'y a-t-il à faire? envoi de M. de Lesseps, difficultés de la négociation; lettre de M. le président de la République au général Oudinot; demande de mise en accusation du président de la République et des ministres, demande de reconnaissance de la République romaine, M. Ledru-Rollin, ordre du jour du général Changarnier, insultes à l'armée; ordre du jour pur et simple; la mise en accusation repoussée; les Romains de Paris.

Les questions extérieures, questions d'influence et de légitime amour-propre national, ont, surtout en France, le privilége de passionner les masses. Aussi l'abaissement de la France avait-il été une des machines les plus ordinaires de l'opposition sous la

monarchie aussi la Pologne avait-elle été le prétexte du 15 mai. L'Italie devait servir de prétexte à une nouvelle journée.

On verra plus loin (Italie) quelle récompense la démocratie italienne préparait au premier pape dont le nom ait patroné dans le monde les idées de liberté. Déjà, on se le rappelle, le Gouvernement du général Cavaignac avait annoncé hautement une intervention en Italie. (Voyez l'Annuaire précédent, p. 588.) La nouvelle de la proclamation de la République à Rome et de la fuite du pape à Gaëte vint, dans les premiers jours de l'année, rendre cette intervention plus nécessaire encore. Quant à l'opposition radicale, elle s'empressa de prendre position par des interpellations adressées au ministère et d'établir une prétendue solidarité entre l'insurrection romaine et la révolution de Février (21 février).

M. Ledru-Rollin s'en chargea. « Le pape a été chassé de la ville éternelle; comme prince temporel, il est frappé de déchéance, et la Constituante romaine a proclamé la République. Voilà de bonnes nouvelles !» s'écriait M. Ledru-Rollin, et il demandait aux ministres s'ils étaient, comme lui, disposés à monter au Capitole, ou bien s'il serait vrai que, par une coupable connivence, ils fussent sur le point de tolérer une expédition qui serait dirigée sur la Romagne par le roi de Piémont, pour rétablir le souverain pontife dans sa puissance temporelle, pendant que les escadres combinées de la France et de l'Angleterre surveilleraient les patriotes italiens dans les eaux de Gênes et de Civita-Vecchia. M. Drouin de Lhuys répondit que le Gouvernement ne dirait ni ce qu'il proposerait, ni ce qu'il ferait plus tard, mais que, dès à présent, il pouvait déclarer qu'il ne regarderait jamais la République française comme solidaire de toutes les républiques qui croiraient devoir se proclamer. Cela dit, M. le ministre des Affaires étrangères, sans contester les droits de la population de l'État romain, sans aggraver, par aucune parole imprudente, la situation du pape, marqua nettement les difficultés de la question. C'était le double caractère de Pie IX, comme prince temporel de Rome, comme chef spirituel de l'Église, qui créait ces difficultés. A titre de prince qu'il eût perdu sa couronne, nul Gouvernement étranger, sans doute, n'avait rien à y voir; mais

le souverain pontife doit être libre, et la catholicité entière est intéressée à ce que cette liberté soit réelle et notoire. Comment concilier ces deux intérêts? Là était le problème, là se rencontraient à la fois et les droits et les périls d'une intervention. M. le ministre des Affaires étrangères était d'avis que la meilleure solution serait celle qui ferait vivre dans un mutuel accord le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel dans la vieille capitale du monde chrétien. Dans tous les cas, il réservait pour la France toute sa liberté d'action; il demandait que, lorsqu'elle aurait une résolution à faire prévaloir, elle prît son jour, son heure, sans attendre le mot d'ordre des factions qui agitaient l'Italie. Ce jour-là, il consulterait l'Assemblée, il viendrait demander hautement son concours et son adhésion. M. Ledru-Rollin répliqua avec peu de bonheur et amena à la tribune M. Coquerel qui, tout en restant protestant, sut s'associer généreusement aux sympathies du monde catholique. « Savez-vous, s'écria-t-il, qui vient d'être expulsé par les ingrats Romains? Ce n'est pas seulement le pape, c'est le premier ami des libertés italiennes? » L'orateur finit en ajoutant que la République française ne pouvait être solidaire d'une république qui avait débuté par deux crimes.

Tel fut le premier engagement sur la question italienne.

Une seconde passe d'armes, tout aussi inutile, mais plus brillante, s'ouvrit, le 8 mars, par des interpellations nouvelles de M. Buvignier. L'auteur des interpellations dénonça violemment les projets des royautés coalisées du Nord contre l'indépendance italienne et peut-être contre la République française.

M. Ledru-Rollin reprit le même thème, mais avec plus de modération et d'éloquence. Ce qu'il y avait de commun aux deux discours, c'était cette idée que, par son vote du 24 mai 1848, l'Assemblée s'était engagée à soutenir toutes les républiques qui pourraient éclore dans le monde.

Un mot de M. Ledru-Rollin, s'étonnant d'être seul à défendre la politique du Gouvernement provisoire, amena à la tribune M. de Lamartine. A travers mille contradictions, l'illustre orateur, tout en louvoyant entre les politiques les plus contraires, sans en adopter aucune, parut toutefois protester contre l'inter

prétation étrange qu'on venait de faire de l'ordre du jour du 24 mai. Il faut rendre au fond cette justice à M. de Lamartine, qu'il n'avait jamais entendu rendre la France solidaire de tous les mouvements qui se produiraient en Europe au nom de la liberté. La conduite comme les intentions de l'ancien membre du Gouvernement provisoire avaient été dans un heureux désaccord avec les brillantes imprudences de son manifeste. Tout en revendiquant la responsabilité de ses actes, M. de Lamartine répudia la responsabilité de la politique suivie par ses successeurs, ajoutant qu'il n'accusait pas cette politique, mais qu'il y avait entre elle et la sienne l'épaisseur des Alpes.

Cette phrase appela à son tour à la tribune le général Gavaignac. L'ancien chef du pouvoir exécutif, qui avait su, sous un Gouvernement militaire, maintenir la paix de l'Europe, dit avec une grande verve de bon sens qu'il y avait quelque chose de plus difficile que de se séparer de la politique de ses successeurs, c'était de se séparer de celle de ses prédécesseurs. Il ne fut pas difficile au général d'établir l'identité de sa politique et de celle de M. de Lamartine. Au reste, sous les deux Gouvernements, la position n'avait-elle pas été identique? L'anarchie intérieure n'avait-elle pas paralysé l'action extérieure? Par cette expression: l'épaisseur des Alpes, dit en terminant M. Cavaignac, avait-on voulu séparer ceux qui avaient franchi les Alpes et ceux qui étaient demeurés au pied des Alpes? Cette allusion transparente à la déplorable expédition de Chambéry motiva une réplique de la part de M. de Lamartine, qui déclara n'avoir jamais autorisé, ni même connu cet acte de propagande agressive. M. Emmanuel Arago, lui, en avait eu connaissance; il l'avait désapprouvée; l'expédition s'était organisée sous ses yeux. Mais il avait été impuissant à la prévenir.

Là fut tout l'intérêt de la séance. Recueillies par M. Sarrans jeune, les interpellations perdaient tout leur intérêt. Deux ordres du jour motivés furent déposés, l'un par M. Jules Favre, l'autre par M. Martin de Strasbourg. Mais l'ordre du jour pur et simple eut la priorité et fut adopté par 438 voix contre 341 (8 mars).

Quel avait été le résultat de cette joûte oratoire, féconde en scandales? Le ministère, qui seul pouvait fournir quelques ren

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